mardi 28 janvier 2020

Attention école ! Le cri du cœur de Denis Laheye

SAUF MASSACRER LE PROJET JULES FERRY
PRIOLLAUD N'A RIEN FAIT POUR LES ECOLES

La campagne électorale a failli faire sa première victime. A la lecture du programme de Priollaud, Denis Laheye a été à deux doigts de s’étouffer : « Les gens ne vont quand même pas avaler ça ! »

L'objet de la colère des Lovériens.
En fait, plus que de la mauvaise foi,
On est  dans la  méconnaissance
de l'histoire de la ville. Le maire
a la propagande qu'il mérite.
Dans le tissu insipide du programme du maire sortant, parmi toute une série de mystifications,  il y a une phrase qui ne passe pas, encore moins que les autres. « Il faut absolument continuer pour rattraper ce retard accumulé pendant 20 ans. »
Denis Laheye devient furieux : « Nous avons mis fin aux classes dans les préfabriqués, nous avons créé des restaurants scolaires dans toutes les écoles, des selfs destinés à développer l'autonomie des écoliers et leur éviter de se déplacer d'une école à l'autre. Nous avons créé les écoles de la Souris Verte et Jean Prévost... Jamais des municipalités n'avaient fait autant pour les écoles ! Et pourtant, Dieu sait si, du temps d'Ernest, les écoles, l'enfance, ça comptait ! Nous avons eu à plus que doubler le budget alloué aux écoles pour mettre fin à une situation désastreuse ». 
Denis Laheye,  fils d'instituteur,
instituteur lui-même et ancien adjoint 
 aux écoles. La qualité de son travail, sa 
probité en tant qu'élu, lui ont toujours valu la 
 reconnaissance de ses pairs et des électeurs.
Eux, ils n'ont rien fait, à part de massacrer le projet Jules Ferry ! Et ils parlent d'un  retard accumulé depuis 20 ans. Il y en a marre du mensonge en politique ! Comment veux-tu que les gens s'y retrouvent ? Qu’on se souvienne des pannes de chauffage multiple à Jules Ferry, des parents d’élèves envoyés promener dans les conseils d’écoles et qui réclamaient juste le minimum ! »

En fait, Denis Laheye, sans doute pris par la colère, exagère un peu... Priollaud n'a pas « rien fait pour les écoles[1] ». Il a supprimé la distribution d'un livre aux enfants des maternelles. Il a aussi rendu payantes les classes transplantées alors que même la municipalité d'Odile Proust n'avait pas osé y toucher. Ils ont aussi revu à la baisse le projet Jules Ferry, ce qui constitue d'ailleurs une lourde faute de gestion, étant donné qu'il a fallu dédommager les architectes du premier projet. Bref, Priollaud a dépensé plus pour avoir moins... Il s'en fiche, ce sont les Lovériens qui payent et les écoliers n'ont pas le droit de vote. Quel cynisme ! »
C'est aussi à ces petits détails qu'on voit qu'il n'habite pas Louviers et qu'il ne s'intéresse pas aux enfants... sauf peut-être au sien, mais il n'est pas scolarisé à Louviers. 



[1] Surtout, ne pas se laisser abuser par la rallonge budgétaire de 2020 ! Dans les écoles, comme dans le quartier Maupassant, comme pour la police municipale, comme pour la signalétique, et comme pour la place Thorel (même s'il y a des retards dans les travaux) ... Priollaud a voulu colmater l'inaction de son triste bilan par une action tout azymuth à quelques semaines des élections. Les Lovériens ne sont pas dupes. Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
. 







jeudi 9 janvier 2020

BIENVENUE A STEPHANE BERN ...

...et double peine pour le maire de Louviers


Un spectacle au titre
prémonitoire pour Priollaud

C'est quand même curieux cette capacité qu'à le maire de Louviers à se prendre les pieds dans le tapis. A croire qu'il en fait exprès.

Ainsi Priollaud a-t-il éprouvé le besoin de fanfaronner lors du dernier conseil municipal en expliquant qu'il ferait venir Stéphane BERN pour son dernier spectacle "Vous n'aurez pas le dernier mot"... La ficelle était grosse et a aussitôt été dénoncée par le café radical et par d'autres. Faire venir, même pour un spectacle qui n'a rien à voir, celui dont le maire de Louviers avait annoncé le soutien de son opération d'année du patrimoine devenait un fait politique et surtout une action électorale sanctionnée par les textes.

Priollaud n'aura pas mis longtemps à se rendre compte de son énorme bourde. Le maire de Louviers vient en effet d'annoncer en réunion de quartier que le spectacle était reporté et se tiendra en avril ou en mai. 
Très bien ! Ce sera au futur maire d'assurer l'accueil de la personnalité dont il aura espéré jusqu'au bout un petit signe...
Pour Priollaud, ce sera la double peine !
Pour les Lovériens intéressés, le café radical vous offre la présentation du spectacle par l'intéressé à l'émission de Michel Drucker. 


mercredi 8 janvier 2020

mardi 7 janvier 2020

Les enfants sages suite et fin


Vingtième chapitre



Tous ensemble, tous ensemble…



Ils sont les colibris du mal
Quand ils aperçoivent un feu
Ils tiennent pour seul protocole
De l’alimenter en pétrole

Les enfants sages


Sous la douche, Fatima se fit l’effet d’être comme ces hommes qu’elle s’était amusée à observer, quand ils se préparent à retourner au foyer après une parenthèse adultère.
La douche était un sas. Elle était là pour tout effacer en attendant de plonger dans le bain dangereux de la vie quotidienne. Elle se préparait à tout pour la reprise du boulot et les scénarios catastrophes se multipliaient dans sa tête.
Une fois séchée, elle se regarda dans la glace. Elle regardait son corps et c’est là qu’elle se dit qu’il fallait en faire quelque chose.
- « Tu ne peux pas rester comme ça. C’est pas possible. Un peu de dignité, Fatima. Allez ! »
Elle l’avait décidé. Elle irait voir directement Rossignol et elle lui dirait tout le plus sincèrement possible. Tout, et toutes les conneries qu’elle avait faites.
- « Je vous propose ma démission. »

Il n’était pas sûr que ce soit la meilleure entrée en matière, mais il fallait bien commencer par quelque chose, et elle pourrait encore changer de stratégie selon les circonstances. De toute façon, sa position était intenable. Elle baignait dans cette lâcheté insupportable, qu’elle ne connaissait que trop. Ça n’empêche, elle n’était pas si bête, il fallait qu’elle se protège un maximum. Elle était acculée, et elle se souvenait de cette citation d’Anquetil, le coureur cycliste, le vrai : « la meilleure défense, c’est l’attaque ! ».
Ça la fit rire ! Avec toutes ces histoires, elle n’avait pas encore fait le rapprochement entre Jacques Anquetil et Anquetil Delpech. Entre le champion cycliste, dont on lui avait raconté le rôle légendaire dans la région, et à Louviers en particulier, quand il se rendait à un rendez-vous hebdomadaire au Crédit Agricole, et que les gamins l’attendaient dans une admiration secrète. Les plus audacieux tentaient d'aller lui mendier un autographe.
la meilleure défense, c'est l'attaque
Bon, se dit-elle, tant que tu es capable d’en rire, c’est que tu n’es pas encore complètement dépressive. Elle continua dans sa tête à imaginer sa confrontation avec Rossignol tout en cherchant à se dire qu’après tout elle s’en foutait. Il fallait qu’elle fonce directement, qu’elle prenne les devants. 
Putain, mais il a fait quoi cet Anquetil, exactement ? Je me suis acharnée sur lui, mais pas comme il fallait. Il était beaucoup plus intéressant que ça. Elle aurait dû le savoir.
En attendant, elle choisit le slip qu’elle aimait à enfiler sous son jean préféré. Elle glissa ses seins dans le soutien-gorge adapté à la situation. On ne va pas au combat sans un minimum de confort. Elle choisit un tee-shirt à la hauteur de l’enjeu et les bottines pour gagner 4 centimètres.
Il ne restait plus qu’à souligner le tout par une ligne de maquillage minimale, histoire d'appuyer ses traits les plus incisifs.
- « Tenue de combat, ma vieille ! On y va. »

***
 
Florence était plus détendue. En entrant dans les locaux de La Dépêche, elle croisa Patrick Lechaud, son journaliste préféré. Il était tout guilleret.
- « Bonjour Florence ! Alors, t’es revenue de ta tournée en Rolls ? C’était bien ? Il va falloir que tu nous fasses un papier là-dessus. Mais pas tout de suite. Pas tout de suite. Avec ce qui se passe aujourd’hui, quelque chose me dit qu’il va y avoir d’autres priorités. Allez, il faut aller à la manif. On ne sera pas trop de deux. Il faut prendre des photos et des témoignages. En plus, tu vas être accueillie comme une héroïne. Si tu veux, je t’emmène ? »

Elle s’attendait à monter dans la voiture. Elle avait tourné sans peine la page de la Rolls, surtout de la manière dont ça s’était terminé, mais quand même, la voiture restait un moyen évident de se déplacer. Et ce d’autant qu’elle ressentait un impératif besoin de s’asseoir. Au lieu de ça, on lui proposait d’aller à une manif, et d’y aller en marchant en plus ! Avec ce qu’elle avait fait ce matin, elle avait déjà largement dépassé les 10.000 pas quotidiens recommandés par les organismes de santé publique, largement relayés par les médias en quête de bavardage. Elle râlait intérieurement contre Patrick lorsqu’elle se ravisa en se souvenant que sa voiture avait brûlé. Tout ça lui avait largement échappé avec tout ce qui lui était arrivé depuis 48 heures. Il fallait se remettre à la réalité et il est vrai qu’on n’a jamais trouvé mieux que la marche pour ce faire.
Elle suivait à distance Patrick qui se dirigeait vivement vers le commissariat. En passant devant la cour de la mairie, elle repéra un petit attroupement qui se faisait autour du directeur de cabinet. Ils attendaient quelqu’un ou quelque chose. Elle redressa le regard, et constata que son collègue avait déjà une centaine de mètres d’avance. Elle était fatiguée avant de commencer. Le rite du petit café avec les collègues lui manquait terriblement. Dans ce type de circonstance, ça aurait été indispensable.
Ce n’est qu’en arrivant place de la République qu’elle comprit la situation. Patrick aurait pu lui dire. La manifestation avait lieu devant le poste de police, et on pourrait même dire que c’est le commissariat qui en était l’organisateur.

***

- « Est-ce qu’ils n’ont pas bientôt fini de m’emmerder ?
- Ben, si vous voulez mon avis, je pense que non ! »

Le trait d’humour de Domfront ne fit pas vraiment sourire Rossignol. Là, entre la presse, le ministre, le maire, les policiers, bien entendu, les collègues, de tout niveau, de tout grade mais au-delà, il y a même des représentants syndicaux régionaux et même nationaux. Le préfet venait de lui dire qu’il faudrait attendre le lendemain pour faire quelque chose.
- « Je vais craquer, Domfront. Je le sens. Putain, depuis cette nuit, c’est l’enfer. Avec des pressions de tous les côtés, des ordres contradictoires, et tout le monde qui cherche à s’en mêler, et la hiérarchie qui dit qu’il faut maîtriser la communication, et la base qui pousse. Je peux faire beaucoup de choses, mais je ne peux pas interdire l’émotion. Ils sont marrants eux. En même temps, j’aimerais bien avoir une minute, une seconde à moi, pour mettre mes idées au clair. Mais c’est dingue, ça, c’est dingue. De la voiture jusqu’au commissariat, j’ai rencontré trois personnes qui m’ont présenté leurs condoléances. Il y en avait même une avec un gilet jaune. J’ai failli m’énerver.
- Gardez-votre calme, mon commandant. On a besoin de vous. Vous savez pour la manifestation ?
- Oui, enfin, à peu près. De toute façon, j’y serais, mais bien sûr, pas question d’en être l’organisateur. J’ai eu le maire, il va venir. C’est bien le moins. Ben justement, c’est lui qui m’appelle. » Il commença à répondre.
- Commissaire. Il y a Fatima Pinco qui veut vous parler.
- Plus tard, Domfront, plus tard. J’ai vraiment pas le temps. Vous pensez bien que les états d’âme des agents, en ce moment...  »

***

Tous  les uniformes étaient de sortie. Florence contemplait la scène passivement, lorsqu’elle aperçut une policière venir vers elle. C’était Fatima. Florence se rendit compte qu’elle ne l’avait jamais vue en uniforme. Elle lui parla discrètement.
- « Ben dis donc, Fatima, ça te va pas si mal. Ça te met plutôt en valeur.
- Putain, j’ai vraiment le cul bordé de nouilles. Je m’attendais à tout sauf à ça. Aucune allusion à mes absences, aucune allusion à ma disposition, aucune allusion à mon voyage en Rolls. On m’a juste demandé de me mettre en tenue.
- Tu peux m’expliquer pourquoi la manif ?
- T’imagines bien, Florence… On aurait pu y penser toutes seules. Jacques Lorraine est mort cette nuit. C’est quand même normal qu’on marque le coup. Il n’y a pas de mot d’ordre, en soi. Les syndicats vont demander plus de moyens, parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre. C’est le jeu de toute façon. Je crois que le maire va passer tout à l’heure. Tu penses bien, il ne veut rien louper à quelques mois des municipales.
- Bon, c’est son rôle, en même temps. Même si ça n’aurait pas été plus mal qu’il fasse réparer la vidéosurveillance.
- Oui, c’est en cours, ça. De toute façon, t’inquiète pas, si le maire débarque, tu peux être sûr que Libertario ne sera pas loin. Il le marque à la culotte.
- Ok ! Je comprends mieux. Tu sais si le préfet va venir ?
- Bien sûr qu’il va venir. Il ne peut pas faire autrement. Il doit voir le commissaire et le maire à 17 heures. Ça je peux te le dire. Mais il ne va pas participer à la manif quand même ! Faut pas exagérer. Il ne va pas demander plus de moyens à lui-même. Il représente le gouvernement. Bon, mais c’est pas trop cohérent, puisque le préfet a demandé au commissaire d’accompagner les manifestants.
- Ah oui. Et le commissaire, il en pense quoi ? Tu lui as parlé ?
- Je te jure, Florence, j’ai voulu lui parler. Mais il n’y a pas la place en ce moment. Je m’étais pourtant armée de courage. Enfin, ce sera pour plus tard.
- Ne recule pas trop. C’est un conseil d’amie.»

Libertario était déjà là. Il parlait avec policiers gendarmes et pompiers qui s’étaient joints au mouvement où une place toute particulière était dédiée à la police municipale. William Hervet se tenait sur une béquille, à proximité du banc où il pourrait s’asseoir si besoin.
Mais à part la maréchaussée, la presse et les représentants de la municipalité, il y avait peu de monde. Ça se comprenait aisément, vu le caractère de la manifestation, qui était à la fois spontanée et quasi-officielle avec ces uniformes et la présence de l’écharpe tricolore du maire et des élus de Louviers et de pas mal de petites communes alentours.
A la différence d’une cérémonie officielle, il n’y avait pas de tribune. Le maire aurait bien voulu prendre la parole, mais rien n’était prévu. La démarche spontanée datait de quelques heures et personne n’avait demandé la présence de représentants de la municipalité. Le maire chercha le commissaire mais celui-ci s’était tenu à l’écart de la manifestation.
Très énervé, Pierre-Henri Gargallaud fondit sur Libertario Garcia qu’il venait d’apercevoir.
- « Ah ! J’aurais dû m’en douter ! Vous êtes là, vous ! Les suceurs de sang… »

Très peu de gens entendirent les propos rageurs, mais le silence gagna immédiatement toute l’assistance. Arnaud Meunier, le directeur de cabinet, ne savait pas où donner du regard cependant que le public guettait les deux protagonistes en se disant que tout pouvait se produire. Le maire était cramoisi, ce qui soulignait la pâleur inhabituelle du visage de Libertario.
- « Ils ne vont quand même pas se battre ! entendit-on dans l’assistance.
- C’est vrai ça, qu’est-ce que vous faites s’ils se battent ? dit Patrick Lechaud à l’oreille de l’inspecteur Domfront.
- Arrêtez vos conneries ! Ils ne vont pas se battre ! Ils ne peuvent pas se battre. Le premier qui tape a perdu. Ils ne sont pas fous. »

Un large sourire éclaira le visage de Libertario Garcia.
- «  Monsieur le Maire, vous êtes indécent. »
Ils continuaient à se regarder. Personne ne voulait faire demi-tour. Le maire se cherchait quelque chose à faire. Il fonça droit, rasa Libertario et se rendit au poste de police où il demanda à voir le commissaire. Éberluées, ses troupes étaient restées derrière lui.
Libertario pouvait sourire. Il avait le champ libre pour parler avec les uns et les autres, et le sujet était tout trouvé. On ne parlait plus que du maire qui avait pété les plombs.
Il fallait passer à autre chose. On alla trouver un malheureux collègue, le seul qui cotisait régulièrement, et qui du coup se retrouvait porte-parole du commissariat.
Il ne s’en tira pas trop mal. Il prit le micro, et rendit hommage au disparu, sans faire aucune allusion sur les pratiques qui lui étaient reprochées. Surtout il appela à une solidarité entre tous les représentants des forces de l’ordre. La mort de Jacques Lorraine faisait la démonstration que, quel que soit leur statut, et même s’ils n’en ont pas, les représentants de l’ordre font un métier difficile, qui mérite soutien et respect de la population et des pouvoirs publics. De fait, il remercia le maire et son équipe de leur présence. Pour faire bonne mesure, il remercia aussi Libertario quand même celui-ci n’avait aucun rang protocolaire, mais il s’agissait de ne se mettre mal avec personne.
Les policiers municipaux s’étaient cotisés pour faire fabriquer dans l’urgence une banderole qui parle. Deux mots couvraient sa largeur : POLICIERS, RESPECT blanc sur rouge. Juste en dessous, la formule HOMMAGE À NOTRE AMI ASSASSINÉ s’étalait en caractère plus petit.
 Il y avait à Louviers une imprimerie publicitaire qui avait accepté de la faire gratuitement et rapidement. Derrière elle, les maigres rangs des manifestants s’ébranlèrent en direction des boulevards que l’on traversa. La présence imposante d’uniformes imposait respect et silence aux automobilistes.
L’idée était de se rendre sur le lieu-même de l’agression initiale pour que William Hervet, assisté des policiers municipaux, dépose une gerbe.
Très vite un malaise envahit la manifestation. Le carrefour du Sapin ne s’était jamais appelé comme ça officiellement. Ça tombait bien puisqu’on avait retiré le sapin depuis quelques années. Il n’empêche c’était l’endroit choisi par les policiers municipaux pour leur cérémonie d’hommage.
- « Mais c’est pas possible, ça ! C’est pas possible ! Ils le font exprès ma parole ! Mais comment ils ont pu me faire ça ? »

On entendait le maire marmonner entre ses dents. À côté, ça s’agitait. Le directeur de cabinet appelait désespérément le Directeur des services techniques, qui ne répondait pas. De toute façon il était trop tard. A peine les services avaient procédé au nettoyage des graffiti que l’inscription fatale bravait les autorités :

£es enfants sages

Ce fut un coup terrible. Personne ne savait que faire. Sans attendre que le maire lui demande, Renaud Meunier appelait le directeur des services techniques… qui était sur répondeur. Il lui demanda de rappeler et il doubla l’injonction d’un SMS.
William Hervet était tout blanc et la gerbe qu’il tenait dans ses bras pesait trop à présent pour ce qu’il était capable de supporter. Libertario rejoignit l’avant du cortège et proposa de continuer comme si de rien n’était. Il fallait décider vite, ne pas montrer d’hésitation, et l’on pourrait déposer les fleurs dans la cour de la mairie ou devant la police municipale.
William Hervet s’évanouit.
Le capitaine des pompiers, qui avait, par sa présence tenu à marquer sa solidarité, se précipita vers lui pour des premiers secours.
Le cortège était à présent bloqué avec ce petit groupe autour du policier municipal assis sur un bout de trottoir et personne ne pouvait plus repartir. Les journalistes prenaient des photos, même s’ils savaient que, par décence, ils ne les publieraient pas. Tout le monde se regardait. Personne ne se sentait l’occasion de continuer ou de partir. Il n’y avait rien à faire.
Lorsque le SAMU arriva, William Hervet refusa de se faire embarquer. Il allait mieux. Chacun lui conseilla cependant d’aller se faire hospitaliser pour des analyses. De toute façon, il n’aurait pas été en état de poursuivre la marche. Il s’installa dans le fourgon avec la gerbe dont on lui assura qu’il la déposerait lui-même le lendemain matin avec ses collègues, en présence du maire et du commissaire de police, une fois le lieu nettoyé et mis au propre, avec une petite stèle funéraire.
Le cortège reprit la route dans un climat irrespirable. Personne ne savait trop s’il fallait que cela se termine vite, ou si, au contraire il fallait, envers et contre tout, continuer sur les boulevards, alors même qu’on allait devoir se mêler aux sorties des écoles et des collèges.
Un appareil survola le collège. Tout le monde pensa qu’il s’agissait d’un instrument de surveillance policière. Enfin, comme on dit, c’est en marchant qu’on trouve le mouvement. Il fallait simplement que l’on regarde dans la même direction.
Le maire interrogea le commissaire de police.
- « Mais non, c’est pas nous ! Vous pensez bien, avec les moyens qu’on a, on va pas en plus se payer des drones. Tout ça m’inquiète, Monsieur le Maire, je ne vous le cache pas. En même temps, il faut éviter de paniquer l’assistance qui en a déjà pris suffisamment. C’est important que cette manifestation se tienne. Vous êtes d’accord ?
- Bien entendu. Mais enfin, c’est incroyable cette histoire de drone. Quand on voit qu’on achète ça en supermarché pour pas un rond et que la police n’en dispose même pas.
- Oui, vous avez raison M. le maire, mais en même temps, on en ferait quoi, là, tout de suite. »
Fatima s’approcha de Rossignol.
- Monsieur le Commissaire, il faut que je vous parle
- Oui, je sais Madame Pinco, on verra ça à la fin de la manif. Pour l’instant, avec vos collègues, je vous le dis : faites attention à tout. Ne discutez pas, prenez un maximum de photo. Je sens le danger. Essayez de voir ce qui se passe avec les drones. Tâchez de savoir d’où ça vient. Je suis sur que dans le public, il y en a qui savent. Et amenez-moi Domfront ! »

Il fallait que tout se passe comme prévu ! Tout juste dévia-t-on légèrement la route lorsqu’on obliqua vers les rues du centre-ville alors que, dans la logique, on aurait dû suivre le boulevard Clemenceau.
Il fallait passer par le cœur de la ville. Il fallait concerner tous les habitants. Le cortège s’animait. Il devenait moins silencieux. En défilant, les manifestants croisaient des badauds dans les rues commerçantes. Ils avaient de quoi raconter.
Les bruits ne parvenaient pas à totalement couvrir la conversation téléphonique du maire. Il venait enfin de joindre le directeur des services techniques même si, au fur et à mesure de l’échange, le ton s’était apaisé. On allait passer place de la Halle, celle que le maire avait remodelée et qui constituait l’élément le plus emblématique de son bilan municipal. La couverture en béton assombrissait le site qui n’en avait guère besoin dans les esprits attristés.

Mais, au passage du cortège, un bruit assourdissant terrifia le défilé. Le maire appela le directeur des services techniques.
- Monsieur le directeur, arrêtez-ça, s’il vous plait !
- Mais on n’y peut rien Monsieur le Maire, vous pensez bien que ça ne vient pas de nous.
- Mais d’où ça vient ? Qui est-ce qui a fait ça ? C’est bien vous le responsable de la sono.

Gargallaud pensait que c’était une sono défaillante, qui crachait son larsen. En fait, à l’analyse, c’était de la musique, quelque chose directement inspiré du punk rock de la belle époque. Insupportable pour des oreilles peu habituées.

- Ça vient pas de nous, Monsieur le Maire. A mon avis, ça vient des drones ! 
- Ça doit vous changer du festival des grands amateurs de piano » glissa un adjoint qui essayait de faire de l’humour.
C’était bien le seul. 
Peu de gens auraient imaginé qu’il puisse s’agir de  musique, même si l’on percevait une voix humaine, un hurlement syncopé plus précisément.
Le commissaire regarda les drones qui s’étaient positionné comme autant de haut-parleurs.
Mais ce n’était pas tout. Un drone vint se glisser sous la halle, avant de se placer en position stationnaire. Les gens avaient vraiment peur, avant de se féliciter, pour les plus hardis, d’être toujours vivants.
Et puis, au moment où, devant des policiers impuissants, quelques agents des services techniques de la ville avaient été chercher des perches pour essayer d’attraper cette drôle de bête qui ne bougeait plus, le drone s’avéra être un puissant projecteur, et sa lumière puissante réverbéra sur le mur de la ville une inscription en lettre de feu : 



£es enfants sages

font les adultes désespérés

lundi 6 janvier 2020

Les enfants sages - 19e épisode




Les belles endormies 



Nel mezzo del cammin di nostra vita

mi ritrovai per una selva oscura
che la diritta via era smarrita. 

La divina commedia[1] 

Elles reposaient en toute quiétude. Maintenant, il n’y avait plus à discuter. Elles étaient profondément endormies.
Anquetil tenait à ce que les corps soient déposés au cœur de la forêt de Lyons. Il regardait Fatima avec tendresse.
- « Il faut les déshabiller, Nathan ! Tu te charges de la journaliste. Je prends l’autre. »

Elles étaient comme des enfants. Encore, en général, quand on recouche des enfants au sortir d’une soirée ne prend-on pas la peine de les déshabiller. On se réjouit de leur sommeil de plomb, surtout lorsqu’on a du mal à les endormir. Et puis, on les transporte en prenant soin, sait-on jamais, de ne pas réveiller les petits monstres.
Anquetil se disait que Fatima était quand même une belle fille. Bien sûr, manquait cet échange de regard, ce tendre suspense qui traduit positivement la fin du premier rendez-vous amoureux. Là, bel objet convoité, elle était totalement passive.
- « Eh, mais, Anquetil, pourquoi il faut les déshabiller ?»
- Je t’ai déjà dit, Nathan. Ça fait partie du plan. D’abord c’est plus facile pour les fouiller. Il faut quand même qu’on s’assure qu’elles n’ont pas de portable ou de système d’enregistrement. Ensuite, il faut qu’au réveil elles soient complètement azimutées. Le temps qu’elles se réveillent l’une l’autre, qu’elles recherchent leurs fringues,  qu’elles se remettent les idées en place, pendant ce temps-là, elles ne font pas de bêtises. »
Anquetil se dit qu'elles allaient avoir froid
photo Rancinan
L’humidité automnale gagnait dans la nuit sans nuage. Anquetil se dit qu’elles allaient avoir froid.
Aucune voiture ne passait par là. C’était aussi pour ça qu’Anquetil avait choisi l’endroit.
Nathan avait été plus rapide à dévêtir Florence, moins couverte il est vrai. Il avait pris en charge le lourd fardeau. Visiblement, la vigueur de sa jeunesse, il avait quand même un peu de mal.
- Attends Nathan ! Je t’ai bien dit de pas faire comme ça. Repose-là dans la voiture ! Je t’avais dit de déposer d’abord un tapis pour les déposer. Qu’elles ne se choppent pas la crève, et surtout qu’elles ne se réveillent pas trop vite, bordel ! »
Il avait à peine fini sa phrase qu’il se retrouva pris entre les bras puissants de Nathan. Extrait du véhicule en moins de temps qu’il ne faut pour le dire il se retrouvait plaqué au sol comme un débutant. Le nez dans les feuilles morte et mangeant de la terre humide sans avoir rien demandé.
- « Ta gueule Anquetil ! Je ne veux plus qu’on me parle pas comme ça ! J’en ai rien à foutre de tes histoires et de tes enfants sages à la con. Je te laisse crever avec tes copines au milieu du bois et tu te démerdes. C’est compris ?
- Allez, Nathan, calme-toi ! C’est pas le moment de s’énerver. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Tu crois que je t’ai pas vu avec la flic ? Tu crois que j’ai pas vu
Dante, illustré par Gustave Doré 
Anquetil sentait le corps insistant de Nathan contre
le sien. Il comprit qu'il n'était pas en danger.
- Alors, Nathan, une petite envie "
comment tu la déshabillais, comment tu la regardes ?
- T’es pas jaloux, quand même Nathan ?
- Tu m’emmerdes ! Je suis jaloux si je veux. Y avait absolument pas besoin de les déshabiller.
Anquetil sentait le corps insistant de Nathan contre le sien. Il comprit qu’il n’était pas en danger.
- « Alors, Nathan, une petite envie ? »

Il avait raison, Nathan, il y a des moments, avant de s’occuper des autres, il faut s’occuper de soi-même.
Une fois reculottés, il fallait passer aux choses sérieuses.
Anquetil réexpliqua une nouvelle fois qu’il fallait les déshabiller. 

- « Et pourquoi on leur laisse les vêtements à proximité, Anquetil ? Ce serait pas mieux si on les emmenait avec nous ?
- Non, Nathan, ce ne serait pas mieux. Pas d’humiliation inutile. Si on retrouve deux femmes toutes nues au milieu des bois, tu es sûr de faire la une de la presse. C’est pas ce qu’on recherche. Ça ferait de l’ombre à notre action. Ça pourrait même nuire à l’événement si on fait du foin un peu trop tôt. On s’occupera plus des deux filles trouvées à poil dans la forêt que du reste. Allez, on avance ! »

On peut tout mettre dans l’intérieur d’un coffre de Phantom. Sous le plateau de picnic chic, Nathan se saisit du matériel du parfait campeur scout.
A l’aide d’une bêche, il aménagea un couchage dans le sol qu’il recouvrit d’une bâche et d’une couverture.
A présent, il fallait déplacer les corps.
- Bon, là, tu ne fais pas comme pour ma mère, tu ne lui mets pas les menottes
- Bon, ça va Anquetil, j’ai fait une connerie. Sans doute, j’ai voulu me venger de la fois où je me suis retrouvé entravé à la prison. D’accord, ta mère n’avait rien à voir avec ça. Simplement, j’ai jugé que ce serait plus facile pour moi de lui bourrer la tronche. C’était parfaitement inutile. Tu m’avais juste demandé de la jeter à la flotte. C’est vrai. Mais franchement, quand ils m’ont menotté après mon refus de fouille au corps, c’était parfaitement inutile. Surtout pour passer devant la commission de discipline.
- Oui, enfin, c’était pas vraiment réussi comme opération.
- Tu m’emmerdes Anquetil, tu nous as demandé de t’en débarrasser. Maintenant, elle est au fond de l’eau. C’était le but, non ?
- Oui, enfin, au fond de l’eau, je dirais pas. Elle est plutôt au fond du trou, je dirais… et puis dans l’eau, elle a plutôt flotté … c’est une expression malheureuse.
- Arrête Anquetil,  on s’en est quand même tiré.
- On s’en est tiré par les cheveux. Repris de justesse, comme on dit. Et quelle idée d’aller assassiner ce pauvre flic.
- Ouais, alors là, ce pauvre flic, comme tu dis, j’aurais voulu t’y voir. C’est un accident. Il nous est tombé dessus. Il fallait qu’on fasse quoi ? C’est quand même lui qui nous est tombé dessus. On ne lui a pas demandé de nous suivre et de nous agresser à trois heures du matin. Tu voulais qu’on lui dise « excusez-nous monsieur l’agent. Tenez, je sors de prison, je viens de tuer la mère d’un copain, mais c’est pas le fait monsieur l’agent. Le plus important, c’est le tag, là, le £. Ah mais pardon, monsieur l’agent, vous voyez qu’un petit tag, mais c’est beaucoup plus, petit tag deviendra grand. 
- C’est bon Nathan ! C’est une connerie. De toutes les opérations de tags menées sur Louviers, vous avez été les seuls à vous faire prendre.
- Oui, chef ! Mais c’était la première …
- Justement, ça aurait dû être la plus facile.

Nathan ruminait. Il n’avait jamais supporté les leçons. Mais quand il arrivait à se calmer, il se disait qu’il faisait des progrès. Tout ce qu’il demandait, c’était un petit compliment, de temps en temps. Il avait quand même réussi la mission, non ? Anquetil lui avait demandé de dégommer sa vieille, c’était fait, non ? Il lui avait demandé de taguer un £, c’était fait aussi, non ? Après, qu’il se fasse courser par un connard, il n’avait fait que lui donner une bonne leçon, après tout …
- « C’est pas une bonne leçon, tu l’as tué !
- Oh ça va ! il est pas encore mort. Et au moins, on a évité qu’il fasse avorter l’opération dès le début, non ? Après tout, si tu voulais pas qu’on tue ta mère, il ne fallait pas le demander. »

Nathan était incontrôlable. Anquetil le savait. De toute la bande qu’il avait organisée, sa petite armée, Nathan était le dernier arrivé et  était en rupture avec les règles strictes de la petite secte des enfants sages, qu’il avait créée dans la rancœur organisée de l’exil britannique. Nathan n’était pas un enfant sage, de toute façon. C’est le moins qu’on puisse dire. Il ne l’avait jamais été.
Il a très vite deviné qu’il sortait de tôle. Il connaissait un peu les prisonniers. Au moins par ce que Degénetais lui en avait raconté quand il représentait la société civile dans les conseils de discipline des prisons. Il voyait les types débarquer comme ça dans les instances de jugement, des petites salles placées au cœur des mitards. Ils débarquaient comme ça, dans l’arène, comme sortis de nulle part, comme un taureau qui n’a même plus de coup de corne à donner. Degénetais disait qu’on ne pouvait s’empêcher de voir dans le condamné un autre soi-même.
Il repensait à ça, à ce Nathan tombé du ciel, incapable de retourner en tôle, quoi qu’il en coûte.
Nathan chargea Florence, sur ses épaules. Elle était lourde, le climat était poisseux. La journaliste glissa dans les feuilles.
- « Merde !
- Je viens t’aider. »

Anquetil l’aida à porter le corps alourdi, chacun portant un bras autour de son cou. Il se disait que c’est sans doute comme ça que sa mère droguée avait été amenée au barrage de la Villette. Il préféra ne pas poser de question à Nathan.
Après avoir déposé Florence, ils se chargèrent de Fatima,.
Anquetil borda les deux femmes avec les couvertures. Ça lui évoquait les contes de fées, le petit Poucet, peut-être, qui dormait avec ses six frères dans le grand lit de l’ogre pendant que ses filles étaient dans la chambre d’â côté.


Ils fouillèrent les vêtements des deux femmes. Il n’y avait pas de micro caché. Une fois vidés de tous ce qui pouvait ressembler à des moyens de communication, portable bien sûr, mais même les carnets tout cela fut mis dans un sac, ainsi que le revolver de Fatima, replacé dans son étui, bien sûr délesté de son percuteur. Ils fouillèrent les smartphones avant de les enterrer à l’abri des regards.
Comme elles étaient mignonnes ! Anquetil rigolait intérieurement.
- « Je suis sûr qu’elles vont me détester.
- Quand même, le réchauffement climatique a du bon ! Tu te rends compte de la douceur exceptionnelle ? Elles vont se réveiller sans trop se geler dit Anquetil.
- Elles vont se réveiller quand ?
- Trop tôt mon ami, trop tôt ! Tu vas leur faire une petite piqûre.
Il faut qu’elles dorment au moins jusqu’au lever du jour.
- Il n’y a pas que le réchauffement climatique qui a du bon ! Il y a aussi la disparition des espèces. Au moins n’y a-t-il plus de loup.
- Oui, tu as raison, on est au cœur de la forêt du chien de Brisquet !
- Oui, c’est l’histoire que tu m’as raconté.
- C’est ça, c’est la nouvelle de Charles Nodier. « Malheureux comme le chien à Brisquet, qui n'allit qu'une fois au bois, et que le loup mangit ». Je connaissais par cœur. Bon, allez, on en a fini avec les gonzesses. Il faut y aller »

Anquetil fut surpris. Pour la deuxième fois il se trouva face contre terre, avec Nathan qui lui imposait une immobilisation. Il se demanda ce qu’il avait derrière la tête. Visiblement ce n’était pas comme la dernière fois.
- « Allons bon, Nathan, qu’est-ce que tu as encore ? Lâche-moi la grappe, c’est pas drôle, tu commences à me faire mal
- Je m’en fous, Anquetil. Il faut que tu me dises pourquoi tu m’as pas fait rentrer dans l’organisation.
- C’est pas toi qui décides, Nathan. C’est comme ça. Fous-moi la paix
- Arrête Anquetil ! Dis-le moi, sinon je te crève. J’en ai rien à foutre de retourner en tôle. J’y ai passé toute ma jeunesse. Ça me fait pas peur, figure-toi.
- Je t’ai déjà dit Nathan. T’es pas encore mûr, c’est tout. Et avec ce que t’es en train de faire, tu me donnes raison. Lâche-moi ! »

Nathan défit le filin qu’il avait autour de son poignet et s’imaginait le passer autour de la gorge d’Anquetil.
Il se trouva projeté en l’air sans rien comprendre..
Il se trouvait à trois mètres d’Anquetil qui l’avait balancé sans qu’il le sente venir. Un peu sonné, il n’eut pas le temps de retrouver ses esprits qu’Anquetil, au-dessus de lui, lui tendait une main secourable.
- « Maintenant, je t’explique. Une nouvelle fois. Tout d’abord, on ne demande pas d’explication sous la contrainte. Première leçon. Quand on fait du mal aux gens, c’est pour leur faire du mal. C’est pas pour obtenir quoi que ce soit et surtout pas des aveux, et encore moins des explications.
- Ensuite, ça part du ventre. Toi, c’est sur le tas que tu as appris à te battre. Alors tu as du mal à admettre que tu aies encore des choses à  apprendre en la matière. Mais le combat est un art, mon petit. C’est comme pour le reste. C’est une culture. C’est des années d’études. C’est autre chose que des combines. C’est pour ça qu’il faut que tu poursuives ta formation. C’est une première raison pour laquelle tu ne peux pas encore intégrer l’organisation. Deuxième raison pour laquelle tu ne peux pas intégrer l’organisation, comme je t’ai dit, c’est ton comportement. Tu me sautes dessus pour savoir. Il faut que tu te calmes. Quand je te dis de tuer ma mère, je te dis de tuer ma mère. C’est assez lourd comme ça. N’en rajoute pas. C’est à l’organisation de fixer les objectifs. Je ne dis pas de tuer un policier... Tu t’excites dans la violence. Tu ne maîtrises pas encore. Faut que tu apprennes encore, même si ça t’est insupportable. Mais si ça peut t’aider, dis-toi qu’au bout du bout tu seras dans l’organisation.
- Laisse-moi participer au carnaval.
- C’est pas un carnaval. C’est le premier chapitre. Le premier chapitre se passe à Louviers. Il n’est pas question qu’on y participe. J’aurais au moins autant envie que toi d’y participer mais il faut préparer l’avenir. On a trop prévu de choses avec l’organisation pour qu’on se permette de griller nos cartouches dès le début. Dis-toi bien qu’on n’a encore rien fait. Ma mère, ton flic bousillé, tout ça, c’était de l’entrainement.
- Tu sais bien qu’on va s’attaquer à la France entière, au monde entier. Gratuitement. Ce sera d’autant plus gratuit qu’imprévisible.
- Je travaille mon projet depuis des années. La haine, ça se travaille, tu dois te mettre ça dans la tête. T’as bien de la haine, mon pauvre Nathan, ça, personne te le retire, mais t’as pas assez de travail.
- Demain, on parlera de Louviers. Un peu grâce à toi d’ailleurs. Mais bientôt, on ne parlera plus de Louviers. On ne parlera plus que des enfants sages. Ce sera mon grand œuvre.
- Allez, hop, Nathan, en voiture ! On a un bateau à 5h. Il faut larguer la Rolls avant de le prendre et avant ça être rasé de près et propres comme des sous neufs. Avec ta manie de faire du catch dans les fourrés, on s’est quand même bien dégueulassé. Faut vraiment qu’on ait l’air de vrais anglais de la City. Pas de repris de justice, si tu vois ce que je veux dire. A cheval ! » 

***
Le brouillard n’arrangeait pas les choses. Florence venait de réveiller Fatima. Il était impossible de se situer, à tout point de vue. En l’absence de portable les logiques de comportement étaient totalement perturbées. Il n’était pas question d’appeler, et elles ne pouvaient se repérer ni dans l’espace ni dans le temps.
Elles ne firent même pas attention à leur nudité. L’urgence était de se vêtir, ce qui n’était pas facile avec l’humidité de la rosée et de la brume qui avait imprégné les vêtements qui glissaient mal sur la peau. 
 Elles avaient froid. Ça tombait bien, elles n’avaient rien d’autre à faire que de marcher.
Ce n’est qu’en passant la Fontaine Sainte-Catherine qu’elles finirent par se repérer après deux kilomètres. Elles se dirigèrent vers l’abbaye de Mortemer.
- « Bon, dit Florence, on fait quoi maintenant ? On appelle les flics ?
- Mais elle est là, la police. Je suis là, merde ! Laisse-moi réfléchir. On se calme ! »

Elle était marrante, Florence ! Elle allait raconter quoi à ses supérieurs ? Venez me chercher ! On s’est fait enlever par Anquetil Delpech. Non, mais t’imagines ? Tu vois Rossignol ? « Oh ma pauvre bichonne, qu’est-ce qu’on t’a encore fait ? On t’a mis dans le coffre ? On t’a torturé ? On t’a violé ? Ben non chef, mais on m’a quand même massé les fesses. Dans la Rolls, il y des fauteuils qui vous massent aussi le derrière ! Oh ma pauvre petite ! Mais quelle horreur ! Et qu’est-ce qu’on t’a fait encore ? On t’a laissé toute nue dans la forêt ? Ben chef, c’est à dire qu’on m’a laissé presque toute nue, mais on m’a quand même protégé avec une couverture ! On t’a volé ton arme ? Oh ben, c’est à dire non, chef, enfin oui. On me l’a volé, mais on me l’a rendu… mais on m’a quand même volé le percuteur. On avait peut-être peur que je blesse quelqu’un ! Oh mais c’est pas vrai, c’est pas vrai ! Mais c’est une vraie atteinte à l’honneur de la police qu’on vous a fait là ! On t’a volé ton argent ? Ben non commissaire j’ai retrouvé tout dans ma poche. Au centime près. Et ma carte bancaire et tout ! À la bonne heure ma petite, j’appelle tout de suite le président de la République pour qu’on vous amène une médaille ! En attendant, asseyez-vous là, on va vous servir un café. Combien de sucre ? … »

- « Arrête Florence ! La police, je m’en charge. On fait tout ce que tu veux mais on n’appelle pas les flics. Je vais déjà avoir l’air assez con comme ça. Laisse-moi le temps de gérer. Toi, tu t’en tires bien. En plus, avec ton comportement pendant la nuit de tous les dangers, tu peux tout faire avec la police. Tapis rouge ! Tu peux te faire un super-papier pour ton journal de merde. Un tour en Rolls pour la championne des quartiers chauds. Pour un peu, tu postulerais au Pulitzer.
Moi c’est pas pareil. Je serais flic dans une grande ville, ce serait la circulation pendant 6 mois. Et encore, si je m’en tire bien. Franchement, si je ne passe pas devant le conseil de discipline, j’ai pas à me plaindre. Enfin, je compte sur toi pour ne pas te foutre trop de moi dans ton article.
- Ah ! Fatima, je te sens tendue là. Tendue et amère. Comme si c’était mon genre d’enfoncer les copines ! N’empêche, je vais avoir besoin de toi, comme toi tu auras besoin de moi, ne serait-ce que pour comprendre ce qui vient de nous arriver. Non seulement j’ai pas pris de notes, mais je ne sais même pas ce qu’il a dit ton amoureux.
- Non, arrête Florence, même pour rire. Tu ne redis jamais ça s’il te plait ! Franchement, c’est la honte de ma vie. J’ai déjà pas tellement de sujets pour me sentir bien en ce moment.
- Bon, alors, j’ai une idée pour que tu te sentes bien. Je te propose d’aller au bistro, il y en a un juste à côté de l’Abbaye. J’en ai de très bons souvenirs. Ça permettra de réfléchir devant un café et des croissants. J’ai une faim de loup.
- Oui, encore une fois Florence, tu ne vas pas me trouver très positive, mais tes souvenirs de casse-croûte champêtre, c’était au printemps ou en été. Il n’y a aucune chance pour que ce soit ouvert. Si on veut trouver quelque chose, il faut marcher jusqu’à Lisors. On est dans le trou du cul de la terre, j’ai l’impression. En marche ! » 
***

A la radio, on annonça la mort de Lorraine, le policier municipal.
- « Putain ! Dit Nathan
- T’inquiète, roule ! C’était prévu. Au matin, nous aurons disparu. Si tout se passe bien, tu rentreras dans l’Organisation.
- Mais tu veux quoi Anquetil ?
- Mais je ne sais pas, moi. Je veux m’amuser. Juste foutre le bran, comme on dit dans le Nord ! Je veux pas changer le monde. Je veux pas être un élu. Tout ce que je veux, c’est faire le mal, à ma mesure. C’est ça les enfants sages.
- Oui, c’est un peu comme le colibri de Rhabi, finalement !

Anquetil éclata de rire.

- Oui, c’est ça. Un verlan de Rhabi, un bricolo de Barri. Que chacun fasse ce qu’il peut pour détruire la planète. A sa mesure. Ça ne sert à rien, elle se détruira bien toute seule, mais ça fait du bien. Je ne supporte plus la bonté. Tu vois, je suis retourné à Louviers avec rancœur, pour régler mes vieux comptes, mais je vois que ça m’a fait du bien. Il faut que je fasse un tour au Paradis. Pas seulement fiscal. Je veux des plages, des cocotiers, la douceur des vagues. Je suis sûr que ça te fera pas de mal non plus. 



***
Fatima et Florence arrivèrent à Lisors. Elles aperçurent comme une délivrance un cochon qui servait de pré-enseigne..
Florence était soulagée. Elles avaient fait le plus dur, mais il restait le plus facile. Elles étaient privées de portable, et il fallait trouver quelqu’un qui veuille bien prendre un peu de son temps pour aller venir les chercher pendant qu’elles reprendraient des forces.
- « Au fait, Fatima, excuse-moi, mais tu manges du cochon ? »
Fatima rigola.
- Mais enfin, Florence, on a le droit d’être arabe et de ne pas être musulmane ! Bon, blague à part, j’ai le prénom, j’ai la couleur de peau, mais je ne suis pas arabe du tout. Ou alors je ne suis pas au courant ! Tu n’as pas remarqué ? Je m’appelle Fatima Pinco. Je ne me suis jamais mariée. C’est pas un nom d’emprunt. Je suis née comme ça. Je suis portugaise. Enfin, je suis Française de naissance, mais ma famille est portugaise. Je m’appelle Fatima à cause de Notre Dame de Fatima. C’est ma mère qui a fait un pèlerinage là-bas avant de m’avoir. Ce serait bien étonnant du reste, avec les mélanges qu’il y a pu avoir dans le sud de l’Europe, si j’ai pas un peu de sang arabe ou berbère, ce serait bien le diable. Comme dit l’autre, où y pas d’gènes, y a pas de plaisir.  Et d’ailleurs, tu imagines ce que j’ai entendu comme réflexion depuis toute petite ! Mais justement, face aux racistes, je n’ai jamais voulu justifier mes origines. Je préfère rentrer dans le tas. » 
Florence éclata de rire. Elle pensait aux copines et au soin qu’elles prenaient pour éviter la charcuterie dans les soirées filles.
Elle décida d’appeler Véronique Labaud. Leur amie travaillait à la mairie de Louviers, elle avait l’avantage d’être facilement joignable et l’on pouvait retrouver son numéro sans peine.
Il fallait trois quart d’heures pour aller les chercher. Avec un peu de chances, Véronique serait revenue presqu’à l’heure à son travail et le dépannage serait passé inaperçu. Il fallait juste éviter qu’elle ne se répande trop en justifiant son déplacement. Véronique ne fit même pas de réflexion. Juste un peu d’ironie dans la voix.  
- « Bon, ben c’est un super cadeau, ça les filles ! Super balade imprévue ! Je vous aime, hein ! J’arrive. »
En attendant Valérie, Fatima et Florence profitèrent d’un déjeuner roboratif et s’amusèrent à compléter méticuleusement le formulaire de satisfaction de la Ferme du Cochon qui rit.







[1] A mi-chemin de notre vie, 
Me retrouvai en obscure  forêt
Dont la voie droite était partie
Dante : la divine comédie