samedi 23 novembre 2019

Louviers,sa reconstruction, son patrimoine et son avenir

C'est un sujet qui parle ! 
La conférence de la Société d'Etudes Diverses a fait plus que le plein samedi dernier pour écouter M. Patrice Gourbin, maître de conférences à l'École nationale supérieure d'architecture de Normandie. Pour dire la vérité, on a rajouté des chaises et lorsque je me suis levé pour un imprévu auquel je devais me rendre, lorsque je me suis levé donc dans l'ambition de partir discrètement, j'ai vu qu'il m'était impossible de m'en aller sans déranger tout le monde. Je dirais qu'il y avait 200 personnes et j'ai dû attendre la fin de la conférence avant que l'on ne donne la parole à la salle pour me soumettre à mes obligations. Ce n'est pas le tout. Voulant compléter mon savoir par une visite au musée, et pensant y être tranquille, j'y entrai le dimanche subséquent dans le but d'approfondir mes connaissances en toute tranquillité. Loupé ! Ce n'est pas que je n'ai  pas 
Catalogues exposés à l'entrée du musée de Louviers.
J'ai connu une époque où cela n'existait pas. Nul ne peut oublier qu'il y a 30
ans, Odile Proust avait mis sous cloche le musée pour le consacrer à une
de ses relations, Wakhevitch, décorateur de théâtre. C'est Franck Martin, une
fois élu qui a mis fin à l'imposture et a nommé Michel Natier directeur du 
musée. Fin connaisseur de la cité, architecte, passionné d'art, artiste plasticien 
 lui-même, il a su donner au musée de Louviers une place à part et une 
dimension régionale. Tous les catalogues présentés sont un peu ses enfants. 
approfondi, ce n'est pas que je n'ai pas apprécié, mais pour la tranquillité, on repassera. En fait, il y avait du monde, pas la foule, bien sûr, on n'était pas dans un concert d'une vedette du showbiz, mais une présence constante agrémentée de nombreuses têtes connues. En fait, en dehors de l'hommage que l'on doit rendre au musée et à Michel Natier son directeur, qui a su relever le musée des cendres Wakhevitchiennes et en faire un lieu d'animation culturelle déterminant, il faut en revenir à l'intérêt de l'exposition elle-même et du thème prégnant de la reconstruction, du patrimoine et de son avenir.

Autant le dire tout de suite, la conférence a déçu ceux qui, parmi le public, attendaient d'en savoir beaucoup plus sur Louviers. En fait, elle a complété utilement l'exposition qui, elle, est naturellement concentrée sur la ville. Il n'empêche, il était bon de resituer le cadre de la France d'après-guerre, de la reconstruction en Normandie comme dans le reste du pays.
Ainsi Patrice Gourbin a-t-il eu le mérite de rappeler que, loin des idées reçues, la Normandie n'a pas été le seul territoire marqué par la nécessité de reconstruire. Ce n'est pas le tout. Il ne s'agissait surtout pas de reconstruire à l'identique. En effet, et même si cela peut sembler indécent le dire, mais, en quelque sorte, la nécessité de reconstruire s'est imposé bien avant les dégâts liés aux bombardements. 
Cela ne retire rien au martyr que Louviers a eu à subir et à la vie misérable menée par les habitants pendant les quatre années de guerre puisque Louviers a été victime dès 1940 d'une expédition punitive menée par l'envahisseur nazi. Mais il est vrai que la France accusait un retard certain dans son urbanisme, au regard notamment des normes d'hygiène, mais pas seulement. Cela ne retire rien non plus au rôle de Pierre Mendès France, attaché viscéralement à sa ville et dont il a plus que facilité sa reconstruction.
Ainsi donc Louviers a été reconstruite assez rapidement, même si l'attente a bien sûr été insupportable pour une population vivant dans le dénuement. Mais il ne s'agissait pas tant de reconstruire que de construire. 
La Place de la Halle à la fin du 19e siècle. On
peut y voire d'ailleurs, à quel point la grande
majorité des femmes avaient la tête couverte.
Autre temps, autre moeurs ... mais surtout,
la Place de la Halle n'avait pas cette rigueur
toute carrée qu'elle a acquise après guerre.
1945 était l'ouverture vers un monde nouveau. Le problème, avec les architectes, et surtout les architectes de cette époque là, transformés par force en urbanistes (ce qui a été rappelé par Patrice Gourbin) était l'idée de construire pour l'éternité. Louviers a été, et est encore victime de cette façon de voir. Rien n'est plus mouvant que les destinées humaines, industrielles ou collectives. Les besoins d'hier ne sont plus ceux d'aujourd'hui, les besoins de demain ne sont pas ceux de maintenant. On se figure la ville comme étant de toute éternité. Une image de la Place de la Halle en 1900 démontre s'il en était qu'elle n'avait rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui. Je ne parle pas de l'inutile couverture choisie par l'actuelle municipalité mais de son dessin très éloigné du carré qui la dessine aujourd'hui. 
Mais la reconstruction ne s'est pas faite seulement sur un dessin, un dessein, ou un projet urbain. La reconstruction, c'est aussi du droit, et il a fallu indemniser pour reconstruire, commerces et habitations à la condition qu'elles s'inscrivent dans les nouvelles normes. 
Reste que l'essentiel reste toujours le même en matière de reconstruction, c'est à dire la nécessité de projeter une évolution urbaine tout en respectant l'identité de la cité, la mémoire visuelle et affective de la collectivité et l'attente de la population. De ce point de vue, la réfection de Louviers, effectivement tant attendue,  a comblé la population. 
Il demeure que, notamment en ce qui concerne la construction du centre-ville autour du commerce, et le développement de la cité quelques années plus tard, il convient de mener une réflexion approfondie sur la vie commerçante à Louviers.  Après-guerre, on avait confiné le commerce, à quelques cases liant échoppe et habitat, ce qui est complètement remis en cause. Aujourd'hui très peu de commerçants habitent sur place et que la vie commerciale est en complète évolution et notamment dans le centre-ville
Ainsi donc, même si Louviers n'est pas dans la situation tragique de l'après-guerre, plus que jamais la cité a besoin d'imagination pour construire son avenir à l'image d'ailleurs de nombreuses communes. 
un panneau "vendu" sur la porte de la Banque de France.
Priollaud se débarrasse du patrimoine des Lovériens
Franck Martin a pu, grâce à ses trois mandats successifs, suivre quelques idées forces telles notamment la densification du centre-ville, et l'aménagement d'une perspective culturelle allant de la villa Calderón à la gare aux Musiques et incluant les cinémas, le Moulin, et la médiathèque. 
En 6 ans, Priollaud se sera contenté d'une ripolinade minéralisée du centre-ville. Il a au passage mis fin à la rue piétonne ... cédant à on ne sait quelles pressions, lors même que l'attente générale porte à un souci constant d'écologie, d'une ville qui respire, ouverte à tous les modes de circulation et notamment piétonnes.
En fait cet exemple ne fait qu'illustrer l'errance généralisée de la politique municipale. Le maire aura quand même en l'espace d'un mandat délesté la population de Louviers d'un nombre considérable de ses biens, les cinémas bradés, la Banque de France, la façade de l'Ecole Jules Ferry et le Jardin de Bigards.
Tous ces biens faisaient partie du patrimoine collectif et sont chers au cœur des Lovériens. Certes, M. Priollaud a déjà démontré qu'il n'en avait que faire, mais ce n'est pas tout. On pourrait comprendre, et d'ailleurs on pourrait en défendre l'idée, qu'un bien soit sorti du patrimoine pour construire mieux ou pour prévoir une vision nouvelle de la cité. Une ville, ça bouge, et c'est tant mieux. C'est d'ailleurs ce qu'on vient de voir avec le commerce. Mais, là, c'est sans projet, qu'on livre aux promoteurs le jardin de Bigards qui a le double avantage d'être un élément affectif indétrônable pour toute une génération, mais aussi un espace vert aménagé par de grands paysagistes qui participait à la mise en valeur de la rivière, et à son ouverture à toute la population. C'est sans projet qu'on réduit l'espace consacré à l'éducation des enfants dans le site historique de la plus ancienne école de Louviers en laissant un projet s'installer en façade. 
Quel mépris pour le métier de maire que de maltraiter ainsi une ville et sa population ! Non seulement on ne se donne pas la peine de bâtir un projet, non seulement on brade au plus mauvais moment (tout propriétaire comprend, lorsque les taux sont si bas, qu'il ne convient pas de vendre, même si l'on n'est pas en mesure d'acheter), mais en plus on agit contre la mémoire d'une ville, lors même qu'il convient de dynamiser au contraire un centre-ville où des commerces majeurs prennent le large. Plus de poissonnerie à Louviers, plus de maison de la presse. 

mercredi 13 novembre 2019

Poulidor/Anquetil


Leçon de dialectique

Mano a mano en 1964 dans le Puy de Dôme qui a fait entrer le couple maudit
dans l'Histoire. Les boyaux se touchent, les épaules aussi, mais les corps
s'écartent sous les regards de la presse motorisée.  

Dès le départ, j'avais fais mon choix. Poulidor, le héros de mon grand frère, Poulidor, mon repère, poulidoriste j'étais, poulidoriste je reste, poulidoriste à jamais. Mais à présent qu'à son tour, Poulidor nous a quitté, je suis bien obligé de m'interroger : qu'aurait été Poulidor sans Anquetil ? mais au delà de ces défis couplés qui créent la passion sportive, que serait Bourvil sans De Funès ?  Et que serait la droite sans la gauche ? Que serait le Paradis sans l'Enfer ?  Poulidor et Anquetil nous ont offert une leçon de dialectique à la française. 


A la question "Quels points communs entre Anquetil et Poulidor ?" 
Bernard Thévenet, semblait bien embêté ce midi sur France Inter. Pris à froid, il a bredouillé ce qu'il pouvait et l'on sentait qu'il priait le journaliste de passer à la question suivante. 

Il reste que, pourtant, ils faisaient le même métier au même moment, parfois au même endroit. Ils étaient le débat français d'une génération de plus en plus urbaine et industrielle qui découvrait les vacances en voiture, la télévision, et l'urbanité. Eux, ils étaient ancré au monde rural, lieu de la dureté, de la nécessité et de la permanence de l'effort physique... Ils passaient en vélo là où les français se rendraient en voiture. Pour le reste, c'est vrai, tout les séparait, et c'est dans cette séparation, dans cette opposition qu'ils se construisaient. 

J'aurais dû être Anquetiliste. J'étais aussi Normand que lui. De Mont-Saint-Aignan, où il est né et où j'ai passé mon enfance. Des lieux qu'il a hanté, Quincampoix, Saint-Adrien et la Neuville Chant d'Oisel, ce village au nom magnifique avant que je ne m'installe dans l'Eure où partout courent des légendes à son sujet et à Louviers, où il avait sa banque, la même que moi ... ! sauf que moi, on ne me reçoit jamais dans une entrée particulière ... je me demande d'ailleurs pourquoi ... bref ! J'avais tout pour être anquetiliste... 
Mais finalement, quoi d'étonnant si je suis devenu Poulidoriste, quand j'apprends que Sophie Anquetil, a 4 ans, a réclamé à son père un cadeau signé Poupou. 
Anquetil était dans le rôle du mauvais, Poulidor était dans le rôle du bon. Anquetil était transgressif. Anquetil cassait tout. Les règles, la morale (voire à ce sujet le livre de sa fille Sophie Anquetil, racontée dans ce document INA). Anquetil était celui qui était prêt à tout pour vaincre, quitte à tricher, à se doper et même à en parler.  On ne sait si son cancer était dû à l'alcool ou au dopage. Il représentait de ce point de vue ce qu'on peut faire de pire dans la vision rurale Normande, ne supportant aucune contrainte et ce d'autant moins que la nature lui avait donné les moyens ... piquant la femme de son médecin, devenant l'amant de la fille de sa femme ... bref, regardez à ce sujet le document INA signalé plus haut, ou lisez le livre de Sophie Anquetil.
Rien n'est venu entacher la carrière de Poulidor, qui représentait la ruralité tranquille, modeste même s'il puissamment enrichi en vendant sa notoriété. Il était le brave type. Celui qui ne vous ferait jamais de vacherie. Celui qui n'avait pas à se venger de quoi que ce soit, des sales coups de l'existence qu'on veut rendre avant de partir. 
Bref, Anquetil n'était pas sympathique et il n'a jamais voulu laisser gagner Poulidor, une fois, rien qu'une petite fois.. allez, un maillot jaune, juste une journée, un demi-étape, Jacquot, tu pourrais quand même ! Il n'a jamais voulu ! Méchant qu'il était ! et pourtant, que serait Poulidor, sans Anquetil. Dans tout ce qu'on peut lire des longues années de concurrence exacerbée entre les deux hommes, Poulidor déclare qu'il aurait bien aimé être sifflé de temps en temps. C'est beau, c'est comme si sa popularité lui avait empêché de gagner le Tour. 
On dit qu'Anquetil était tacticien, plus roublard, plus malin voire malicieux. Peut-être. Sans doute le cyclisme est-il le plus tactique de tous les sports, ce qu'on mesure d'ailleurs à présent avec la façon dont les épreuves sont de mieux en mieux filmées. Il n'empêche, en force pure, ce que mesure le contre la montre, Jacques Anquetil était supérieur. Après, il y avait le reste d'une épreuve harassante, et où la réflexion tactique se produit précisément dans un moment où le corps est poussé à ses possibilités extrêmes. Après, il y a a beauté de la compétition, celle qui nous confronte à l'autre comme une part de nous-même. 
Et, même si tous les opposait, ils ne faudrait pas omettre les fondamentaux. Il s'agissait de champions et de tacticiens exceptionnels. Dans les anecdotes qui circulent, celle où Poulidor raconte qu'il a gagné au poker avec Jacques Anquetil,  ramassant au passage une mise importante en expliquant qu'à chaque fois qu'Anquetil tentait de bluffer quelque chose le trahissait ... et puis, ne jamais oublier non plus que Poulidor se faisait payer davantage lors des critériums, compte tenu de sa popularité. Comme quoi, pour aller dans le sens de Coubertin, l'important n'est pas toujours de gagner. 
Les deux champions dans un tour d'honneur. Se retrouveront-ils au Paradis ?
Peu probable. Ils n'en ont pas besoin . Ils ont gagné déjà l'éternité. 
Ils ont participé à ce manège enchanté, ce Tour de France, qui semblait désuet, avant que les forces les plus puissantes ne s'en emparent contribuant à la mondialisation et à l'industrialisation du cyclisme. Les grands champions disparaissent, même s'ils restent au cœur de ceux qu'ils ont fait rêver ... mais quand il s'agit de couples, on touche, c'est sûr, à l'éternité. Anquetil, prévenant Poulidor de sa maladie, lui avait lancé "encore une fois, je vais arriver avant toi". Terrible victoire, cette fois-ci, il aura eu 32 ans d'avance, laissant Poupou face à lui-même et à son amour de l'effort, son amour de l'amour.  


lundi 11 novembre 2019

Le rite Carrington



A Louviers, 

l'important c'est de participer !


Une nouvelle fois présents au rendez-vous, les Lovériens étaient 1200 inscrits et participants à la course du matin. Les petits, les grands, les moyens ont affronté les intempéries dans ce qui est devenu un rite au fil des ans. A voir cette foule surprenante, affronter la pluie triste, froide et persistante, on peut se rendre compte qu'à Louviers il se passe vraiment quelque chose le 11 Novembre.
Sans doute faut-il en premier lieu rendre hommage au mage. Cependant, si Joseph BUHOT, magicien, est bien à l'origine de la course comme du stade qui porte son nom, le phénomène a dépassé complètement son créateur. C'était une sacrée performance en 1932 de mettre sur pied à Louviers, petite ville de 15.000 habitants, une épreuve sportive de renom. Le petit fils Carrington rappelle la détermination du grand'père qui a obtenu le soutien de Pierre Mendès France, le jeune maire de l'époque. Ainsi a-t-il créé cette épreuve tant attendue, qui a un peu plus tard réussi à attirer les très grands champions lorsque le cross et le demi-fond français était à son zénith, avec les champions olympiques, Michel Jazy, Michel Bernard et Alain Mimoun (vainqueur du marathon mais battu par Jean-Pierre Boucher, héros local (il est vrai dans la course vétérans mais cela démontre la qualité du plateau). 
Pluie, vent, neige, rien n'arrête les Lovériens ... Ils étaient
1.200 à braver un temps exécrables, enfants, femmes, hommes,
le plus souvent en famille, c'est un moment à ne pas manquer.
L'idée magique du grand Carrington est devenu un mythe.
Sous l'impulsion de l'Office Municipal des Sports, et grâce à la
culture politique Lovérienne qui a impulsé le sport pour tous,
une compétition de haut niveau s'est transformé en un
rendez-vous unique en Normandie et peut être en France. 
Mais ce n'est pas le plus beau. Ainsi, quelques années plus tard,  le cross country a disparu des radars médiatiques depuis une vingtaine d'années (à l'exception  notable en France d'Annette Sergent à la fin du dernier millénaire). Rares sont ceux, autour de nous, qui pourraient citer le dernier vainqueur du cross du Figaro ou même du championnat du monde. Mais ce qui n'est pas rare, à Louviers, c'est ceux qui ont participé au moins une fois dans leur vie au Carrington. Pas aux courses de l'après-midi, qui attirent les clubs d'athlétisme du département et au delà, parce que le Carrington reste un épreuve de prestige ... Non, ce qui compte, c'est la course de la matinée, celle qui réunit des gens de tous âges pour participer au rituel d'une course d'à peine plus de trois kilomètres, et qui a réuni 1.200 personnes, de tous âges, de tous sexes, de toute catégorie, en famille ou en solitaire, parfois même avec un chien et ce, quel que soit le temps. 


Vue panoramique d'une partie des 1.200 participants, sous la pluie glacée et l'herbe boueuse.
Non seulement l'attrait de la course ne se dément pas, mais la participation augmente. Même quand les enfants ont grandis, sont partis, il reste des acharnés du Carrington, bien sûr, des Lovériens, essentiellement. Il y a maintenant des participants pas si âgés qui, y ayant concouru enfant, y amènent par la main les petits enfants dans une ambiance joyeuse et attendue, et défiant tous les aléas météorologiques.
Le maire de Louviers, un drôle de pistolet ! On n'est pas sûr
qu'il se soit habitué aux mœurs Lovériennes.
(photo ville de Louviers)
C'est sans doute ce que n'avait pas compris le maire actuel, qui, alors nouvellement en place avait proposé sans sourciller à la très célèbre Manita Carrington, aujourd'hui décédée, de déplacer la date de la course... On ne sait pas encore ce qui lui était passé par la tête. Bien sûr Manita, en a failli s'étrangler. Déplacer le Carrington, ce serait un peu comme, je ne sais pas, moi, déplacer Noël, parce qu'il fait un peu froid ce jour là ... ou fêter le 14 juillet au mois d'août ... 
Reste la magie de la course et de l'effort collectif que j'illustre de quelques photos glanées ici ou là. 
Il y a quand même un vainqueur,
c'est une vraie course !
Aurélien Callewaert, de Louviers
 s'est imposé dans la bonne
humeur. (photo ville de Louviers). 


   





Quand on vous le disait, qu'il y avait des chiens (photo ville)





Enfin, j'ai gardé le meilleur pour la fin ! Diego Ortega et son équipe ont distribué aux participants et aux clubs
leurs propositions pour que Louviers reste une ville sportive 

vendredi 8 novembre 2019

Louviers mérite mieux ...

Beaucoup mieux !


A Louviers, de plus en plus de citoyens attendent ce moment.
L'heure approche où ils vont pouvoir se défaire de leur municipalité au médiocre bilan et de leur mauvais maire.
Face aux justes récriminations de la population, l'équipe sortante devra justifier ses errements. Sans programme, ils se sont contentés de dénigrer le travail accompli par les municipalités de Franck Martin pendant près de 20 ans. Pour le reste, les actions menées se sont traduites généralement par des fiascos. Pas de quoi pavoiser pour celui qui rêvait d'utiliser Louviers comme tremplin de sa carrière politicienne. Il peut toujours se dire qu'on ne gagne pas une élection sur un bilan. C'est vrai, mais quand les six années passées au pouvoir se sont traduites par une suite de maladresses ou d'échecs, il est difficile de définir un projet crédible ou cohérent.  

Politique : un adversaire de la liberté et un médiocre manœuvrier

Photo à la une de La Dépêche du 7 novembre 2019
Le maire avait affirmé qu'il visait une élection au premier tour 
et attendrait janvier pour annoncer sa candidature. 
Il a donc cédé devant les inquiétudes de ses conseillers sans
doute plus proches du monde réel. Le maire se donne deux
 mois supplémentaires pour défendre un mauvais bilan. 
Pas sûr que ce soit suffisant !
 Priollaud affiche le pire du centrisme . Une sorte d'ectoplasme se soumettant à tous les vents, en espérant pouvoir obtenir sa survie politique. Arrivé dans les bagages d'Hervé Morin, il s'est affilié à l'Udi. Il a défendu la candidature de Bruno Lemaire aux primaires de la droite parce que celui-ci était le deuxième homme fort du département. Juste après la victoire de Macron, il a tenté d'obtenir l'investiture d'En Marche, avant de se présenter sous la bannière de la droite, et ramasser un mauvais score. Il a ensuite tenté d'obtenir une place aux européennes, fort de son bilan de 14e vice-président à la Région. Il a sans doute été le seul à s'étonner que cela ne marche pas et a tâché de faire bonne figure en faisant de nécessité vertu. mais là n'est sans doute pas le pire de ce bilan politicien.
Le pire, bien entendu, est le mépris affiché pour les Lovériens, la ville de Louviers et donc pour son métier de maire, et le rejet de ses propres valeurs. Qui oubliera que, sous la pression des plus réactionnaires de sa propre équipe, il a rejeté le principe d'inauguration d'une Place Mandela à Louviers, pourtant votée à l'unanimité par le conseil municipal précédent. Tout simplement répugnant.

Patrimoine : un mépris de la ville et de son histoire

La politique patrimoniale de Priollaud constitue sans doute la plus lourde faute de gestion de la municipalité dans le sens où elle aura des conséquences très lourde. Passons sur la vente de la Banque de France au privé. Ce bien immobilier énorme, important certes dans l'histoire de la ville, racheté quand même par la municipalité Proust qui refusait de voir ce bien lui échapper ne correspondait pas à un projet municipal cohérent. Reste à voir ce qu'en fera un privé. 
Le reste relève d'une suite d'affreuses incohérences aux conséquences coûteuses. 

Les cinémas

C'est un sujet sur lequel la ville de Louviers est en contentieux devant le tribunal administratif. Rappelons les faits de la manière la plus simple qui soit. 
Depuis 1983, la municipalité de Louviers s'est battu pour permettre à la ville de Louviers de posséder en son centre un complexe cinématographique. Franck Martin s'est battu pour que lors d'un agrandissement ce centre puisse accueillir une salle de théâtre qui est devenue la plus belle et la mieux adaptée du département. Il s'agissait d'un projet de promotion culturelle, reliant le spectacle vivant à la pratique cinématographique. Priollaud n'en a pas voulu et à la suite d'un contentieux avec le gestionnaire des salles, a bradé l'équipement à 30 % de la valeur estimée par les Domaines. C'est une pratique interdite, qui a été attaquée par des élus de l'opposition. C'est surtout une absence de garantie sur l'avenir du cinéma, un coût énorme pour la ville et une affaire immobilière plus qu'intéressante pour l'acheteur. Et l'intérêt public dans tout cela ? 

L'école Jules Ferry

La façade de l'école Jules Ferry, si typique de l'histoire de Louviers et de l'Histoire de France est l'un des sites les plus intéressants de la ville. La municipalité Martin avait souhaité profité de sa nécessaire réhabilitation pour l'intégrer dans un cadre urbain qui valorise le quartier à l'entrée du centre-ville, tout en le reliant au jardin public. Il s'agissait donc de relier l'intérêt de l'enfant, de la communauté éducative à un projet urbain. Priollaud a bradé tout cela. 
  1. Il a ramassé dans un projet ratatiné la future école Jules Ferry dont la sortie donnera directement place du Champ de Ville
  2. Il a rejeté le projet d'intégration des deux équipements lors même que partout en France on relie l'éducation de l'enfant avec un cadre écologique
  3. Il a rejeté le projet de valorisation de la cité en livrant à des promoteurs immobiliers l'un des biens les plus intéressants du patrimoine communal.

Les jardins de Bigards. Un espace sacrifié. 

Le jardin de Bigards a une histoire très ancienne, mais on va s'arrêter à 1965, date à laquelle le Docteur Martin, maire achète de ce bien qui va devenir la vitrine emblématique de la politique d'animation municipale de la ville. Le projet de culture pour tous, d'animation socio-culturelle, d'expression libre pour tous les âges tout ce qui a fait la notoriété de Louviers est né ici. Mais ce n'est pas tout. Le jardin de Bigards a fait l'objet d'un aménagement en tant que jardin public d'ores et déjà sacrifié puisque la municipalité a décidé de le vendre. Que deviendra ce bien ? Un Hôtel, un projet immobilier ? Nul ne le sait. Mais on peut déjà programmer la mort d'un jardin que la municipalité a laissé à l'abandon alors qu'il s'agissait d'un site aménagé par des paysagistes reconnus au niveau national.  

Sécurité : des maladresses et de graves erreurs
City stade ! Une faute emblématique de la municipalité. 
Pour faire plaisir à un ami de l'équipe, on a voulu transformer le 
city stade où les gamins du quartier, les pompiers et autres 
sportifs pouvaient s'ébattre dans des joutes sportives et 
amicales. On y a mis des équipements coûteux et inutiles
pour empêcher ces pratiques saines. Depuis le lieux est 
occupé par des oisifs (au mieux), des harceleurs, voire des
trafiquants qui créent un abcès de fixation sur tout le 
quartier et contre lequel la municipalité est passive. 
Le bilan Priollaud en matière de sécurité est lourd, très lourd. Aucun quartier n'a connu d'amélioration en matière de sécurité, cependant que Maupassant a connu une multiplication des incendies de voitures et de haies plongeant ses habitants dans une insécurité notoire. Priollaud avait cru bon de gonfler ses muscles pendant la campagne électorale d'il y a six ans. Il a détruit l'équipe de médiation qui avait un rôle majeur en matière de prévention et d'action sociale. Il a rendu impuissante l'équipe de police municipale, notamment dans le cadre d'une mauvaise gestion des ressources humaines.
Enfin, Priollaud, en voulant empêcher l'activité sportive autour du city-stade du centre-ville a créé un point de fixation de trafic et de harcèlement en se montrant incapable d'y mettre fin.
Voilà un résumé trop rapide des fautes et de l'incapacité à assurer la tranquillité publique.
Bien sûr, il serait idiot, comme la droite le fait régulièrement de rendre responsable une équipe municipale de la montée de la délinquance. Le problème est complexe, au même titre que les solutions. Mais ce qui est sûr, c'est que tant qu'on ne s'est pas donné les moyens de lutter contre la délinquance, on ne peut pas se plaindre de l'absence de résultat.

L'animation de la cité

  • Le centre-ville et le commerce
    Priollaud est l'adepte de ce genre de faute politique. En répondant aux récriminations de quelques administrés, il oublie l'intérêt collectif. Ainsi a-t-il mis fin au seul espace piétonnier de la commune, en place depuis près de 40 ans. Pour le moins paradoxal au moment où la demande va à la multiplication de zones ouvertes à d'autres modes de circulation. Tant qu'à modifier le centre-ville, il aurait fallu créer un espace agréable et permettre aux chalands de s'ouvrir à un espace agréable, radicalement différent de ce qu'on peut trouver en grande surface. Ainsi pouvait-on, par exemple, végétaliser une bonne partie du centre. Mais non, on vend le jardin de Bigards au privé, sans garantie, mettant à mal le projet de mise en valeur de la rivière. Priollaud peut après s'étonner de la fermeture d'échoppes sur la rue du général de Gaulle, artère commerçante principale du centre-ville. La couverture de la place de la Halle est à l'image de tout ce que Priollaud a fait en la matière depuis le début de son mandat. Une gabegie.
  • Louviers-plage étouffé 
    Louviers-plage a été un beau moment dans l'histoire de Louviers. Tout en ouvrant aux familles privées de vacances la possibilité de se divertir, il faisait de Louviers une ville attractive tout en s'appuyant sur une réelle mixité sociale, puisque les habitants de tout quartier, de tout milieu s'y retrouvait. Qui plus est, pendant cette période Louviers se transformait en profondeur. Trop cher pour Priollaud ... dommage, parce que cela rapportait à la ville !
  • Le refus d'un équipement sportif largement financéDans le cadre du réaménagement d'ensemble du quartier Maison Rouge, un équipement majeur était prévu : une salle dédiée au futsal, et qui pouvait servir pour d'autres compétitions. Encore aujourd'hui, personne en comprend ce choix, même si certains supputent des raisons inavouables. Pourtant, lors de la fermeture de la salle Maxime Marchand, on s'est rendu compte à quel point un tel équipement serait indispensable, d'autant qu'il est de notoriété publique que la salle doit être refaite ... D'autant que le remplacement de cette salle de futsal était largement financée et d'autant encore qu'elle a été remplacée par une salle des associations dont aucune association ne veut, tant elle a été mal conçue et construite sans consultation.    

Priollaud, un piètre gestionnaire

Priollaud restera le créateur de la taxe la plus dégoûtante qui soit : la taxe sur les cadavres, qui oblige toute personne à verser 50€ à la commune pour le décès d'un proche, quelque soit le niveau de revenu, ajoutant ainsi de la difficulté à la peine. Mais ce n'est pas ce qui fait de lui un piètre gestionnaire ... même s'il se vante d'avoir fait baisser la taxe d'habitation d'un demi euro par mois ... alors que la suppression de cette taxe est programmée par le gouvernement. Non, ce qui fait de Priollaud un piètre gestionnaire, c'est son absence de projet. On ne peut bien gérer une ville ou un équipement si l'on n'a pas de vision. Les Lovériens savent qu'il n'a aucun intérêt pour leur ville qui ne constitue pour lui qu'un tremplin sur lequel il a d'ailleurs du mal à s'installer. Alors que les taux d'intérêt sont au plus bas, alors que la ville dispose d'atouts considérables, Priollaud brade les biens communaux, réduit la qualité de vie, en vendant les cinémas tout en permettant à l'acheteur une formidable opération immobilière, en sacrifiant les espaces verts, en faisant perdre à la ville son identité. 


Un lamentable bilan 
Je l'ai dit plus haut, on ne gagne pas une élection sur un bilan ... mais on peut perdre une élection sur un bilan. Beaucoup de Lovériens nous rappellent, alors que nous sommes en campagne, tout ce qu'ils ont perdu depuis 2014. Ce sont des éléments qu'il aura beaucoup de mal à faire oublier, tant auprès des commerçants, des membres des associations, du personnel municipal, et des Lovériens dans leur ensemble. Difficile dans ce contexte d'inspirer confiance en promettant monts et merveilles ... alors qu'on n'a fait que brider leur ville.   



mardi 5 novembre 2019

OSTALGIE ET NOSTALGIE 30 ANS APRES

Il y en aura encore qui diront qu'il n'y a pas de hasard ! Et pourtant ... Et pourtant, tomber sur ce vieux journal, sur cet article qui a souligné une part importante de mon existence, quelques jours avant que l'on évoque un peu partout cet événement qui a bouleversé le monde ... vous avouerez que c'est un sacré truc. J'ai publié sur facebook la photo de la une de la Dépêche parue entre Noel et le Jour de l'an il y a 30 ans. On m'a demandé de publier l'article mais une photo de l'article l'aurait rendu illisible ... Je me suis donc fendu de recopier intégralement cet article massif de 25.000 signes. J'ai ajouté quelques notes à la publication, histoire de le rendre lisible pour les jeunes et ceux qui auront oublié ce que pouvait signifier des mots comme Trabant, RDA et tutti quanti ... comme aurait pu le dire Aznavour, je vous parle d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Les illustrations  sont les mêmes que celles de l'article original. Elles sont de piètre qualité, c'est vrai. Mais je n'ai pas voulu tricher. Bonne lecture ... 

Tout y est ! Ce qui fait la force de la presse papier c'est qu'on y plonge comme dans un monde. Jamais la gestion numérique de l'information ne pourra prendre la place émotive d'un journal ! Je dois dire, au delà de l'émotion que m'a valu de retrouver ce vieux numéro, de revivre ce qu'a été pour moi la chute du mur et ma participation à l'Histoire avec la reconnaissance que je dois à La Dépêche de Louviers d'avoir reproduit ce récit de voyage historique ... il y a aussi, mais ça c'est une autre histoire, les publicités pour le minitel, la reproduction de la vie sociale, politique, sportive du Louviers il y a trente ans et, cerise sur le gâteau, quelques graffitis qui rendaient le grand article fort peu lisible et qui m'a contraint à le retaper dans son intégralité. 25.000 signes. Voilà qui change des 1.500 signes qui me sont demandés lorsque je publie un communiqué dans la Dépêche d'aujourd'hui.

Un Normand fait le mur

Ancien fonctionnaire de la mairie d’Evreux, Olivier Taconet, de Louviers, est passé à l’Est. Il a vu vivre l’autre Allemagne depuis qu’elle n’est plus emmurée. De Berlin à la R.D.A.[1] profonde, carnet de voyage dans un pays en pleine évolution.

J’aurais pu aller à Florence… Revenir au palais des Offices. Refaire le chemin inverse jusqu’au cœur de ce Musée. Frotter ses couloirs prodigieux. L’Epanouissement de Vénus et m’éblouir à son plafond. Ou me faire l’entrée principale, monter son escalier comme une jambe, avec une pause à l’étage comme un genou avant que je me perdre dans son ventre définitivement.
J’aurais pu aller en Sicile, goûter au pied de Taormine les doux orangers de décembre. M’orienter vers l’Etna et attendre.
J’aurais pu aller à Tahiti, au Club Med. Oublier jusqu’au dégoût de nos hivers tristes et de nos débats malheureux de bourgades provinciales étouffées par des foulards.
J’ai opté pour plus sordide encore. Berlin ! Le hasard de l’histoire. Plus exactement le croisement de ma petite histoire et de celle avec un grand H.
A l’origine quelques jours de congé à liquider dans une période creuse et une furieuse envie de partir … J’hésitais, feuilletant mon Atlas, insérant comme autant de marque-pages les dépliants chipés aux agences de voyage. Je balançais entre le connu et l’inconnu, entre le beau et l’ancien, et jamais l’idée ne me serait venue d’aller à Berlin.
« Berlin, je connais trop bien ! » C’était avant le 9 novembre. Un ami très proche qui ne connaissait la ville que par son livre d’images, m’avait pourtant dit « Regarde un peu la télé. Pourquoi tu ne vas pas à Berlin ? »
Comment lui expliquer alors ce que m’inspirait la télévision quand on y évoquait l’Allemagne de l’Est, lui parler de ce dégoût vague Je zappais sans m’en rendre compte en dépit des efforts pour m’intéresser au sujet.
Certains la voient comme une boîte de nuit. J’ai toujours pour ma part considéré Berlin comme une prison.
LE CHOC MURAL
Entendre parler de manifestations à Leipzig[2] m’émouvait terriblement comme on voit des détenus sur des toits. Mais savoir que le courage magnifique des insurgés n’aura pour seule récompense qu’une sévérité accrue me mettait mal à l’aise.
Et puis, il y a eu ce fameux soir, L’autoradio m’annonça que le passage était libre entre les deux Berlin. J’accélérai en hurlant le peu de route qui me séparait de chez moi. « La télé, je m’égosillai, la télé, B…l de D…, de nom de D… !!! ».
Il fallait voir les petits burins, les marteaux et les ongles ridicules … un morceau du mur, du grand mur, c’est si dur.
Il fallait voir les badauds perdus comme en rêve.
Il fallait voir, mais mes larmes m’en ont fait louper pas mal … J’étais bête et heureux.
Me sont revenus alors, parmi mes souvenirs laissés là-bas, une adresse rangée au fond de ma tête d’une correspondante à qui je n’avais pas écrit depuis plus de vingt ans. Je lui ai envoyé une lettre comme on lance une bouteille à la mer. Quitte à aller à Berlin, ce qui devenait impératif, que cela soit au moins pour y rencontrer quelqu’un !
Petra me téléphona un samedi après-midi. Le fait de ne plus savoir parler allemand amplifiait mon sentiment de perdition. On réussit à convenir qu’elle m’écrirait. Cela me laissait le temps de préparer mon voyage et de récupérer au plus vite quelques rudiments de la langue de Goethe. Deux jours avant de partir, la lettre m’apprenait qu’elle était mariée, qu’elle avait trois enfants, m’attendrait à l’aéroport et assurerait mon hébergement.




SAINT NICOLAS
J’aurais voulu partir en train.
J’avais un souvenir de gamin fasciné, voyageant dans un groupe sponsorisé par les Amitiés Franco-allemandes (de l’Est), appendice du PCF, et regardant, illuminés, les chiens policiers longeant les voies à la recherche des fraudeurs. Quel chic ! On était comme dans un film de guerre.
J’aurais voulu partir en train. Voir si, vraiment, les bergers allemands n’y étaient plus ou s’ils dormaient…
J’aurais voulu partir en train, je m’étais renseigné dès le 15 novembre. Toutes les réservations étaient prises jusqu’au 24 décembre sur ligne Paris-Berlin de la SNCF, c’est pas possible !
J’avais choisi, comme par hasard de partir le 6 décembre. Je réalisais en chemin que c’était le jour de la Saint-Nicolas, une fête importante Outre-Rhin pour les cadeaux et les enfants. D’ailleurs si vous retirez la crosse au Saint, vous avez le Père Noël, En outre ça a toujours été une tradition de ne pas partir en République Démocratique Allemande sans provision de produits rares : bonbons, bananes, cafés, chocolats, dentifrices et autres réussites commerciales de l’occident florissant.
Partant le mercredi, dès dimanche j’étais attendu à Paris. C’était juste ce qu’il fallait pour prendre la température d’un site connu. Adepte du Blitz-Reise (voyage-éclair) j’optais là pour la formule qui correspondait le mieux à la réalité de ma situation.
J’appris la veille de mon départ en avion que la SPA d’Allemagne Fédérale lançait une campagne d’adoption pour que les 500 chiens chargés de la surveillance des frontières ne soient pas transformés en chair à pâté. Je ne pus m’empêcher de me demander qui s’occuperait du sort des milliers de professeurs de marxisme-léninisme.
 J’appris encore, ce même jour, qu’Eric Honecker[3] était en résidence surveillée. Souriant chef d’Etat il y a encore deux mois, il n’avait fait que prolonger naturellement un régime de dictature à une population qui la subissait depuis 56 ans[4].
EFFERVESCENCE
J’ai été en Espagne après Franco, au cirque de Rouen en mai 68, au Portugal après les œillets, en Grèce après les Colonels. Si j’allais à Berlin c’était bien sûr pour retrouver cette sensation caractéristique d’un peuple éprouvant soudain le bonheur du débat et de la pensée libre.
Mais en même temps, je partais pour d’autres raisons.
Partagée entre la cité la plus marginale du monde et la vitrine policée du socialisme scientifique, nul, y ayant séjourné plus de 24 heures, n’en est sorti indemne, et moi moins que tout autre. Berlin schizoïde fait complètement partie de moi.
Enfin, jamais depuis 1917 une révolution en cours n’a eu autant de conséquence sur le devenir du monde que ce qui se passe en Allemagne de l’Est. Je m’en serais voulu de passer à côté d’un séjour historico-touristique exceptionnel.
Confirmation de ce monde en mouvement, j’apprends en route vers l’aéroport la démission prévue pour l’après-midi d’Egon Krenz. Un autre homme d’Etat qui s’en va. Celui-ci, plus récent a eu l’ambition de piloter la « Wende » (le tournant) en Allemagne de l’Est. Son ambition était de rester dans l’Histoire comme l’homme de la brèche. Il ne sera qu’un nom oublié. L’éphémère remplaçant d’Eric Honecker.
Une fois dans l’aéroport un coup d’œil circulaire m’annonce une dernière nouvelle forte : « à partir du 1er janvier, plus besoin de visa pour voyager librement en RDA … pour les Allemands de l’Ouest ». Tour va décidément très vite.
DANS QUEL ETAT J’ERRE
Je suis malheureusement un peu en avance sur l’Histoire. Ma visite est trop impromptue et la demande de visa se fait encore à l’ancienne mode : deux mois d’attente minimum. J’ai bien peur d’être contraint à un va-et-vient quotidien entre l’Est et l’Ouest pour l’obtention d’une autorisation de séjour valable seulement 24 heures. Le flou de l’Etat sera-t-il transmis assez fort à son administration pour qu’elle me laisse passer trois jours entre ses mailles ?
Réponse probable dans quelques heures.
A 14h30, Petra m’attend à l’aéroport avec toute sa famille et la « Wartburg[5] » (on a surtout parlé de la Trabant depuis le début des événements à l’Est, mais la Wartburg est infiniment plus chic).
« Kein Wisum für DDR » j’annonce d’emblée, je n’ai pas de visa.
Petra me dit avoir des amis à Berlin qui peuvent m’héberger. Je me prépare d’avance à un aller-retour rituel sur le Charly check-point pour obtenir l’autorisation quotidienne d’un séjour à Berlin-Est.
En fait, Petra, bien qu’ayant vécu des années dans la banlieue de Berlin-Est, n’y connait plus que ses parents.
Elle a vu tous ses amis fuir à l’Ouest régulièrement ou irrégulièrement et le 9 novembre a d’abord permis d’aller les revoir.
La crise Est-allemande, c’est peut-être d’abord cela. On sait depuis Laborit l’importance psycho-sociale de la fuite dans les moments de détresse et la RDA en a été la meilleure illustration.
En même temps les liens qui peuvent être tissés entre les anciennes relations sont beaucoup plus forts dans les situations d’exil. Pas besoin d’ « Avis de recherche[6] » télévisé pour le retrouver.
« Que fuyiez-vous » j’ai demandé à ceux qui étaient passé à l’Ouest. Parmi eux Angelika et Uwe, parents d’une petite Debbie qui avaient demandé en 1986 l’autorisation d’émigrer qu’ils ont obtenu en octobre 1989, un mois avant l’ouverture des frontières.
« Était-ce le communisme, l’inconfort matériel, la censure, la dictature … ? Qu’avons-nous à l’Ouest que vous n’aviez pas chez vous ? De belles voitures, des épiceries de luxe, des revues attrayantes, des lumières, des sex-shops ? »  
EKZEPT ZENSUR
« Im Ost haben wir nichts ekzept Zensur[7]. » Telle était la formule : « à l’Est, nous n’avons rien, sauf l’ennui ».
En tous les cas, Angelika et son regard étrange aura gardé de sa jeunesse passée à l’Est quelques reliquats culturels et une puissante capacité à refuser de voir la réalité. Suite à tout ce qu’elle a fait pour parvenir de l’autre côté du mur, elle refuse encore de croire que quelque chose bouge à l’Est, et pourtant !
De Berlin Ouest, les signes sont nombreux. L’immense Avenue du 17 Juin, qui traverse le jardin zoologique pour aboutir à la porte de Brandenbourg a été rebaptisée à la main Avenue du 9 Novembre.
Le 17 juin c’était pourtant ce jour héroïque où le peuple de Berlin Est était descendu dans la rue pour défendre les revendications ouvrières alors que le 9 novembre n’est en fait que la date de décision administrative d’un pouvoir déjà en perdition : l’ouverture du mur. L’Histoire, il est vrai, comme la rue, ne retiendra pourtant que cette dernière date.
Il y a aussi toutes ces Trabant et Wartburg qui se mêlent à la circulation et dont les occupants s’accostent, il y a les signes d’accueil, les cinémas qui annoncent les tarifs réduits à la vue d’un passeport de RDA.
Enfin ? il y a l’indication des nombreux points de passage vers l’Est d’où l’on voit arriver le flux de ceux d’en face, réfugiés d’un jour, lécheurs de vitrine et amateurs de banane, le fruit défendu du socialisme.
Et partout, il n’est question que de « Wiederverreinigung » (réunification). C’est le moment d’aller voir comment c’est de l’autre côté. 
C’EST PAS LA ROUMANIE
Je finis par passer à mon tour le le mystérieux Check Point Charlie. La Volkspolizei m’interdit d’un geste de prendre des photos. Je tends mon passeport. D’un ton sec, après que j’ai payé mon droit de passage, le policier me le rend. Je ne dois pas rester au-delà de minuit et je dois demeurer dans le périmètre de Berlin.
« Ja doch ! » Je réponds pour le rassurer. Petra et Jens m’ont prévenu de leur intention de m’emmener avec eux à Malchow, dans l’Allemagne profonde, petit village situé à 200 km au Nord.
En attendant, mes yeux s’écarquillent dans la capitale de la RDA. N’ayant pas mis les pieds ici depuis 15 ans, et même sortant de l’Ouest, la ville me fait une bonne impression.
Disons-le, ce n’est pas la Roumanie. A présent, les trous laissés béants par la deuxième guerre mondiale sont complètement cicatrisés sous des enfilades de béton sans fissure. Il y a même des manifestations intéressantes du socialisme scientifique et entre l’Est et l’Ouest, à tristesse égale, c’est quand l’Est qui fait plus propre.
Je réalise que si l’on m’a si vite amené à l’Est, c’est parce qu’on a voulu me payer le restaurant dont le tarif est inabordable à l’Ouest. Devant la carte du menu, je réalise que dans ce domaine, en revanche, rien n’a changé. Goulash, pommes de terre et bière bon marché. On mange encore de la même façon.
PERSONNE A LA MESSE
Visite du mur de Berlin, côté Ouest, où l’on ne parle que des ouvertures à venir. Je fais un saut chez les parents de Petra. Le père, pasteur, regarde une télévision magnifique d’où il contemple les deux programmes d’Etat orientaux et trois programmes occidentaux. Cinq chaines, c’est mieux qu’à Louviers … mais pourquoi font-ils la révolution ? Je détaille la maison : du bon café, des jouets fisher-price, pour les petits, des bananes. Plus tard j’apprendrais qu’un frère de Petra a immigré à Hambourg et que ses aller-et-retours ont permis cet apport de richesses.
« Ton père est pasteur. On dit en France que l’église protestante a joué un grand rôle dans la révolution …
-          Tu sais, il y a toujours aussi peu de monde à l’office, me répond Petra.
« Pourquoi cette révolution ? Je me demande tout en sortant dans les rues de ce petit bourg où je n’étais pas revenu depuis 20 ans. Visite au mur protégé par deux policiers débonnaires qui s’écartent pour ne pas être photographiés. Ils me laissent ramasser quelques menus gravats au pied d’un petit trou faits dans le mur et de quelques expressions anti-parti qu’aucune autorité n’a fait effacer.
Je me relève et nez au vent je retrouve en plus fort cette odeur caractéristique du pays en hiver. Ce sont les fumées des poêles à charbon qui grillent leur lignite. Je les ressentirai encore plus fort à Malchow. Ce chauffage désuet est aussi une cause de pollution. Mais est-ce pour cela qu’on fait une révolution ?
JE SIGNE UNE PETITION
J’arrive donc en fin de cours à ce fameux bourg. Ici, les enfants sont conduits à l’école à 7 heures, qui suivent le rythme de leurs parents dont les usines ouvrent à la même heure. Les petits récupéreront l’après-midi pendant que les grands boucleront leurs semaines de 42h30. Les ouvriers, comme les autres, ont quinze jours à trois semaines de congé par an. Ils sont payés 1000 marks par pois (ce qui, au taux réel d’échange correspond à une somme pouvant aller de 400 à 800 francs) mais leur loyer coûte moins de 100 marks et le chauffage surpuissant est gratuit. Qui plus est, les vacances sont, elles aussi, à un prix ridicule si l’on accepte celles financées par l’entreprise où votre travail est assuré.
Non, ce n’est pas ce qui a justifié la révolution. La société arrivait à supporter les sacrifices et à se maintenir soudée. Elle arrivait à se priver d’imagination. Bien sûr on voyait tout ce qu’il y avait à l’Ouest et ce que l’on n’avait pas à l’Est. La frustration étant la chose au monde la mieux partagée, zllz n’était pas absente non plus de ce côté du rideau de fer.
Comme dans tout état de dictature, la peur aidait à la cohésion, mais elle arrivait encore à se voiler derrière l’idéal non partagé d’une société où l’égalité était la base du droit. C’est ce qu’on disait.  
-« Comment ? Ai-je lancé stupéfait à Petra quand elle me parlait de la découverte de résidences grand standing destinées aux apparatchiks du parti … Comment, vous ne le saviez pas ? Les gens ne s’en doutaient pas ? Ça n’a pas vraiment été une surprise ? »
Mais si ! … Enfin, à moitié oui et à moitié non. Les gens pensaient bien qu’il y avait des privilèges, mais ils ne pensaient pas à ce point, tellement le discours officiel leur disait que de ce côté les gens n’avaient peut-être pas ce qu’il y avait à l’Ouest, mais qu’au moins tout le monde suivait le même régime.
Qu’on ne voie cependant pas là la cause de la révolution puisque ce n’est qu’une fois celle-ci commencée que les abus ont été découverts.
C’est quand même devenu la grande cause d’agitation du moment. A Kleinmachnow, on se demande ce qu’on doit faire de la luxueuse école des cadres du parti et de son personnel de service. Doit-on tout transformer en annexe de l’hôpital, en centre de loisirs ou en résidence pour personnes âgées ? Une pétition circule que je me fais un plaisir de signer… mince trace sur le livre d’or de l’Histoire.
A Malchow, c’est le centre de loisirs de la police qui est visé et que l’on propose d’ouvrir à la population.
Ailleurs ce sont des locaux destinés à la police politique, la Stasi. Dans toute la République, c’est une nouvelle distribution de l’espace qui est réclamée parallèlement à une effervescence qui atteint tous les degrés de la hiérarchie du pouvoir.
On parle des anciens dirigeants impliqués dans un trafic d’armes, on se fait ouvrir les locaux secrets de la police secrète, on veut empêcher la destruction de documents, on annonce un libéral à la tête de l’Etat, la date des élections libres (le 6 mai) et le congrès extraordinaire du Parti Communiste qui sera télévisé pour la première fois.
En R.D.A. le Parti Communiste s’appelle le S.E.D. Sozialistischer Einheitspartei Deutschland, soit parti de l’unité socialiste d’Allemagne. Les dirigeants veulent changer son nom qui, a priori ne fait aucune référence au communisme majoritairement rejeté. Il faut savoir que le parti porte ce nom depuis une O.P.A. menée par les communises dans l’après-guerre sur le Parti Social-démocrate afin d’assoir son emprise totalitaire sur le pouvoir. Face aux nostalgiques qui fondent leur identité sur le nom un dirigeant déclare que le S.E.D. signifie à présent pour tout le monde « Sauarbeit, Egoismus und Diebstahl » . Travail de cochon, égoïsme et brigandage. C’est dire la vigueur des débats et l’ampleur de la crise au plus haut niveau.
Loin de ces débats, à Malchow, a lieu une dernière réunion avant mon départ. Il s’agit d’une discussion policée sur l’organisation des prochaines élections. Un avocat aveugle, membre du Neues Forum explique aux participants ébahis les modalités envisagées pour les scrutins à venir. Le débat a lieu dans une mairie d’où tous les représentants sont absents. Une affichette manuscrite, posée en ville l’après-midi a réussi à attirer une cinquantaine de personnes abasourdies qui font l’effet d’être en contact avec des extra-terrestres.
Les élections libres, quoi-t-est-ce ?
LES PAYSANS DE BERLIN
On parle d’isoloirs, de proportionnelle, de présidentielle, de partis. Chacun pose sa question sans que personne n’ait de réponse. Et bizarrement, mais cela rejoint un autre débat, on passe plus d’une heure à discuter du droit de vote des étrangers (bien qu’il n’y ait qu’une faible présence de Vietnamiens dans le village).
Las, foin de cette effervescence ! Deux jours, c’est vite passé, et je me dois de revenir à West-Berlin, refranchir la frontière sans visa. J’ai beau m’être rendu compte de visu que l’Etat n’est plus ce qu’il était, la crainte d’un fonctionnaire vindicatif à la douane n’est pas pour me rassurer d’autant qu’un avion m’attend avec un horaire impératif et je n’ai pas les moyens d’être retenu trop longtemps.
Nous partons donc, après un dernier repas et une dernière bénédiction d’icelui (Il aura fallu en effet que j’aille jusqu’ici pour voir des parents d’une trentaine d’années imposer à leur progéniture le benedicite avant chaque repas). Direction Berlin, vite, à 6 dans la Wartburg. Nous avons le privilège d’éprouver la seule autoroute construite sur le territoire depuis Hitler.
J’aurais bientôt l’occasion de l’éprouver plus pleinement encore. La voiture tombe en panne, inéluctable. Aucun secours. J’essaie de consoler mes amis en expliquant qu’à l’Ouest aussi les voitures tombent en panne le week-end.
Faute de garagiste, c’est le beau-frère qui vient en dépannage. On m’a prévenu de la différence de milieu. Celui-ci dirige une moyenne entreprise à Potsdam. De fait, il arrive en Volvo. En conduisant, il me donne des conseils pour que je puisse passer la frontière en sécurité. Il exprime tout son intérêt pour la situation présente dans son pays.
Sa femme a cependant des inquiétudes. Elle pense qu’avec l’ouverture des frontières aux occidentaux, un déferlement aboutira à l’épuisement des stocks en magasins. Et de comparer le prix d’une miche de pain, d’un repas au restaurant et d’une coupe de cheveux chez le coiffeur. La crainte de l’autre Allemagne se transmet à l’ensemble des interlocuteurs.
J’essaie maladroitement de calmer l’assemblée en expliquant quelques règles économiques. J’explique qu’il faut être très frontalier pour aller acheter du pain à l’Est et qu’en tous les cas, la capacité des occidentaux à faire la queue est somme toute réduite. Par ailleurs je n’imagine pas non plus un amateur de restaurant de l’Ouest faire des kilomètres pour manger, moins cher, certes, mais, avouons-le, nettement moins bon. En tout état de cause, les restaurants orientaux se verront contraints à une meilleure qualité, ce dont chacun ne peut que se réjouit. Enfin, pour ce que je connais des femmes, j’imagine mal une occidentale normale aller économiser quelques sous pour aller se faire coiffer dans de tristes salles que l’on trouve de l’autre côté du mur.
Je repense à la discussion un peu plus tard en constatant à l’occasion des feux de circulation situés à proximité du mur, le flux des Allemands de l’Est traversant par grappes, reventant chacun un petit sac à la main de son séjour à Berlin Ouest. Le flux d’Ouest en Est n’est pas près d’égaler le flux d’Est en Ouest.
Seul un pouvoir à la dérive pouvait encore espérer qu’une ouverture du mur suffirait à ramener les enfants prodigues. On se souviendra longtemps de cette ultime opération de propagande où les centres d’accueil de la Croix Rouge installés en RDA sont restés vides et tristes à l’image du régime politique.
Les masses piétonnières restent disciplinés et me laissent arriver au plus vite à la frontière. Me laissera-t-on à présent la possibilité de la franchir en temps voulu pour prendre mon avion ?
DERNIERES INQUIETUDES
Mes amis m’abandonnent devant le versant Est du Check-Point Charlie après le policier de service ait jeté un œil distrait sans se rendre compte que mon laisser-passer n’était pas à jour.
Les deux nouveaux sas sont encore à franchir. Je passe l’avant-dernier sans encombre mais je me rends compte à la longueur de la queue qui précède le troisième que les choses deviennent plus sérieuses. Je me sens terriblement seul.
De fait, après un quart d’heure d’attente, un fonctionnaire en uniforme vert épluche enfin mon papier.
-          « Mais, dit-il, vous devriez être rentré depuis deux jours. Où avez-vous été ?
-          Chez des amis …
-          Où, chez des amis ? Il insiste méchamment.
-          A Kleinmachnow
-          Mais ce n’est pas Berlin
-          Oui, mais c’est tout près.
-          Vous n’aviez pas le droit.
-          Nous avons téléphoné à la police … Ils nous ont dit que je pourrais passer. Peut-être faut-il payer quelque chose ?
-          Vous n’avez pas le droit de refaire cela une autre fois.
-          Comment ?
-          Vous n’avez pas le droit de le refaire une autre fois ». Et, résigné, il me rend mon passeport.
Mon Dieu, je me dis, Check Point Charlie, c’est bien ici ? Est-ce bien là ce qu’il reste de la frontière la plus fermée du monde, ce qui reste d’un endroit où l’on se faisait trouer la peau pour franchissement illégal ?
Je quitte donc ce Bloc qui n’en est plus un. Il ne s’agit plus que d’un iceberg décongèle. Le ventre encore plein d’émotion, je me rends lentement vers Berlin-Tegel, l’aéroport. J’éprouve encore une sorte de compassion pour ces paysans de la démocratie, ces générations doublement victimes de la défaite d’une guerre à laquelle elles n’ont pas participé. Maintenant, ils débarquent en pleine modernité, les yeux ahuris de bananes et de néons, la tête mélangée de frustrations, de besoin de justice, de consommation et de naïvetés. En même temps, comment ne pas éprouver le plus grand respect pour ce peuple en marche, produit d’une Histoire qu’on lui a fabriquée et a laquelle il n’a jamais participé avant ce jour.
Les orientaux ont été jusqu’au bout de leur aliénation, jusqu’au dégoût … on peut à présent être intrigué par la puissance de raisonnement d’un premier ministre Hongrois, d’un historien russe parlant de Trotski[8] à la télévision française … On n’a pas fini d’être surpris.
Notre système de valeur est adopté en pleine connaissance de sa faiblesse et de ses manques. C’est parce qu’il a été éprouvé que leur régime est rejeté. Personne, à l’Ouest n’a eu l’occasion de mener aussi valablement cette démarche. L’Est est la préfiguration de l’intelligence de demain.





[1] La Rda, ou DDR, c’est la république démocratique allemande, Deutsche Democratische Republik ou Allemagne de l’Est, aujourd’hui disparue. L’Etat était le fruit de la deuxième guerre mondiale et de la défaite du régime hitlérien en 1945. L’Allemagne a alors en deux parties, l’une reliée à l’Occident, la République Fédérale, l’autre reliée à l’Union Soviétique, la RDA. Berlin bénéficiait d’un régime particulier. La ville, située au cœur de la Rda, était,  elle aussi, coupée en deux, avec une partie reliée à l’Ouest par un couloir ferroviaire et aérien, interdit aux allemands de l’Est.
[2] C’est à Leipzig qu’ont commencé les énormes manifestations demandant la démocratie et notamment soutenues par l’église protestante. Ils ont donné lieu à un mouvement politique, le Neues Forum (nouveau forum) dont il sera fait mention un peu plus loin.
[3] Président de la RDA de 1976 au 18 octobre 1989 … il sera remplacé au pied levé par Egon Krenz, qui ne tiendra à ce poste qu’un mois et 18 jours.
[4] Il ne faut pas oublier que pour les allemands de l’Est, la dictature communiste a été le prolongement de la dictature hitlérienne.
[5] La production automobile de la Rda était limitée à deux modèles destinés aux seuls ressortissants. Il fallait plusieurs mois ou années pour en obtenir un exemplaire. Il s’agissait bien entendu de modèles bas de gamme qui n’aurait pu trouver preneur de l’autre côté du mur … même si, elles ont obtenu par la suite un succès certain pour les collectionneurs.
[6] C’était alors une émission de télévision très célèbre … où l’on s’amusait à rechercher d’anciennes relations à l’heure où ni facebook, ni même internet n’existaient
[7] En Rda, nous n’avons rien, sauf la Censure.
[8] Léon Trotski a été un révolutionnaire russe qui non seulement a été assassiné par Staline, mais dont l’existence a été reniée par le régime soviétique. Voilà pourquoi le fait qu’un historien reconnu par le régime soviétique puisse l’évoquer montrait à quel point celui-ci était sur le point de basculer. Une dictature ne peut survivre sans tabou.