mercredi 27 septembre 2017

Jamet s'en va. Tout ça pour ça !

Marc-Antoine JAMET n'a plus rien à attendre du PS. 
Ce n'est pas le seul. 
C'est le contraire d'une surprise : Marc-Antoine quitte des fonctions qui n'avaient plus aucun sens pour lui : il ne sera plus premier secrétaire de la fédération de l'Eure ni membre du conseil national du parti socialiste. Il s'agit d'une conséquence attendue de la déroute des socialistes aux présidentielles.
C'est aussi la preuve que la défaite des socialistes va bien au delà d'une claque électorale, dont, après tout de nombreux partis se sont remis. Nous sommes déjà dans une nouvelle réalité.
Je ne me permettrai pas de juger l'action de Marc-Antoine Jamet en tant que premier secrétaire fédéral. Elle n'aura été ni pire ni meilleure que celle de ses prédécesseurs, ni plus incohérente. Bien sûr, et c'est sans doute à la mesure de l'individu, aura-t-elle été plus arrogante, l'arrogance, bien-sûr, se transformant en ridicule à chaque défaite. C'est que le comportement hégémonique, consubstantiel à la façon d'être socialiste n'a guère de sens lorsque son porte parole ne recueille que 5 % des voix, et que ce même score est conforté lors des élections législatives. Pour le reste, Marc-Antoine Jamet a raison, malgré tous les reproches que l'on peut lui faire, on ne saurait lui attribuer la déroute  des socialistes dans le département, celle-ci est à la mesure de la débâcle nationale de la gauche.
Marc-Antoine reste maire de Val de Reuil, vice-président de la communauté d'agglomération et conseiller régional. Il restera de ces dix années passées à la tête de la fédération que sa décoration aura été complètement refaite.
Plus sérieusement, le départ de Jamet est le symptôme de l'éclatement de la gauche gouvernementale, qu'elle se réclame de la social-démocratie, du social-libéralisme, voire, je le dis : du radicalisme.
Il y a pourtant un avenir à gauche, même si le présent est difficile. Un grand parti reste à construire, sans doute. Un parti capable de fédérer l'ensemble des courants qui sont la gauche, de leur donner une cohérence, un projet, une dimension nationale et internationale, tenant compte des évolutions et des dangers qui font courir l'humanité et la menacent, tenant compte aussi des appels à l'engagement  comme autant d'initiatives locales.






jeudi 21 septembre 2017

Montpellier suite : c'est grave docteur ?

Fin de la décentralisation  

Tant qu'on ne parle que de mesures partielles s'attaquant aux modes de
gestion des collectivités, on a du mal à réaliser que la France retombe
dans son vieux travers névrotique : la méfiance chronique de la liberté
locale en provenance de l'un des Etats les plus centralisés du monde
De tous les ateliers des journées de Montpellier, c'est celui consacré à la décentralisation qui a eu le plus de succès. 
En fait, entre les annonces concernant la fin des emplois aidés, la baisse des aides aux collectivités, la mort programmée de la taxe d'habitation, la répartition des compétences entre Régions et Département, la reprise en main de l'Etat, et ce dans une absence totale de précaution à l'approche de l'élection sénatoriale, laisse présager le pire : 

La recentralisation est en marche. 

Le débat était passionnant, chacun avait des choses à dire. J'ai écouté attentivement, avant de me rendre compte que j'avais laissé passer mon tour. Dommage pour moi et pour tout le monde. Il me semblait important de revenir sur un point essentiel : la décentralisation est la grande œuvre du gouvernement d'union de la gauche de François Mitterrand. Il s'agissait d'une réforme profonde qui a suscité pas mal de réticences et beaucoup de débat. En gros, la droite gaulliste y était clairement opposée. On entendait des choses comme le fait qu'on allait reconstituer des baronnies. Il est vrai que la Normandie, par exemple, a eu à subir le poids politique de Lecanuet député maire de Rouen, président du conseil général, président de la Région, sans parler des à-côtés. Mais justement, il faut considérer que la limitation du cumul des mandats a été une suite logique de la décentralisation, qui voulait éviter de donner trop de pouvoirs aux élus locaux.
Tout cela ne doit pas faire oublier l'intérêt historique de la décentralisation, même si cela n' intéresse les français que de manière secondaire. 
La décentralisation a fini par s'imposer. Elle s'est même tellement imposée qu'elle s'est inscrite dans la constitution, à la suite d'ailleurs de l'impulsion qui lui a été donnée par le gouvernement Raffarin. De fait, depuis 1981, malgré le choc qu'a pu représenter pour l'Etat français l'acceptation de sa propre de dé-centralisation, toutes les mesures se sont traduites par un renforcement des pouvoirs locaux. C'était bien la reconnaissance de l'intérêt et de l'efficacité de la décentralisation dans l'action publique. 
Citons comme principaux éléments outre le fait que l'Etat français dès 1982 reconnaissait l'existence des Régions, départements et communes comme collectivités autonomes, créait une fonction publique territoriale facilitant la mobilité et la formation des personnels des collectivités avant d'inscrire la décentralisation dans la constitution, de redessiner le pouvoir des communes grâce à l'intercommunalité ... Bref, la décentralisation s'inscrivait jusqu'à il y a peu comme un mouvement irréversible.
On ne sait pourquoi on est revenu en arrière. Bien sûr, Sarkozy a dénoncé en premier la gabegie des deniers publics et la mauvaise gestion des collectivités. 
Cela ressemblait alors à une mauvaise plaisanterie. De fait, l'Etat a renoncé progressivement à énormément de ses prérogatives pour les confier aux collectivités locales. Forcément, cela a eu pour conséquences d'alléger les charges de l'Etat et d'alourdir celles de collectivités. On doit aussi reconnaître que, par exemple la qualité des équipements notamment scolaires, des collectivités s'est grandement améliorée, notamment en ce qui concerne les lycées et les collèges. J'y vois la conséquence bénéfique d'une politique de proximité où les élus rendent des comptes aux usagers et aux électeurs. Fini les lycées-caserne, qui ont fait les plus beaux slogans de ma jeunesse contestataire mais qui n'existent plus aujourd'hui. 
La carte des nouvelles régions. Une double,
une triple absurdité si l'on excepte la réunification
de la Normandie. Au delà du massacre des identités
locales, il y a l'incapacité à donner un sens aux
nouvelles unités. Le seul argument était de vouloir
des régions plus fortes et moins coûteuses. Or, on
n'a pas donné plus de pouvoir aux Régions et les
logiques de recalibrage ont engendré des coûts
supplémentaires qui ont dépassé des économies
marginales. Triple zéro !
Alors, forcément, cela a un coût ! C'est ce coût qui semble insupportable à l'Etat aujourd'hui. J'y vois aussi l'occasion pour l'appareil d'Etat, certains parleront de l'Ogre de Bercy, de reprendre la main sur la gestion locale, la décentralisation n'ayant au fond jamais été digérée par l'Etat centralisé.  Peut-on croire que Macron, n'ayant jamais été élu local, et ayant été nourri par ledit appareil d'Etat ne fait qu'encourager le mouvement. Il n'empêche, la recentralisation a commencé bien avant.
Sous Sarkozy, je l'ai déjà dit, et sous Hollande, même à petite dose. 
Ainsi s'est on mis à parler de clarification des compétences. Une manière de dire que chaque collectivité devait rendre des comptes sur ses seules compétences. A dire vrai, cela m'a toujours semblé une absurdité. Un élu, parce qu'il est élu du peuple, doit rendre des comptes sur tout. On voit mal un élu répondre à un de ses administrés : vous avez un problème de route ? Attendez, c'est pas moi, allez voir à côté.
Je m'étais rendu compte lors des élections départementales, à quel point il était absurde pour un conseiller départemental de faire campagne sur le transport, par exemple, sachant que les collectivités qui s'en occupent sont différentes selon qu'il s'agit du mode de transports, s'il est scolaire, et encore, s'il concerne les lycées, les collèges, ou selon les types de ligne qu'il concerne. Sur ce point comme sur tous les autres, l'élus doit se débrouiller avec des responsabilités qui ne sont pas directement les siennes. On ne lui demande pas d'agir comme un fonctionnaire. L'élu a, par nature une compétence générale, et tel est le cas de sa collectivité. Là dessus, on peut aussi supprimer un échelon, le département par exemple, ou alors les communes qui seraient en fait les intercommunalités, mais il faut le dire clairement.  
Ce qui est sur, c'est que l'un des faits majeurs du recul de la décentralisation a été la création de ces nouvelles régions, sans cohérence aucune, à l'exception de la Normandie, grâce à l'excellent Bernard Cazeneuve.  Il s'agissait en fait, disait-on de faire des économies. Sauf que les économies à faire non seulement ne constituent jamais un projet politique et que d'autre part la solution était mal préparée donc coûteuse ... Sauf que cela n'était que l'annonce de ce qui se fait aujourd'hui. 
J'ai été le premier à applaudir à l'annonce de l'abolition, ou quasi de la taxe d'habitation. Même si je n'ai toujours pas compris pourquoi la supprimer pour 80 % des foyers et non 100 %. La taxe d'habitation est le plus injuste des tous les impôts. Tout le monde le sait. Encore faut-il que la suppression de cette impôts ne se traduise pas par une baisse de moyen ou d'autonomie des communes et collectivités locales. 
On sait, depuis au moins 100 ans qu'il y a trop de communes en France. C'est l'histoire des 36.000 communes. On a commencé l'intercommunalité, il faut poursuivre le mouvement, en transformant ces intercommunalités en communes nouvelles. 
Il y a des solutions. Mais celles-ci doivent avoir pour but de renforcer la démocratie de proximité et de developper l'autonomie des collectivités. Elles doivent être un projet politique avant d'être une nécessité comptable. 
J'y reviendrai. Nous y reviendrons. Tel sera le thème d'un prochain café radical sur le thème de la démocratie de proximité, qui est lourdement mise à mal.

mercredi 20 septembre 2017

Alors, c’était comment Montpellier ?



Comme le disait de Gaulle : pour aborder une situation compliquée, il faut avoir une idée simple. J’en avais une dont je ne voulais pas démordre, déclinée en deux tons : être radical c’est être de gauche, le radicalisme, c’est l’avenir de la gauche

Sylvia Pinel aux côtés de Laurent Hénart, présidents des
deux partis radicaux dans le public. Tiens, au fait, qui sera
le prochain président ou la prochaine présidente ? 
Pour résumer rapidement, Montpellier était le lieu des journées d’été du radicalisme, des écologistes et des progressistes, première étape de la réunification des radicaux. Lorsque, dans la voiture qui nous amenait de Paris on me demanda comment les radicaux de l’Eure voyaient la réunification, je répondis que, pour ma part, j’étais circonspect et que parmi les amis que j’avais consulté, pas un ne m’avait dit : « ouais, super, on va faire alliance avec les valoisiens ».

J’ai publié hier sur le blog le magnifique texte de Jean-Michel Baylet, qui a l’avantage de synthétiser avec bonheur la situation politique dans laquelle se trouve la France. Macron est aujourd’hui Président de la République, et sans qu’il vaille la peine d’en décliner les responsabilités, il est utile de rappeler que cette situation était complètement imprévisible il y a un an, et que les conséquences de l’élection présidentielle sur la structuration de la politique française sont irréversibles.
Disons-le, il y a eu trop peu de place pour les débats
et cela est d'autant plus dommageable que ceux-ci
ont été de grande qualité. En tous les cas les débats
ne sont pas clos, ni au sein des deux branches du
radicalisme, ni entre elles ni avec toutes les autres.
À droite, comme à gauche les partis structurants, ps et « L R » sont explosés après leurs résultats catastrophiques. Les alliés des deux courants ne vont pas mieux, du pcf qui avait choisi de s’allier avec Mélenchon qui choisit de les écraser, les écolos dispersés, et à droite, l’udi ne réussit pas à se maintenir, cependant qu’au sein même des LR, entre reconstructifs macroniens et tenants d’une droite dure, personne ne refuse semble devoir s’imposer durablement. La crise atteint jusqu’au Front National qui est secoué par la remise en question de sa ligne politique. Seuls pour l’instant la France Insoumise et La République en Marche semblent surnager dans cet océan de perplexité, grâce à leur intransigeance.
Dans ce cadre, le rapprochement des radicaux semble incongru. Incongru, mais intéressant. Tellement intéressant même, que plusieurs figures écologistes et progressistes ont participé aux journées d’été de Montpellier : Jean-Luc Benhamias, Emmanuel Cosse, Génération Ecologie, et jusqu’à l’ancien socialiste passé au Sarkozysme et recherchant une famille désespérément : Jean-Marie Bockel …lorsque les opportunistes se joignent à un mouvement politique, ceci est en principe gage d’avenir.
Le fait que les radicaux soient une force d’attraction n’est pas sans intérêt mais ce n’était pas le premier sujet d’inquiétude. Tout le monde se demandait en fait ce qui avait poussé les anciens alliés de droite à rappeler à eux les radicaux de gauche qu’ils avaient chassé de leur parti en 1972, ce que Jean-Michel Baylet n’a pas manqué de rappeler[1].
Tribune finale qui s'est achevée par une Marseillaise
qui m'a particulièrement ému. On peut reprocher
plein de choses à notre hymne national. Il n'empêche
qu'en devenant hymne national, le chant de guerre
de l'armée du Rhin promulguait pour la première fois
l'insurrection contre les inégalités et l'oppression
comme substance de notre Nation. Du coup, la
Révolution, devenait la République, devenait la
France et fondait le radicalisme.
Or, sans aller jusqu’à les voir battre leur coulpe, je dois admettre que les valoisiens m’ont surpris. Ils m’ont surpris parce que, dans les débats tant sur la décentralisation par exemple, dont le principe est durement mis à mal par le gouvernement Macron, que sur d’autres sujets, je me suis trouvé plus proche d’eux que des radicaux de gauche. J’entendais dans les couloirs parler des jeunes valoisiens critiquant la loi travail en disant que celle-ci mettait à mal le socle social français.
Plus tard, dans le débat de politique générale, j’ai bien entendu une valoisienne revendiquer son attachement au centre d’une manière assez maladroite, mais il faut le dire, le gouvernement Macron/Philippe a été bien souvent critiqué et à chaque fois  sur des valeurs de gauche, qu’il s’agisse des APL, de la décentralisation, de la politique sociale ou de la politique du logement. Bref, si les circonstances amènent les radicaux à créer un groupe à l’assemblée nationale, comme au Sénat, ceux-ci peuvent devenir une force d’opposition constructive, à même de se préparer à une prise du pouvoir. C’est là le but, encore long à atteindre, que ce soit dans les élections locales avant les élections nationales, même si le chemin est encore long.
Une dernière fois, un hommage à Jean-Michel Baylet qui a
fait le meilleur discours des journées d'été et son meilleur
discours, s'appuyant sur les bases de son analyse, publiée
hier sur le blog du café radical
Pour finir, et pour se faire une idée, vous pouvez regarder le reportage réalisé sur la cinq, dans l'émission "l'info en vrai" animé par Yves Calvi en cliquant .









[1] Contrairement à ce que j’ai toujours cru, ce sont bien tout une partie des radicaux qui avait été viré du parti par Jean-Jacques Servan Schreiber, alors allié à Giscard, parce que ceux-ci avaient osé participé à des réflexions autour du Parti Socialiste et de François Mitterrand. L’initiative ne venait pas des radicaux de gauche.

mardi 19 septembre 2017

Le sens du rassemblement des radicaux

Au delà de l'événement salué par la presse, au delà de l'inquiétude suscité à gauche par le rapprochement des deux familles radicales divisées depuis près d'un demi-siècle, au delà de l'intérêt suscité par le monde politique, la recherche du sens s'impose. Et comme souvent, du moins au moins comme presque toujours depuis que je suis devenu radical, le sens, c'est Jean-Michel BAYLET qui le donne. Ci-dessous, un texte brillant, ambitieux et indispensable. Il éclaire avec classe le monde dans lequel nous vivons à partir de ce que nous voulons, nous, les radicaux, les humanistes et les progressistes. Il redonne un sens à l'histoire, à l'histoire politique, à l'histoire de la gauche notamment qui même récente est toujours trop vite oubliée. Il donne le sens indispensable de l'union des radicaux dans le cadre politique fragmenté. C'est un texte brillant, magnifiquement écrit, fort, qui est le préalable du discours remarquable prononcé à la tribune des journées du radicalisme, dont il fut l'orateur le plus brillant. J'en reparlerai. En attendant, faites l'effort de le lire, même si, au delà de la qualité de son écriture, le texte peut paraître un peu long. 



JOURNÉES D’ÉTÉ DE MONTPELLIER
(16, 17 septembre 2017)
ADRESSE AUX RADICAUX DES DEUX RIVES


UN MONDE POLITIQUE NOUVEAU QUI A BESOIN DES RADICAUX


éléments d'analyse et de doctrine présentés par JEAN-MICHEL BAYLET







SOMMAIRE

INTRODUCTION
DES ÉCLAIRAGES TOTALEMENT NOUVEAUX
I
LE JOUR D’AVANT
1° - Une société au bord de la rupture
2° - Des réponses politiques inexistantes ou insuffisantes
3° - Une année d’incertitudes politiques
II
UN PAYSAGE ENTIÈREMENT REDESSINÉ
1° - Une séquence électorale totalement inédite
2° - Les leçons en demi-teinte du deuxième tour de la présidentielle
3° - L’état des autres forces politiques
III
L’UTILITÉ ET L’ACTUALITÉ DU RADICALISME
1° - Les radicaux ont des devoirs particuliers envers la République
2° - La lecture radicale de la devise républicaine
3° - Le supplément d’âme des radicaux : notre laïcité
CONCLUSION PROVISOIRE
L’ORGUEIL DES HUMBLES
INTRODUCTION
DES ÉCLAIRAGES TOTALEMENT NOUVEAUX
Les radicaux s’interrogent sur leur avenir dans un temps qui est celui d’une authentique révolution.
La longue séquence politique 2016-2017 ponctuée, en France, par l’élection présidentielle et les élections législatives a vu advenir, par ailleurs, de nombreux événements d’une importance considérable et, pour la plupart, imprévus même s’ils n’étaient pas totalement imprévisibles.
Ainsi le Brexit a-t-il provoqué pour l’Europe l’impérieuse obligation de s’interroger sur ses équilibres futurs et sur la compatibilité de ses institutions avec le renforcement manifeste de l’idée nationale. Ainsi l’élection surprise de Donald Trump aux Etats-Unis a-t-elle posé en termes renouvelés les questions relatives à l’alliance atlantique et au rôle nouveau d’un « empire » privé, depuis près de 40 ans, de l’ennemi socialiste qui semblait justifier l’omnipotence américaine. Ainsi encore l’intensification des combats au Moyen-Orient a-t-elle eu pour double effet de contraindre les Etats européens à définir une politique commune d’accueil des migrants tout en essayant de prévenir les attentats terroristes qui se sont multipliés. Ainsi le nationalisme a-t-il trouvé de nouvelles occasions de s’exprimer de la façon la plus virulente, même si nous ne confondons pas la folie du dictateur nord-coréen et les dérives autoritaires de la Turquie ou de la Russie. Ainsi, toujours dans la même période, les conflits locaux se sont multipliés alors que certains avaient cru pouvoir diagnostiquer, après la chute du mur de Berlin, « la fin de l’Histoire » et l’avènement universel et indiscuté de la démocratie politique et du libéralisme économique. Et la multiplication des catastrophes écologiques est venue ajouter à ce sombre tableau de nouvelles frayeurs parfois irrationnelles.
Non, l’Histoire n’était pas finie et elle nous a rappelé dans cette période qu’elle avait, de toute éternité, partie liée avec la tragédie.
Dans un tel contexte, les élections françaises ne pouvaient être banales ; elles ne l’ont pas été. A de nombreux égards, nous avons été confrontés à des événements politiques inédits dont l’analyse est bien loin d’être terminée.
L’élection présidentielle a opéré sur le paysage politique l’effet d’une bombe à fragmentation qui a dévoilé et ne cesse de révéler les lignes de rupture de nos équilibres sociaux et les nouveaux visages que pourraient prendre notre société et sa représentation politique.
Il nous a semblé utile, à l’heure où les radicaux sont confrontés à des interrogations aussi lourdes que fécondes sur leurs propres nouveaux horizons de revenir pour tenter de la comprendre sur la période récente et sur les incertitudes ayant préparé le terrain du changement (I), de chercher à dessiner le nouveau paysage politique français et les évolutions qui sont d’ores et déjà esquissées (II) pour en déduire, ce qui constitue à a fois notre fierté et notre devoir, l’actualité du radicalisme et sa nécessaire résurgence (III).
I
LE JOUR D’AVANT
C’est aujourd’hui une banalité de constater que la situation politique de notre pays est inédite. Au-delà du truisme, on ne peut tenter de déchiffrer l’avenir qu’en essayant de comprendre ce qui s’est passé réellement et comment ce nouveau décor a pu s’implanter et nous imposer, plus qu’un cadre renouvelé, des réflexions que nous n’avions pas conduites auparavant.
Comment notre société politique s’est-elle retrouvée – qu’on nous pardonne – cul par-dessus tête en un temps aussi court ? La réponse se nourrit de trois constats.
1° - Une société au bord de la rupture
Depuis près de trente ans, les Français ont entendu leurs dirigeants leur dire, pour s’en féliciter ou pour le déplorer, que la globalisation de l’économie était en train de provoquer une mondialisation replaçant chaque nation, chaque région, chaque cité, chaque profession et chaque individu dans une compétition effrénée qui les condamnait au succès ou à la marginalisation.
Le phénomène avait commencé avant même l’écroulement du bloc soviétique grâce à l’essor prodigieux des nouvelles technologies de l’information ; c’était, sous nos yeux, la naissance du fameux « village planétaire » de Mac Luhan. On a sans doute mal mesuré le désarroi que ce puissant surgissement de la communication universelle instantanée produisait chez les individus qui vivaient, à juste titre, dans l’espoir d’échanges humains directs, chaleureux et incarnés.
Après les attentats du 11 septembre, on a entendu théoriser « le choc des civilisations » qui paraissait devoir remplacer la vieille opposition mondiale entre le libéralisme et le pseudo-socialisme à laquelle on s’était d’autant mieux accoutumé qu’elle n’avait plus de conséquences militaires directes. Mais ce choc des « civilisations » aurait dû être présenté comme l’opposition caricaturale entre deux sous-cultures. Entre, si l’on veut, George Bush et Ben Laden. D’un côté, un universalisme fourvoyé en individualisme sans foi ni loi, en matérialisme sans principes et en consumérisme sans limites. De l’autre, un identitarisme dévoyé en ethnicisme, en tribalisme et en religiosité. La vue d’une telle opposition n’était pas de nature à réjouir des individus inquiets des conséquences de ce choc.
Surtout, nos concitoyens ont découvert que la mondialisation les concernait très directement. Sans même faire l’analyse (que nul dirigeant ne leur a d’ailleurs proposée) que le règne sans partage de l’économie libérale équivalait à un assentiment très coupable donné au surplomb de la politique et de la culture par l’économie et la technique, ils ont vu que la mondialisation qu’on leur promettait heureuse pouvait les frapper dans leur proximité ou directement. Des usines délocalisées alors qu’elles ont des carnets de commandes pleins et font des bénéfices substantiels. Des activités traditionnelles supprimées parce que même
bénéficiaires, elles ne produisent pas un rendement financier suffisant aux yeux des rentiers qui les contrôlent. Des savoir-faire traditionnels exportés ou bradés à l’étranger sans aucun égard pour leur apport à la culture ancienne, etc. Les exemples étaient nombreux qui montraient que chacun pouvait être frappé, comme par la foudre, par un capitalisme débridé.
La montée de l’extrême-droite dans notre pays et, notons-le, dans d’autres pays d’Europe où elle ne trouve pas les arguments de l’opposition à l’Union européenne (Suisse, Norvège, Serbie, etc.) ne s’explique pas autrement que par le désarroi collectif ainsi causé. Il a des conséquences plus bénignes telles que la vogue du localisme, le retour à d’anciens modes de consommation, la remontée en puissance des identités régionales, etc. Mais en politique, l’extrême-droite est venue vendre ses mauvaises réponses à des interrogations légitimes.
La réponse principale est d’une extrême simplicité : si nous avons des difficultés, c’est à cause de l’autre ! Quel autre ? Peu importe, toute différence peut être exploitée. L’étranger pour la nationalité, le juif ou le musulman pour la religion, et, à la fin, le premier venu au seul prétexte qu’il vient. Un grand pays ouvert de longue tradition historique à l’accueil et à l’échange s’est trouvé tout soudain tenté par le repli, par la fermeture, par une sorte d’autisme politique, par ce refus de communiquer qui annonce le déclin des civilisations.
La France, pays des Lumières, cette grande nation qui avait inspiré la déclaration américaine de 1776 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, se trouvait ainsi prête à renier le meilleur d’elle-même faute qu’on lui ait proposé de revenir à ses valeurs.
2° - Des réponses politique inexistantes ou insuffisantes
Le premier « fertilisant » ayant favorisé la poussée de l’extrême-droite est à rechercher dans l’indifférenciation des solutions politiques traditionnelles telles qu’elles ont été proposées depuis une vingtaine d’années et, disons-le aussi nettement, pour notre part personnelle d’analyse, depuis le départ de François Mitterrand.
Comme nous l’avons indiqué, puisque la planète entière semblait consentir, de Wall Street à Pékin, au règne sans partage de l’économie libérale, les principaux dirigeants politiques français ont, eux aussi, donné leur consentement. D’OMC en FMI, de sommets mondiaux en traités de libre-échange, rien ne semblait pouvoir être substitué au règne de la marchandise, la France était d’ailleurs seule à mener des combats d’arrière-garde pour faire reconnaître une exception culturelle à ce libre-échange illimité.
A vrai dire, l’attitude de notre pays lui était en grande partie imposée comme la suite logique de ses engagements européens. L’Union européenne avait été trop bien nommée lorsqu’on l’avait baptisée « Marché Commun ». Soixante ans plus tard, elle peine encore a être plus que ce simple marché, cette vaste union douanière. Il est d’ailleurs piquant de constater que les traités européens les plus libéraux (Maastricht, Acte Unique) ont été signés alors que la majorité des Etats membres s’étaient dotés de gouvernements de gauche et que les socialistes dirigeaient aussi bien la Commission européenne que les grandes organisations internationales.
Au moins, les citoyens étaient-ils en droit d’attendre que, dans ce monde globalisé complaisant à l’économie-reine, la science économique elle-même vienne fournir des analyses
et donc des choix possibles différents selon qu’on se réclamait plutôt de « la main invisible du marché », donc du libéralisme intégral, ou du keynésianisme, cette volonté d’imposer un partage des richesses corrigé par la volonté politique. Il n’en a rien été.
On a vu monter en première ligne les conjoncturistes qui, loin de présenter des visions économiques d’ensemble, donnent le spectacle des cités assiégées derrière leurs remparts et qui guettent les mouvements de troupes à l’horizon pour tenter de deviner s’il s’agira d’alliés ou de barbares. Et la prédiction - 1,2 ou 1,5 % de croissance - devient en effet divinatoire. On en fait d’ailleurs l’aveu assez crûment. Lorsqu’ils escomptaient récemment les effets positifs dus au faible prix du pétrole, à la baisse de l’euro par rapport au dollar et au niveau historiquement bas des taux de crédit, les économistes parlaient d’un « alignement des planètes » parfait… On ne saurait mieux dire que la prétendue science économique est une sorte d’astrologie où les croyances collectives et la psychologie des individus sont plus importantes que les données économiques réelles.
En France, dans la période récente, on a vu des ministres de gauche aller faire devant les assemblées du Medef ou les sommets internationaux surenchère de libéralisme. Parmi les socialistes, c’était à qui serait en somme le moins socialiste.
De la droite républicaine ou de la gauche convertie au social-libéralisme, les Français n’ont entendu aucune réponse politique nouvelle et n’ont surtout enregistré aucune manifestation de volontarisme. Puisque l’économie s’imposait à nous, il suffisait d’accepter la supériorité du système libéral sans autre ambition que de le corriger, à la marge, par des protections sociales de plus en plus difficiles à financer.
C’est précisément cette indigence de la pensée politique qui a favorisé, nous l’avons dit, la montée de l’extrême-droite mais aussi, dans presque tous les camps, la poussée de ceux – J.L. Mélenchon, B. Hamon et, de façon fort différente E. Macron – qui paraissaient vouloir contester le système en en bousculant les postulats. Pour le leader des insoumis, il s’agissait d’un simple refus peu explicite quant aux solutions alternatives ; du côté des socialistes, la primaire a été gagnée à la faveur d’une idée paraissant nouvelle (en fait, une vieille lune que cette allocation universelle) dans le concert d’unanimité libérale ; pour le futur président, c’était, plus subtilement et nous y reviendrons, l’invocation du pragmatisme censé être souverain contre tous les dogmes.
3° - Une année d’incertitudes politiques
Jamais sans doute, la prévision politique n’avait été aussi difficile qu’un an avant la présidentielle de 2017. Il s’agit d’un effet des autres interrogations que nous venons de rappeler : quels équilibres pour quelle société dans un monde nouveau ? et quelles solutions aux problèmes sociaux si le surplomb de l’économie est accepté comme inéluctable ?
Mais c’est également une des conséquences d’un autre phénomène qu’on pourrait décrire comme la raréfaction des sources politiques. Longtemps la classe dirigeante de notre pays a été forgée par l’Histoire et, malheureusement, par les épreuves des guerres ; le prix était élevé mais ceux qui avaient surmonté ces épreuves avaient démontré leurs qualités. Cette source-là s’est heureusement tarie et elle a été remplacée par une autre matrice, celle qui génère la nouvelle aristocratie. Les grandes écoles, en premier lieu l’ENA, fournissent à la République des contingents de dirigeants qui ont la caractéristique d’avoir été formés dans le
même moule. C’est ce que les polémistes critiquent, souvent à juste titre, lorsqu’ils condamnent « la pensée unique ». Elle a été positivement théorisée autrefois par Alain Minc qui distinguait, dans notre personnel politique, le cercle de la raison trouvant seul grâce à ses yeux, du cercle de la passion où survivaient encore quelques fossiles croyant à l’efficacité du volontarisme et refusaient, dans tous les cas, de se plier aux diktats des places boursières.
Il est bien certain, et nul ne s’en plaindra, que l’ENA prédispose moins que la Résistance à l’épopée. Mais nous sommes tombés d’un excès dans l’autre. La France est désormais gouvernée par des comptables, plus précisément par des responsables politiques ayant renoncé à proposer au peuple l’adhésion à l’un de ces grands mythes qui ont fait l’histoire de la République.
En 1960, J.F. Kennedy proposait aux Américains de renouveler les mythes fondateurs de son pays. C’était « la nouvelle frontière » où il réaffirmait le leadership mondial des USA, le combat pour les droits civiques et contre toutes les ségrégations et, cerise symbolique sur le gâteau, la conquête spatiale. En 1981 encore, François Mitterrand proposait de « changer la vie » et, même s’ils en doutaient, ceux qui le suivaient voulaient y croire car les peuples aiment qu’on leur propose d’eux-mêmes une grande image et qu’on leur raconte pour leur avenir une belle histoire.
C’est ce que, semble-t-il, tous les candidats potentiels à l’élection présidentielle avaient renoncé à faire, à l’exception d’Emmanuel Macron comme on l’a vu par la suite.
Certes les candidatures des formations d’extrême-gauche et de l’héritière du fonds de commerce familial du FN étaient prévisibles, de même que quelques candidatures fantaisistes devenues une loi du genre. Mais pour les grandes formations, personne n’aurait pu pronostiquer de façon crédible quant aux candidats qui porteraient les couleurs des formations susceptibles de gagner.
Cette incertitude s’enracinait bien sûr dans le mécanisme des primaires qui paraissait être devenu absolument incontournable. Les radicaux ne sont pas assez attachés aux institutions de la Ve République, qu’ils ont été presque seuls à combattre, pour insister sur le fait que les primaires en contredisent l’esprit. Mais cette démonstration a été faite dans les deux grandes formations de gouvernement. Aussi bien au PS que chez Les Républicains, les primaires ont permis de dégager une candidature paradoxale en ce que le candidat affichant les positions les plus militantes se trouve, par là même, le plus éloigné de l’attente des électeurs qui est toujours plus modérée, plus centrale. S’il en était besoin, les résultats de F. Fillon et surtout de B. Hamon, avec leurs lourdes conséquences sur les élections législatives, ont démontré que les primaires n’apportaient pas la meilleure réponse à l’interrogation légitime des citoyens sur la qualité des dirigeants.
A cette source d’incertitude et de confusion s’est ajouté un fait totalement inédit, le renoncement du président sortant à une nouvelle candidature. Ce choix n’est pas sans liens avec ce que nous venons de dire du tarissement des sources de l’élite républicaine et du système des primaires. En indexant son sort sur les chiffres du chômage, F. Hollande s’est placé, de lui-même, dans l’étrange position d’être le comptable de ses échecs économiques d’ailleurs relatifs comme le montrent les « frémissements » actuels de notre économie. Mais en renonçant à faire valoir, comme l’aurait fait F. Mitterrand, ses prérogatives de « chef » ou de sortant, il s’est livré, là encore de lui-même, aux attaques des frondeurs qui n’espéraient sans doute pas une telle aubaine.
En créant son propre mouvement, en sortant du gouvernement et en déclarant sa candidature à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a dissipé, dans l’incrédulité générale à l’origine, les incertitudes qui pesaient sur l’élection. C’est la fermeté de sa volonté et l’absence de doute sur sa mission qui l’ont conduit au succès sans toutefois dissiper bien sûr toutes les inquiétudes dont est affectée notre société mais aussi toutes les ambiguïtés que son élection comportait.
II
UN PAYSAGE ENTIÈREMENT REDESSINÉ
C’est, depuis la Libération et donc plus encore qu’en 1958 ou en 1981, une rénovation totale qui s’est opérée avec les élections de 2017, un véritable bouleversement. Le mot « rénovation » étant coloré d’un a priori positif, il convient de le nuancer pour dire d’ores et déjà que l’interminable campagne électorale, les élections elles-mêmes et le tableau des nouvelles forces politiques comportent de nombreux sujets d’intérêt mais également quelques interrogations dont la réponse déterminera in fine les lendemains qui se proposent à notre pays.
1° - Une séquence électorale totalement inédite
L’extraordinaire printemps politique qu’a connu la France a été précédé d’une très longue campagne électorale dont nous venons de dire qu’elle était dominée dès l’origine par une incertitude généralisée. Nulle évidence ne se dégageait.
Pour être directs, soulignons que cette campagne s’est déroulée tout au long de l’automne et de l’hiver comme un jeu de massacre. Dans les formations politiques traditionnelles au moins, il suffisait d’afficher quelque velléité de candidature, de mettre le nez à la fenêtre comme on dit plaisamment, pour voir se déclencher toutes les hostilités. Les candidatures n’étaient pas l’occasion d’afficher les soutiens mais le prétexte à tous les tirs de barrage.
Il en a résulté un incontestable rajeunissement du paysage politique, au-delà sans doute de ce qu’avaient souhaité ceux qui l’appelaient de leurs voeux. C’est une génération entière qui a été engloutie sans espoir de retour.
Ces hostilités avaient débuté, dès le printemps 2016 et de façon totalement inattendue par l’incroyable querelle familiale ayant agité l’extrême-droite. Dans sa soif de marcher vers le pouvoir sans être encombrée par les anachronismes tonitruants et souvent orduriers de son père, Madame Le Pen n’a pas hésité à sacrifier l’intéressé dans ce qu’on a un peu vite désigné comme une tragédie grecque tant l’épisode évoquait plus le mauvais fait divers que les Atrides. Exit Jean-Marie Le Pen et, avec lui, plus d’un demi-siècle d’histoire de l’extrême-droite française.
Du côté de l’UMP abusivement rebaptisée Les Républicains, la période avait été précédée par une première guerre entre F. Fillon et J.F. Copé, affrontement incroyable lui aussi puisqu’il rappelait une guerre des gangs (de « mafias » devait dire Fillon lui-même) et empruntait à tous les registres de la délinquance. Nicolas Sarkozy avait cru pouvoir souffler sur les braises de cet incendie-là pour revenir aux commandes et donc se parjurer puisqu’il s’était engagé, en 2012, à abandonner la vie politique en cas de défaite.
Sa facile victoire à la présidence de son parti lui paraissait être une garantie suffisante pour l’emporter lors des primaires. Mais il était dit que le moment ferait une forte consommation d’anciens leaders puisque la candidature d’A. Juppé reléguait N. Sarkozy au rang de challenger. Et, à la fin, contre toute attente, c’est F. Fillon qui l’emportait largement sur tout ce beau monde et quelques autres comparses.
Mais la droite n’était pas au bout de son chemin de croix puisque la campagne de Fillon allait être polluée là encore par des faits divers peu en rapport avec l’image de moralisateur que voulait se donner l’intéressé. Aurait-il figuré au deuxième tour sans ces « affaires » ? L’interrogation est aujourd’hui d’un intérêt médiocre mais nous pensons que, dans aucun cas de figure, il ne l’aurait emporté.
Au Parti socialiste, la relève des générations s’était opérée lors des deux primaires précédentes qui avaient vu l’effacement successif de D. Strauss-Kahn, de L. Fabius, puis de S. Royal et de M. Aubry, la candidature « naturelle » de F. Hollande s’imposant à tous. Avant même son renoncement explicite, la chronique boulevardière de ses difficultés privées et le très étrange livre de confidences faites à deux journalistes avaient montré que l’évidence n’était pas à ce rendez-vous.
Dans cette phase des primaires, les partis traditionnels n’auront pas souffert des excès idéologiques qu’on leur reprochait souvent mais à l’inverse de l’absence quasitotale de références doctrinales comme si rien d’autre que leurs ambitions ne distinguait plus leurs candidats les uns des autres.
Du côté des socialistes, on avait même abandonné les surenchères verbales (internationalisme, rupture avec le capitalisme, solidarité de classe, etc.) qui de Jules Guesde à Guy Mollet nourrissaient les discours des socialistes lorsqu’ils menaient, dans les faits, une politique centriste, surenchères encore présentes en 2012 dans le fameux discours de François Hollande au Bourget (Mon ennemi, c’est la finance !). Parmi les candidats, le favori, premier ministre sortant, s’était même involontairement handicapé en suggérant que le Parti socialiste devait changer de nom. Pour parler vulgairement, les socialistes ne savaient plus où ils habitaient…
Chez les gaullistes, les références à la doctrine avaient tout également disparu. Il s’agissait le plus souvent d’invocations assez creuses de la pensée du général De Gaulle devenu une sorte de totem pour rites agrégatifs. Même le peu de gaullisme théorique quelquefois mis en avant, ce capitalisme social ou actionnariat populaire censé permettre de dépasser l’opposition entre libéralisme et socialisme, n’a pas été évoqué une seule fois.
Les partis politiques français ont montré, dans cette séquence, qu’ils étaient en panne de doctrine. A sec.
Jean-Luc Mélenchon lui-même, fort d’un réel talent d’imprécateur, avait estimé pouvoir laisser en route ses habituels partenaires communistes et même la formation politique, le Parti de Gauche, qu’il avait pourtant créée à on seul usage personnel.
Avec un tel jeu de chamboule-tout, les mésaventures de Madame Duflot ne parvenant pas à s’imposer ni même à aller au deuxième tour d’une primaire écologiste minuscule faite pour elle seul apparaissaient plutôt comme un moment de music-hall, de spectacle comique.
A l’origine, la partie avait pu paraître difficile pour E. Macron qui s’avançait sans formation politique existante et en revendiquant par avance de ne rechercher aucune alliance pour n’être contraint à aucun compromis. Cependant sa campagne devait être facilitée par les guerres internes que nous venons de rappeler mais aussi par l’adoption de méthodes résolument modernes. Tout en se gardant des organisations politiques verticales trop centralisées et en privilégiant l’organisation en réseau, E. Macron a su mettre sur pied une formation où l’autorité ne se partage pas et qui semblait mue par une force interne de croissance exponentielle car la campagne, calquée sur le modèle des campagnes démocrates américaines, était la seule (avec, notons-le, dans une moindre mesure, celle de J.L. Mélenchon) utilisant les moyens de communication modernes. Cet enseignement demeurera. Il ne sera plus possible de mener une campagne nationale de cette envergure sans les outils de l’informatique et sans les réseaux sociaux qui ont donné un aspect plus ludique que nos vieux meetings et nos anciennes campagnes d’affichage.
Même si elle reste en bonne partie mystérieuse, la technique du financement s’est inspirée elle aussi des méthodes américaines et a utilisé les réseaux précédemment mis en place par le candidat.
Pour ce qui concerne la campagne, l’élection était bien sans aucun précédent.
Les résultats des deux élections ont été également inédits. Tout au long de la campagne, les sondages d’opinion – qui l’ont plus fortement influencée que jamais – ont montré une montée très progressive mais inexorable des intentions de vote en faveur d’E. Macron. Malgré la tentation qui en était sans doute grande, celui-ci n’a daigné faire aucun geste en retour à l’intention de ceux qui, venus du PS ou de la droite, proclamaient unilatéralement leur volonté de l’aider. C’est à peine si, dans la dernière ligne droite et alors que les scores des quatre principaux candidats paraissaient se stabiliser à un niveau égal, il a accepté d’entrer en discussion (mais pas en négociations, nous a-t-on assuré malgré l’évidence) avec F. Bayrou à qui cet éclair de lucidité a valu une renaissance totalement inespérée. S’il n’avait été, peu après, victime à son tour de ce bûcher des vanités dont on l’avait vu si souvent se faire le savonarole, il serait aujourd’hui le seul « survivant » de l’époque politique précédente.
La séquence des législatives a été, autant qu’il se pouvait, plus surprenante encore. Les observateurs avaient vu de l’arrogance dans l’attitude du candidat Macron qui refusait par avance toute alliance mais aussi toute double appartenance et tout apparentement. Avec un parti En Marche ! paraissant en gestation, la démarche semblait presque suicidaire.
Elle allait pourtant réussir au-delà de toute espérance puisque, à partir de 24 % des voix au premier tour de la présidentielle, E. Macron parvenait à faire élire, presque sur son seul nom, plus de trois cents députés sans compter un très gros bataillon d’élus MODEM. Les investitures avaient, pour l’essentiel, respecté les règles posées : stricte parité hommes-femmes, parité au moins entre élus et « société civile », non investiture pour les candidats en cumul, irréprochabilité des personnes investies. Le raz-de-marée ayant porté à l’Assemblée nationale des personnes parfois totalement inconnues était plus qu’une ratification du scrutin présidentiel (celle-ci ne se produit pas toujours contrairement à une idée reçue) une sorte de premier plébiscite en faveur du nouveau souverain et nous sommes obligés d’exprimer les réticences que les radicaux, par leur philosophie même, éprouvent face à ces manifestations du césarisme, qu’il soit ou non rénové. Nous ne sommes, au demeurant, pas plus favorables à
la sacralisation de la société civile, qui ne nous paraît pas avoir de vertus propres et dont l’étiquette a souvent dissimulé, lors de ces élections, la grande expérience locale de politiciens chevronnés. Et nous ne débordons pas d’enthousiasme non plus lorsque nous subissons, avec d’autres, les marques d’un autoritarisme plus impérial que républicain. Nous pensons en particulier aux refus très secs énoncés, non par E. Macron lui-même mais par ses plus proches collaborateurs, contre la demande très légitime de ceux qui voulaient participer de bonne foi à l’aventure En Marche ! tout en gardant leurs attaches et leur fidélité au parti qu’ils avaient toujours défendu.
2° - Les leçons en demi-teinte du deuxième tour de la présidentielle
Le très large succès d’Emmanuel Macron a dissipé toutes les interrogations comme si elles avaient, du seul fait de la contre-performance de Madame Le Pen, perdu toute pertinence. Il n’en est rien et certaines ambiguïtés demeurent.
La plus importante, parce que la plus lourde de conséquences pour l’avenir, nous semble résider dans ce que nous appellerons, faute de mieux, l’impensé libéral. Le mot « libéral » s’est chargé, au fil des temps, de tant de significations qu’on peut à peu près tout y ranger en dehors des régimes autoritaires. Dans son acception anglo-saxonne l’appellation libérale nous convient parfaitement ; elle convient à tous les radicaux comme l’ont montré les travaux de Jean-Thomas Nordmann sur l’histoire du radicalisme. Indiscutablement, E. Macron se rattache, pour partie, à cette conception du libéralisme qui privilégie les libertés publiques et les droits civiques.
Mais dans son programme, comme dans les discours du Premier ministre ou de leurs proches, c’est souvent le simple et brutal libéralisme économique, celui de Pierre Gattaz ou d’Alain Madelin, qui se laisse deviner. Pour éviter les querelles qu’il ne manquerait pas de provoquer, on ne le prononce pas. On parle de libération des initiatives, de dérèglementation des activités d’allègement des contraintes pesant sur les entrepreneurs mais jamais de pur libéralisme économique. Cette difficulté ne pourra pas être dissimulée très longtemps. Les premiers gestes de la nouvelle majorité sur la réforme du Code du travail et sur les ajustements au trébuchet de la fiscalité montrent que, au-delà des mots, c’est bien un programme libéral qu’il s’agit d’appliquer par priorité.
On croit pouvoir contourner cette difficulté par des astuces rhétoriques déjà brocardées par les humoristes. La fameuse formule « Et en même temps… » permet d’affirmer à la fois une chose et son contraire : libéralisme oui, mais protection sociale aussi. Outre que ce procédé ressemble un peu, par son déséquilibre interne, au fameux pâté de cheval et d’alouette, on ne peut cacher l’aspect cosmétique du procédé en invoquant constamment comme le fait E. Macron un pragmatisme qui serait la vertu de l’homme politique moderne contre le dogmatisme des archaïques.
La vérité, et nous le dirons plus loin pour ce qui concerne les radicaux, c’est qu’on peut très bien rejeter le dogmatisme, le sectarisme tout en élaborant, n’ayons pas peur des mots, une idéologie moderne, un corpus doctrinal fait d’idées cohérentes entre elles. Cela n’empêche pas d’être pragmatique dans leur application mais la conduite d’un Etat ne peut se faire seulement « au doigt mouillé ».
Cette invocation permanente du pragmatisme nécessaire dissimule aussi une certaine difficulté à trancher, comme on le voit lorsque l’exécutif ergote sur les nuances sémantiques entre la réforme et la transformation. Cette difficulté résulte très directement du postulat d’origine de la démarche, il n’y aurait plus de clivage droite-gauche. Ceci est faux. Plus exactement, il reste, et c’est heureux, un clivage aussi vieux que l’humanité entre l’ordre et le mouvement, entre le conservatisme et le progressisme sur une foule de sujets, les plus importants étant le statut et le rôle de l’école, la place des services publics, la construction de l’Europe fédérale ou encore l’aide au développement. Les radicaux que nous avons appelés « des deux rives » se tiennent très clairement, pour leur part, dans le camp des progressistes depuis la création de leur vieux parti. Des clivages féconds existent encore ; c’est heureux.
Mais le souci manifesté par l’exécutif de prendre en compte les préoccupations des adversaires d’une réforme annoncée est parfaitement légitime s’il n’aboutit pas à une synthèse synonyme d’inaction. N’étant pas les procureurs du nouveau pouvoir, nous n’en retenons à ce stade que les meilleures intentions. François Mitterrand empruntait un peu à Chateaubriand et un peu à Victor Hugo lorsqu’ils nous disait, dans de précieux entretiens privés, qu’il y a, dans l’esprit de chaque Français, une mémoire de Chouan et une mémoire de soldat de l’an II. Il avait raison mais il nous a toujours paru se ranger du côté des vainqueurs de Valmy. C’est ce progressisme respectueux que nous attendons du nouveau pouvoir.
La multiplication des invocations morales à la transparence ne nous paraît pas non plus être toujours du meilleur aloi. De la nécessaire transparence au voyeurisme immonde, il y a peu de chemin et nous avons vu (cf. supra) M. Bayrou y trébucher. Certaines matières (les intérêts de l’Etat en politique étrangère ou en sécurité intérieure en sont) s’accommodent très bien du secret et les lanceurs d’alerte ne sont souvent que des boutefeux irresponsables. Bref, nous n’avons aucune passion pour la transparence si elle devait être érigée en vertu. L’immeuble bruxellois de la Commission européenne est fait, de façon symbolique, avec des parois de verre ; il abrite pourtant la plus opaque des institutions de l’Union. En fait de transparence, l’Histoire, fort heureusement, ne récompense pas toujours les donneurs de leçons.
Il en va presque de même pour le slogan du renouvellement du personnel politique. Renouveler, pourquoi pas ? A ce mot d’ordre s’attache un parti pris de jeunisme d’une grande vacuité (comme le chantait Brassens, « le temps ne fait rien à l’affaire »), ou un parfum de « dégagisme », néologisme étrange apparu avec les diatribes de J.L. Mélenchon mais né en 1955-56 avec le poujadisme dont Le Pen était déjà député. Mais entre ces deux excès, l’angélisme et le cynisme, le parti pris de renouvellement systématique nous paraît être une marque condamnable d’un consumérisme politique tendant à devenir règle d’or.
On le voit dans ce trop rapide résumé, les 65 % engrangés par E. Macron au deuxième tour de la présidentielle ont dissimulé bien des malentendus.
Cela est vrai aussi du résultat, très décevant pour elle, de Madame Le Pen. On l’a présenté comme une grande défaite qui a d’ailleurs généré de fortes turbulences internes dans un parti plus habitué à l’obéissance qu’aux états d’âme. Elle avait espéré – et les sondages lui avaient longtemps laissé espérer – la première place au premier tour avec quelque 30 % des suffrages. Elle en était bien loin. Loin aussi d’un score de deuxième tour qu’elle espérait entre 40 et 45 % et qui lui aurait valu, malgré les contraintes du scrutin, une forte phalange de députés.
Or les commentateurs ont été unanimes : elle a perdu, gravement perdu et elle a notamment pris l’eau sur les questions européennes lors du débat d’entre-deux-tours.
Cette analyse nous paraît trop rapide et fausse. En vérité l’extrême-droite a gagné sur l’essentiel. Contrairement à son père, Madame Le Pen veut accéder au pouvoir et, pour ça, doit rassurer et rassembler.
L’étude détaillée des motivations des électeurs est extrêmement édifiante. Ils n’ont pas été découragés par les aspects les plus révoltants du programme du FN : la lutte contre les immigrés, l’islamophobie systématique, le racisme et l’antisémitisme toujours présents. Curieusement, sur ces thèmes, nos concitoyens, y compris ceux qui se disent progressistes, y compris les électeurs des partis de gauche, sont assez d’accord avec le discours du FN. Le constat est difficile à accepter mais facile à réaliser : les Français sont majoritairement d’accord avec les thèmes les plus odieux de l’extrême-droite et ils expliquent volontiers leurs propres difficultés (le secteur de l’agriculture est très révélateur de cette analyse) par la faute de l’autre, cet autre introuvable mais toujours coupable.
Si la question de la monnaie unique européenne n’est certes pas un simple sujet technique, c’est quand même sur ce seul obstacle que Madame Le Pen a vraiment buté. Les Français s’accommodent des déclarations anti-humanistes du FN. Sans trop de logique, ils s’accommoderaient encore d’une éventuelle sortie de l’Union européenne mais ils ne veulent pas qu’on touche à l’euro, cette monnaie sacro-sainte devenue pour eux synonyme d’épargne et de foi dans l’avenir. Madame Le Pen viendrait-elle à corriger son discours sur ce point (il en est question), elle pourrait nourrir toutes les espérances car elle est paradoxalement « dédiabolisée » dans les versants les plus diaboliques de son programme.
Les analyses politiques, les autres responsables de partis ne semblent pas mesurer mieux que les électeurs les dangers de cette situation : derrière l’indiscutable défaite des chiffres, Madame Le Pen a gagné sa bataille pour l’avenir, ce qui impose une mobilisation des véritables républicains.
3° - L’état des autres forces politiques
Mais où en sont précisément les partis politiques républicains, qui peuvent demain, pousser la nouvelle majorité à infléchir sa politique et surtout, après-demain, empêcher l’extrême-droite de parvenir au pouvoir ?
A toute première vue, ils sont dans un état lamentable caractérisé par la faiblesse et l’atomisation. Nous avons toutefois la prudence de n’en tirer aucune leçon définitive. L’histoire politique de notre pays est tellement riche de renaissances inattendues de personnalités politique qu’on croyait vaincues et de résurgences de courants qu’on avait vu disparaître que la prudence s’impose. Aucun enseignement des récents scrutins ne peut être définitif. Il reste que le tableau d’ensemble est peu réjouissant.
Du côté de la droite républicaine, on dénombre presque autant de chapelles que de dirigeants. Dans leur majorité, les Républicains semblent prêts à se ranger sous la bannière de M. Wauquiez ce qui ne laisse d’inquiéter les plus modérés d’entre eux. Avec son discours
« sans tabous », ce nouveau chef providentiel ne se cache pas de vouloir absorber le Front National dont les idées ne sont pas très éloignées des siennes. Il croit faire, en cela, le même chemin que François Mitterrand lorsqu’il avait enfermé le Parti communiste dans l’Union de la gauche et son programme commun. La différence est dans la gestion du temps. L’entreprise de F. Mitterrand avait été conduite alors que les socialistes progressaient et que les communistes régressaient. C’était la disparition progressive, au moins l’affaiblissement du PC qui était ainsi programmé. Et F. Mitterrand ne souffrait pas de concurrence dans son propre camp.
M. Wauquiez voudrait rééditer cette performance alors que les données du problème sont totalement inverses. Il est très affaibli dans son camp et l’extrême-droite progresse de scrutin en scrutin. Son nouveau courtisan pourrait devenir un nouveau Dupont-Aignan.
D’après les élections législatives, les Républicains se sont dotés, avec la rescousse de l’UDI et donc de certains radicaux, d’une phalange dite « constructive » qui apparaît clairement comme une force d’appoint au macronisme et un facteur de division de l’ancienne UMP.
Celle-ci est également affaiblie par les réserves des barons, les Juppé, Estrosi, Pécresse, Bertrand, NKM qui affichent tous une franche hostile aux projets de M. Wauquiez lequel devrait être cependant porté par le vote militant selon le même mécanisme pervers que nous avons décrit pour les primaires.
Il n’y a pas beaucoup à attendre de ce côté.
L’UDI devra bien, quant à elle, clarifier sa position. Elle parvient certes à sauvegarder son indépendance mais avec des démarches d’apparence contradictoire : à l’Assemblée nationale, elle participe à l’élargissement de la majorité ; au Sénat, elle est clairement dans l’opposition au nouvel exécutif.
C’est sans doute le Parti Socialiste qui offre le spectacle de la plus grande désolation. Il n’a plus de patron, plus de nom et bientôt plus de siège. Son candidat de la présidentielle s’en est allé créer un singulier mouvement confidentiel, le M1717 ( ?). Arnaud Montebourg veut s’épanouir dans le secteur privé et les entreprises innovantes. Mesdames Aubry, Hidalgo et Taubira ont fondé, elles aussi, un mouvement dont on ne distingue pas bien les buts ; serait-ce une sorte de nouveau MLF ? A l’Assemblée, Olivier Faure a courageusement réuni sous l’étiquette « Nouvelle gauche » la trentaine de députés survivants tandis qu’au Sénat, François Patriat, converti de la première heure à En Marche ! tente avec difficulté de constituer une force d’équilibre garantissant les majorités requises lors des votes du Congrès sur d’éventuelles réformes constitutionnelles.
A l’issue de sa remarquable campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon prétend incarner à lui seul l’opposition à E. Macron. Il veut se mettre en phase avec la rue car ses effectifs parlementaires demeurent limités. Même s’il se réclame toujours d’une sorte de bolivarisme qui serait d’opérette s’il ne devenait sanglant à Caracas, notre tribun a adopté le discours et les méthodes du populisme péroniste. Toujours l’inspiration sud-américaine.
Le Parti communiste finit de disparaître d’une scène sociale où son rôle de terrain, très précieux jusqu’en 1970, a été aujourd’hui repris par le FN.
On s’amusera enfin des déconvenues des multiples partis écologistes qui voulaient voilà peu, rénover la vie politique française et donnaient des leçons à tous les anciens politiques, nous tous, n’ayant rien compris au monde moderne. Ils sont aujourd’hui totalement atomisés et il appartiendra aux autres partis politiques de relever une réflexion très indispensable sur les questions écologiques, des sujets transversaux qui ne sauraient être la propriété d’une formation plutôt que d’une autre.
III
L’UTILITÉ ET L’ACTUALITÉDU RADICALISME
Que serait, nous dira-t-on, cette litanie de jugements laudateurs ou critiques, de satisfécits et de mises en garde, d’approbations enthousiastes et de vives réticences, si nous tenions nous-mêmes les radicaux à l’abri de ce crible ?
Nous ne nous épargnerons pas dans la critique. D’abord parce que la République a besoin de nous. Ensuite parce que nous détenons, dans notre corps de pensée, quelques-unes des idées les plus appropriées à la solution des problèmes du temps, enfin et surtout pour la nouvelle et forte raison que, décidés à nous réunir, nous pouvons élaborer un programme d’action crédible.
1° - Les radicaux ont des devoirs particuliers envers la République
Depuis la fin du 19e siècle, la République sait qu’elle peut compter sur la pensée radicale pour toujours rappeler la véritable signification de la devise nationale mais aussi pour réalimenter le débat civique avec des idées adaptées à l’époque nouvelle.
Nous ne reviendrons pas sur l’histoire de notre trop longue séparation ; elle est bien connue. Elle a résulté, à dix ans d’intervalle, de deux événements qui nous étaient extérieurs et que nous avons subis. En 1962, la réforme de l’élection du Président de la République au suffrage universel et la bipolarisation mécanique qu’elle annonçait ne pouvaient que frapper en son coeur le Parti radical qui se tenait au centre de gravité de la vie politique française aussi bien pour y rechercher des solutions médianes équilibrées que pour parer à toute éventualité tactique.
En 1972, d’une part, la création du Mouvement réformateur, trop éloigné selon nous des valeurs radicales traditionnelles et même de notre républicanisme militant, d’autre part, la signature du programme commun de l’Union de la gauche, trop éloigné, aux yeux de nos frères valoisiens, du libéralisme social des radicaux, allaient entraîner une scission qui était déjà inscrite dans la réforme de 1962 et dont nous avions deviné le caractère inéluctable lors des alliances électorales nouées de chaque côté de la nouvelle frontière pour les municipales de 1965 et 1971 ou les législatives de 1967.
Notre tort ne fut cependant pas d’aller rechercher notre survie électorale par des alliances avec celui des deux camps, la droite et la gauche, qui nous ressemblait le plus. C’était un réflexe de survie auquel le radicalisme, même divisé, doit en effet d’avoir perduré.
Notre responsabilité principale est ailleurs. Nous avons laissé nos alliés nous assigner des fonctions de gardes de la frontière de la bipolarisation, charge à nous, si nous le pouvions, d’en reculer les bornes pour élargir le camp auquel nous appartenions.
C’était une double erreur. D’abord, parce que la politique est une forme de guerre et que, dans les guerres, les régions frontalières sont toujours les premières visées, les premières
meurtries. Et c’est ainsi que nous avons vu, lentement mais inexorablement fondre nos effectifs d’élus et de militants au long de ces quarante-cinq ans, beaucoup d’entre nous préférant rejoindre le plus important de nos alliés respectifs plutôt que d’être traités comme alliés négligeables.
La deuxième erreur était plus lourde encore de conséquences. Se laisser affecter à la garde des terrains frontaliers, c’est laisser à d’autres le soin de déterminer l’espace politique sur lequel on peut se déployer. Or celui-ci ne doit jamais être limité ni surtout être défini par d’autres. Les radicaux de gauche se sont ainsi laissés enfermer dans des positions de centre-gauche mais il leur a été souvent difficile, par exemple lorsque Michel Rocard ou Manuel Valls représentait la gauche, de se situer à leur droite tout en restant à gauche… Simple problème logique mais il est essentiel : ne jamais laisser dire par d’autres qui nous sommes.
Pendant la même période, nous avons eu l’amère satisfaction de constater que nos principales idées étaient reprises à leur compte par les partis concurrents, voire amis, qui se les appropriaient sans la moindre vergogne. Dans ce cas, on peut se plaindre d’une captation d’héritage et nous n’avons pas manqué de le faire, de protester dans le désert. On peut aussi se féliciter d’avoir inséminé le débat public grâce à nos contributions même quand elles avaient été usurpées et nous l’avons fait aussi mais sans être mieux entendus car, dans le même temps, le radicalisme qui a comme outils la raison discursive, le doute méthodique et le scrupule politique avait révélé son inadaptation à la communication moderne qui nous impose, ou voudrait nous imposer, d’être rapides, lapidaires et caricaturaux.
Bref, les radicaux, pourtant forts de leurs belles idées, étaient passés à côté de leur époque. Mais la flamme couvait toujours, d’un côté comme de l’autre.
C’est qu’il ne suffit pas de se dire républicain pour l’être. Certains qui croient l’être sont de simples démocrates, ce qui est une toute autre affaire. La démocratie est un état, fait d’égalité devant le suffrage, de non-discrimination, de libertés publiques et d’autonomie du sujet. On peut s’en accommoder et c’est ainsi que nous entendons dire de l’Inde qu’elle est « la plus grande démocratie du monde » alors qu’elle est structurée en castes infranchissables et agitée par de terribles violences politiques, religieuses ou ethniques. De la même façon, et même si la distorsion est moindre, les nombreuses monarchies de l’Union européenne sont des démocrates mais évidemment pas des républiques.
Car la République n’est pas un état dont on peut se satisfaire ; c’est un projet toujours inachevé, un horizon toujours reculé (ce qui accessoirement donne sens à la devise En Marche !). Un militant républicain ne s’arrête jamais car dans le champ des libertés, de l’égalité, de la fraternité, il reste toujours des avancées à opérer. Plus important encore, ces avancées ont elles-mêmes pour effet de dévoiler de nouveaux terrains à explorer pour de nouveaux droits à inventer.
Décidément, la République n’en a pas fini avec les radicaux car les radicaux n’auront jamais terminé de dessiner leur République idéale.
2° - La lecture radicale de la devise républicaine
Les radicaux ont une vision haute et exigeante de notre devise. Qu’on n’y voie nul orgueil. Il s’agit simplement pour nous, fidèles à l’étymologie de notre nom collectif, d’aller à la racine des mots pour en extirper tout le sens et d’éradiquer tous les malentendus qui peuvent l’obscurcir.
Ainsi, bien sûr de la liberté, première conquête de la Révolution française. On entend souvent l’adage selon lequel « la liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres ». Pauvre liberté que celle-là, en forme de lieu commun. On nous propose une conception de la liberté ressemblant à une marqueterie ou à un parcellaire cadastral où chacun de nous serait le seul propriétaire égoïste. C’est, selon nous, une conception socialiste de la liberté. Dans la conception radicale, c’est l’extension sans autres limites que celles du bon sens pratique (bruit, gêne physique, mise en danger, etc.) de ma propre liberté qui garantit l’extension de celle des autres, de tous les autres. Lorsque Rosa Parks s’assied sur le fauteuil de bus qui lui est interdit à Montgomery (Alabama), en 1955, ce n’est pas seulement sa place qu’elle gagne, c’est celle de tous les Noirs et son droit ne s’arrêtera pas au siège voisin qui devrait, lui, rester réservé à des passagers blancs.
C’est sans doute dans le domaine des sciences de la vie que les progrès techniques récents ont été les plus spectaculaires et qu’ils ont ouvert de nombreux débats souvent faussés entre la liberté de l’homme et sa responsabilité. Echappant aux transcendances religieuses auxquelles il était soumis, l’homme est parvenu à ce point omega de la connaissance qu’avait deviné Teilhard de Chardin, ce lieu où il est à la fois créateur et créé. C’est un pouvoir prodigieux et il ouvre des perspectives vertigineuses.
Mais s’il nous appartient de prendre toutes les précautions éthiques susceptibles d’encadrer ces progrès et de leur éviter de déraper vers des productions monstrueuses, nous ne devons pas nous arrêter à ces frayeurs médiévales souvent abritées derrière le trop fameux principe de précaution pour renoncer à des avancées qui amélioreront, notamment dans le domaine de la médecine, le sort de l’humanité. Si les applications doivent être encadrées, aucune expérience ne doit être interdite car il est de la nature de la connaissance humaine de toujours avancer. Nous ne protègerons pas notre humanité par de simples barrières juridiques (les remparts des villes fortifiées par Vauban… contre les avions) mais par la combinaison de lois équilibrées et de solides étais moraux. C’est le rôle des comités de bioéthique auxquels nous devons faire confiance. Ça n’est pas la science mais l’ignorance qui produit les Mabuse et les Folamour.
Et l’on voit bien, dans ce secteur des sciences du vivant, que toute nouvelle liberté sera génératrice de demandes supplémentaires vers d’autres conquêtes. Le Président de la République est en train de tenir ses engagements de campagne sur la légalisation de la PMA. Nul doute que ce progrès en appellera d’autres, de même que l’homme acquerra aussi définitivement le droit de mourir dans la dignité car il doit être laissé maître de sa destinée et qu’il faut, comme Albert Camus, imaginer Sisyphe heureux.
Et l’égalité, qu’est-elle donc pour les radicaux ? Elle est deuxième dans l’énoncé révolutionnaire et nous devons le rappeler car cette place ne doit rien au hasard. Pas d’égalité sans liberté même si l’on a vu, au 20e siècle prométhéen en particulier, des utopies de l’homme nouveau, du monde idéal promettre la plus parfaite égalité au prix de l’abandon de la liberté. Dostoïevski avait déjà posé ce problème dans « Les Frères Karamazov » : il se trouvera toujours un Grand Inquisiteur pour proposer aux hommes qui l’accepteront de prendre en charge toutes leurs responsabilités moyennant le renoncement à leurs libertés.
Les radicaux n’ont strictement rien à voir avec une conception privilégiant l’égalité parfaite des situations, quels que soient par ailleurs les dons, les mérites, les efforts et même la chance. C’est une égalité tout juste bonne pour les ruches ou les fourmilières, qui laissent d’ailleurs subsister des phalanges aristocratiques, mais pas pour des hommes. Pour ceux-ci ne vaut que l’égalité en droit celle qu’ont voulue les révolutionnaires de 1789.
Chaque homme doit avoir des droits identiques et surtout la possibilité de les faire valoir pleinement. Il faut bien sûr, pour cela, que son autonomie de sujet soit reconnue (par rapport aux églises, aux familles, aux corporations, à tous les cadres qui prétendent le transcender) et qu’il l’exerce spécialement par le droit de vote qui ne peut être restreint mais aussi par la formation (v.infra 3°) qui garantira que tous ses choix seront ceux d’une conscience libre.
Tout dans les sociétés modernes, jusqu’à la Sécurité sociale qu’il faudrait bien nommer autrement, tend à déresponsabiliser les citoyens qui, devenus consommateurs de leurs propres droits, prétendent accéder à la situation paradoxale où ils détiendraient un droit de tirage illimité sur la collectivité qui leur devrait toutes les manifestations de solidarité sans aucune contrepartie de devoirs. De l’exigence d’assistance à l’individualisme porté simultanément à leur paroxysme, c’est l’avènement de la société à irresponsabilité illimitée.
Sur ce sujet, la vieille question des discriminations positives a souvent divisé les radicaux eux-mêmes. Pour notre part, sans engager d’autres radicaux que nous, nous pensons qu’à ceux qui ont moins de moyens privés, il faut donner plus de moyens publics, spécialement là encore dans l’éducation.
Si le moteur d’une société faite d’individus libres, responsables et solidaires n’est pas comme l’ont cru tous les socialistes la lutte des classes mais bien la méritocratie républicaine, le fameux ascenseur social, alors l’égalité se trouve très convenablement définie par le simple mot de justice.
Nous avons un exemple à partager, celui de l’un de nos maîtres, à l’école primaire, qui s’appelait Monsieur Legrand. Nous affirmons ici que M. Legrand a fait plus pour l’humanité que Che Guevara. Que vient donc faire le Che dans cette affaire ? demandera-t-on. Le théoricien de la révolution castriste et de quelques mouvements similaires avait coutume de dire : « La vitesse de mon armée est celle du dernier de mes hommes ». Sans être spécialistes de stratégie militaire, nous ne voyons pas que cette doctrine lui ait apporté des victoires retentissantes. En revanche, nous voyons bien ce que sa pensée, celle de l’égalitarisme pleinement assumé comme le nivellement par le bas, a pu coûter lorsqu’elle s’est appliquée – très souvent malheureusement – à d’autres domaines de l’action publique, notamment à l’école. La méthode de M. Legrand était exactement inverse. Il s’aidait des élèves les plus
doués ou les plus disciplinés pour aider les plus lents, les indolents, les distraits et les tirer plus vite, plus loin, plus haut. Telle était sa façon de faire et nous la préférons définitivement à celle d’Ernesto Guevara.
Dans cette belle devise, c’est la fraternité qui semble être la valeur la plus oubliée de l’époque. A l’heure des grandes migrations qui ne se ralentiront pas, de la mise en place de sociétés multiculturelles dans tous les pays développés, de la question posée avec acuité des ressources d’une planète à partager, il ne suffit pas de proclamer l’idéal de fraternité, il faut le faire vivre concrètement.
Pour les radicaux, la fraternité est d’abord faite de solidarité. Celle-ci ne se confond pas avec les droits de l’individu à l’assistance de la communauté, droits dont la dilatation caractérise les sociétés d’inspiration socialiste, comme on le voit en Europe du Nord.
Elle ne se confond pas plus avec la compassion ou la charité qui sont en quelque sorte le « pansement social », souvent dicté par la pensée chrétienne, qu’appliquent les sociétés ultra-libérales sur les souffrances qu’elles causent.
La fraternité n’est donc ni la sécurité absolue, le droit qu’on aurait de vivre sans les risques de la vie, ni le mouvement réparateur que les valides des sociétés compétitives dirigeraient vers les éclopés de la croissance échevelée. Ni guichet de tous les droits ni téléthon généralisé.
La solidarité vue par les radicaux est à la fois un droit et un devoir. Chacun a le droit de recevoir de la société à laquelle il adhère par un contrat implicite quotidiennement renouvelé les aides, les accompagnements, les soutiens qui le replaceront à égalité avec tous les membres de la collectivité. Mais il a simultanément le devoir de contribuer, pour sa part, à cet effort collectif et de rembourser ainsi sa dette sociale. Un exemple simple l’illustrera. On sait que les régimes de retraite classiques ont atteint leurs limites financières principalement pour des raisons démographiques. Cependant les retraités ont droit à leur retraite. C’est souvent le patrimoine de ceux qui n’ont pas de patrimoine. Ils détiennent une créance qu’on n’a pas le droit d’effacer. Mais l’époque impose – et leur propre intérêt commande – que le service des pensions de retraite ne s’opère plus dans la passivité des bénéficiaires. Les retraités de cette époque où prolifèrent les seniors ont le devoir de s’engager au service de la collectivité, pour accompagner les études des plus jeunes, pour faire vivre le tutorat dans l’entreprise, pour partager, jusqu’auprès des touristes, leur expérience et leur passion pour une région, pour un métier, voire pour un sport. Qui a eu la chance de visiter les anciens puits de mine avec une « gueule noire » retraitée sait à quel point ce partage est enrichissant pour tous.
Encore cet exemple ne concerne-t-il que la solidarité appliquée à des sociétés homogènes quant à leur organisation en catégories socio-professionnelles et surtout quant à leurs références culturelles. Elle est autrement plus difficile à mettre en oeuvre entre des segments de la société qui sont d’origine, de langue, de religion, de culture différentes. C’est bien dans la cohabitation de communautés très différentes que se juge la véritable fraternité.
Il est inutile de pousser les hauts cris contre le phénomène communautaire. Il existe ; il s’impose à nous car il a souvent été créé par l’Histoire, spécialement par notre histoire coloniale. Lorsque tous les Maliens résidant en Ile-de-France dénomment Montreuil « Bamako-sous-Bois », l’existence d’une communauté solide, homogène et distincte de
l’ensemble national ancien s’établit comme une évidence. Elle ne comporte en elle-même aucun danger. Il faut, en revanche, se garder du communautarisme, cette situation où les différentes communautés détiennent des droits et devoirs différents. On observe cette dissemblance juridique en Amérique du Nord où elle est admise dans son principe, particulièrement au Canada. Cette différence de droits n’a rien à voir avec les discriminations positives que nous avons évoquées ; elle établit des catégories différentes de citoyens sans aucune autre justification que la recherche souvent vaine de la paix sociale. La France ne connaît guère que l’exemple très regrettable du droit de vote à géométrie variable des différentes communautés peuplant la Nouvelle-Calédonie. En 2018, année cruciale pour ce territoire, on risque de voir que les concessions faites au communautarisme l’ont été en pure perte.
L’acceptation – et même la valorisation – des différences culturelles, le constat de l’existence légitime de communautés à l’intérieur d’un peuple devenu divers et bigarré, le respect des coutumes compatibles avec l’ordre public, tout cela enrichit la République tandis que l’inégalité des droits l’appauvrit.
Cette conception de la fraternité est très exigeante. Elle suppose que la référence à l’humanisme ne soit pas une invocation creuse et rituelle mais la croyance en l’unité fondamentale de la condition humaine. L’homme est à la fois la mesure et la finalité de toute action politique. Et toute l’humanité est contenue dans un seul homme.
Tout nous indique, nous prévient que les prochaines décennies seront celles de la mise à l’épreuve de cette croyance qui est au coeur même de la doctrine radicale. Sommes-nous individuellement et collectivement capables de fraternité avec l’ensemble de nos semblables ? La question est posée mais bien loin d’être résolue. Sur ce terrain aussi, l’apport des radicaux peut être décisif.
3° - Le supplément d’âme des radicaux
Nous employons ici très délibérément une locution qui paraît lestée par des références religieuses. Pour nous, il n’en est rien. L’apport d’une philosophie politique et de la formation qui la porte n’est pas nécessairement proportionnel au poids électoral de cette organisation et ce que nous appelons « supplément d’âme », la spiritualité n’ayant aucun besoin de la foi, c’est précisément ce que nulle autre formation, nulle autre pensée politique ne vient livrer au débat entre les citoyens.
Et disons-le d’emblée, notre « supplément d’âme » est constitué, pour l’essentiel, par notre laïcité, véritable colonne vertébrale de la doctrine radicale.
Parce qu’elle a été forgée dans une époque où les dernières velléités monarchistes s’appuyaient sur la puissance du clergé pour tenter de déstabiliser la République encore toute jeune et fragile, la communauté nationale a conservé, par-delà les générations, l’image simpliste et facile à manier d’une laïcité brandie contre la religion catholique, alors principal protagoniste, comme une pensée de combat. Les socialistes et les communistes encore unis dans cette période étaient caricaturés avec, entre les dents, le couteau qui devait frapper les capitalistes. Les radicaux étaient, de façon similaire, assimilés à des « bouffeurs de curés ».
Et pourtant, même à cette époque, même pour les militants laïcs les plus intransigeants, la laïcité n’a jamais coïncidé avec ces raccourcis simplistes. Elle en était, elle en est encore l’exact contraire : la garantie de la liberté de conscience.
La laïcité n’est pas braquée contre les religions, elle leur permet par la neutralité qu’elle impose dans tout l’espace public, de vivre et de prospérer à leur guise. Sans laïcité, il n’y a pas de liberté religieuse. Une religion domine les autres (voyons l’Inde et le Pakistan) ; l’athéisme d’Etat combat toutes les Eglises (voyons les anciens régimes communistes) ; la lutte incessante entre des religions irréconciliables domine et empoisonne tout le débat politique (voyons, entre mille exemple, la Palestine ou l’Irlande du Nord). C’est ce genre de situation annihilante que la grande loi de 1905 a permis d’éviter à la France.
Aussi longtemps qu’elle est confinée à l’espace privé, la religion est libre. Elle ne l’est plus lorsqu’elle prétend imposer ses règles dans l’espace public à ceux qui ne la partagent pas. Résumons : la loi doit respecter la foi mais la foi ne doit pas dicter la loi.
Cette conception classique – et qui n’a d’ailleurs nul besoin d’être rénovée, actualisée, déclinée, modifiée – s’applique évidemment par priorité à l’école.
Si les radicaux ont toujours marqué leur préférence pour l’école publique c’est au seul motif que les règles posées au début du 20e siècle par les grands radicaux garantissent que la formation des jeunes esprits se fera dans le respect de leurs choix de conscience lorsqu’ils seront arrivés à l’âge de les exprimer librement. Pour les radicaux, l’école libre, c’est l’école de la République.
Pour autant, dans les vifs débats qui les opposaient, Clemenceau se distinguait de Jaurès en ce qu’il n’exigeait pas un monopole de l’enseignement au profit de l’Instruction publique. Contrairement aux socialistes, il respectait la liberté de choix des parents pouvant être tentés de confier leurs enfants à des établissements privés souvent moins pour des raisons religieuses qu’avec l’excellent motif de multiplier les chances des élèves.
Les derniers échos de cette querelle apparaissaient encore dans les débats très houleux autour du projet Savary de service public unifié de l’éducation nationale. Cette étape a été dépassée par le pragmatisme de J.P. Chevènement lui-même inspiré par François Mitterrand qui se rappelait sans doute son expérience d’élève des écoles catholiques.
Mais le débat n’est pas clos et il peut ressurgir à chaque instant car la sensibilité des Français est extrêmement vive pour tout ce qui touche au statut de l’école. A force de compromis, les radicaux eux-mêmes ont admis des entorses à leurs principes (loi Falloux, établissements sous contrat, privatisation de certaines grandes écoles, etc.). Selon nous, ils ne doivent pas aller plus loin. L’école publique doit rester le socle de toute notre société.
Il est d’autant plus urgent de réaffirmer ce principe de base que les flux migratoires enregistrés principalement dans la deuxième moitié du 20e siècle et qui se sont accélérés dans la période récente posent la question laïque en des termes renouvelés au moins au plan quantitatif. Et il ne s’agit plus seulement de l’école mais bien de l’ensemble des institutions publiques.
Notre laïcité est mise au défi de l’immigration. C’est pourquoi elle est aujourd’hui invoquée par nombre de courants politiques jusque-là réputés pour leur grande méfiance à l’égard des règles laïques.
L’extrême-droite et la droite dite républicaine essaient d’instrumentaliser la laïcité pour en faire une arme au service de l’islamophobie. La grande loi de 1905 s’est trouvé de nouveaux défenseurs, inattendus et plutôt inconséquents. On entend M. Wauquiez dénoncer les prières de rue comme le symptôme d’une invasion de la France par l’Islam. En vérité, lui-même, M. Ciotti ou Madame Le Pen parlent toujours de la même prière, celle du vendredi à midi, et de la même rue, la rue Myrrha dans le 18e arrondissement parisien. Mais M. Wauquiez oublie que chez lui, dans sa Haute-Loire, entre le Puy-en-Velay et La Chaise-Dieu, on multiplie les processions catholiques publiques et l’on célèbre à l’envi la mémoire des Croisades ou des chemins de Compostelle. Pour nous, ces manifestations ne sont gênantes en rien puisqu’elles sont, comme notre magnifique patrimoine architectural religieux, des révélateurs d’une identité culturelle composite et non pas exclusivement chrétienne et blanche comme voudraient nous le faire croire les tenants de l’introuvable « identité nationale ».
Ces débats seraient presque anecdotiques si la peur légitime des attentats perpétrés dans toute l’Europe par les fanatiques d’un Islam dévoyé n’était venue donner à ces partisans d’une « France pure » les arguments nouveaux que leurs amalgames produisent : Islam = islamisme ; islamisme = djihadisme : djihadisme = terrorisme. Ces équations sont bien sûr parfaitement abusives mais il faut beaucoup de vigilance et de volonté pédagogique pour suggérer à nos concitoyens de ne pas se laisser entraîner dans cet embrouillamini. Une bonne partie du vote FN ne s’explique pas autrement car cette crainte, aussi précise dans son expression qu’elle est confuse dans ses motivations, vient s’ajouter aux autres grandes peurs (mondialisation, Europe, etc.) que nous avons évoquée in limine en traitant des lignes de rupture qui se dessinent dans notre société.
Les radicaux ont donc bel et bien un devoir particulier. Ils ne sont ni le musée ni le conservatoire de la laïcité. Ils sont le laboratoire politique où s’élaboreront demain des réponses laïques aux différents défis que notre société se voit proposer par les grands courants migratoires et par le mouvement naturel qui porte les ressortissants de l’ancienne Union Française à venir chercher dans le pays qui est leur deuxième patrie à la fois un peu de cette prospérité économique leur faisant cruellement défaut et surtout les protections de la loi républicaine pour leur culture et pour leur religion.
Les obligations particulières des radicaux sont à la mesure des devoirs spécifiques était ceux de la France sous l’éclairage de son Histoire. Nous sommes fermement décidés à approfondir la construction européenne mais nous sommes également contraints de la rééquilibrer et de nourrir les échanges entre l’Europe et l’Afrique si nous ne voulons pas transformer notre continent en un bunker assiégé par la misère. Cette question s’est posée à propos du droit de vote pour les étrangers puisqu’il faudra bien se résoudre à découpler partiellement la nationalité et la citoyenneté. Nous accordons ce droit aux élections locales à des résidents communautaires. Fort bien. Mais si il s’agit d’évaluer la responsabilité des différents Etats-membres, la France a-t-elle une communauté d’histoire et de destin plus grande avec la Finlande et la Bulgarie ou avec le Sénégal et l’Algérie ?
C’est donc bien à des défis nouveaux que la laïcité française doit répondre. Pour leur part, les radicaux sont déterminés à participer à ce combat car ils sont tout simplement décidés à exercer le pouvoir.
L’ORGUEIL DES HUMBLES
Le lecteur a bien vu : nous n’avons pas écrit que nous voulions participer au pouvoir mais que nous voulions l’exercer.
Bigre. On les trouvera sans doute bien arrogants ces radicaux qu’un demi-siècle de bipolarisation a marginalisés et que leurs alliés ont souvent méprisés, de prétendre revenir ainsi aux commandes de l’Etat et des collectivités territoriales.
On les trouvera peut-être bien ambitieux d’afficher cette volonté alors que leurs effectifs de militants et d’élus ont été laminés et que leur pensée politique est en somme passée dans le domaine public, ruinée, semble-t-il, par ce qui avait fait sa richesse.
On les trouvera sûrement paradoxaux de vouloir réanimer le plus vieux parti politique français à l’heure où soufflent les « très grands vents » de la modernité, de parler encore de raison et de doute à l’heure où les émotions et les passions dominent tous les débats publics.
Et on les trouvera certainement orgueilleux quand ils entendent mettre leurs pas dans ceux des plus grands républicains des deux siècles passés comme une lignée déshéritée qui viendrait aux marches de l’ancienne résidence familiale pour faire valoir ses droits.
Soit. Nous comprenons et nous acceptons ces critiques mais nous voulons les démentir et prouver – la phrase a été souvent empruntée à Lénine – que là où il y a une volonté, il y a un chemin.
Arrêtons-nous un court instant à l’histoire politique de la Ve République, précisément à l’année 1969. Au sortir de l’élection présidentielle, la SFIO n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle est à son niveau électoral le plus bas de toute l’existence du socialisme français. Les Français ont eu à choisir entre G. Pompidou et A. Poher dans une caricature de Monarchie de Juillet à peine actualisée. Surtout, plus personne, y compris parmi les militants et les élus devenus rares, absolument plus personne n’attend rien du socialisme français dont les critiques disent qu’il a déjà pris dix ans de retard sur son homologue allemand pour faire l’aggiornamento qui le replacerait dans le siècle.
Et pourtant, deux ans plus tard, à Epinay, c’est précisément de ce lieu politique que l’on croyait déserté, de ce parti socialiste qu’on voyait moribond que va renaître l’espoir de la gauche française pour plus de quarante ans.
C’est un prodige mais ce n’est pas un miracle. A partir d’une petite phalange, la Convention des institutions républicaines, François Mitterrand est parti, sans jamais hésiter à la conquête de tous les bastions de la gauche qui n’étaient plus gardés. Et dix ans plus tard, il accédait au pouvoir et modifiait en profondeur et durablement le paysage politique de notre pays. C’était affaire de volonté.
Alors oui, nous possédons cet orgueil que l’on pourra nous reprocher. Nous sommes fiers d’avoir été si longtemps les enfants chéris de la République, fiers de nos très glorieux aînés, fiers des grands combats qu’ils ont menés, fiers d’avoir pu malgré tout conserver la mémoire de ces engagements et la volonté de les actualiser.
Mais notre orgueil est construit sur notre humilité. Les dimensions immenses de l’apport radical à la République, la taille extraordinaire des anciens grands dirigeants radicaux, la constance avec laquelle ils ont été tendus vers le pouvoir, tout dans cette mémoire nous oblige à considérer nos forces actuelles et à énoncer nos projets immédiats avec retenue et modestie.
Cette lucidité ne doit pas nous faire pour autant négliger la chance historique s’offrant aujourd’hui à nous. Le grand chambardement politique qui vient de se produire ne manquera pas de provoquer une redistribution totale des atouts, des forces et des acteurs, bref du jeu politique dans son ensemble. 2017 n’aura été qu’une séquence. Rien dans les événements de cette année extraordinaire n’est porteur de stabilité. Cyclone, séisme, tsunami, toutes les comparaisons ont été mobilisées pour décrire un événement sans précédent. Nos sommes au jour d’après. Qu’on nous pardonne une expression triviale, tous les partis traditionnels sont à la rue. Quant au mouvement En Marche ! de la volonté même de son initiateur telle qu’elle s’exprimait avant les élections, il n’a pas vocation à durer dans ses formes actuelles d’organisation. Ce sont, au contraire, de nouveaux équilibres qui vont se mettre en place et il nous apparaît, tant le moment a été violent pour toutes les forces existantes, que toutes les chances sont à saisir.
Nous en avons une. Elle est essentielle. Nous sommes enfin sur le point de réunifier notre famille et de la présenter aux Français comme celle de la plus grande tradition républicaine certes mais aussi comme celle dont les idées permettent d’apporter des réponses pertinentes aux interrogations de notre société.
Nous ne laisserons pas passer cette chance historique. Les radicaux ont à nouveau rendez-vous avec la République. Ils seront à la hauteur du défi. Là où on ne les attendait pas. Mais là où la puissante résurgence radicale montrera que le pays n’abdique pas. En France, en Europe, dans le monde, on sera de nouveau fier des radicaux.