samedi 28 décembre 2019

Les enfants sages chapitre 10




Le coup du lapin

Nul ne sait jamais ce qu’ils pensent.
Ils sont la culotte du zouave
Qui cache au monde ce qu’ils savent
Ils ne sont jamais dans l’offense,

Les enfants sages

- « On ne me fera pas croire que ça n’a pas été fait exprès pour m’emmerder. Ça ne ressemble à rien ces inscriptions ! »
Le maire était furieux, ce qui, il est vrai, lui arrivait de plus en plus fréquemment. Alors même qu’il avait réussi à obtenir de pouvoir effacer le tag maléfique du quartier Maupassant, voilà que non seulement on recommençait à tagger en ville, mais en plus avec le même graphisme ridicule. Sauf que le tag s’était enrichi ce n’était plus £es mais £es enfants.

Il râlait contre ces andouilles du service nettoyage s’étaient précipitées pour effacer les tags apparus dans divers endroits de la ville. Pour être précis, d’ailleurs, il y en avait un sur l’Hôtel de Ville. Sauf que, malheureusement, on ne l’avait pas vu tout de suite, celui-là ! L’équipe avait d’abord foncé sur le premier qu’ils avaient trouvé… sur la piscine.

C’était logique, d’ailleurs, les agents de l’équipement arrivent bien avant l’ouverture.


Bien entendu, ils étaient tombés sur les tags en premier et aussitôt le directeur de la piscine avait demandé une intervention immédiate des services techniques… ce qui avait occasionné une soufflante entre le commissaire de police et le maire.
Photo france 3 Aquitaine- Max PPP Bruno Levesque


- Vous pensez que c’est un coup des gilets jaunes ?
- Vous rigolez ? Les gilets jaunes, vous les remettez à 
toutes les sauces ...

- « Vous vous rendez compte ? C’est n’importe quoi ! Vous avez deux policiers qui se font massacrer pour un tag, et tout ce que vous pensez à faire sitôt qu'il y en a un autre, c'est d'effacer les indices… enfin, ce
£, là, quand même, c’est pas si courant ! Et vous n'avez même pas penser à prévenir la police ?
- Ne me parlez-pas comme ça, Monsieur le Commissaire ! Vous pensez bien que c’est une initiative prise directement par les services urgence-nettoiement qui interviennent sur demande sans passer par la case mairie.
- Oui, et ça vous arrange en plus d’avoir une ville propre. Surtout quand ce sont des affaires qui vous mettent en cause.
- Vous rigolez ? pourquoi ça me mettrait en cause ? £es enfants, ça ne ressemble à rien. Ça ne veut rien dire. Nous avons une politique exemplaire en qui concerne la jeunesse. Ce que ça veut juste dire, Monsieur le Commissaire, c’est que les taggers se foutent de nous. De vous comme de moi. Je n’ai pas cherché à effacer les traces. Je fais arrêter tout de suite pour que vos services interviennent. Seulement…
- Seulement ?
- Seulement ils ont intérêt à intervenir fissa ! Ce n’est bon ni pour l’image de la ville, ni pour celle de la police. C’est comme si les criminels vous reprochaient de ne pas intervenir assez tôt.
- On est d’accord Monsieur le Maire. Ne vous inquiétez pas ! J’ai informé le préfet qui met la pression et l’équipe intervient dans la journée. Au fait, ce tag, là £es enfants, ça vous évoque quelque chose ?
- Ben non, rien du tout !
- Aucun rapport avec des activités municipales, un slogan de vos adversaires, les syndicats ? Je ne sais pas moi…
- Je ne sais pas non plus. Vous pensez que c’est un coup des gilets jaunes ?
- Vous rigolez ? Les gilets jaunes, vous les remettez à toutes les sauces ! Remarquez : on ne prête qu’aux riches. Mais enfin, entre nous, vous voyez des gilets jaunes faire ça ? Ils sont peut-être cons les gilets jaunes, mais ce ne sont pas des enfants, justement. Ce qui caractérise les gilets jaunes, c’est que c’est pas un mouvement de jeunesse, même s’ils ne sont pas dans la maturité. C’est un mouvement de mères célibataires, d’automobilistes et de retraités… Bon, enfin, c’est pas le fait, comme on dit. C’est vrai que les gilets jaunes c’est n’importe quoi et n’importe qui … mais enfin, en principe, ils signent ce qu’ils font. Ce serait même l’inverse d’ailleurs. Il y a de la signature gilets jaunes partout, même quand ce n’est pas eux !
- Bon, on en reparle Monsieur le Commissaire. Je passe les ordres pour que le nettoyage n’ait pas lieu avant que vous ne donniez le feu vert. Mais de votre côté, comprenez que ce n’est pas bon de laisser la ville dans cet état. » 
Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, comme on dit. À peine le maire avait-il raccroché qu’on l’informait que l’Hôtel de Ville avait été, lui-aussi, tagué.
Du coup, ça faisait plus que susciter la curiosité des passants. Celle-ci était attisée par les réseaux sociaux qui eux-mêmes attisaient les rumeurs les plus absurdes. On parlait de slogans anti-mairie, de dénonciation de pédophilie, et on en arrivait même à dire que c’était des slogans écrits en arabe et qui, bien sûr se référaient à Al Qaïda. On mettait bien sûr les gilets jaunes dans le coup, au moins étaient-ils suspectés de diffuser les images dans les réseaux sociaux. Ce n’était sans doute pas complètement faux. L’avantage c’est que ça donnait corps à ces tags répétitifs et inquiétants. £es enfants, pourquoi les enfants ?
Très vite, les gens venaient prendre les tags en photo, et en profitaient pour faire des selfies inoubliables. Pour l’image du maire, ce n’était pas bon ni même pour la sérénité du travail de la police scientifique qui intervint dans l’après-midi sous le regard des badauds en quête de sensations.
Pour le maire, le pire était à venir. Libertario Garcia, son adversaire principal, se fendit d’un communiqué de presse. Il avait beau jeu de dénoncer le comportement de Gargallaud. « Le climat d’insécurité n’était pas créé par quelques malheureux tags dans la ville, mais par des consignes maladroites qui contredisaient ce que la population attendait de la part d’un maire : du sérieux et de la sérénité. L’action du maire ne saurait compenser son inaction pendant les cinq dernières années, en matière de sécurité comme dans TOUS les autres secteurs de la vie municipale. Si le maire veut profiter de ces événements pour se faire de la publicité c’est peine perdue. Il ne fait que mettre en lumière sa fatuité et son inefficacité.
***
A peine Florence relisait-elle le communiqué de Libertario, qu’elle reçut enfin un appel de Fatima... Déjà elle se demandait ce qu’elle allait faire des révélations de Fatima. Quelle place à la une ? Mais plus sérieusement, elle était curieuse d’en savoir davantage sur l’état d’esprit au commissariat, les relations entre le commissaire et le maire, et surtout des éclaircissements sur ce qui s’était passé l’avant-veille, lorsque, sortant de la soirée-filles, elle avait vu tous ces gamins, mains contre le mur, et tenus en respect par la police. Un spectacle qu’elle n’était pas près d’oublier. Il n’était pas possible qu’il n’y ait pas un lien entre le tag et ces gamins plaqués contre un mur et le contrôle de la police. Oui, c’étaient bien des enfants, n’est-ce pas ?
Le coup de fil se révéla décevant de ce point de vue-là. Fatima se sentait bizarre et voulait lui parler.
Florence lui proposa de la retrouver sur le temps de midi, mais Fatima insista pour que ce soit en soirée.
En fait, avec toutes ces affaires, c’était sorti de la tête de Florence, mais Fatima avait aussi de l’intime à lui raconter. Comment s’était passé la soirée avec le nouvel orphelin, celui qu’elle avait rencontré devant le cadavre de sa maman. C’était glauque, mais romanesque, non ?
- « Glauque, oui, Florence ! Mais romanesque, que tchi ! et romantique, encore moins.»

Fatima voulait voir Florence pour se remettre de l’humiliation qu’elle venait de subir. Non seulement Fatima n’avait pas couché avec Anquetil, mais elle ne l’avait même pas vu. C’était un lapin majuscule.
Elle avait été à son rendez-vous la bouche en cœur et attendu, attendu, et jamais venu, comme dit la chanson. C’était déjà assez dur comme ça, mais cela remettait salement en question la déontologie professionnelle. No zob in job, dit le proverbe… surtout dans la police. M’enfin, on est des humains, on a un cœur, n’est-ce pas ?
- « Tu te rends compte, Florence, avec tous les risques que j’ai pris. Personnel et déontologique. Ça méritait au minimum un coup de bite. »
Florence éclata de rire. Malgré la défaite, Fatima n’avait pas perdu tout son sens de l’humour.
- « C’est sûr que sur le plan de l’ego, je le concède, c’est pas génial. Mais enfin, sur le plan professionnel, c’est un mal pour un bien. Pour le reste, enfin, je ne sais pas ce qu’il a ce garçon, qui d’ailleurs est nettement plus jeune que toi… oups, excuse-moi ! Cela ne me concerne pas, comme on dit, mais enfin, merde, quoi, on ne sait jamais. T’imagine ! Te pointer bras dessus bras dessous, à l’enterrement de belle-maman !
- Oui, mais enfin, on n’en est pas là, Florence, faut te calmer. Moi, j’étais juste attirée par ce mec. Un peu anormalement, d’ailleurs, je conviens. Peut-être un peu pervers, comme relation. Bon, oui, mais pas plus que ça. Pas de quoi en faire un fromage, en tous les cas. De toute façon, c’est quand même ça la police. On est toujours en contact avec la peur, la morale et la mort et là-dessus, faut qu’on se démerde. Alors forcément, si le professionnel est impliqué dans une relation, forcément aussi, on emmène tout ça avec nous.
- Qu’est-ce que tu veux ? On ne peut pas se couper en morceaux.
- Bon, ben, pleure-pas, tu vas le revoir. Il va bien falloir qu’il enterre sa maman. Au fait, c’est quand l’inhumation ?
- Je ne sais pas. On n’a pas encore le permis d’inhumer. Quand y a un O.M.L., c’est le procureur qui délivre le permis d’inhumer.
- Un O.M.L. ?
- Oui, excuse-moi, ça veut dire Obstacle Médico-Légal. En plus, malgré mes conneries, je t’assure que je ne ferai pas pression pour qu’on enterre la Mamie sans autopsie approfondie. Même si c’est vrai qu’elle commence à sentir un peu le fromage la vieille.
- Tu te rends compte comment tu parles de ta belle-mère ? En plus, je veux pas dire de mal, mais elle doit avoir le même âge que toi. »
Voilà qui avait de quoi détendre l’atmosphère, mais, sur le fond, la policière restait marquée. Elle se sentait très con. Elle n’arrivait même pas à se mettre en colère si ce n’est contre elle-même, contre son éducation et la société machiste qui lui faisait ressentir cette culpabilité.
Florence la regardait mais ne ressentait pas grand’chose. Elle se promit de faire une recherche sur le personnage d’Anquetil, qui, après tout avait passé son enfance et adolescence à Louviers. Ce serait bien le diable si elle ne connaissait pas quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui aurait croisé son parcours. En attendant, ça ne voulait pas dire qu’elle le recommanderait à sa copine. Elle revint à sa préoccupation première.
- « Mais, dis-moi, tu pourrais me dire ce que c’était que cette opération de la nuit d’avant-hier ?
- Oui, ben, c’est juste des municipaux qui ont appelé la police pour serrer des gamins qui, au fond, ne faisaient pas grand’chose que sortir en bande et foutre le bordel. Vu l’ambiance en ce moment, c’est toujours bon d’avoir l’identité des gamins qui traînent. Ça peut toujours servir. Le but, c’était de leur faire peur pour interroger leurs parents. Ils sont très jeunes. On veut faire des perquisitions. Rechercher des indices, connaître les réseaux. L’obsession du maire comme du commissaire, c’est les tags. Ils ont été embarqués, sous des prétextes divers. Tu parles, ils n’avaient pas de casier. Le commissaire voulait repérer les plus insolents et les plus timides. Les plus timides pour les faire parler. Les plus insolents pour voir s’ils seraient capables de se cogner des flics une fois pris en faute. Enfin, c’est ce que j’ai compris. Je n’ai pas participé à l’opération. Ils ont tous été relâché. Ah oui ! Ils se sont renseignés aussi du côté des insolents, et même des timides s’ils étaient inscrits à des clubs de sport de combat. Y a un truc évident, quand même, c’est que les deux types qui se sont cognés les policiers municipaux, ils savaient se battre. Ils n’étaient pas seulement énervés et violents. Ils pratiquaient sans doute les arts martiaux à un très bon niveau. D’ailleurs, on va faire des recherches du côté des cours entre Louviers, Rouen et Evreux, savoir s’il y avait de bons élèves, ou des graines de champions. Ça pourrait servir. On étudie toutes les pistes.
- Remarque, je sais pas si c’est lié, mais, mis à part ces tags, là, la ville est calme, dans l’ensemble, non ? Tu ne trouves pas ?
- Ben, je sais pas, moi. J’ai toujours autant de boulot.
- Non, mais je ne parle pas de boulot. Mais moi, comme journaliste, je veux pas dire que je suis contente qu’il y ait ces tags et que les deux types se soient retrouvés hospitalisés, mais au fond, je trouve que la ville est calme. Sans doute est-ce dû au déploiement policier. C’est vrai que les flics font plus attention à tout. Et il y a eu des renforts la nuit, non ?
- Oui, oui, c’est vrai. La police est plus présente à Louviers qu’à Val-de-Reuil, c’est sûr. Et c’est vrai qu’on a eu des renforts. De là à juger la ville plus calme, je ne dirais pas. Il faut attendre un peu. C’est ça les statistiques. Il ne faut pas se fier qu’aux impressions. »

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