vendredi 27 décembre 2019

Les enfants sages chapitre 8


Soirée filles


Ils méprisent la repentance
Ils répondraient par le silence
Si vous leur demandiez pardon
Ils ne connaissent pas ce nom

Les enfants sages

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Florence faisait sa petite préparation avant la soirée. Comme d’habitude, elle avait décidé d’y aller à pied, et comme d’habitude elle finirait par y aller en voiture. Elle était à la bourre et même si elle savait qu’il fallait se désintoxiquer de la voiture comme de l’alcool et surtout de l’alcool en voiture, c’était trop dur de se déplacer avec le nécessaire, une bouteille et des grignottes  qu’elle avait pris le temps de préparer. Bref, avec tout ça, bien entendu, c’était difficile de se passer d’un véhicule sans prendre le risque de renverser les verrines au fond d’un sac qui n’avait pas été conçu pour ça.
Elle n’arriva pas en retard, puisqu’aucune heure n’avait été fixée, mais elle était quand même bonne dernière et les conversations étaient lancées. On l’attendait en pensant qu’elle allait apporter tous les éclaircissements sur les affaires qui animaient les conversations en ville.
- « Ah bon, vous parlez de ça ? Vous ne parlez pas cul comme d’habitude ?
- Ben non, Florence, ça viendra plus tard. On est des vraies jeunes filles, tu sais bien. On a besoin de picoler un peu pour se décoincer.
- Mort de rire ! Mais je suis sûre que j’en sais moins que vous. Vous savez bien, les filles, sitôt que je sais quelque chose, je l’écris. C’est avec ça que j’arrondis mes fins de mois. Je n’ai pas plus de secret pour vous que pour qui que ce soit.
- Quand même, toutes ces histoires, c’est bizarre dit Aicha Tlemçani.
-  Oui, c’est bizarre, j’adore ! dit Florence. Ça me distrait et puis ça me fait un petit sou. Je ne sais pas ce qu’en pense Fatima.
-  Ben, je ne sais pas trop quoi en penser, moi, tu sais. Je vois tout le monde qui s’excite au commissariat. Les coups de téléphone du préfet. Le maire et le commissaire qui s’engueulent. Ça patauge dans la semoule, et moi je fais ma pie crevée. En fait, je ne suis pas sur le coup de l’agression, je me sens un peu exclue, je sais pas pourquoi.
-  Tu sais, dit Véronique Labaud, avec tout ce que les gens se détestent, moi ce qui me surprend, c’est qu’il n’y a ait pas plus de crimes. »

Il fallut un petit temps de réaction avant qu’un rire libérateur n’accompagne la réplique. Véronique travaillait au secrétariat de la mairie. Elle était au cœur des angoisses de la municipalité et subissait les répliques des coups reçus par le maire et son staff. 
-  « On est entré dans une phase de secousses permanentes. Et on en a encore pour au moins 5 mois de répliques, les élections c’est en mars ! En attendant, c’est un sacré bordel. Visiblement, ils n’arrêtent pas de prévoir des tas de choses, mais ils ne maîtrisent pas la situation. Le maire doit faire une conférence de presse demain.
- Merci de me l’apprendre, dit Florence. Le journal aurait pu m’informer.
- Oui, mais t’es qu’une pauvre pigiste. Enfin, je te connais, ça t’empêchera pas de venir. De toute façon, à Louviers c’est toujours comme ça. Quoi qu’on fasse, il y a toujours des gens qui viennent sans être invités.
-  Et tu sais ce qu’il va annoncer à sa conférence de presse ?
-  Je ne suis pas dans les confidences, moi. Ils se méfient de moi … et à mon avis, ils n’ont pas tout à fait tort. Et toi Fatima ?
-  Ben moi, ils se méfient de moi aussi et ils n’ont pas tort non plus.
-  Alors, raconte …
- Ben, oui, tu sais, moi, je suis sur la nana qu’on a retrouvé dans le canal. Le sujet est plus calme. On me fout la paix là-dessus. En fait, c’est assez marrant, le type qui a découvert la meuf, c’est le clochard intello, tu sais celui qui se trouve toujours du côté de la Villa Calderón. Sur le banc juste en face.
-   Ben, c’est pas là qu’elle est morte ?
- Non, mais c’est ça. Comme quoi ce type, il bouge quand même. Il semblait vissé à son siège, mais la nuit, il fait le somnambule. Au fait, vous la connaissez celle qu’on a retrouvé dans l’eau ? 
-   Oui, bien sûr qu’on la connait. Son mec s’est suicidé il y a vingt ans, elle a élevé toute seule son gamin, avec ses parents d’ailleurs. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. C’était une pauvre fille. Ça ne m’étonne pas qu’elle se soit suicidée aussi.
-   Ouais, enfin, moi, le suicide, j’en suis pas si sûre.
-  Ah bon ?
- Ah bon … mais là-dessus, je vous dirais rien de plus. Franchement, Florence, tu la boucles. Je compte sur toi. C’est perso. J’en ai même pas parlé au commissaire. Pour l’instant, il est complètement focalisé sur  l’agression des municipaux. Il a la pression comme on dit. Du coup, je le laisse faire et je mène mon enquête toute seule.
- Il n’empêche, la nana bourrée, et à 5 grammes, c’est du sérieux. Non seulement elle  se tape la grille qui protège le site, mais elle la franchit … c’est déjà un peu sport … surtout avec cinq grammes et en plus bourrée. Là-dessus, elle avance et  se précipite … bon, c’est possible, mais c’est difficile.
-   Ah bon ? Je croyais que la grille était ouverte.
-  Oui, enfin, on ne sait pas bien. Normalement, elle aurait dû être fermée. J’ai vu le nouveau technicien qui est chargé des
Elle ralentit et vit les flics occupés par ailleurs, complètement indifférents
à la circulation. Ils tenaient en respect une dizaine de jeunes gens.
Le plus vieux devait avoir vingt ans
(Lycéens de Mantes La Jolie Photo d'archives médiapart.)
rivières. Il était complètement largué. Ça a été un vrai merdier pour sortir le corps. Il a fallu fermer les vannes pour arrêter la cascade. Bon, il avait les clefs, mais il y a des doubles qui circulent, il paraît. Les pompiers s’emmerdent pas avec ça, en cas d’urgence, ils font péter les verrous. Sauf que là, pompier ou pas, il fallait non seulement avoir accès aux vannes, mais savoir aussi s’en servir. C’est pour ça qu’on a mis tellement de temps à sortir le corps. Je la revois encore, la nana, prise dans le tourbillon. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle on a du mal à situer le moment du décès. C’est pas le principe d’Archimède, mais un corps trempé dans l’eau qui court met beaucoup plus de temps à refroidir que si tu le laisse au soleil.
-   Ah oui ?! Un crime alors … Chic !
-  Non, Florence, tu la fermes. Je ne suis sûre de rien. J’enquête. Pour l’instant le corps a été retrouvé. On a retrouvé la famille aussi. Enfin, les deux parents sont à la maison de retraite de Louviers, à l’hôpital. Ils sont gentiment gaga. Je ne sais pas s’ils connaissent encore leur nom, encore moins s’ils ont eu des enfants. Alors, pour donner des renseignements sur la famille…. Le fils, je le reçois demain.

Fatima avait bien  le sentiment d’en dire trop, mais il était trop tard. Elle n’avait plus qu’à se verser quelques verres supplémentaires.
Ce qui intéressait Aicha, c’était ce que le maire allait faire. Il avait pris tellement de coups derrière la tronche  avec l’opposition qui exploitait sans vergogne les erreurs des services. Encore, les fautes de l’agglomération, gestionnaire des vannes étaient-elles passées inaperçues. De toute façon, le but n’était pas de taper sur le personnel. Juste d’appuyer sur les dysfonctionnements de la machine municipale à quelques mois des élections.
Du coup, à propos d’élections, qui était un sujet qui passionnait tout le monde, Aicha lâcha qu’elle avait été contactée par Libertario pour faire partie de la liste d’opposition.
«  Génial ! Je vote pour toi … s'exclama tout le monde dans un bel ensemble.
-  Tiens, dit Fatima, j’aimerais bien savoir comment il pense se démerder sur le problème de la sécurité.
-   Ben, répondit Aicha, le mieux, c’est de lui demander.
-  C’est ça, dit lui de venir.
- De venir ? Mais, mais, je croyais que c’était une soirée fille.
- Et alors ? Ça gène qui. On reste entre nous et il fera le spectacle de toute façon. Allez ! Fais le venir. Il fera le chippendale.
Aicha appela Libertario qui ne se fit pas prier. Il venait de quitter une réunion et il avait plein de choses à raconter sur la vie de la ville, la constitution de la liste, les projets.
À deux heures du matin, tout le monde convint de se séparer. Florence était un peu torchée, mais elle avait la flemme de rentrer à pied.
À quelques pas de chez elle, elle aperçut une voiture de police. Non, deux voitures de police. Trois voitures plutôt.
- Putain, je suis bonne ! Avec ce que je viens de m’enfiler derrière la cravate, je me prépare à quelques moments difficiles. »
Elle ralentit et vit les flics occupés par ailleurs, complètement indifférents à la circulation. Ils tenaient en respect une dizaine de jeunes gens. Le plus vieux devait avoir vingt ans, même si, vu  son état, Florence ne souhaitait pas s’attarder pour détailler la scène. Les flics les faisaient s’appuyer contre un mur, jambes écartées comme pour une fouille au corps.
Florence ne put s’empêcher de prendre discrètement une photo, profitant que les  cowboys étaient trop pris pour s’occuper d’elle. Demain, c’est sûr, elle en saurait davantage en téléphonant à sa copine lieutenant.

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