lundi 27 juillet 2020

Bonne route Claude !

Tu m'en voudras d'intervenir si tard, alors que  tu es parti si tôt. 

Je n'ai pas été là pour te dire adieu de vive voix. Alors, je me suis juste mêlé au cortège de ceux qui ont assisté à la cérémonie qui t'a rendu hommage. 


Je te savais malade mais tu avais laissé une telle trace dans la vie de tellement de monde, que je voulais rester là-dessus. Sans doute aussi, nos parcours personnels, le tien, le mien, celui de nombre de nos amis, qui ont connu, au-delà de l’usure du temps un tel chamboulement de nos valeurs et de nos rayons d’action, ont fait que je n’ai pas voulu voir ta souffrance, au même titre que j’ai un mal fou à accepter que tu sois parti sans que j’ai pu te dire adieu de vive voix.

La cérémonie a été grandiose. Léo Ferré, maître de cérémonie, nous a saisi d'emblée par son interprétation majestueuse de la ballade des pendus de François Villon "Frères Humains". Plus j'y repense, et plus je me dis qu'en son ampleur, en son texte même, en la voix de Léo Ferré et de ce qu'il représentait, tout ce qui allait dans les témoignages de ton existence redonnait de cette grandeur au texte qui, lui même, donnait le sens de ton existence[i]

Je t'ai connu par les radicaux de gauche, auxquels nous avons adhéré parallèlement, moi à Louviers et toi à Evreux, sans trop savoir où nous nous engagions mais j'ai, avec le recul, l'impression, que pour toi, comme pour moi, l"engagement voulait dire quelque chose. Au delà de la légèreté parfois affichée, il y avait tout le poids de toute une existence. 

"Et si l'on parlait du bonheur " beaucoup ont fait allusion à ce slogan de campagne de 1997.  Pour mémoire, ce slogan était issu d'un choix de communication du parti auquel tu venais d'adhérer, mais tu es sans doute le seul candidat à l'avoir suivi. Mais cet affichage sérieux n'empêchait pas ce que tu ressentais au fond de toi, ce besoin d'en découdre et d'agir, de mettre en scène l'essence de tes aspirations et de ton existence.

Cette campagne était folle, l'une des plus folles auxquelles il m'ait été donné d'assister. Je me permets d'y revenir plus précisément qu'il n'a été fait, tout simplement parce que non seulement elle a déterminé ton existence dans les 20 ans qui ont suivi, mais aussi parce qu'elle en était le révélateur. 

Comme l'a rappelé Gérard Silighini sur son blog, Claude craignait de ne pas être pris au sérieux. Il y avait de quoi. Les radicaux avaient du mal à se faire reconnaître. Le fait de mener une campagne avec une bande de copains sur le thème du bonheur, le fait aussi que le canton d'Evreux Nord n'avait été attribué par le PS aux radicaux que parce qu'aucun de leur candidat n'en voulait, étant donné que tout observateur un peu cohérent le jugeait imperdable pour la droite représentée par Blois, élu et réélu dans le plus rural des cantons d'Evreux.

De fait, le soir du premier tour, lors même que tout un chacun commençait à réconforter l'ami Claude pour le combat déterminé et courageux qui le voyait mal récompensé de ses efforts ... l'annonce tombait qu'il était irrémédiablement battu et n'avait pas eu le score suffisant pour se présenter au deuxième tour. 

Mon Dieu, j'entends encore notre Claude dire "c'est pas grave". C'était dans le hall du conseil général. J'ai vu voir le journaliste qui commençait à l'interviewer, partir sans s'excuser à la recherche d'une personnalité plus intéressante ... et puis ! Et puis, le miracle est arrivé.

Si Claude n'avait pas eu le pourcentage suffisant, c'est tout bêtement qu'il manquait le décompte d'une petite commune. C'est une erreur d'autant plus rarissime, qu'elle provenait de la préfecture même. Alors, pour quelques voix, Claude, en quelques minutes est devenu celui qui pouvait en quelques jours devenir l'élu de plusieurs mandats. Un peu comme au monopoly : erreur de la banque en votre faveur, vous recevez un deuxième tour.

Incroyable retournement de situation, qui a fait que le candidat de la Droite, arrivé largement en tête, a éprouvé le besoin de se trahir lui même. Il a pensé bêtement que demander le retrait du candidat du Front National moyennant négociation pour l'avenir pourrait lui apporter quelque chose. Claude et ses amis sautèrent sur l'occasion et transformèrent avec intelligence une élection sans enjeu, en une élection très politique. Il y eut même un article du Monde, reprenant un passage à la télé ... et ainsi commença la carrière politique de Claude élu assez nettement, avant de devenir vice-président du Conseil Général, maire d'Aviron et vice-président de l'agglomération d'Evreux. 

Ça, c'est ce que je tenais à rappeler, parce que ce moment essentiel pour lui, a aussi été un moment essentiel pour moi. 

Mais je m'en voudrais de clore cet hommage sans parler de deux éléments qui m'ont profondément marqué lors de la cérémonie et qui sont des histoires d'amitié, qui sont toujours la marque des générations. 

Ainsi Francis Courel a-t-il rappelé ses années d'amitiés, de collège et de lycée, le théâtre et l'amour de la poésie, transcendée par la volonté de transformer le monde par des gamins qui ont eu 20 ans en mai 1968. 

Et puis, et puis surtout, il y a eu le témoignage déterminant de son collègue (ah ! on ne s'appuie jamais assez sur le rôle essentiel du métier dans le comportement d'un élu) qui comme lui est passé par le monde socio-éducatif. Il y a été question de l'aventure qu'a représentée la mise sur pied d'un équipement. Derrière ces mots, je comprenais ce qu'a représenté pour ces jeunes gens, tous utopistes, parce que, sans doute il faut être utopiste pour aller chercher des jeunes en perdition, et leur montrer la rigueur adulte qui seule permet d'ouvrir la voie pour les enfants perdus livrés à la violence. Oui, Claude Béhar était ça, ce mélange d'utopie et de rigueur, cet équilibre indispensable qu'il a su manier dans son métier comme dans sa vie d'élu sans jamais omettre la joie de vivre, la solidarité, la convivialité qui permet seule de résister aux épreuves du temps. Ainsi, quand le collègue de Claude (je m'en veux de n'avoir pas noté son nom) a expliqué que Claude avait été le voir pour l'informer de sa décision de faire de la politique, de se présenter aux élections ... son ami ne l'a pas encouragé, loin de là. C'est que, pour lui aussi, l'engagement voulait dire quelque chose, et qu'il était anarchiste ... 

Mais tout cela, c'était avant que le destin emporte Claude ! Quel destin magnifique, insoupçonné ... Merci Claude de m'en avoir fait profiter, comme tu as su en faire profiter ceux que tu as aimé, côtoyé, administré (eh oui ! Tu as été maire, ce n'est pas rien ... et les Avironnais t'en sont reconnaissants). Tu as été un amateur magnifique, un père extraordinaire, pour reprendre les mots de ton fils, un compagnon que j'ai été heureux de croiser sur ma route, un poète dont tout le monde attendait les vœux chaque année qui se faisait, et qui aimait ce qu'il faisait et qui faisait ce qu'il aimait. 







[i] Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci

Vous nous voyez ci attachés cinq six
Quand de la chair que trop avons nourrie
Elle est pieça dévorée et pourrie
Et nous les os devenons cendre et poudre
De notre mal personne ne s'en rie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

Si frères nous clamons pas n'en devez
Avoir dédain quoique fûmes occis
Par justice toutefois vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis
Excusez-nous puisque sommes transis
D'envers le fils de la Vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie
Nous préservant de l'infernale foudre
Nous sommes morts âme ne nous harie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

La pluie nous a débués et noircis
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis ça puis là comme le vent varie
A son plaisir sans cesser nous charrie
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre
Ne soyez donc de notre confrérie

Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre