vendredi 27 décembre 2019

Les enfants sages - chapitre 9





Rendez-vous


Ils sont là quand on dit « à table »
Leurs vêtements sont impeccables
Les ongles ne sont jamais longs
Et leurs corps sentent le savon

Les enfants sages

Police dans les favelas de Rio, La Croix photo AFP, 
Du coup, des rues de Louviers elle se retrouvait dans les
favelas de Rio sans transition et c’est à ce moment qu’elle
 se réveilla en sueur alors que des milices paramilitaires
les rattrapaient.
Florence dormit mal. Elle se réveilla plusieurs fois en revoyant tous ces gamins plaqués contre le mur. Elle se promenait entre cauchemar et rêve éveillé. Elle tirait un gamin par la main pour échapper à la surveillance policière. Elle fuyait en lançant des chausse-trappes dont elle avait les poches pleines.
Du coup, des rues de Louviers, elle se retrouvait dans les favelas de Rio sans transition et c’est à ce moment qu’elle se réveilla en sueur alors que des milices paramilitaires les rejoignaient. Elle regarda l’heure. C’était le cœur de la nuit. Bien trop tôt. Elle prit un verre d’eau, alla faire pipi pour se changer les esprits. Elle eut du mal à se trouver le sommeil avec toutes ces histoires. Elle prit un petit cachet pour s’aider à se rendormir. Trop longtemps. Quand le réveil sonna elle se révéla incapable de se lever.
« Faut vraiment que j’arrête de picoler ! »
Elle tourna et se retourna dans son lit avant qu’elle se lance un impératif
« Allez, Florence ! Faudrait peut-être se tirer les doigts du cul ! »
Elle avait le crâne aussi vide que l’estomac quand elle arriva en toute indiscrétion à la conférence de presse. Celle-ci avait lieu dans l’avant-salle du conseil municipal et le maire faisait face aux deux journalistes habituels, de La Dépêche et de Paris-Normandie. Gargallaud avait commencé son baratin, flanqué de Rossignol, le commissaire de police. Plus en arrière, il y avait le directeur de cabinet, Arnaud Meunier et deux policiers municipaux.
Elle essaya de se faire discrète, mais c’était peine perdue. Elle choisit une chaise située à l’écart du débat mais celle-ci céda sous son poids. Florence se releva et alla s’asseoir sur un siège plus sécure sous les regards médusés. Le maire continua son propos liminaire comme si de rien n’était et demanda aux journalistes présents s’il y avait des questions.
Florence, tentant de se rattraper,  posa une question sur la santé des deux agents municipaux qui avaient été agressés. Mauvaise pioche !
Le maire fit remarquer qu’il venait d’en parler longuement et que Florence pourrait demander à ses collègues. 
On se préparait à en finir quand Florence se lança dans une dernière tentative :
-  « Monsieur le commissaire, puisque vous êtes là avec le Maire, est-ce que vous jugez que les interpellations d’hier vont vous aider à faire le lien entre les tags, la délinquance juvénile à Louviers et l’agression menée contre la police ?
- Mme Tournage, excusez-moi, vous semblez vous spécialiser dans les questions gênantes, mais en fait, elles sont surtout gênantes pour vous. Je viens déjà de répondre à ces questions, demandez à vos collègues»
Voilà, c’en était fini. Les journalistes présents, un temps bienveillants, ne purent s’empêcher de rigoler. Comme elle vit le commissaire s’isoler avec le maire, elle profita qu’elle n’était pas loin du commissariat pour rendre visite à Fatima,  avec qui elle avait passé la soirée la veille. Elle s’entendit hélée alors qu’elle sortait de la cour de la mairie.
C’était Patrick Lechaud.
- «  Te barre pas comme ça, Florence… Fais pas la gueule. 
-  Excuse Patrick. Je sais bien, j’aurais pas dû venir. J’ai encore la tête dans le cul de toute façon. Ça m’apprendra.
-  Ça ne t’apprendra rien du tout. Ce qui est sûr, c’est que Gargallaud n'est pas bien du tout et que tu as juste mis le doigt là où ça fait mal. En fait, il n’avait rien à dire.
-  Ben alors, dans ce cas là, pourquoi tu t’es mis à rigoler avec le maire ?
-  Ouais, excuse-moi, Florence ! Ça m’a échappé. Je te paye un café ?
- Tu es gentil Patrick. Mais il faut que j’aille voir Fatima. Peut-être que par le copinage, j’arriverai à en savoir un peu plus. »

Mais Fatima n’était pas au commissariat.
« Comme on dit, c’est pas ma journée ! »
Elle téléphona et le portable sonna deux fois avant qu’un sms laconique ne lui réponde « je te rappelle ! ».
En fait, Fatima recevait l’appel de Florence en même temps qu’elle faisait la connaissance d’Anquetil Delpech, qu’elle amenait à reconnaître le corps de Myriam, sa maman. Ce n’était jamais un moment facile.
Là, elle vit le jeune homme se liquéfier de manière inattendue. Lui, qui respirait l’élégance et la force intérieure, se retrouvait sans force et sans couleur. Elle fit asseoir le jeune homme qui révélait sa fragilité. 
Il finit par se relever et approcher le corps de sa mère qu’il ne fit pas de peine à reconnaître. Fatima le scruta en même temps qu’elle regardait pour la deuxième fois le cadavre qu’elle détaillait cette fois. Il y avait ces marques au poignet, qui n’avaient pas disparu, comme laissées par des menottes.
«Vous savez si elle a souffert ? 
Décidément, il semblait vraiment tomber de la lune, celui-là. Pourquoi posait-il cette question sur cette femme qui s’était retrouvée précipitée dans l’eau avec 5 g. d’alcool dans le sang.
-  Vous voulez-dire quoi ? Souffert comment ?
- Je ne sais pas. J’ai l’impression que ma mère n’a pas eu une vie marrante. Finalement sa mort lui a peut-être été douce. Elle s’est suicidée, vous croyez ?
- Je ne sais pas. C’est une question.
- Vous pensez à quoi ? Vous pensez à quelqu’un qui aurait voulu sa mort ?
Je n’ai jamais compris sa vie. Je ne comprends pas sa mort non plus. »

Fatima proposa à Anquetil de prendre un verre. C’était incongru, mais elle avait du mal à supporter trop de cohérence. Elle était l’Etat, le monstre froid, face à la viande froide, dans un espace glaçant. Elle sentait ce rôle trop lourd pour elle en ce moment.  
Sans doute voulait-elle le réconforter, mais elle avait aussi quelques questions à lui poser. Après tout, son métier, c’est aussi d’enquêter. Profitant du réchauffement climatique, allié à un soleil encore présent, ils s’assirent à une terrasse de la Place Cauchoise.
Anquetil avait quelque chose de craquant. C’était un homme jeune et totalement inattendu. Elle se disait qu’elle le connaissait depuis peu de temps, c’est sûr, mais qu’elle venait de le voir à une période importante de sa vie. Pour un garçon, c’est bien connu, la mort de la mère, c’est quand même quelque chose.
«  Vous vivez en Angleterre ?
- Oui, tout à fait. J’habite à Londres. Vous connaissez ?
- Et vous faites quoi là-bas ?
- Je suis trader »

Elle le fit répéter. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Tout cela était parfaitement incohérent. Cette femme qui sentait le dénuement et la misère avait donné le jour, il y a une trentaine d’années à cette image de réussite sociale.
Trader, profession à la mode. C’est vrai, elle savait qu’ils n’étaient pas tous milliardaires les traders. C’en  est même une profession assez chiante, dans la plupart des cas. Un peu comme la plupart des professions bancaires. On place l’argent de ceux qui en ont, on achète, on vend, on s’excite, mais ça ne rapporte pas toujours des fortunes. Et puis, quand on joue les Kerviel, la réalité est souvent là pour vous rattraper durement.
Il était venu d’urgence  pour s’occuper des formalités, puisqu’il n’y avait personne d’autre. Il raconta qu’il n’avait pas vu sa mère depuis cinq ans. De toute façon, sa mère ne s’était jamais occupée de lui. C’était ses grands parents qui avaient pris en charge son éducation. Ceux-ci n’étaient pas pour grand’chose dans sa réussite, d’ailleurs. Il pensait qu’au fond, celle-ci était essentiellement due au fait qu’il voulait tout faire pour sortir de ce milieu, de cette crasse, de ce qu’il avait rapidement mesuré comme de la connerie ambiante.
À force, il avait été remarqué par les instits, puis les profs, puis l’administration qui ont tout fait pour qu’il obtienne toutes les aides possibles. Toujours champion, il avait fini par obtenir sans trop de difficulté les emprunts auprès des banques qu’il remboursait encore.
Il disait ça sans emphase et plus il parlait, plus elle le regardait. Finalement, ils déjeunèrent ensemble. Fatima partit à une heure et demie pour arriver à deux heures au commissariat. 
Elle se souvint que Florence l’avait appelée.
Florence avait besoin de savoir. Le problème, c’est que Fatima n’en savait pas plus qu’elle sur ce qui s’était passé la veille au soir. Elle n’avait même eu aucun écho de la conférence de presse, mis à part ce que Florence elle-même lui racontait. Et justement, il y avait un élément nouveau concernant les tags. Deux autres tags avaient été bombés bien en vue dans la ville. Toujours le même graphisme,  sauf que cette fois, en quelque sorte, le tag prenait forme. C’était devenu  £es enfants.

Florence proposa à Fatima de passer chez elle après le boulot.
- « Pas ce soir, dit Fatima, désolée, demain peut-être
- Comment ? Tu découches ?
- Ben, je ne sais pas. En tous les cas, je fais tout pour.
- Comment ça ? Tu couches le premier soir ? 
Ben, à dire vrai, j’espère aussi le deuxième, mais je préfère commencer par le premier. Bon, excuse-moi, je m’égare. Je suis quand même au boulot. Je raccroche. »

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