jeudi 2 janvier 2020

Les enfants sages 15e épisode ... fin de la première partie



Les cocus de La Haye-Malherbe


Bien sûr, lorsqu’ils tombent malades
Ils suivent strictement l’ordonnance
qui veut les protéger des transes
par les remèdes les plus fades

Les enfants sages


- « C’est quand même pas possible que vous n’arriviez pas à en choper un seul !
- Vous avez raison, Monsieur le Maire, ce n’est pas possible. Mais le rythme de résolution des affaires n’est pas celui de la politique Monsieur Gargallaud. Il faut vous y faire.
- Oui, vous vous en foutez, finalement, des tags, les voitures brûlées, la vie des gens dans la cité…
- Oui, les tags, c’est vrai, je m’en fous un peu. Un peu seulement, vous avez raison. Je ne vise pas ma réélection. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le délit, le crime. Je suis commissaire de police. La contravention, la prévention, la tranquillité publique, c’est de votre compétence. Pour l’instant, elle n’est pas clairement établie.
- Ne le prenez pas sur ce ton-là. Je vous demande un peu de respect.
- Vous avez raison. Je vous le demande pareillement. Je comprends que vous soyez énervé. Nous le sommes tous. Mais ce n’est pas en se rajoutant une pression inutile que cela va nous aider. Je vous fais juste remarquer que La Dépêche n’a pas eu le temps de titrer sur l’émeute urbaine … Paris Normandie le fera demain. Comme dit l’autre, il serait bon que vous prépariez des éléments de langage. La tranquillité publique, c’est la police du maire. »
La Dépêche avait fait sa une sur les tags qui se multipliaient comme les petits pains de l’évangile. Le journal était sur le bureau du maire et du commissaire de police, chacun ayant naturellement tendance à rejeter la faute sur l’autre. L’équipe de nettoyage était débordée. Il faut dire que, malgré l’expérience acquise, les tags n’étaient pas si faciles à défaire et le temps passé leur interdisait d’intervenir sur des urgences qui, pour le coup, le devenaient de moins en moins.
Les tags se multipliaient sans que rien ne s’y oppose et plus la police était mobilisée, plus les effractions étaient visibles. Le journaliste s’était amusé à en tenir le décompte et en faire une cartographie sur le territoire de la commune. Mieux, il incitait tous les lovériens à faire part au journal des apparitions. On était passé du premier £, graffé une fois, à £es qui avait été graffé deux fois. Puis £es enfants graffé 4 fois et enfin £es enfants sages qui avaient été graffés sur le commissariat, d’accord, mais aussi sur les lycées et collèges de la ville, sur le cimetière… mais tout ça c’était pour commencer, parce que maintenant, ces graffs se reproduisaient comme des poux et il y en avait sur tous les supports de la ville.

Le commissaire Rossignol reçut un appel du procureur.
- « Bonjour Monsieur le Commissaire. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
- Vous me faites peur Monsieur le Procureur.
- Vous avez raison. La bonne nouvelle, d’abord, c’est qu’on vient de retrouver un tagger. La mauvaise, c’est que vous n’êtes pas au courant. Le tagger a été pris sur le fait à La Haye-Malherbe. Vous connaissez La Haye-Malherbe ? C’est juste à côté de Louviers. Sur le plateau. Le plateau du Neubourg. Zone gendarmerie. Je vous en informe parce que je n’ai pas l’intention pour l’instant de vous transférer le suspect. Je vais aller l’interroger avec le colonel. Je vous tiendrai au courant. » 
Le commissaire raccrocha. Il se sentait un peu cocu.
- « Ah ! dit Domfront. C’est normal. Vous savez ce qu’on dit ! A La Haye-Malherbe, il y a autant de cocus que de brins d’herbe. Bon, excusez-moi, c’est pas drôle. »

En attendant, il n’avait plus qu’à se mordre les sangs.

***

En fait, c’était César Marron, le maire de La Haye-Malherbe qui avait découvert le pot-aux-roses. Il avait parfaitement reconnu le graffeur. Il s’agissait de Malo Lucas, un type qui venait de s’installer dans la commune et qui, jusqu’à présent, avait évité de faire parler de lui.
Cet ancien zadiste, fatigué et amer, avait pris sur lui de maculer le local de la mairie. Il était encore en pleine action lorsque le maire lui était tombé dessus en revenant d’une réunion à l’agglomération. Bien entendu, au cours de cette réunion, l’ordre du jour avait complètement été zappé et on n’avait parlé que de la ville en feu et des tags qui surgissaient un peu partout. On commençait perfidement à critiquer l’attitude de la police et de la mairie de Louviers.
Quand César l’a aperçu, bien entendu, le contrevenant s’est tout de suite enfui. C’était absolument idiot, étant donné que le maire le connaissait et savait où il habitait.
N’écoutant que son courage, il avait immédiatement prévenu la gendarmerie pour que celle-ci se charge de l’interpellation.
Le procureur avait autorisé la perquisition, ce qui permit de retrouver deux pochoirs au milieu d’un tas de bazar sans intérêt qui révélait le profil d’un individu trempant dans l’illégalité mineure. De l’herbe, bien sûr, des graines de chanvre indien, et des plantations, panoplie indispensable d’un rebelle à deux balles. Il y avait bien sûr quelques gilets jaunes, dont un sur lequel on avait calligraphié £es enfants sages. On avait saisi l’ordinateur et le portable, mais c’était plus par routine que par conviction.
L’ancien zadiste était aussi terrorisé que le gendarme et le procureur étaient ennuyés. Il disait qu’il n’avait cherché qu’à se distraire. Il n’avait pas pris au sérieux cette histoire de tag. Il s’était amusé à tester une imprimante 3D achetée sur Le Bon Coin. Pour un pochoir, c’était pas trop compliqué.

- « C’est une bêtise, je sais, mais c’est mon premier tag, Monsieur le Procureur. Non, bon, d’accord, pas mon premier bombage… forcément à l’âge que j’ai, j’en ai écrit des conneries sur les murs, vous imaginez Monsieur le Procureur. Je suis de cette génération-là. Mon grand frère a fait mai 68. Ok, je reprends. Pour être honnête, c’est la première fois que je fais un pochoir en 3D.
la parisienne, là, celle qui fait des tags sur
le Front National
Moi, je n’ai pas le talent de Banski et de la parisienne, là, celle qui a fait des tags sur le Front National. Mais c’est un peu mes modèles. En fait, oui, j’ai juste fait un test à partir des réseaux sociaux. J’ai travaillé sur les photos déjà prises. Et j’ai eu l’envie de faire un pochoir, avec l’idée derrière la tête de me faire un peu de sous. Une retraite d’ancien zadiste, ça ne va pas chercher loin, vous imaginez. Je voulais juste mettre des pochoirs en vente sur Le Bon Coin. Avant, j’ai voulu tester. C’est une connerie, mais c’est pas un crime.
- Ecoutez, Monsieur le Zadiste, vous êtes un rigolo ! Moi, que vous alliez taguer la mairie parce que vous n’aimez pas le maire, je m’en fous complètement. Que vous fassiez des ventes sur Le Bon Coin, je m’en fous aussi. Même vos plantations à deux balles, j’en ai rien à cirer. Mais ce qui me choque, c’est qu’en ce moment, il y a un type qui est entre la vie et la mort à cause de deux salauds qui l’ont agressé et qui l’ont frappé à terre. Ah oui ! Alors, £es enfants sages, vous trouvez ça drôle ? Je déteste que ce tag devienne à la mode. Comme si c’était un slogan, un groupe terroriste ou une secte. Vous m’épuisez avec vos conneries. »

L’ex-zadiste écoutait le sermon en mordant ses lèvres. Il se disait que, tant qu’à faire, pendant que le procureur se lançait dans une leçon de morale, celui-ci n’envisageait pas trop de le faire coffrer. Il le laissait passivement déblatérer en se promettant de ne pas dire un mot contre la police, et encore moins contre la Justice.
Il allait bien sûr proposer au maire de réparer sa faute, avec humilité, et tout devrait bien se passer. Il n’y avait pas de conflit avec le maire, il n’y en avait jamais eu. Il n’avait rien contre César Marron. D’ailleurs, s’il était inscrit sur les listes, il aurait voté pour lui. C’est quand même pas de sa faute s’il était anarchiste, le Malo Lucas. Même, si le maire veut, il serait prêt à faire sa campagne. Tiens, il ferait même des pochoirs à sa gloire et il en mettrait partout sur les murs. Oups !
Cette fois, il s’était mordu l’intérieur des joues à s’en faire mal pour ne pas rigoler. Il fallait juste expliquer qu’il n’avait d’autre objectif que de prendre le tag en photo sur le mur de la mairie. Bon, c’était une connerie. Une triple connerie. Une connerie d’imaginer ça. Une connerie de le faire. Une connerie de se faire prendre.
Mais enfin, se disait-il, si au lieu de s’acharner sur les symptômes, ces andouilles faisaient au moins l’effort de comprendre la nature du mal, peut-être alors toucheraient-ils d’un peu plus près la solution. Les enfants sages… Ce n’est quand même pas rien comme message. Même d’ailleurs si on peut se demander l’intérêt du message à l’origine, ce qui est sûr c’est que le succès du tag, qui s’était répandu à travers la ville, était la preuve qu’il correspondait bien à quelque chose dans l’imaginaire collectif.
Le procureur téléphona au commissaire. Il était désolé pour la fausse piste, même si, au fond, ce qu’on venait de découvrir à La Haye-Malherbe, démontrait qu’on avait changé de dimension. Le phénomène avait envahi les réseaux sociaux, il était devenu quasiment politique et cette drôle d’évolution noyait le poisson. Il en avait parlé au préfet qui avait alerté le S.C.R.T., les R.G., comme on disait dans le temps, les Renseignements généraux. Après tout, la solution viendrait peut-être de là. Il paraît que, déjà, dans d’autres lieux de France quelques imbéciles s’étaient mis à reproduire le tag. Des gilets jaunes s’apprêtaient à le reprendre sur leurs banderoles.
- « Vous croyez que ça pourrait être politique ?
- Je n’en sais rien Monsieur le Procureur. Moi, ce que je veux, c’est juste retrouver les salauds qui ont défoncé le policier municipal. Pour le reste, les tags, les réseaux sociaux, Facebook et La Haye-Malherbe, j’en ai rien à foutre.
- Je vous sens tendu, M. le Commissaire. Dites-moi, c’est pas à cause de moi ? Vous auriez voulu que je vous livre ce pauvre type ?
- Je m’en fous, Monsieur le Procureur ! »
La conversation s’interrompit brusquement. Le maire et le colonel, qui attendaient devant la gendarmerie que le procureur ait fini la conversation poussèrent un cri de surprise. Au loin passait une Rolls, ce qui, à La Haye-Malherbe faisait l’effet d’un O.V.N.I.
- « C’est une Phantom ! » dit le maire qui avait des lettres.
Le parterre ainsi créé devant la gendarmerie vit le carrosse passer en toute quiétude et la surprise n’en fut que plus grande de voir, à côté du chauffeur, la « petite journaliste ».




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