lundi 30 décembre 2019

Les enfants sages chapitre 12

Les enfants sages

Ils ont la froideur organique
De leur sourire mécanique
Comme une réponse ironique
Au dérèglement climatique
Les enfants sages

- « Effacez-moi ça tout de suite !
- Mais, Monsieur le Commissaire… Mais, on n’est pas équipé pour, Monsieur le Commissaire !
- Putain ! C’est pas possible. Comment font les autres ? Effacez-ça je vous dis …
- Mais, les autres, ils passent par les services techniques de la mairie !
- Bordel ! On a l’air fin… »

Un immense tag ornait le commissariat de Louviers. C’était le même, la même écriture, avec, cependant une mention supplémentaire. On était passé de £es enfants, à  £es enfants sages. Le tag prenait de l’ampleur non seulement physiquement, mais l’audace d’avoir maculé le commissariat donnait une dimension supplémentaire au phénomène.
Le commissaire téléphona au préfet. Celui-ci prit la mesure du problème. Il fallait, c’est vrai, faire au plus vite pour éliminer les traces du forfait. Le mieux était de passer par les services municipaux.
- « Oui, Monsieur le Commissaire, se rengorgeait Gargallaud. Je donne les ordres immédiatement. Mais alors, si j’ai bien compris, cette fois-ci, on n’attend pas la scientifique ? On efface tout de suite.
- La scientifique, c’est nous ! On relève ce qu’il faut. L’encre, les empreintes… Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse d’autre de toute façon. Le reste, c’est la vidéo-surveillance. Ce coup là, elle est à nous la vidéo surveillance. Et elle n’est pas en panne, je vous jure. Bon, excusez-moi. Forcément, je suis un peu nerveux. Mais enfin, vous imaginez, un commissariat tagué, ça la fout mal pour tout le monde. »

Pendant les travaux, les services continuaient. On avait demandé aux services techniques de bâcher le sinistre. Précaution inutile, puisque les photos avaient été prises et circulaient déjà sur les réseaux sociaux, sans parler de la presse qui en faisait déjà ses choux gras sur les sites de La Dépêche et de Paris-Normandie. Il n’y avait, c’est vrai, à présent plus rien à voir, mais cela n’empêchait pas l’attroupement autour du commissariat et les gens commentaient, ravis par ailleurs d’être interrogés par Florence qui avait été la première sur les lieux. A ces badauds se mêlaient ceux qui devaient impérativement se rendre au commissariat que ce soit pour porter plainte, pour des raisons administratives ou parce qu’ils avaient été convoqués. Ce joyeux mélange était épaté par l’audace des taggers et s’amusait de la confusion perceptible à l’intérieur comme à l’extérieur du commissariat.
A 10 h 15, la scientifique débarqua quand même, appelée par on ne sait qui, fit cesser les travaux, se prit de bec avec le commissaire qui n’avait pas eu la patience d’attendre et s’empressa de faire quelques relevés.
FR3 arriva vers 11 h 30. Il n’y avait plus d’inscription et le commissariat avait repris ses activités normales. Ouf !
Frédéric Lafond, journaliste expérimenté, s’en fichait un peu. Il suffisait d’aller sur Facebook pour avoir toutes les photos nécessaires. On fit un micro-trottoir et le reporter fit une interview rapide du maire et du commissaire qui avaient préparé des éléments de langage.
Il s’agissait de minimiser le problème et d’attribuer le forfait à l’audace de quelques mauvais plaisants. Frédéric Lafond fit allusion au policier toujours hospitalisé. Le maire, comme le commissaire, ne purent cacher un malaise d’autant plus perceptible sur écran, que l’expression de leur visage contredisait leur discours rassurant. Frédéric Lafond savait toucher là où ça faisait mal.
"Vous nous appelez quand ça vous arrange, alors ça va bien !"
Photo l'Union
Encore n’avait-il pas assisté au crêpage de chignon entre le commissaire et la scientifique. LA scientifique. C’était le cas de le dire. L’équipe était dirigée par la lieutenante Marie-Jeanne Palerme qui avait la réputation de monter vite dans les tours.
- «  Vous nous appelez quand ça vous arrange ! Alors, ça va bien…
- Tu parles, si on n’était pas obligé de vous attendre, on hésiterait peut-être moins à faire appel à vous !
- Arrêtez vos conneries, commissaire ! Vous voyez bien qu’on est là à l’heure.
- Oui. N’empêche que vous avez fait traîner les affaires. Maintenant, le commissariat est la risée des réseaux sociaux.
- J’en ai rien à foutre de ça. L’important, quand même c’est qu’on puisse retrouver ces dangereux connards, non ? Sinon, vous n’avez pas fini d’être ridicule. Au fait, vous vous occupez toujours du cadavre ramassé à l’écluse ?
- Ben oui.
- Bon, alors j’ai fini le rapport. Transmis au procureur. Il n’y a plus d’obstacle. Il peut délivrer un permis d’inhumer.
- Et ?...
- Et quoi ? Bon, ben vous lirez dans le rapport. Il n’y a quasiment rien, et en tous les cas rien de neuf par rapport à la première analyse. Elle était bourrée, elle est bien morte par noyade. Elle était boursoufflée mais on le serait à moins après un bain de plusieurs heures dans une concasseuse aquatique. Elle avait des ecchymoses, mais c’est pareil, elle a été cognée non pas avant, ou, je dirais, visiblement pas avant de se précipiter dans la flotte. Impossible de le savoir. Pour le reste, oui, il y a toujours des marques aux poignets. Façon 50 nuances de Grey, si vous voyez ce que je veux dire.
- Plus précisément ?
- Ben, des marques comme si on lui avait mis des menottes. Mais assez légères, les marques. Rien de serré. Maintenant, savoir si c’était un jeu érotique...
- Ouais, enfin, a priori, c’était pas trop le genre.
- Sans doute, mais en matière d’érotisme, on a toujours des surprises.
- Bon, merci. Au fait, qu’est-ce qui vous a amené à venir ? Comment avez-vous été informée ?
- Ben, par le préfet, bien sûr ! Il nous a expliqué pourquoi il serait préférable qu’on n’y aille pas. C’est ça qui m’a poussé à venir. Bonne journée commissaire. »

Sont-ils là où on les attend, eux que
jamais aucun n'espère
Quand Fatima apprit qu’elle devait informer Anquetil de l’autorisation d’inhumer, elle eût comme une hésitation. Elle prit cela avec une quasi-indifférence, comme s’il s’agissait d’une mission anecdotique. Son premier réflexe avait été de déléguer la tâche à un collègue. Elle se ravisa. Elle avait du mal à supporter sa propre lâcheté. Hic Rhoda, hic salta, comme on dit ! Alors, pleine de courage, elle se leva et se décida à se rendre à la machine à café.
Son portable personnel vibra à ce moment-là. C’était un SMS d’Anquetil.
- « Sont-ils là où on les attend, eux que jamais aucun n’espère ? Désolé pour l’autre soir. À votre disposition à présent. »

La lecture fut concomitante à un accident de café. Sans trop savoir si c’était sa propre émotion qui en était la cause ou la maladresse de Domfront qui la bouscula à ce moment-là.

Bref, ce qui aurait pu amener à un échange tendu se traduisit en une séance d’excuses réciproques, avant un passage aux lavabos ce qui évita à Fatima de répondre immédiatement au message d’Anquetil. 

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