samedi 21 décembre 2019

Les enfants sages 3e chapitre


Fermez le ban


On ne sait pas ce qu’ils espèrent
Ils ne croient pas plus en l’enfer
Qu’au Paradis qu’ils soient sur terre
Dans le ciel ou en plein désert

Les enfants sages


Tout aurait pu rester discret … mais ça c’était avant.
A l’hôpital, il y avait déjà le commissaire de police, le sous-préfet, et la presse, mais autre chose que La Dépêche, même, si, c’est vrai au milieu des micros, on repérait la petite pigiste qui avait gâché la première partie de la matinée de Gargallaud.
Le maire rejoignit directement le commissaire Rossignol et le sous-préfet De Jésus. Il n’était pas question de s’exprimer sous la pression, mais il fallait à tout prix communiquer, et vite ! La meute journalistique commençait à devenir insupportable. Il fallait lui donner à manger.
-   « Le préfet arrive dans une petite demi-heure. Ça nous permet de préparer une intervention, et nous avons le prétexte de rechercher une salle pour notre conférence de presse. D’ici là, en plus on aura le rapport de l’urgentiste. Ils devraient pouvoir s’en tirer.
-   On peut les voir ?
-   Non, non. Pas pour l’instant. Et il va falloir y aller mollo. Ils ont tous les deux la mâchoire fracturée. La priorité, c’est d’abord la police puis la famille. Que nous avons prévenue.
-  Merci monsieur le Sous-Préfet.
-  Le procureur ne va pas tarder à arriver »

Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qui s’est passé se disait Gargallaud. Il y a une seule chose de sûre, c’est qu’on s’était  attaqué à la police.
On aurait pu rêver meilleure publicité, mais au moins la commune allait-elle se retrouver au cœur de l’actualité. En jouant bien le coup, le maire pouvait obtenir un éclairage intéressant à quelques mois du lancement de la campagne électorale. L’insécurité, par nature, profite à la droite. On va nous chercher des poux dans la tête, c’est sûr. On va dire que s’il y a de l’insécurité c’est de notre faute. Mais si on  réclame des armes pour la police, on peut faire oublier qu’on aurait dû mieux suivre le contrat de maintenance des caméras de surveillance. De toute façon, on va dire des tas de choses, on ne peut pas empêcher les gens de parler. Mais en  même temps, plus on en parlera, plus ça montrera qu’on a besoin de sécurité. Et la sécurité, c’est la droite. C’est nous.
Dans la trop petite salle où l’on avait réuni la presse, on en savait déjà un peu plus. D’accord, la vidéosurveillance en panne ne permettait pas d’être vraiment précis, mais on savait qu’au petit matin, Lorraine qui s’était fait accompagné de Hervet, avait surpris des taggers encagoulés dans le quartier Maupassant.
Savoir comment ça s’était passé exactement, c’était difficile à dire, mais ça avait été hyper-violent. Les municipaux s’étaient retrouvé à terre, qui à la suite d’un balayage, qui à la suite d’un mawashi geri et avaient continué à se faire taper dessus, sans même pouvoir se saisir d’un tonfa ou quoi que ce soit d’autre ! Mon Dieu, les tonfas ! Les policiers municipaux s’étaient tellement battus pour avoir le droit de les porter sur eux. Enfin, là, de toute façon, il n’en était pas question des tonfas. Les tonfas, ils étaient dans les voitures de police et c’est vrai que l’intervention de Lorraine était parfaitement illégale et était un coup parfaitement foireux. Les choses ne devaient surtout pas être présentées comme ça. D’ailleurs le préfet prenait l’affaire en main.
En attendant, c’est vrai, il y avait deux types à l’hôpital.
L’un entre la vie et la mort, et l’autre 
dont on se doutait
 qu’il garderait  
longtemps des séquelles.
On eut donc droit à une super-introduction en langue de bois de chêne. La sécurité, le rôle des agents de sécurité, ce que nous leur devons. Le courage. Ils avaient frôlé la mort pour nous. Le plus dur pour Gargallaud était à venir.
Bien  entendu, les questions fusèrent. Avec ce qui venait d’être dit, la presse n’avait rien à donner à manger à ses lecteurs.

- « Vous avez parlé du quartier Maupassant, est-ce que vous pourriez donner les caractéristiques de la cité ?
 Le préfet, interloqué donna la parole au maire qui se racla la gorge et finit par lâcher :
-   « Oh vous savez, non. Il n’y a pas de cité Maupassant, ce n’est pas un quartier à proprement parler. D’ailleurs nous appelons ça un village. Non, il y a deux trois blocs d’habitat collectif, dont l’un a longtemps été prioritairement réservé aux gendarmes. Dire qu’il y a des problèmes, peut-être, oui,  on peut dire ça, comme partout. Mais enfin, il n’y a pas de trafic à proprement parler, de groupes tâchant d’imposer leur loi si vous cherchez par là.
-  Mais alors, si c’est un quartier sans problème, un village, alors qu’est-ce que faisait la police municipale en planque au petit jour ?
-  Ecoutez, l’enquête est en cours. La presse sera informée au fur et à mesure. »
Le préfet reprit la parole pour expliquer que le ministre en personne viendrait dans l’après-midi et serait à la disposition des journalistes pour un échange.
-  « Monsieur le Préfet, est-ce qu’on peut écarter tout lien avec le terrorisme islamiste ?
-  Nous n’écartons aucune hypothèse sur ce lâche attentat. Malgré tout la thèse islamiste ne semble pas la plus plausible. Il n’y a aucune revendication, et qui plus est aucun signe extérieur ne semble l’indiquer.
C’est là que Florence choisit d’intervenir :
-  Bizarre la façon dont vous parlez d’un lâche attentat. En attendant, il faut remarquer que ça ressemble à tout sauf à un attentat. On se retrouve avec un policier municipal qui nous fait du Benalla et pour qui ça se termine mal. D’accord, il fait preuve de plus de courage, ce qui n’est pas trop compliqué et il intervient alors même qu’il n’a même pas de cars de CRS pour le protéger. On espère que les policiers retrouveront vite leurs esprits  … parce que, bien entendu, il n’y aura pas d’enquête de l’IGPN, vu que ce ne sont pas des policiers d’Etat, et d’ailleurs, pour l’un d’entre eux, il n’est pas policier du tout. C’est d’ailleurs ça qui fait penser à Benalla et …
-  Et quelle est votre question ?
-  Eh bien, est-ce qu’il y aura enquête ? Est-ce qu’on saura s’il y avait volonté de tuer ou est-ce qu’il y a eu légitime défense de part ou d’autres ?
- Il y aura enquête, même si la police d’État n’a pas vocation disciplinaire vis-à-vis de la police municipale qui est de la responsabilité du maire. La justice va être saisie. Plus qu’un délit, il s’agit probablement d’un crime sur personne dépositaire de l’autorité publique. »
Le procureur prit la parole pour rappeler quelques réalités. Jusqu’à preuve du contraire, les victimes étaient celles qui étaient hospitalisées, quelque soit ce qu’elles aient pu faire auparavant. À cet égard, les allusions de la presse non professionnelle ont quelque chose de malsain. Il y a les victimes qui ont failli y laisser leur vie, il y a les familles des victimes. La police est un métier difficile, les agents qui l’exercent ont besoin du soutien de toutes les institutions, de toute la population, et il ne faudrait pas inverser les rôles. La presse devrait faire attention et ne pas se mettre du côté des voyous. 

Fermez le ban !
Circulez, il n’y a rien à voir. On ne savait pas trop si l’administration ne disait rien parce qu’elle ne savait rien ou parce qu’elle avait tout à cacher.
- « C’est la grande muette ! dit un journaliste
- Non, non, la grande muette, c’est pour l’armée. Là, c’est la petite muette. »
La petite pigiste venait d’en prendre pour son grade.  Mais elle pensait bien que c’est parce qu’elle avait mis les pieds dans le plat, soulignant toutes les incohérences de l’agression. Qu’est ce qui pouvait justifier que des taggers s’en prennent si violemment à la police ? Et quel pouvait être le sens des tags dans le quartier Maupassant ? Il n’y avait là ni enjeu esthétique, ni enjeu stratégique. Là-dessus, bien sûr, c’est vrai qu’on pouvait s’interroger sur ce qui avait poussé le chef de la police municipale à embarquer un collègue dans une aventure qui s’était tragiquement retournée contre lui.
En attendant, c’est vrai, il y avait deux types à l’hôpital. L’un, le chef, entre la vie et la mort, et l’autre dont on se doutait qu’il garderait  longtemps des séquelles.

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