mercredi 15 octobre 2008

LA CRISE, JUSQU'OU ?


La prochaine date du café radical est fixée : ce sera le vendredi 31 octobre à 18h30, au même endroit que d'habitude...

et puis, pensez aussi à votre nuit du 4 novembre, le café radical vous propose une surprise !


Prochain thème du café radical : LA CRISE, JUSQU'OU ?


Ce sera le moment de faire le point sur la crise financière, ses conséquences pour toutes et tous, en France et ailleurs dans les années à venir ...


En attendant, le café radical vous transmets l'excellent discours de Paul Giacobbi à la tribune de l'Assemblée Nationale. Au delà des clefs qu'il remet pour comprendre, il explique très clairement pourquoi les radicaux ont voté pour le plan d'urgence proposé par Nicolas Sarkozy... alors que les socialistes se sont abstenus et que le PC a voté contre.

Comment peut-on s'abstenir dans une situation pareille ? ... mais c'est une autre histoire. Voici le discours de Paul Giacobbi, bonne lecture !


Paul GIACOBBI, Député de Haute-Corse, est intervenu hier à la tribune de l'Assemblée Nationale sur dans la discussion générale sur le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, et donc sur le plan de sauvetage des banques.


Ce qu'il y a de bien dans les cataclysmes économiques, c'est qu'ils bousculent d'une façon bénéfique les certitudes les mieux établies.

Ainsi, après avoir déclaré, le 20 septembre dernier, que le « risque systémique » était derrière nous, Mme la ministre de l'économie nous a affirmé ici même, le 8 octobre, répondant à une question précise de ma part, que les banques françaises étaient exceptionnellement dotées en fonds propres, qu'elles n'avaient donc pas besoin d'être recapitalisées et que, de surcroît, elles ne voulaient pas que l'État participe à une opération de recapitalisation à leur profit.

Votre raisonnement, madame la ministre, était fondé sur une différence entre la France et la Grande-Bretagne quant au niveau du ratio Cook. Dans la situation où nous sommes, ce n'est pas la question essentielle. Que peut bien signifier, en effet, d'avoir un ratio de 6 % ou de 8 % de fonds propres par rapport aux engagements de crédits quand on ignore totalement ce que sont les pertes des banques et leur capacité à maintenir encore des fonds propres dans une tourmente financière sansprécédent ?

Toujours est-il que le Gouvernement, ou plus exactement la ministre de l'économie, après avoir indiqué ici même il y a moins d'une semaine que les banques françaises n'avaient pas besoin de l'État pour les recapitaliser et qu'elles n'en voulaient à aucun prix, nous demande aujourd'hui d'approuver dans l'urgence et à l'unanimité un plan qui consiste pour l'État à emprunter, par personne interposée mais avec sa garantie, 360 milliards d’€ pour recapitaliser nos banques ou pour les refinancer à moyen terme.Ce n'est plus du volontarisme, c'est du harcèlement que de vouloir imposer à ces banques françaises « bien fondées en fonds propres, bien contrôlées » une recapitalisation, un refinancement garanti par l'État dont elles ne veulent pas et dont elles n'ont pas besoin !

Cependant, maintenant que ce point est tranché, il reste deux questions essentielles.

La première est de savoir quel sera l'impact d'un financement par emprunt sur les marchés de tous ces plans coordonnés européens. En effet, la mise en œuvre des mesures décidées au sein de l'Eurogroupe élargi à la Grande-Bretagne, qui en est le principal inspirateur, représenterait, même si on n'atteint que la moitié des plafonds envisagés des emprunts opérés sur le marché par des institutions publiques garanties par l'État, plusieurs centaines milliards d'€, soit beaucoup plus que ce qui se fait habituellement. Nous ne savons pas aujourd'hui quel niveau les emprunts atteindront réellement. Vous nous dites que tout va bien et que l'on n'en aura peut-être pas besoin. Tant mieux, mais personne ne peut déterminer globalement ce montant. D'un côté, les États apporteront du capital aux banques ou leur procureront des liquidités à moyen terme, mais, de l'autre, ils assécheront, ce faisant, les marchés financiers à un niveau très supérieur à ce qui se pratique habituellement.

La seconde question suppose de prendre un peu de hauteur. Le fondement même de la crise, ce ne sont pas les titrisations massives de créances immobilières à risque, ni les « hedge funds », ni même la pratique des injections massives de liquidités ou l'abaissement anormal des taux d'intérêt aux États-Unis ; c'est plutôt le fait que, depuis plus d'un demi-siècle, ce pays et, dans une certaine mesure, d'autres pays occidentaux vivent à crédit en aspirant l'épargne du monde entier. Cette analyse n'est ni nouvelle ni originale. La littérature économique regorge depuis des décennies d'analyses passionnantes sur la balance des paiements américaine, la folie de la multiplication monétaire sur la base de dollars détenus par des banques non résidentes américaines, et plus généralement sur l'inquiétante histoire du dollar. Pendant des décennies, on est toujours sorti des crises de ce type, qui étaient moins graves, par des injections massives de liquidités et l'abaissement des taux de la réserve fédérale. Dès janvier 2008, Georges Soros prévoyait que ce mécanisme allait atteindre sa limite.

C'est ce qui s'est produit et c'est la raison pour laquelle partout dans le monde ou presque les États interviennent directement apportant leurs moyens financiers ou leurs garanties, dans un mouvement d'une ampleur sans précédent dans l'histoire financière.

Les perversions de marché qui ont consisté à multiplier les instruments opaques généralement fondés sur un principe bien connu des escrocs consistant à gonfler artificiellement les gains des souscripteurs non pas sur des opération réelles, mais à partir de l'apport de nouveaux souscripteurs ne sont qu'une des conséquences de la dérive fondamentale consistant, pour l'occident, et essentiellement pour les États-Unis, à vivre au-dessus de ses moyens.

Aujourd'hui, les mesures que vous proposez sont les seules possibles à court terme. Pratiquement tout le monde ici en convient. Nous espérons tous qu'elles permettront au système bancaire de fonctionner à nouveau, ou au moins de survivre. En revanche, il serait exagérément optimiste de croire qu'elles suffiront à régler le cœur du problème, celui du déséquilibre fondamental des économies des États-Unis et d'une partie de l'Occident, pas seulement de l'Islande, habitués depuis si longtemps à vivre au-dessus de leurs moyens sur le dos des épargnants du reste du monde.

En dernière analyse, les mesures que nous allons approuver aujourd'hui consistent à rechercher la solution à une situation de surendettement chronique dans une nouvelle vague d'emprunts, ce qui à l'évidence ne peut régler définitivement le problème, même avec une garantie de l'État. Si votre plan, celui de la France, celui que nous allons voter tout à l'heure, celui qu'en tout cas j'approuverai en conscience, assure la survie de nos banques, il ne suffira pas à l'évidence à les remettre sur pied et à leur faire faire retrouver dynamisme et performance. Le malade est sauvé, mais il est grabataire et sous perfusion, ne nous attendons pas à ce qu'il se remette normalement au travail de sitôt et qu'il témoigne de dynamisme et de performance. Nous ne sommes pas à la fin de la crise. Pour paraphraser un discours célèbre, nous ne sommes même pas au commencement de la fin. Mais nous sommes peut-être à la fin du commencement.

La phase de défaillance des banques est en cours, mais elle n'est pas achevée. Si les marchés financiers ont bien réagi hier aux annonces européennes, rien n'est acquis pour demain et l'évolution des marchés reste aujourd'hui incertaine. Les bourses réagissent ces jours-ci de manière très psychologique et leur comportement est typique du syndrome maniaco-dépressif, alternant des phases de prostration morbide et des périodes d'exaltations euphoriques. Il faut attendre que les plans soient effectivement mis en œuvre, ce qui ne sera pas fait avant quelques jours, voire plusieurs semaines, pour juger de leur effet. En France, comme aux États-Unis, leur mise en œuvre aura une importance capitale et, par exemple, le point de savoir quels papiers on admettra au refinancement est extrêmement important.

On nous explique ici que l'on ne prendra que des papiers d'une telle qualité que je me demande si le refinancement fonctionnera. Le vrai test sera la reprise ou non des marchés interbancaires, et le retour des taux entre banques à des niveaux proches des taux directeurs des banques centrales.

La deuxième phase, c'est évidemment la restriction massive du crédit qu'il sera difficile d'éviter, mais dont il faudra essayer de limiter l'impact par des mesures appropriées. Je dois le dire franchement, c'est ce que vous avez commencé à faire, notamment pour les PME, le logement et l'investissement des collectivités locales. Vous avez amorcé ces mesures au titre des contreparties aux garanties de refinancement et aux recapitalisations garanties par l'État ou par la réorientation des moyens disponibles de certains fonds d'épargne. Nous verrons quel résultat cela donnera. Pour le moment, tout cela est putatif.

La troisième phase, c'est la récession – je sais bien qu'aujourd'hui il est de bon ton de parler de croissance négative, mais en français cela s'appelle de la récession ! – qui apparaît de façon inévitable au moins pour l'année 2009 et qui intervient alors même que les budgets publics, à peu près partout dans le monde, sont dans l'incapacité de financer des plans de relance.

La quatrième phase consiste à trouver un nouvel équilibre économique pour notre monde. Bien qu'il soit devenu inconvenant de citer les prévisions d'une banque d'investissement américaine, je relève que Goldman Sachs indiquait dans ses études successives sur les projections de taux de croissance dans le monde que la Chine et l'Inde dépasseraient en PIB global les États-Unis et l'Europe bien avant le milieu de ce siècle – à peu près en 2040.Tout semble indiquer aujourd'hui que si l'Asie émergente subira un contrecoup de notre crise, l'écart de nos taux de croissance respectifs restera au minimum constant, de telle sorte que les projections précitées demeurent parfaitement valables. Les situations financières respectives de l'Asie émergente, d'une part, et des États-Unis et de l'Europe, de l'autre, pourraient même nous laisser penser que les écarts vont se creuser en termes de taux de croissance. Quoi qu'il en soit, vous avez eu raison de souligner que l'on ne peut pas envisager de solutions profondes efficaces et pérennes à cette crise sans un accord fondamental avec ces économies qui allient une croissance très dynamique, notamment quand elle est fondée sur le marché intérieur –ce qui est le cas de l'Inde – et des situations financières bien plus saines que les nôtres.

Je termine en formulant le vœu qu'au-delà de ce débat et du vote qui va suivre, le Gouvernement, dans un contexte de crise durable, associe étroitement le Parlement à ses décisions. Vous me direz que c'est la moindre des choses puisque le Parlement est censé voter la loi, mais comme j'ai entendu dire qu'il ne devait pas prendre de décision dans la crise, je me réjouis que l'on en soit venu à le faire voter aujourd'hui ! Si les pays du monde peuvent s'unir dans une vision commune des solutions à mettre en œuvre, il n'est pas impossible d'espérer qu'au sein de notre pays nous parvenions progressivement à une communauté de vue sur l'essentiel. Mais cet accord demande des efforts de part et d'autre, de notre part certainement, de la vôtre assurément.

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