vendredi 3 avril 2009

Le choc des photos


Pris pour un violeur, un homme a été lynché en pleine rue à Montreuil
LE MONDE 30.03.09 13h55 • Mis à jour le 30.03.09 13h56
ans le quartier du Bel-Air, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), l'affaire fait beaucoup de bruit. Le 12 mars, un homme d'une trentaine d'années s'est fait lyncher en pleine rue devant le centre commercial, par plusieurs dizaines de personnes. Le motif ? Sa ressemblance avec le "violeur des stades", un pédophile en cavale soupçonné de plusieurs viols commis entre août et décembre 2008 sur de jeunes garçons aux abords des stades parisiens.

Dans les jours qui ont précédé l'agression, un portrait-robot du criminel a circulé sur les portables. "Les pères de famille tournaient dans le quartier avec la photo du pédophile, ils voulaient lui faire la peau", se rappelle un jeune habitant. "On savait que le pédophile rôdait près de l'école", raconte une mère de famille. "J'interdisais à mon fils d'aller seul dehors, j'avais très peur." Cette psychose aurait pu coûter la vie à un innocent, qui n'a en commun avec le violeur que ses origines maghrébines, sa barbe mal rasée et ses cheveux courts.
Jeudi 12 mars, en fin d'après-midi, un passant le prend pour le pédophile recherché, selon un portrait-robot qu'il avait vu dans le stade parisien où s'entraîne son fils. L'homme lui a d'abord tiré dessus au moyen d'un Flash-ball, pour l'immobiliser, avant de prévenir la police. Très vite, un attroupement de 20 à 30 personnes s'est formé autour de lui. L'innocent, effrayé, a pris la fuite. Une réaction interprétée comme un aveu de culpabilité. S'en est ensuivi un véritable lynchage : la victime, plaquée au sol, a été rouée de coups de poing et de pied.
"Il est clair que si la police avait dû différer l'intervention, les conséquences auraient pu être beaucoup plus dramatiques, compte tenu de la violence des coups et du nombre d'agresseurs", observe le commissaire de Montreuil, Thierry Satiat. Ce sinistre incident s'est achevé à l'hôpital en réanimation : la victime, totalement défigurée, souffre de multiples fractures et contusions au visage, à l'abdomen et aux jambes. Les médecins lui ont prescrit trente jours d'interruption temporaire de travail.
"LA LOI DE LA RUE"
"C'est un malheureux concours de circonstances", estime un commerçant témoin de la scène. "Le type n'a pas eu de chance, il avait le même visage que le violeur. N'importe quel père aurait fait pareil." Selon lui, l'incident était inévitable : "Un pédophile était en cavale depuis un an et la police ne réagissait pas. La loi de la rue a dû prendre le relais." Pour son collègue de travail au contraire, ce genre de réaction est "inadmissible" : "Il faut laisser la police faire son travail, on ne peut pas se faire justice soi-même." Bel-Air est un quartier populaire réputé calme. La menace d'un pédophile en liberté "a engendré un sentiment de peur tel dans le quartier qu'il a fait céder les barrières entre les gens, car elle touchait à ce qu'ils ont de plus précieux : leurs enfants", estime Dominique Voynet, la maire de Montreuil.
Deux enquêtes ont été lancées : la première pour savoir dans quelles conditions l'agression a été commise, la seconde pour connaître l'origine de la diffusion du portrait-robot. La municipalité et la police affirment ne pas avoir diffusé la photographie du violeur en liberté. "Il fallait protéger les enfants, rappelle Mme Voynet, mais comme le visage de l'homme ressemblait à celui de M. Tout-le-Monde, il risquait de tenter les gens de se faire justice eux-mêmes."
L'homme à l'origine du lynchage a été mis en examen samedi 28 mars pour "violence avec arme en réunion avec préméditation" et incarcéré à la maison d'arrêt de Villepinte. Selon la police, il parle d'une "mission" dont il s'est senti investi, celle de neutraliser celui qu'il croyait être le violeur. "La situation lui a ensuite complètement échappé", précise le commissaire. Selon plusieurs témoins, il s'agirait d'un père de famille, employé à la Ville de Paris, dont le fils avait été abordé par le pédophile, avant d'être sauvé de justesse par un parent. Le vrai suspect, Halim Taguine, a quant à lui été mis en examen une semaine après l'agression, le 19 mars, à Bobigny, pour "viols et tentatives en récidive".
Aurélie Collas
Article paru dans l'édition du 31.03.09


Tout est dit dans cet article sur les principes de la justice et du droit, sur l'impossibilité et le danger de se faire justice soi-même et sur le danger que représente l'engrenage de la violence, sitôt qu'elle semble légitimée...


Mais l'histoire montre aussi la nouveauté et de la fausse puissance de notre environnement numérique. Ce fait divers, c'est le choc des photos, au sens propre !

Qu'une photo circule sur un portable, et elle se transforme en élément de preuve. Nous voyons à quel point l'image circule vite et se prête à toute manipulation. Nous voyons à quel point l'image, sa diffusion gère nos vies citoyennes modernes. Ce phénomène justifie à lui seul l'importance d'une vidéo-surveillance publique par ce qu'elle montre la puissance et l'omniprésence d'une vie sociale numérique et de ses dangers. Chacun filme chacun, ce qui multiplie les moyens de notre curiosité, et de notre envie avec les dangers qui en découlent.

La justice, la police, qui représentent la puissance publique doivent être contrôlées. C'est le principe de la démocratie. Mais elles doivent aussi disposer de moyens techniques supérieurs ou au moins égaux à ceux dont disposent des individus sur lesquels ne doit pas s'exercer a priori de surveillance publique.

C'est le nouvel enjeu des libertés et de la sécurité de nos sociétés modernes.

Dans ce cadre, le rejet a priori d'une vidéo-surveillance, alors que chacun peut en disposer en privé peut se révéler d'une naïveté tragique...


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