D'abord parce qu'il coupe court aux démagogies anti-impôts qui ont sali le débat lovérien, ensuite parce qu'il anticipe ce qui ne manquera pas d'arriver dans les deux ans à venir : la hausse inéluctable de la contribution fiscale, en contradiction absolue avec les propos du Président Sarkozy. C'est aussi ce qu'a rappelé François Chérèque sur France inter mardi matin.
Au delà de ses propos tranchants, la sagesse de la réflexion nous donne des points de repères essentiels sur l'action et la réflexion politiques.
Les gouvernements ont-ils bien réagi face à la crise ?
Ils ont gardé la mémoire de la grande crise des années 1930 et de ce qui est arrivé au Japon, resté bloqué pendant dix ans. Je trouve cela réconfortant. Ils n'ont pas commis d'erreurs dans la gestion de la crise. Aujourd'hui, ils font face à trois problèmes. Le premier est le risque d'insolvabilité des banques. Là, chacun, à sa manière, a fait le nécessaire. Les autorités américaines ont tout de suite compris qu'il fallait éviter de nouvelles faillites de banques comme il y en a eu en Grande-Bretagne et comme cela s'est produit, on peut le dire, pour Dexia et pour Fortis dans une certaine mesure. Deuxième problème : le risque de liquidités. Il n'est toujours pas surmonté, même si le marché interbancaire fonctionne un peu mieux. Le troisième risque est celui d'un recul trop important de la production. Hélas, la concertation et la coopération dans ce domaine en Europe sont insuffisantes.
Cela vous surprend-il ?
Non. Lorsque j'avais proposé, il y a dix ans, qu'il y ait, au sein de l'Union économique et monétaire, à côté du pacte de stabilité monétaire, un pacte de coordination des politiques macro-économiques, ce n'était pas simplement par souci d'équilibre entre le monétaire et l'économie. Je savais d'expérience que la coopération détruit peu à peu les murailles de méfiance ou d'égoïsme entre les pays. Or, aujourd'hui, ce climat de confiance réciproque n'existe pas.
Le volontarisme de la présidence française était-il seulement de façade ?
Pas du tout. Ne coupons pas les cheveux en quatre. La présidence française a été positive. Elle a secoué le système, mais il y a un problème de fond. L'Europe des institutions (Conseil des ministres, Parlement, Commission) s'est affaiblie au profit de l'Europe des États. Désormais, tout remonte au Conseil européen. Mais que peut-on faire à vingt-sept en deux demi-journées et un dîner ? L'Union économique et monétaire boite. Du côté monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) agit plutôt bien. Mais c'est l'autre volet qui manque.
Le plan de relance français a été critiqué pour son manque d'ampleur. Qu'en pensez-vous ?
En général, la France réagit plus tardivement aux crises, mais elle souffre plus longtemps du fait d'une compétitivité insuffisante. C'est la raison pour laquelle j'aurais été partisan qu'on équilibre davantage les mesures de soutien à la consommation et d'aide à l'investissement. Il y a un autre problème que personne n'ose poser : pourra-t-on sortir de cette crise sans un petit peu d'inflation ? La Commission européenne devrait bâtir quelques scénarios avec la BCE, prévoyant ou non un taux d'inflation au-dessus de 2% qui permettrait, sans être galopant, de faciliter la reprise et le remboursement des dettes.
Vous, le père de la désinflation compétitive, vous préconisez un peu plus d'inflation ?
Je pense qu'il sera difficile d'obtenir un rebond de l'économie, compte tenu de notre endettement, sans accepter provisoirement un peu plus d'inflation rampante. Je suis également persuadé que la France devrait montrer vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce autre chose que cet air ronchon. Son attitude a un fond de culture protectionniste et franchouillarde. Elle doit reprendre l'initiative, d'autant que ce n'est pas là que notre agriculture est menacée. Elle l'est davantage par les réformes envisagées de la politique agricole commune.
Face au choc social, le gouvernement devra-t-il adopter d autres mesures ?
Nous sommes arrivés au bout des mesures à court terme. Il faut maintenant envisager le problème général de la demande et surtout laisser tomber l'orgueil. Le pouvoir n'ose pas revenir sur l'exonération des heures supplémentaires ni sur le bouclier fiscal. Deux mesures à contre-temps. Si l'on veut préserver le capital humain, éviter les licenciements, c'est indispensable.
Pourra-t-il éviter d augmenter les impôts ?
Sûrement pas. L'impôt citoyen par excellence, c'est l'impôt sur le revenu. Éluder la réflexion sur ce sujet constitue une grave erreur, au moment où il faut impérativement investir dans le social.
"Investir dans le social" que voulez-vous dire ?
L'État providence est en crise : de financement et d'efficacité. En partie parce qu'il n est plus du tout adapté à l'évolution de la société. C'en est fini du modèle où le chef de famille assurait, par son travail, la protection sociale de toute la famille. L'emploi est devenu pour chaque individu un élément essentiel d'intégration et de citoyenneté.
Nicolas Sarkozy avait donc raison d'en faire un thème dominant de sa campagne ?
Il n'avait pas tort. L'inégal accès à l'emploi, ce que nous appelons "l'emploi en miettes" est devenu la principale cause d'inégalités. C'est contre cette injustice qu'il faut lutter par toute une série d'investissements sociaux : dans la garde d'enfants collective pour encourager le travail féminin, dans l'éducation et la formation pour lutter contre l'échec scolaire, etc.
Peut-on réaliser cet investissement social en période de crise ?
Bien sûr, à condition de cesser de raisonner à court terme. Un exemple : pour les jeunes, Martin Hirsch a suggéré que l'on puisse faire des pré-embauches. Aussitôt le patronat s'est inquiété. Mais chaque année, 100 000 personnes de plus partent à la retraite et 80 000 jeunes en moins cherchent du travail. C'est une bonne opportunité.
Comprenez-vous la démarche de Martin Hirsch, homme de gauche, qui participe à un gouvernement de droite en se disant : l'important est de faire aboutir les dossiers ?
Martin Hirsch se dit : "demandons 100 pour obtenir 50". Mais on ne peut effacer comme ça les clivages politiques. Ce qui se passe sur les jeunes est symptomatique : un jeune sur six quitte l'enseignement secondaire sans diplôme. Nous avions proposé une mobilisation générale des moyens de l'éducation nationale, des acteurs de la formation continue, du service public de l'emploi pour redonner confiance et capacités à ces jeunes. Sans succès.
Les syndicats français sont-ils capables de s'engager dans des réformes ?
Il faut être indulgent avec eux. Ils savent qu'ils doivent se réformer. Mais ils ne peuvent pas cavaler derrière le président de la République. L'État doit leur dire ce vers quoi il faut aller et les laisser ensuite négocier sur des objectifs assez précis. Le rythme actuel est incompatible avec un travail de fond.
La montée de l'individualisme n'est-elle pas un frein à la solidarité ?
C'est vrai qu'il faut se battre contre une société de l'indifférence où l'individu serait considéré comme seul juge de ce qui est bon ou mauvais. Il faut aussi lutter en France contre l'héritage néo-républicain qui veut que la République étant une, l'égalité irait de soi. Nous voulons une société plus solidaire dans les faits en recherchant sérieusement l'égalité des chances, faute de quoi nous irons vers de très graves difficultés sociales.
La crise peut-elle aider à changer les mentalités ?
Oui, mais à une condition : qu'on rende sa fierté au service de l'Etat et de l'intérêt général. Aujourd'hui, on est dans l'idéologie du court-termisme. Le commissariat au Plan permettait de voir loin. Il a été supprimé. L'Insee produit des statistiques reconnues dans le monde entier. Il est malmené. La haute fonction publique élabore des rapports d'excellente qualité, mais qui s'en soucie ? Dans les cabinets ministériels, la "com" a pris le dessus sur tout le reste. Il faut être vigilant et se méfier des possibles retours en arrière : le monde de la finance est peu enclin au mea culpa et beaucoup se disent : "quand on sera renfloué, tout pourra recommencer comme avant !".
Vos réflexions sont-elles une invitation au PS à se rénover ?
Par rapport à la gauche, je me considère comme un simple adhérent. Je ne suis pas là pour faire élire mais pour faire débattre, ce que permet l'évolution actuelle du PS qui a ouvert les portes aux partenaires sociaux et aux intellectuels.
Interview réalisée par Alain Frachon, Françoise Fressoz et Claire Guélaud
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