vendredi 6 mars 2009

La réintégration définitive de la France dans l’OTAN : un garde fou face aux dérives.


Ci-dessous, un article de Jacques SOPPELSA.

Jacques Soppelsa n'est pas seulement secrétaire national du parti radical de gauche. Il est aussi Agrégé de géographie , Docteur d'Etat ,et Professeur de géopolitique à l'université Paris I (Panthéon-Sorbonne). Enfin, il a été président de la fédération française de rugby à 13.

Son article donne un éclairage utile sur la question de "la réintégration de la France dans l'OTAN". Là dessus, son point de vue est que ni la France, ni la gauche ne peuvent continuer à raisonner sur des fantasmes... Et faites attention à sa citation de Thucydide




Depuis que le Président de la République a annoncé son souhait de voir la France réintégrer définitivement les différents organes institutionnels et opérationnels de l’Alliance Atlantique, la polémique a (naturellement !) surgi et, avec elle, tout un cortège de mythes, de malentendus, sinon de contre vérités manifestes.

Passons sur l’article pathétique signé dans un quotidien du soir par l’ancienne candidate aux élections présidentielles, qui montre ici, à nouveau, sa méconnaissance ahurissante des grands problèmes internationaux. Plus étonnante fut, à mon avis, l’argumentation de réfutation d’un ancien Premier Ministre, rejoignant les cris d’orfraie poussés par certains héritiers auto proclamés de la doctrine gaullienne du splendide isolement...

Je sais bien que Jaurès soulignait avec pertinence que « l’on ne dit pas ce que l’on sait, on dit ce que l’on est » !

De quoi parle t on en réalité ?

1) La première confusion est classique : la France ne va pas réintégrer l’Alliance Atlantique, et pour cause, car elle ne l’a jamais quittée !

Elle s’était « simplement » (via la décision certes spectaculaire de De Gaulle, en 1966 ) des organismes opérationnels créés ultérieurement, en aval, pour préciser la doctrine de ladite organisation et concrétiser ses objectifs et ses moyens..

2) L’Alliance Atlantique a évolué... Nous allons célébrer le 4 Avril prochain les soixante ans de sa création ! L’Alliance est née en 1949, dans la foulée de l’émergence de la Guerre Froide et du rideau de fer qui s ‘abat, comme le fustigea Sir Winston Churchill, à travers l’Europe Centrale .Chacun connait la teneur du Traité et, notamment, de ses articles 2 et 5. L’Alliance est clairement un traité de Défense collective pour faire face au Bloc de l’Est.

Thucydide rappelait jadis quun traité ou une coalition disposait d’une durée de vie moyenne de l’ordre d’une trentaine d’années ! Ce fut, grosso modo, le cas du Pacte de Varsovie. Et, en soixante ans, le monde a changé et les objectifs de l’Alliance aussi !J’ignore si la planète s’oriente, depuis deux décennies, vers un système géopolitique unipolaire (thèse de Fukuyama ou de Kennedy)), un système uni multipolaire (vision de Samuel Huntington), ou en voie de multipolarisation (thèse de Joseph Nye..)

Ce que je sais, en revanche, comme tout le monde, c’est que le système bipolaire créé à Yalta et conforté par la saga du nucléaire, a disparu à la fin des années quatre vingt !.Et, avec lui, la menace soviétique…Notons que certains experts, eu égard à ce constat, en tirent la conclusion que, la menace disparue, l’instrument fabriqué pour faire face à ladite menace devient obsolète et que la survivance de l’Alliance Atlantique serait de facto une « anomalie ».

Nous pensons précisément le contraire ! Naguère, l’OTAN était un strict instrument de Défense collective, dont la compétence exclusive concernait les menaces extérieures, une compétence fort éloignée, en principe, de celle des instruments de Sécurité collective illustrés, par exemple, par l’Organisation des Nations Unies.


3) On touche ici du doigt le cœur de la problématique. En effet :.depuis 1990-1991, l’OTAN tend de plus en plus à se manifester concrètement (témoins la Bosnie ou le Kosovo) en qualité d’instrument de sécurité collective. Une « dérive» que certains explicitent par la volonté (plus ou moins sournoise) des Etats Unis, noyau dur de ladite Alliance, de conforter discrètement leurs ambitions de « gendarmes du monde ». Une dérive qui ne peut pas laisser indifférente la communauté internationale en général, l’Union Européenne et la France en particulier

Et comment faire face à ces éventuelles dérives en restant à l’extérieur de l’organisation militaire intégrée ?

Ici, quelques brefs rappels historiques ne sont peut être pas totalement inutiles. 1966, avec l’initiative spectaculaire de De Gaulle ne fut, ni un commencement, ni une fin !

Ni un commencement : Rappelons que dès 1958, De Gaulle avertissait Eisenhower et McMillan de sa décision de retirer l’escadre française de la Méditerranée du commandement Otan (AFMED)Et en 1959, la France enlevait aussi notre escadre atlantique du commandement de SACLANT..

Ni une fin :Dès 1967, Paris « rectifie le tir »ou plutôt, le précise. Les Accords Ailleret-Lemitzer confirment le principe de « continuité opérationnelle » Au delà (ce qui n’est certes pas négligeable) du constat que la France confirme son opposition à tout engagement automatique, Paris, en cas de guerre, placera « ses forces dans une situation guère différente de celle qui était la sienne avant 1966 » Le principe de coopération en matière de forces conventionnelles est confirmé en 1977 par les Accords Valentin-Freber et, en 1979 , par les Accords Biard-Schultz.Mieux, plus significatif encore, tout au long du premier mandat de François Mitterrand, la coopération …nucléaire est réaffirmée... Mais les dates clefs quant à l’évolution des rapports entre la France et l’Organisation militaire intégrée demeurent celles de 1991 (la France s’associe désormais aux travaux du Comité des Plans de Défense de l’OTAN), de 1995 (la France participe de plein droit au Conseil des Ministres de l’Alliance) et de 1996 (Paris réintègre l’organe exécutif de l’OTAN, son Etat Major international.


4) Cette évolution édifiante correspond aussi, il faut le reconnaître, à un échec patent de la construction européenne en matière de défense. Les bilans de la PESC et de la PESD demeurent, aujourd’hui, singulièrement médiocres. Les lenteurs des négociations, l’insuffisance des moyens, le rôle (subtil ?) de la Grande Bretagne, se sont conjugués (plus que l’éternelle évocation du nucléaire français) pour aboutir (provisoirement, espérons le) à un constat de semi échec, même si, en ce domaine comme en beaucoup d’autres, la Présidence française de l’Union a boosté Bruxelles et nos partenaires de manière particulièrement significative...A l’Europe élargie a correspondu en outre un élargissement spatial de l’Alliance avec l’adhésion, notamment, il y a dix ans, de la trilogie « Pologne,Hongrie,Tchèquie », une adhésion également fort révélatrice. De facto, avec la multiplication de nouvelles menaces, internes aux membres de l’Alliance (et confinant donc à des objectifs de sécurité collective), du terrorisme international à la pérennisation des contentieux intra étatiques ou à la banalisation de la cybercriminalité) la tentation de voir l’OTAN s’immiscer progressivement dans un champ de compétences qui n’était pas le sien, eu égard à la faiblesse des organismes ad hoc, de l’ONU à la PESD…est de moins en moins hypothétique et virtuelle.

Face à cette situation, deux options s‘offraient à la France :-L’isolationnisme , « la chaise vide » (un recul de fait par rapport au statu quo ante). Paris afficherait son splendide isolement (avons-nous les moyens de cette politique,) et se cantonnerait à un strict rôle d’observateur des péripéties internationales ou, au mieux, agirait au coup par coup. On doute alors de son poids réel dans la gestion des crises...-la réintégration complète, l’option clairement affirmée par le Président de la République. Et loin de perdre une quelconque autonomie, nous contribuons alors pleinement au recentrage des objectifs de l’Allliance. Tout en oeuvrant pour la mise en place à moyen terme d’une véritable défense européenne.

Un expert affirmait récemment, (pour en tirer la conclusion qu’il fallait se retirer définitivement de l’Alliance) : « l’OTAN n’est plus l’outil du Pentagone..mais le furet de la géopolitique gérée par le Secrétariat d’Etat ».

J’ignore si Barak Obama va modifier profondément la politique extérieure sécrétée par ses prédécesseurs ou se cantonner (realpolitik oblige) dans quelques inflexions. En revanche, quant au « furet », je tire des conclusions aux antipodes de celles dudit expert : C’est précisément pour éviter que ce dernier ne commette quelques ravages irréversibles que la présence pleine et entière de Paris au sein de l’édifice OTAN est plus que jamais nécessaire. Quant à la question du nucléaire (les adversaires de la réintégration évoquant régulièrement cette dernière en tant qu’obstacle), le fait que la France dispose d’une force de dissuasion indépendante ne nous parait pas contradictoire avec la défense des intérêts collectifs des membres de l’Alliance, sauf à oublier la spécificité même de semblable force de dissuasion..

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