mercredi 13 novembre 2019

Poulidor/Anquetil


Leçon de dialectique

Mano a mano en 1964 dans le Puy de Dôme qui a fait entrer le couple maudit
dans l'Histoire. Les boyaux se touchent, les épaules aussi, mais les corps
s'écartent sous les regards de la presse motorisée.  

Dès le départ, j'avais fais mon choix. Poulidor, le héros de mon grand frère, Poulidor, mon repère, poulidoriste j'étais, poulidoriste je reste, poulidoriste à jamais. Mais à présent qu'à son tour, Poulidor nous a quitté, je suis bien obligé de m'interroger : qu'aurait été Poulidor sans Anquetil ? mais au delà de ces défis couplés qui créent la passion sportive, que serait Bourvil sans De Funès ?  Et que serait la droite sans la gauche ? Que serait le Paradis sans l'Enfer ?  Poulidor et Anquetil nous ont offert une leçon de dialectique à la française. 


A la question "Quels points communs entre Anquetil et Poulidor ?" 
Bernard Thévenet, semblait bien embêté ce midi sur France Inter. Pris à froid, il a bredouillé ce qu'il pouvait et l'on sentait qu'il priait le journaliste de passer à la question suivante. 

Il reste que, pourtant, ils faisaient le même métier au même moment, parfois au même endroit. Ils étaient le débat français d'une génération de plus en plus urbaine et industrielle qui découvrait les vacances en voiture, la télévision, et l'urbanité. Eux, ils étaient ancré au monde rural, lieu de la dureté, de la nécessité et de la permanence de l'effort physique... Ils passaient en vélo là où les français se rendraient en voiture. Pour le reste, c'est vrai, tout les séparait, et c'est dans cette séparation, dans cette opposition qu'ils se construisaient. 

J'aurais dû être Anquetiliste. J'étais aussi Normand que lui. De Mont-Saint-Aignan, où il est né et où j'ai passé mon enfance. Des lieux qu'il a hanté, Quincampoix, Saint-Adrien et la Neuville Chant d'Oisel, ce village au nom magnifique avant que je ne m'installe dans l'Eure où partout courent des légendes à son sujet et à Louviers, où il avait sa banque, la même que moi ... ! sauf que moi, on ne me reçoit jamais dans une entrée particulière ... je me demande d'ailleurs pourquoi ... bref ! J'avais tout pour être anquetiliste... 
Mais finalement, quoi d'étonnant si je suis devenu Poulidoriste, quand j'apprends que Sophie Anquetil, a 4 ans, a réclamé à son père un cadeau signé Poupou. 
Anquetil était dans le rôle du mauvais, Poulidor était dans le rôle du bon. Anquetil était transgressif. Anquetil cassait tout. Les règles, la morale (voire à ce sujet le livre de sa fille Sophie Anquetil, racontée dans ce document INA). Anquetil était celui qui était prêt à tout pour vaincre, quitte à tricher, à se doper et même à en parler.  On ne sait si son cancer était dû à l'alcool ou au dopage. Il représentait de ce point de vue ce qu'on peut faire de pire dans la vision rurale Normande, ne supportant aucune contrainte et ce d'autant moins que la nature lui avait donné les moyens ... piquant la femme de son médecin, devenant l'amant de la fille de sa femme ... bref, regardez à ce sujet le document INA signalé plus haut, ou lisez le livre de Sophie Anquetil.
Rien n'est venu entacher la carrière de Poulidor, qui représentait la ruralité tranquille, modeste même s'il puissamment enrichi en vendant sa notoriété. Il était le brave type. Celui qui ne vous ferait jamais de vacherie. Celui qui n'avait pas à se venger de quoi que ce soit, des sales coups de l'existence qu'on veut rendre avant de partir. 
Bref, Anquetil n'était pas sympathique et il n'a jamais voulu laisser gagner Poulidor, une fois, rien qu'une petite fois.. allez, un maillot jaune, juste une journée, un demi-étape, Jacquot, tu pourrais quand même ! Il n'a jamais voulu ! Méchant qu'il était ! et pourtant, que serait Poulidor, sans Anquetil. Dans tout ce qu'on peut lire des longues années de concurrence exacerbée entre les deux hommes, Poulidor déclare qu'il aurait bien aimé être sifflé de temps en temps. C'est beau, c'est comme si sa popularité lui avait empêché de gagner le Tour. 
On dit qu'Anquetil était tacticien, plus roublard, plus malin voire malicieux. Peut-être. Sans doute le cyclisme est-il le plus tactique de tous les sports, ce qu'on mesure d'ailleurs à présent avec la façon dont les épreuves sont de mieux en mieux filmées. Il n'empêche, en force pure, ce que mesure le contre la montre, Jacques Anquetil était supérieur. Après, il y avait le reste d'une épreuve harassante, et où la réflexion tactique se produit précisément dans un moment où le corps est poussé à ses possibilités extrêmes. Après, il y a a beauté de la compétition, celle qui nous confronte à l'autre comme une part de nous-même. 
Et, même si tous les opposait, ils ne faudrait pas omettre les fondamentaux. Il s'agissait de champions et de tacticiens exceptionnels. Dans les anecdotes qui circulent, celle où Poulidor raconte qu'il a gagné au poker avec Jacques Anquetil,  ramassant au passage une mise importante en expliquant qu'à chaque fois qu'Anquetil tentait de bluffer quelque chose le trahissait ... et puis, ne jamais oublier non plus que Poulidor se faisait payer davantage lors des critériums, compte tenu de sa popularité. Comme quoi, pour aller dans le sens de Coubertin, l'important n'est pas toujours de gagner. 
Les deux champions dans un tour d'honneur. Se retrouveront-ils au Paradis ?
Peu probable. Ils n'en ont pas besoin . Ils ont gagné déjà l'éternité. 
Ils ont participé à ce manège enchanté, ce Tour de France, qui semblait désuet, avant que les forces les plus puissantes ne s'en emparent contribuant à la mondialisation et à l'industrialisation du cyclisme. Les grands champions disparaissent, même s'ils restent au cœur de ceux qu'ils ont fait rêver ... mais quand il s'agit de couples, on touche, c'est sûr, à l'éternité. Anquetil, prévenant Poulidor de sa maladie, lui avait lancé "encore une fois, je vais arriver avant toi". Terrible victoire, cette fois-ci, il aura eu 32 ans d'avance, laissant Poupou face à lui-même et à son amour de l'effort, son amour de l'amour.  


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