samedi 23 novembre 2019

Louviers,sa reconstruction, son patrimoine et son avenir

C'est un sujet qui parle ! 
La conférence de la Société d'Etudes Diverses a fait plus que le plein samedi dernier pour écouter M. Patrice Gourbin, maître de conférences à l'École nationale supérieure d'architecture de Normandie. Pour dire la vérité, on a rajouté des chaises et lorsque je me suis levé pour un imprévu auquel je devais me rendre, lorsque je me suis levé donc dans l'ambition de partir discrètement, j'ai vu qu'il m'était impossible de m'en aller sans déranger tout le monde. Je dirais qu'il y avait 200 personnes et j'ai dû attendre la fin de la conférence avant que l'on ne donne la parole à la salle pour me soumettre à mes obligations. Ce n'est pas le tout. Voulant compléter mon savoir par une visite au musée, et pensant y être tranquille, j'y entrai le dimanche subséquent dans le but d'approfondir mes connaissances en toute tranquillité. Loupé ! Ce n'est pas que je n'ai  pas 
Catalogues exposés à l'entrée du musée de Louviers.
J'ai connu une époque où cela n'existait pas. Nul ne peut oublier qu'il y a 30
ans, Odile Proust avait mis sous cloche le musée pour le consacrer à une
de ses relations, Wakhevitch, décorateur de théâtre. C'est Franck Martin, une
fois élu qui a mis fin à l'imposture et a nommé Michel Natier directeur du 
musée. Fin connaisseur de la cité, architecte, passionné d'art, artiste plasticien 
 lui-même, il a su donner au musée de Louviers une place à part et une 
dimension régionale. Tous les catalogues présentés sont un peu ses enfants. 
approfondi, ce n'est pas que je n'ai pas apprécié, mais pour la tranquillité, on repassera. En fait, il y avait du monde, pas la foule, bien sûr, on n'était pas dans un concert d'une vedette du showbiz, mais une présence constante agrémentée de nombreuses têtes connues. En fait, en dehors de l'hommage que l'on doit rendre au musée et à Michel Natier son directeur, qui a su relever le musée des cendres Wakhevitchiennes et en faire un lieu d'animation culturelle déterminant, il faut en revenir à l'intérêt de l'exposition elle-même et du thème prégnant de la reconstruction, du patrimoine et de son avenir.

Autant le dire tout de suite, la conférence a déçu ceux qui, parmi le public, attendaient d'en savoir beaucoup plus sur Louviers. En fait, elle a complété utilement l'exposition qui, elle, est naturellement concentrée sur la ville. Il n'empêche, il était bon de resituer le cadre de la France d'après-guerre, de la reconstruction en Normandie comme dans le reste du pays.
Ainsi Patrice Gourbin a-t-il eu le mérite de rappeler que, loin des idées reçues, la Normandie n'a pas été le seul territoire marqué par la nécessité de reconstruire. Ce n'est pas le tout. Il ne s'agissait surtout pas de reconstruire à l'identique. En effet, et même si cela peut sembler indécent le dire, mais, en quelque sorte, la nécessité de reconstruire s'est imposé bien avant les dégâts liés aux bombardements. 
Cela ne retire rien au martyr que Louviers a eu à subir et à la vie misérable menée par les habitants pendant les quatre années de guerre puisque Louviers a été victime dès 1940 d'une expédition punitive menée par l'envahisseur nazi. Mais il est vrai que la France accusait un retard certain dans son urbanisme, au regard notamment des normes d'hygiène, mais pas seulement. Cela ne retire rien non plus au rôle de Pierre Mendès France, attaché viscéralement à sa ville et dont il a plus que facilité sa reconstruction.
Ainsi donc Louviers a été reconstruite assez rapidement, même si l'attente a bien sûr été insupportable pour une population vivant dans le dénuement. Mais il ne s'agissait pas tant de reconstruire que de construire. 
La Place de la Halle à la fin du 19e siècle. On
peut y voire d'ailleurs, à quel point la grande
majorité des femmes avaient la tête couverte.
Autre temps, autre moeurs ... mais surtout,
la Place de la Halle n'avait pas cette rigueur
toute carrée qu'elle a acquise après guerre.
1945 était l'ouverture vers un monde nouveau. Le problème, avec les architectes, et surtout les architectes de cette époque là, transformés par force en urbanistes (ce qui a été rappelé par Patrice Gourbin) était l'idée de construire pour l'éternité. Louviers a été, et est encore victime de cette façon de voir. Rien n'est plus mouvant que les destinées humaines, industrielles ou collectives. Les besoins d'hier ne sont plus ceux d'aujourd'hui, les besoins de demain ne sont pas ceux de maintenant. On se figure la ville comme étant de toute éternité. Une image de la Place de la Halle en 1900 démontre s'il en était qu'elle n'avait rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui. Je ne parle pas de l'inutile couverture choisie par l'actuelle municipalité mais de son dessin très éloigné du carré qui la dessine aujourd'hui. 
Mais la reconstruction ne s'est pas faite seulement sur un dessin, un dessein, ou un projet urbain. La reconstruction, c'est aussi du droit, et il a fallu indemniser pour reconstruire, commerces et habitations à la condition qu'elles s'inscrivent dans les nouvelles normes. 
Reste que l'essentiel reste toujours le même en matière de reconstruction, c'est à dire la nécessité de projeter une évolution urbaine tout en respectant l'identité de la cité, la mémoire visuelle et affective de la collectivité et l'attente de la population. De ce point de vue, la réfection de Louviers, effectivement tant attendue,  a comblé la population. 
Il demeure que, notamment en ce qui concerne la construction du centre-ville autour du commerce, et le développement de la cité quelques années plus tard, il convient de mener une réflexion approfondie sur la vie commerçante à Louviers.  Après-guerre, on avait confiné le commerce, à quelques cases liant échoppe et habitat, ce qui est complètement remis en cause. Aujourd'hui très peu de commerçants habitent sur place et que la vie commerciale est en complète évolution et notamment dans le centre-ville
Ainsi donc, même si Louviers n'est pas dans la situation tragique de l'après-guerre, plus que jamais la cité a besoin d'imagination pour construire son avenir à l'image d'ailleurs de nombreuses communes. 
un panneau "vendu" sur la porte de la Banque de France.
Priollaud se débarrasse du patrimoine des Lovériens
Franck Martin a pu, grâce à ses trois mandats successifs, suivre quelques idées forces telles notamment la densification du centre-ville, et l'aménagement d'une perspective culturelle allant de la villa Calderón à la gare aux Musiques et incluant les cinémas, le Moulin, et la médiathèque. 
En 6 ans, Priollaud se sera contenté d'une ripolinade minéralisée du centre-ville. Il a au passage mis fin à la rue piétonne ... cédant à on ne sait quelles pressions, lors même que l'attente générale porte à un souci constant d'écologie, d'une ville qui respire, ouverte à tous les modes de circulation et notamment piétonnes.
En fait cet exemple ne fait qu'illustrer l'errance généralisée de la politique municipale. Le maire aura quand même en l'espace d'un mandat délesté la population de Louviers d'un nombre considérable de ses biens, les cinémas bradés, la Banque de France, la façade de l'Ecole Jules Ferry et le Jardin de Bigards.
Tous ces biens faisaient partie du patrimoine collectif et sont chers au cœur des Lovériens. Certes, M. Priollaud a déjà démontré qu'il n'en avait que faire, mais ce n'est pas tout. On pourrait comprendre, et d'ailleurs on pourrait en défendre l'idée, qu'un bien soit sorti du patrimoine pour construire mieux ou pour prévoir une vision nouvelle de la cité. Une ville, ça bouge, et c'est tant mieux. C'est d'ailleurs ce qu'on vient de voir avec le commerce. Mais, là, c'est sans projet, qu'on livre aux promoteurs le jardin de Bigards qui a le double avantage d'être un élément affectif indétrônable pour toute une génération, mais aussi un espace vert aménagé par de grands paysagistes qui participait à la mise en valeur de la rivière, et à son ouverture à toute la population. C'est sans projet qu'on réduit l'espace consacré à l'éducation des enfants dans le site historique de la plus ancienne école de Louviers en laissant un projet s'installer en façade. 
Quel mépris pour le métier de maire que de maltraiter ainsi une ville et sa population ! Non seulement on ne se donne pas la peine de bâtir un projet, non seulement on brade au plus mauvais moment (tout propriétaire comprend, lorsque les taux sont si bas, qu'il ne convient pas de vendre, même si l'on n'est pas en mesure d'acheter), mais en plus on agit contre la mémoire d'une ville, lors même qu'il convient de dynamiser au contraire un centre-ville où des commerces majeurs prennent le large. Plus de poissonnerie à Louviers, plus de maison de la presse. 

Aucun commentaire: