jeudi 24 avril 2014

Encore la Commune !

Fallait-il un nouvel ouvrage sur la commune de Paris ? Ben oui ! Celui de Robert Tombs  est passionnant, et bouleverse les idées reçues et, en quelque sorte, les explique. Parce qu'avant d'être reçues, les idées ont été envoyées.
Ainsi revient-t-il sur un événement majeur dans l'imagerie révolutionnaire qui a nettement dépassé la France et qui doit son succès notamment à ce que Marx avait voulu y voir : la préfiguration de la révolution mondiale ... rien de moins ... et la justification de ses théories.
En faisant ça, Marx n'a pas seulement donné un sens à ses théories, que l'histoire a cruellement révélé fausses, mais il a aussi lancé la mode de ce que j'appelais le socialisme exotique et qui a mené des tas de jeunes gens de par le monde à soutenir les plus monstrueux des régimes, qu'il s'agisse de la Chine de Mao, de la Russie de Staline, du Cambodge dit honteusement Kampuchéa démocratique, sans oublier Cuba ... avec non seulement l'idée que c'était mieux ailleurs puisque c'est là qu'était l'utopie, mais que du fait que cela se passait ailleurs on pouvait se voiler la face et ignorer toutes les perversités des pouvoirs dictatoriaux exercés au nom d'un monde idéal  ... 

Titre paradoxal, emprunté à Vallès,
sans doute un clin d'œil de l'éditeur
anarchiste, à moins que ce ne soit lié au
traducteur José Chatroussat ...
Le fond de l'ouvrage dit tout le contraire.
Il est le tombeau des émeutes parisiennes,
il est le socle de la 3e République, ou les
radicaux ont joué un rôle prédominant.
Marx a beaucoup écrit sur la commune. Sans doute n'a-t-il pas perçu cette dimension exotique du socialisme, et pourtant ... Il n'y était pas étranger lui-même... à vouloir que la France, soit le catalyseur du communisme en acte, et faisant dire aux communards ce qu'ils n'avaient jamais dit, ni voulu, ni représenté. Mais après tout, l'un des effets de la commune a été aussi de servir de modèle à Lenine, grand admirateur de Marx. Lénine lui-même a dansé de joie le 73e jour de la prise de pouvoir par les bolchéviques parce qu'ils venaient de battre le record de la commune qui avait duré 72 jours. Cet aspect peut sembler dérisoire. Il est en fait la preuve de l'importance de la commune dans l'imaginaire révolutionnaire et même plus. Il était la référence. La référence utopique et exotique des révolutionnaires russes qui d'ailleurs reprirent l'hymne communard "l'internationale" comme hymne national. Exemple unique dans l'histoire de l'humanité.
Mais au delà de l'interprétation qui en fut faite, par Marx d’abord, et de ceux qui, à la suite ont eu besoin de cette analyse pour prospérer ... au delà de l'interprétation qui en fut faite, la Commune, c'était quoi  au juste ? Tel est l'objet de l'ouvrage du britannique Robert Tombs ... qui, loin de tout exotisme, permet de mieux cerner la réalité de l'événement, dans un contexte qui reste difficile, tellement la gauche française reste encore accrochée aux illusions qui lui restent.
C'est d'ailleurs ce que montre le titre de l'ouvrage en Français : 
 Paris Bivouac des Révolutions. Cette traduction est scandaleuse, vu que non seulement elle n'a rien à voir avec le titre anglais the Paris commune 1871 mais qu'en plus, le bouquin démontre le contraire ! L'expression "bivouac des révolutions" est une formule de Vallès qui voulait montrer que le modèle communard était derrière chaque révolution à venir. C'est précisément le contraire de ce que démontre l'auteur, l'historien Britannique Robert Tombs... et ce, quoi qu'en pense le traducteur, fondateur de Lutte Ouvrière à Rouen, avant de s'en faire virer quelques années plus tard.
Je livre en quelques lignes ce que démontre l'ouvrage. La première c'est que la Commune n'est pas un soulèvement prolétarien. Patrons comme ouvriers et gens du peuple ont participé à la gestion communale d'un Paris délaissé, s'y sont livré avec passion dans un climat politique tout à fait particulier venant à la suite de la défaite militaire de la guerre de 70, de la fin du 3e empire, et préfigurant la 3e république. Parce qu'en fait, la vision politique des communards était très radicale, au sens politique de l'époque, c'est à dire des radicaux qui allaient fonder la république et qui refusaient le bonapartisme et la droite ... Bien sur, l'extrême gauche était présente, très en force et très divisée ... déjà, mais ce qui était encore plus présent, c'était le rêve républicain, celui de 1789, celui des trois glorieuses de 1830 et de la seconde république de 1848. 
Oui, c'est bien la République qui est au cœur de la Commune, beaucoup plus qu'une démarche prolétarienne s'opposant à la bourgeoisie, d'autant que les bourgeois revendiqués participent au mouvement, qui, il est vrai aura une fin tragique, orchestrée par une droite terrorisée par le vent de liberté que portait l'idéal républicain, dans le cadre fragile que connaissent tous les pouvoirs après une défait militaire.
Bref, voilà qui replace complètement la Commune dans son vrai contexte social, historique, débarrassé de la poussière des illusions. C'est un livre d'autant plus passionnant que, ici, comme souvent, à tout prendre, la réalité est plus belle que le rêve ... Surtout qu'en politique, bien souvent, le rêve, quand il se mêle à l'analyse ne sert guère qu'à prendre les gens pour des imbéciles. La commune, comme réalité républicaine, donne davantage de leçons pour comprendre le présent et l'avenir que l'utopie révolutionnaire porteuse de tant de massacre.  



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