vendredi 25 janvier 2013

le paradoxe Louis de Funès

Pour rendre un gendarme sympathique,
faut il le rendre beau, noble, intelligent ?
Non ! C'est en appuyant sur ses défauts :
 petit, mesquin, bête et méchant que
Louis de Funès a montré son génie.
Louis de Funès est mort il y a 30 ans, le 27 janvier 1983. Il était né en 1914 et son énorme succès populaire garde quelque chose de mystérieux.
Louis de Funès a été méprisé par la critique. D’accord, la critique n’a jamais fait le succès d’un artiste et elle a souvent besoin de prendre ses distances vis-à-vis du succès … question d’identité (1).
Pourtant, le succès d’un comique et en particulier son succès durable est toujours significatif de l’identité d’un peuple. 
Le seul phénomène comparable dans la France de la deuxième partie du 20e siècle est celui du Coluche. Tout pourtant les oppose a priori.
Coluche a incarné la génération de Mai 68,
précisément celle qui a fait suite à celle de
l'après guerre qui était celle de Louis de Funès
Louis de Funès était sec et maigre. Coluche était gras et jovial. Louis de Funès était radin (je parle de son image, pas du personnage), Coluche était généreux. Louis de Funès ne faisait pas de politique (ce qui le marquait à droite dans la France extrêmement politisée de l’après guerre) et Coluche engagé à gauche a même mené une campagne présidentielle. L’un était considéré et admiré par l’intelligentsia (Coluche) cependant que l’autre était comme je l’ai dit méprisé par la critique, issu du théâtre de Boulevard et n’a jamais répondu aux sollicitations des politiques.
Tout cela au point qu’on pourrait dire que l’un a remplacé l’autre. La gloire de Coluche succède à celle de Louis de Funès, ils n’ont pas eu à s’opposer, le premier n’a rien transmis au second.
Le film clef de Louis de Funès est sans doute « la Traversée de Paris », de Claude Autant Lara, où il joue le rôle d’un ignoble petit commerçant, s’enrichissant de la France soumise et misérable de la période de l’occupation.
Car Louis de Funès s’est fait une spécialité des rôles désagréables, des antipathiques par excellence, des gens petits, hargneux, jamais contents, radins, sans scrupules. Il a réussi a obtenir une popularité inouïe  en incarnant des personnages que personne ne recevrait avec joie dans son salon, et dont on a envie que de se moquer. Louis de Funès, incarnait l’après guerre. Toute cette génération honteuse, porteuse de la soumission et de la collaboration, et représentant tout ce dont le discours officiel cherchait à se débarrasser, ce caractère tenace et insupportable.
Offenbach, de Funès, Coluche, autant
d'incarnations de l'"esprit français",
autant d'artistes d'origine étrangère.
Coluche prend effectivement la suite. En incarnant l’anti-de Funès, Coluche était porté par le courant amené par Mai 68, s’inscrivant dans la tradition anarchiste d’une critique tout azimut de la société et de ses archaïsmes. L’école de Coluche n’était pas le cabaret et le théâtre de boulevard, mais le café théâtre et en particulier le café de la gare de Romain Bouteille sans qui la France aurait été privée au moins de Depardieu, Miou-Miou, Patrick Dewaere, Martin Lamotte, Renaud … voire d’une bonne partie du Splendid…

Tout en reconnaissant ce qui opposait les deux figures comiques, je me refuse pourtant à les opposer. Outre le fait qu’ils sont tous les deux fils d’immigrés, personne mieux qu’eux n’a été la France durant le 20e siècle, car rien ne représente mieux une Nation que sa puissance comique, produit culturel par excellence et par nature intraduisible ! Sans doute l’immigré est-il celui qui mesure par la distance qui le sépare du monde où il va devoir s’intégrer, a besoin de cette distance pour s’en protéger, et cette distance lui permet aussi de rire de lui-même et d’en faire profiter les autres. Grâce à cette distance, il est encore mieux les autres que ceux qui n’ont pas à se poser ce genre de question.
Et sans distance, pas de comique.
Romain Bouteille, géniale réincarnation de cet esprit
de critique systématique, a fait connaître Coluche,
Depardieu, Miou-Miou, Balasko et la troupe du
Splendid ...  
A y bien réfléchir aussi, Louis de Funès comme Coluche ont aussi comme point commun de s’inscrire totalement dans la tradition comique française du bête et méchant, magnifiquement incarné par Hara-Kiri, mais qui reprend ce qu’annonçait le comique d’Offenbach, puis celui de Feydeau, et bien entendu par la suite, Hara-Kiri, De Funès et le théâtre de la gare, c’est à dire la mise en scène de personnages antipathiques, bêtes et méchants, dont la confrontation crée un comique irrésistible à l’opposé du comique de sympathie, incarné par Bourvil par exemple.
Une simple remarque au sujet d’Offenbach, qui lui aussi est le plus français de tous les musiciens de son siècle, et qui n’était pas fils d’immigré, mais immigré lui-même, tiraillé par ses identités d’origine et d’accueil, à un moment où la France et l’Allemagne étaient en guerre.
Pour revenir à Louis de Funès et à l’Allemagne, je finirais là-dessus, rendons hommage à nos voisins germaniques lors même que nous venons de fêter le 50e anniversaire du traité de l’Elysée qui a fondé les nouveaux rapports entre nos deux pays. Nos amis allemands ne pouvaient voir Nicolas Sarkozy (2)  sans l’identifier à Louis de Funès. Cette identification a eu peu de succès en France, allez savoir pourquoi !
Tellement français pour les allemands, nos deux fils d'immigrés !
 1) Il a fallu attendre plus de 20 ans après sa mort pour que le grand dramaturge Valère Novarina reconnaisse la grande valeur artistique de Louis de Funès.

2)  Lui-aussi fils d’immigré et on en peut plus représentatif de la Nation















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