dimanche 26 janvier 2014

Louviers, ville orpheline

Plus qu'amour il était passion.
Toutes les rues portent son nom.
Le docteur Ernest Martin est mort hier vers 11 heures du matin. Il aurait eu 85 ans en mars. Toute la ville est bouleversée. Aucun homme n’a eu, comme lui, son propre sort lié à celui de la cité. 
Il est arrivé à Louviers pour y devenir médecin. Il en est devenu maire à 36 ans à la suite d’un improbable concours de circonstances. Ces deux événements ont indéfectiblement lié le destin de cet homme à sa commune d’adoption. Il a été dans le sens le plus profond du terme un médecin de ville. Il s’agit là d’une rencontre extraordinaire entre le destin collectif d’une ville et d’une personnalité brillantissime. Comme toutes les histoires d’amour, elle a marqué l’homme durant toute son existence elle n’a pas non plus fini de marquer la ville.
C'est une banalité de dire, lorsque quelqu'un est mort : "il aimait la vie ...". Tout le monde sait que ce n'est pas toujours vrai, mais je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui aimait autant la vie qu'Ernest Martin. Il en avait fait son métier. Or son métier, il l'exerçait comme tout ce qu'il faisait : avec passion
Il y a 1.000 façons d'être maire, il y a 1.000 façons d'être médecin ... au moins 1.000. Il y en a un peu moins d'être médecin-maire, ou maire-médecin, parce que c'est plus rare, tout simplement. Mais parmi toutes les missions qu'il exerçait en tant que médecin, il y en avait une qui dominait sur toutes les autres, c'était celle de médecin-accoucheur : donner la vie ... ou tout du moins, donner à la vie le moyen de s'épanouir. Telle a été la mission professionnelle qu'il a bien voulu se donner. Telle a été la mission politique qu'il s'est imposé. Il avait choisi comme mot d'ordre de son action politique : deviens ce que tu es. Il avait choisi "Devenir"comme titre du journal militant qu'il avait créé à la suite de sa première déchéance politique (en 1969, il avait été mis en minorité à la suite de la décision des membres du parti communiste de ne pas voter son budget).
Dernière apparition publique d'Ernest Martin, lors
de la visite de François Hollande à Louviers il y a
un an. . 
En fait, dans son oeuvre, Ernest Martin a accouché d'une ville moderne, il a accouché la gauche lovérienne, il a accouché de modèles politiques durables. C'est ce qui explique qu'on ne peut pas parler politique à Louviers aujourd'hui sans se référer à l'oeuvre d'Ernest Martin.
Plus que seul, il était multiple. Ernest Martin, invité à
Pinterville par Mme Tran, avait déclenché une polémique,
en donnant une conférence sur l'enfant.  Classique !
 Le consensus ne lui convenait pas.
Comme dans toutes les rencontres, le hasard joue un rôle déterminant. Imaginons qu'il ait choisi pour s'installer une autre ville. Imaginons qu'en 1965, la gauche en capilotade n'ait pas été se chercher un sauveur. Voilà, Ernest aurait juste été un bon médecin, et Louviers une ville normale. 
Rien de tout cela. Ernest prend les rênes de la ville de Louviers en 1965, dans une France en pleine interrogation. En 1965, on est 3 ans après la fin de la guerre en Algérie, on est 3 ans avant 1968. La France se transforme, avec une génération qui a soif d'action et qui a peur du vieux. Le vieux, est à l'image de la collaboration, de la honte héritée des générations précédentes.

On n'a pas été cherché Ernest Martin par hasard. A la suite du premier tour des élections municipales de 1965, la gauche se cherche un sauveur. On est à l'époque du panachage et de la possibilité de tout faire entre deux tours. Qui a eu l'idée de chercher ce jeune médecin qui fait l'admiration de tous, qui est de gauche, militant, universaliste ? Comment c'est venu ? On ne le sait pas exactement. Mais ce qu'on sait encore moins c'est la manière incroyable dont ce type, une fois élu, va inventer la ville, inventer sa mission, par ce qu'il a au fond une idée très précise de ce que doit être l'action publique.
On ne peut pas parler d'Ernest Martin sans évoquer la gratuité des  services publics. A Louviers, tous les services publics municipaux sont devenus gratuits. Ce n'est pas tout. Ils ont été multipliés. Il justifiait cela par le fait que les services étant déjà payés par les impôts, ils ne devaient pas être payés une deuxième fois. Mais il y avait, j'en fait le pari, derrière cela une idée encore plus noble. Je suis sur qu'étant médecin des familles, il avait vu dans les yeux des enfants, dans le regard des parents, l'idée si couramment répandue chez les pauvres que le stade, que la piscine, que la bibliothèque, c'était pour les autres et que le prix donnait le prétexte de l'éloignement. Ainsi, Ernest Martin a-t-il non seulement donné libre accès aux services publics, mais il les a multipliés. 
Ce n'est pas tout. Il a aussi doté la ville d'un service d'urbanisme. Cette foi en la commune était tout à fait novatrice. D'ailleurs, l'un des premiers gestes de la droite une fois revenu au pouvoir a été de fermer brutalement ce service. A l'époque l'urbanisme était du seul ressort de l'Etat. C'était 15 ans avant que le permis de construire et l'urbanisme devienne une compétence obligatoire des communes. 
Ces exemples montrent à eux seuls ce  que Louviers doit à son médecin.
Mais ce n'est pas tout ... Si je me mets à parler de tout, il me faudrait davantage de temps et d'espace. Je m'en voudrais de faire trop long.  J'y reviendrai sans doute. Pour parler d'Ernest Martin, il faudrait plusieurs volumes d'un bouquin. Je voulais juste faire comprendre à des jeunes, à Yakub, Grégoire, Lucie, ces trentenaires ou presque, qui n'ont jamais connu le médecin, ou si peu, qui n'ont jamais connu le maire, mais qui savent que, oui, il est le père de Franck. Voilà, je voulais leur dire, à ces jeunes, que leur ville doit beaucoup à Franck, c'est sûr. Mais cette ville, et Franck lui-même, doivent beaucoup à la personnalité extraordinaire d'Ernest Martin. Jusqu'à ses derniers jours, Ernest s'est pensé comme médecin et comme maire, même s'il n'était plus ni l'un ni l'autre depuis longtemps. Il était fou amoureux de sa ville, malade du bonheur de soulager la souffrance, malade d'un incurable désir d'agir. 
Voilà, je suis encore tout retourné de cet événement auquel je me préparais pourtant depuis longtemps. 
Je voulais dire à tous ses proches, à ses enfants Isabelle, Franck, Sophie, Stéphane, Antoine, Emmanuelle et Renaud, .. à ses petits enfants, à Pauline pour qui j'ai une pensée toute particulière, à tous ceux qui ont vécu sous l'emprise de ce géant, que je compatis à leur douleur. 
Je voulais dire, si ça peut leur faire du bien, que beaucoup comprennent que l'opportunité qu'ils ont eu de se construire à l'ombre d'une telle personnalité se paie lourdement lors de la séparation. Je voulais dire que toute la ville lui est redevable. 
Toute la ville est orpheline.  

Une cérémonie d'hommage aura lieu le lundi 3 février 2014 à 11 heures au Moulin de Louviers, rue des anciens combattants.
Un registre sera ouvert en mairie de Louviers afin de recueillir les témoignages de sympathie et de reconnaissance envers le Docteur Martin.
Tous les renseignements sur actu@louviers, site de la ville de Louviers.




2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet hommage ; Ernest Martin était un homme de passions qui aimait profondément la vie et sa formidable créativité. Un homme libre également, qui en dehors des sentiers battus et des querelles de chapelles cherchait à construire un monde meilleur, confiant dans la vitalité et les potentialités de l'homme, cherchant sans répit des voies pour le détourner des forces de la destructivité…

Anonyme a dit…

Nous y serons pour soutenir les proches de ce grand homme