mercredi 22 janvier 2014

Louviers et l'architecte

C'est un lovérien qui revient au pays natal ...
Michel Lefranc, est né en 1941 à Louviers. Il est devenu architecte. À  présent retraité, il garde deux passions, l'architecture et Louviers. Il n'a jamais vraiment quitté sa ville de naissance, tout du moins par le cœur. Il revient de temps à autre voir sa famille et sa cousine,  mon amie Marie-Andrée d'Almeida.
Il m'a livré un témoignage passionnant sur sa vision de Louviers, son histoire et son architecture ...
Je vous le livre intégralement.

Louviers a terriblement souffert des bombardements de juin 1940 et 44.  Je me souviens quand j’étais enfant, du centre massacré et des baraquements qui s’alignaient place du Champ de Ville. Ma tante, commerçante en bonneterie rue du Général de Gaulle y habitat pendant de longues années.


Début de la reconstruction à Louviers. Visite du général de
Gaulle à Pierre Mendès France dans sa ville dévastée. Là
commence la nouvelle histoire de l'architecture à Louviers.
Je dois rendre hommage aux responsables de la reconstruction. Les pouvoirs publics, les architectes ont eu la sagesse de nous restituer un vrai centre, l’ancien, le tracé des rues en évitant de nous imposer un tracé orthogonal  très en vogue à cette époque, idéologie que prônait le « mouvement moderne » qui sévissait en temps-là et qui, profitant de ce contexte dramatique, voulait faire table rase de toute antériorité.

J’aime rappeler ce texte de Roland Barthes : « Les villes quadrangulaires, réticulaires produisent, dit-on, un malaise profond ; elles blessent en nous un sentiment cénesthésique de la ville, qui exige que tout espace urbain ait un centre où aller, d’où revenir, un lieu complet dont rêver et par rapport à quoi se diriger, se retirer, en un mot s’inventer.

Le centre est un lieu de la vérité, le centre de nos villes est toujours plein :  lieu marqué, c’est en lui que se rassemblent et se condensent les valeurs de la civilisation : la spiritualité (l’église), le pouvoir (la Mairie et son administration) , l’argent(les banques), la marchandise (les magasins), la parole(les cafés, les promenades, les lieux culturels) ... aller dans le centre, c’est rencontrer la « vérité » sociale ... »

Louviers, sans rigidité, tout en souplesse, nous offre ce panel et c’est une des raisons du sentiment de bien-être qui nous accompagne quand on arpente ses rues.

Je suis né à Louviers, je suis allé au collège puis au lycée Bd Jules Ferry, je suis parti de Normandie à l’âge de 18 ans. Ma famille y résidait et mes cousins y résident encore.

J’aimais cette ville comme on peut l’aimer à 17 ans... La ville de mon lycée, des copains, des activités qu’elle proposait. Ses rues, ses ruelles, ses places, son église qui m’a toujours émerveillé,  le  marché du samedi place de la Halle toute babillante, et les sentiers au bord de l’Eure. Ils n’étaient pas aménagés à cette époque, mais je les aimais comme ils étaient,  un peu « broussailleux ».

Je suis resté très attaché à ma ville, j’y reviens de temps en temps. Je suis maintenant architecte en retraite,  c’est ce qui explique sans doute que  j’aime cette ville de plus en plus quand je vois  tout ce qui s’est réalisé depuis plusieurs années.

Il est difficile pour moi d’en faire l’inventaire. Je préfèrerai dire le bonheur que j’éprouve à m’y promener. Ce n’est pas aisé ;  en effet mes rencontres avec les villes que j’ai traversées, visitées ou sur lesquelles j’ai travaillé tout au long de ma carrière me fait dire que notre  univers ne se réduit pas à ce qui est observable, repérable ou mesurable... notre réalité est autrement plus floue, complexe, ambigüe et nos relations avec notre milieu n’a rien de mécanique... le sujet déborde toujours de la connaissance que nous en avons, on découvre une ville petit à petit, par « ricochets ». Il n’y a pas de géométral d’une ville et Louviers en particulier, on ne la perçoit qu’au travers de plein de choses souvent mineures, plein de scories, de latéralités... Or il  arrive qu’à certain moment de notre déambulation, on a soudain le sentiment qu’il existe des points qui la résument... qui semblent l’avoir engendrée... Le mouvement des perspectives qui s’engrenait s’arrête presque... le sentiment d’une sorte d’équilibre, une confrontation silencieuse, un plus de générosité... tout prend du fond... alors on a compris la ville.

 
C’est particulièrement vrai dans cette ville de Louviers... Ainsi, prenez cette place Ernest Thorel,  elle est étonnante, à la fois entrée de ville et point d’intersection  entre les Boulevards qui débouchent de part et d’autre ;  elle se veut impressionnante par sa dimension, elle se veut grave.... Pensez donc, ces monumentalités qui la structurent depuis un siècle et demi: L’Hôtel de Ville, majestueux,  la Caisse d’épargne... et, maintenant,  l’Hôtel de l’Agglomération qui vient la compléter. Je ne peux que souscrire à sa rigoureuse modernité mais je dirais que ce n’est pas tant une affaire d’esthétique ou de richesse des formes, c’est une impression de rapport, de limite, d’ouverture... d’intelligence des choses... une mesure qui accorde les choses par leur différence et crée de la « convenance ».

Par les boulevards on contourne le centre-ville comme si on effectuait une approche d’observation... c’est une invitation à une promenade sous les frondaisons qui nous fait découvrir le nouveau collège Ferdinand Buisson, sa façade légère toute de reflets et de transparences et, à côté, ce vieux souvenir à chaque fois revisité:  l’admirable jardin public.

Qu’elles s’appellent rue Mendès France, rue Tatin, rue du Maréchal Foch, rue du Quai, ou rue de la Poste, toutes ces vieilles rues pleines de charmes convergent vers la place du Parvis de l’église. La ville de Louviers est un remarquable cas d’école urbanistique pour sa lisibilité.

L’église en restauration est une pure merveille, tout le monde s’accorde à le reconnaître. Les travaux de restauration intérieure lui redonnent par sa polychromie l’éclat d’une jeune beauté. On ne peut que féliciter la commission d’art sacré qui en est sans doute l’auteur.
Et puis non loin de là, l’Ecole de Musique Maurice Duruflé, l’admirable cloître des Pénitents que je longeais avec quelques craintes, dans ma jeunesse,  sont  devenus  l’exemple parfait d’une réhabilitation en tous points réussie. C’est la rencontre respectueuse entre ces vénérables ruines et un dessin épuré, élégant, tout en clarté. C’est vraiment la rencontre du passé et du présent, de la mémoire et de la pensée. C’est une architecture non pas savante mais cultivée ;  elle agglomère des temps hybrides. C’est à la fois, l’art du trait et l‘art du retrait,  de la mise à distance. Cette intervention est un véritable hommage à ce qui la précède et qui la fait naître, elle réveille et fait revivre les richesses de cet ancien cloître des Pénitents.

 
Et puis notre déambulation nous emmène dans la partie Est du centre-ville... sur des sites que j’ai pu découvrir au fil de mes visites, des sites que j’ai appris à déguster. 

Tout a changé, ces quartiers qui étaient considérés comme périphériques ou délaissés sont devenu grâce aux aménagements et aux soins qu’on a bien voulu leur apporter un ensemble de lieux qui s’égrènent avec bonheur :

C’est la Villa Calderón (photo volée sur le site du photo club de Louviers), derrière la Caisse d’Epargne, ses superbes jardins,  les bâtiments polychromes ses superbes jardins,  les bâtiments polychromes qui les bordent, le petit canal, le traitement délicat des cheminements, tout invite au repos, à la détente et à la flânerie...

 
C’est la place de la Poissonnerie et cette petite halle, clin d’œil coloré que l’on dédie à Monsieur Eiffel... au bord d’un bras de la rivière, avec les passerelles, les chutes et les petits ponts.

C’est le Manoir de Bigards, magnifique demeure à colombage elle aussi réhabilitée avec intelligence, son extension destinée aux artistes, qui accompagne un jardin contemporain au bord de l’eau, plein de charme avec cette végétation étonnante faite de roseaux, de graminées, de bambous... les platelages bois, les briques au sol... Tout s’enchaîne, tout se tient, tout est cohérent...
Et bien sûr le « Moulin », ses caves voutées superbement réhabilitées, la ludothèque et l’environnement paysager qui l’accompagne. C’est un parfait exemple d’intégration, naturellement dû à la réussite de l’intervention architecturale sur ce bâtiment ancien mais aussi et surtout au résultat. C’est à l’usage, à l’appropriation qui en a été faite par les Lovériens, petits et grands, jeunes et vieux que se confirme la réussite d’un tel lieu. C’est un lieu habité, un lieu vivant.

 

J’ai aimé déambuler dans Louviers, rien n’est très discernable sans doute, mais on a le sentiment que les lieux simples ou plus emblématiques, les bâtiments publics ou les maisons ont une existence mystérieusement mêlée, ils sont placés, là, « justement » pour être en état de regard... en rapport les uns avec les autres, rapport qui peut être opposition ou imbrication,  mais qu’ils vivent les uns par les autres... qu’ils existent mieux. J’aurais envie de conclure cette promenade en disant que les interventions architecturales et urbanistiques ne sont pas étrangères à cette impression et, si elles ne font pas tout, elles contribuent certainement à forger ce sentiment d’une ville généreuse où il fait bon vivre.

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