lundi 20 mai 2013

La prière d'Alfred

Alfredo Passante, sur son profil facebook ... Professeur à
la retraite, il met à présent son savoir au service de
l'alphabétisation des migrants.
Alfredo Passante est un ami, rencontré lors d'un jumelage à San Vito, il était alors conseiller municipal, membre du parti démocratique, parti structurant de la gauche italienne, issu de l'auto-dissolution du parti communiste italien. Il m'a fait part d'un texte qu'il a transmis à une revue internet de Brindisi, que j'ai décidé de traduire et de publier. De ce texte, arrive un bout d'Italie, d'Italie du Sud en proie à l'arrivée et à l'accueil de migrants, ce qui est d'ailleurs un problème sensiblement nouveau pour l'Italie qui a été pendant des siècles terre d'émigration plutôt que d'immigration. Mais la description intime de cette réalité, n'est pas le seul intérêt du texte. Alfredo est confronté par son action, à l'approche chrétienne de la réalité, tant il est vrai qu'on ne peut nier que l'engagement des chrétiens s'est souvent montré fondamental dans l'action humanitaire... Et Alfredo dans tout cela ? Eh bien voilà ! Alfredo, n'est pas chrétien, il a déjà eu du mal à s'en sortir ... mais forcément, l'action, la confrontation à des situations difficiles, l'oblige à se poser à nouveau des questions fondamentales. C'est ce qui fait la beauté de ce texte. Le fait que je vous le livre un lundi de Pentecôte est un pur hasard. 

Alfredo Passante,  
Pour que Dieu existe

Depuis quelques années, j’enseigne aux migrants  dans la paroisse de San Vito à Brindisi. Je le fais avec d’autres personnes de grande générosité qui aident leur prochain, animées d’une foi qui illumine durablement leur regard et leur sourire. Moi, en manière de foi, je n’ai pas leurs certitudes . Je ne les ai plus. Par de nombreux cotés, je me sentirais le Joseph d’Arimathie de la situation. 

Une image sèche des Pouilles, talon de la péninsule italienne
Ici, la mer n'est jamais loin. La difficulté d'y vivre a poussé
de nombreux Italiens du Sud loin de leurs terres, elle est
aujourd'hui terre d'immigration. 
Depuis quelques années, j’enseigne aux migrants  dans la paroisse de San Vito à Brindisi. Je le fais avec d’autres personens de grande générosité qui aident le prochain animé d’une fois qui illumine durablement leur regard et leur sourire. Moi, en manière de foi, je n’ai pas leurs certitudes. Je ne les ai plus. Par de nombreux cotés, je me sentirai le Joseph d’Arimathie de la situation. J’opère à la marge de leurs activités. Je fais ce que je peux et je le fais pour l’amour que j’éprouve à la confrontation de me semblables. Mais ce que je peux et toujours peu à la mesure de ce qu’exige  la situation dramatique de nombreux migrants et ceci crée en mon être une lutte continuelle entre les poussées de mon émotion et les freins de ma raison. Raison et émotion , c’est bien connu, poussent rarement dans la même direction. L’émotion me pousse à ne pas me limiter à la conjugaison des verbes ou à faire apprendre des mots. L’émotion me porte à m’attarder sur un regard particulièrement trite et à me perdre dans des histoires toujours chargées de douleur et de poignantes nostalgies. Des histoires qui vous impliquent. Qui interrogent la conscience et sèment les irrépressibles inquiétudes de l’âme. Il m’est arrivé de demander : “où dors tu ? “ et de m’entendre répondre “dans la rue”. A ce moment, entre moi et, dans ce cas, le jeune garçon iranien enfui de son pays pour raisons politiques, tombe la distance que permet de ne pas se sentir concerné. Peut-on rester indifférent ? Faire semblant de rien ? Rentrer à la maison et s’enfermer dans son propre confort ? La pensée que ce garçon n’a pas d’endroit où dormir ne me permet pas d’être en paix avec moi-même. Je dois faire quelque chose. Je le cherche, je le retrouve, et je l’emmène à la maison. Je lui assure un gite. Et puis la raison intervient. Je ne puis prendre la charge du garçon pour toujours, et je commence à me demander comment lui faire comprendre que mon hospitalité est, hélas, arrivé à son terme.
La charité de proximité crée toujours des problèmes de ce genre. Le garçon iranien, avant même que j’ai trouvé le moyen de lui en parler quite ma maison. Il encore la possibilité de rester hôte d’une structure de ce type dans le centre de I’Italie, structure de laquelle il s’est éloigné pour se soustraire des violences sexuelles de la part d’autres réfugiés, restés impunis, après même qu’il ait dénoncés les faits. Une fois les deux mois écoulés, il n’a nul endroit ou aller ni de quoi se nourrir. Il n’a même pas la possibilité d’être aidé par les siens, puisque sa famille a utilisé toutes ses ressources pour financer sa fuite d’Iran. On s’est joint par téléphone une autre fois, et puis plus rien. Il m’a demandé toujours de lui trouver un travail mais en fait,  je n’ai obtenu que des promesses qui ne se sont pas confirmées. Des mois sont passés. Souvent son visage s’est affiché dans ma mémoire et m’a profondément inquiété. Où est il maintenant ? Que fait il ? Pouvais-je ou devais faire davantage ?
Mais le jeune iranien n’est qu’un des nombreux cas dans lequel je me suis impliqué. Parfois, j’ai réussi à épouver la joie de trouver un travail pour l’un d’entre eux. Joie vite dissolue face au sentiment d’impuissance que l’on éprouve quand on constate que le sort du plus grand nombre ne semble laisser beaucoup d’espace à l’espérance.
Pouvons-nous nous contenter de ce que nous réussissons à faire pour un seul ?
Don Milani penchait pour une réponse affirmative, convaincu que l'on en pouvait aimer vraiment qu'un petit nombre d'individus. Alexander Langer pensait au contraire que l'on devait être tout pour tous. Mais quand il en a senti l'impossibilité, il a fini par se suicider.  L'amour pour le prochain peut donc porter à ces gestes extrêmes et paradoxalement nous éloigner même de Dieu, qui est amour.
Pour une bonne partie de ma vie, j’ai été croyant. Ou au moins, je me suis pensé comme tel. C’est à la suite d’une profonde réflexion sur le pourquoi de la souffrance et du sort des pauvres m’a mis en crise. Aime ton prochain comme toi-même dit le commandement qui est semblable au premier. Il arrive toutefois que si l’on est pris par cet amour, l’on en arrive à demander, par exemple en apprenant que des centaines d’êtres humains ont été fini comme nourriture aux poissons dans l’indifférence générale, “où est Dieu ?” et de s’éloigner de Lui parce qu’on a du mal à saisir la fin dans laquelle oeuvre la Providence. 
Giorgio Caproni, poète emblématique de
l'Italie résistante. 
Les croyants, comme les amies et amis qui enseignent dans la paroisse de San Vito, pensent probablement que la souffrance de nos migrants seront compensées dans la vie éternelle. Comme si la vie était une part de temps fini qui se déroule dans l’en-deça, et un autre infini qui se déroule dans l’au-delà. Il en est peut-être ainsi, mais je n’ai pas cette certitude. Mais je l’espère. Fortement, et de tout mon coeur. Je l’espère pour tous ces gens qui risque chaque jour de rester écrasé sous le poids de la pauvreté et des injustices pour tous ceux qui traversent déserts, montagnes ou mers au risque d’un voyage sans retour, pour tous les migrants que j’ai vu dans le refuge sur la grand’route de San Vito, pour tous les migrants au pied des grandes surfaces qui attendent pour ramasser nos miettes, pour tous les enfants qui, enveloppés par un nuage d’insectes, ne connaîtront pas la vie parce que destinés à mourir accrochés au sein des mères qui n’ont plus de lait. Mes amis oeuvrent et prient parce que, pour eux, Dieu existe. Moi, à l’inverse, à cause de tout cela, je prie comme le petit prêtre dérisoire de G. Caproni, “pour que Dieu existe”.

  
Alfredo Passante

1 commentaire:

Sylvia Mackert a dit…

oui, assez émouvant et moi aussi j'ai eu "la crise de foi", dans le sens que j'avais perdu la foi dans ma vie et de me poser cette question "Dieu existe-t-il" et "pourquoi Dieu n'intervient-il pas dans ce cas", mais bon, il faut tout reprendre à zéro dans son éducation chrétienne et relire la Bible et on comprend le pourquoi, que je résume en "errare humanum est", c'est l'être humain qui fait fausse route par moment et ce n'est pas la faute de Dieu.

pour accéder au paradis, au royaume de Dieu il faut mourir physiquement pour que l'âme puisse aller au paradis, donc tous ceux qui sont morts au fond des océans sont peut-être là haut auprès de Dieu aujourd'hui, mais l'être humain a du mal à l'imaginer.

Dieu, aucun humain ne peut le comprendre, on parle de "mystère de la foi".

on pourrait en parler pendant des heures, mais à chacun son chemin de vie, son chemin de croix et son chemin de foi. Cela relève de la vie privée, dit-on en France...