mardi 21 mai 2013

L'Italie réagit à la proposition française

"L'Europe fédérale, c'est maintenant ou jamais "

interview d'Emma Bonino, ministre radicale des affaires étrangères en Italie.  A méditer pour tous els amoureux de l'Europe, pour tous ceux qui souhaitent entendre une voix ouvertement fédéraliste aux prochaines élections européennes.


L'article est passionnant parce qu'il tombe à pic. Il permet de fixer le but et l'audace que représenterait un gouvernement fédéraliste européen, seule voie pour sortir de l'impasse. Pour ceux qui veulent le lire en version originale (eh oui, c'est une traduction maison, j'ai fait du mieux que j'ai pu et je me suis peut-être emballé !) cliquez ici. Pour les autres, en avant pour la lecture et accrochez votre ceinture.


Paru le 19 mai 2013 Interview par Paolo Valentino
 

 

Par Paolo Valentino

 

ROME – « Je prends très au sérieux l’ouverture de François Hollande. Quelles que soient les raisons qui l’ont inspirées, pour la première fois Paris signale sa disponibilité à une reconsidération de l’Europe qui me fait très plaisir, puisque jusqu’à il y a peu de temps, il était même tabou de parler de modifications des  traités.  Il est évident que les choses hypothéquées par le président français présupposent pour le moins une révision des pactes existantes. Mais s’il on admet le besoin d’une reconsidération en profondeur des institutions et des politiques, alors s’ouvre l’espace pour discuter de notre volonté d’une Europe des gouvernements, comme je crains que Hollande l’ait encore en tête, ou d’une Europe fédérale.

Même en tant que ministre des affaires étrangères, Emma Bonino ne dissimule pas son code génétique : radicale, spinellienne et fédéraliste », reprenant cette position qu’elle a maintenu obstinément lorsqu’elle était minoritaire, suivie par un groupe minuscule de visionnaires de l’Europe : « c’est ma position historique – dit-elle dans son premier interview accordée depuis son investiture – mais c’est aussi celle de l’Italie, reprise par le président Enrico Letta qui a parlé des états unis d’Europe lors du vote de confiance. » 

 

Giuliano Amato vous dit affectueusement que vous êtes « toujours trop en avance sur le temps ». La relance de l’Europe fédérale a été le thème conducteur de son préambule au guide de la diplomatie. Au parlement et ensuite à l’Université de l’Europe, vous avez parlé de la nécessité d’une nouvelle partition indiquant le fédéralisme comme un des thèmes centraux de la prochaine présidence italienne de l’Union Européenne dans la seconde moitié de 2014. Cela ne risque-t-il pas d’être une fuite en avant ?

« Non si l’on reconnait que l’Europe est dans une situation insoutenable. Prenons l’exemple de l’Union bancaire, décidée il y a plus d’un an. Nous n’y sommes pas encore parce que la gouvernance ne fonctionne pas et donc les politiques ne peuvent pas y agir. Le temps n’est pas un élément marginal : ce qui va bien aujourd’hui peut ne pas fonctionner dans 5 ans quand le monde aura pris une autre direction. Les thèses selon lesquelles l’austérité et les coupes budgétaires auraient à elles seules apporté la croissance à traité constant sont démenties de toute part. Avoir les comptes équilibrés  est important et nous l’avons fait en Italie, grâce notamment au gouvernement Monti. Mais les coûts économiques sont élevés (pour tous y compris prochainement pour l’Allemagne) et à ceux-ci s’ajoutent les coûts politiques puisque nous assistons à la montée des populismes et euroscepticismes qui atteignent une dimension préoccupante, se transformant par la suite en nationalisme et racisme, dont notre propre Histoire nous met en garde.

 

Mais pourquoi l’option intergouvernementale ne fonctionnerait-elle pas ?

«Parce qu’à force d’avancer sur la route de l’Europe, les patries elles-mêmes se détruisent. On ne réussit même pas à contrôler une crise relativement petite comme celle de Chypre. Je suis fédéraliste par conviction et je ne connais d’autre système institutionnel au monde en mesure de faire vivre ensemble démocratie, état de droit, et respect des différences  pour 500 millions de  personnes de lingues et d’histoires différentes. Et ce n’est pas une chose exotique, nous avons cela en Allemagne où cela fonctionne. Il n’est pas possible de céder des compétences ultérieurs sans une responsabilisation démocratique, sans que le Président soit élu, sans que le Parlement européen, voire le parlement européen émanent des parlements nationaux, puisse voter la confiance. Il n’existe pas de capacité de budget et de fiscalité européenne sans un volet de contrôle, qui, entre autres, ne se limite pas seulement à l’aspect économique ».

 

Que voulez-vous dire ?

«Qu’il existe même dans l’Europe actuelle un écart sur les droits civils. Par exemple, sur le thème des prisons et de la justice en Italie ou de la démocratie constitutionnelle en Hongrie. Des instruments de corrections sérieux n’existent pas. Nous avons des critères économiques forts pour entrer dans l’Union européenne, des mécanismes efficaces de suivi: procédures d'infraction, des amendes et ainsi de suite. Alors que du côté démocratique, il y a de forts critères d'entrée, mais une fois à l'intérieur d'un pays peut changer la Constitution en éliminant le partage des pouvoirs sans que rien se passe comme c'est le cas à Budapest. Ou vous pouvez être comme l'Italie, où il semble que le droit à la défense n'existe plus, car se délitant dans un processus qui dure depuis des années. »

 

Où a dérapé le projet d’intégration ?

«Il s’est fossilisé sur la monnaie unique. Nous nous sommes arrêté aidé du fait que l’Euro quoiqu’on en ait dit, a été un succès retentissant, jusqu’en ce système imparfait, au point qu’on a oublié d’aller de l’avant sur les autres aspects jusqu’à ce que nous soyons enfoncés dans la crise. La monnaie avait une gouvernance de beau temps, avec la tempête, cela ne marche plus.

 

Mais on a perdu le principe de solidarité, la raison pour laquelle nous sommes ensemble

«En réalité, non n’avons jamais eu à le pratiquer sérieusement, parce que nous n’avons jamais été véritablement mis à l’épreuve : les fonds de cohésion sociale et les autres postes budgétaires. Ceci est la première grande crise et l’incapacité d’y donner des réponses fait passer le refus de la solidarité des gouvernants aux citoyens. Popper nous a enseigné qu’en cas de crise, chacun s’adresse à l’autorité la plus proche pour trouver une solution. Pendant trois ans, nous avons pris des mesures à peine suffisante pour ne pas exploser : trop peu et trop tard. La vérité est que seul un grand projet de relance à tous les niveaux peut intéresser quelqu’un. Je ne crois pas qu’il soit possible de refaire l’Europe des petits pas. La bizarrerie fantastique est que l’Europe continue a exercer un pouvoir magnétique attractif pour tous les  peuples non européens. »

 

 

Quel est aujourd’hui l’argument fort du besoin d’Europe ?

«Aucun de nous n’a seulement les ressources et l’économie d’échelle pour se garantir un futur pour ses propres générations. La vision opposée est autocratique et nationaliste, la tentation de se fermer à tout qui devient par la suite raciste et fomente les guerres. Ensemble, nous serons plus forts sur le plan économique et démocratique. »

 

Schäuble, le ministre des finances allemand, dit qu’il faut modifier les traités ne serait-ce  que pour l’union bancaire. Êtes-vous d’accord ?

 «Selon moi, cela n’en vaut pas la peine. Il n’est pas vrai que les petites réformes soient mieux digérées par un certain type de pays. De toute façon beaucoup d’entre eux sont obligés à les soumettre à référendum. Et on ne rendra pas les gens amoureux de l’Europe en leur faisant le coup de l’union bancaire. Déjà qu’il est difficile de tomber amoureux d’une monnaie. Mais il y a des choses qui touchent beaucoup plus l’imagination populaire. Je ne me lasse pas de demander ce que nous en faisons de ces 27 armées nationales ? Cela coûte 250 milliards d’euros. Nous avons deux millions de personnes sous les armes, nues, c'est-à-dire pas équipées. C’est si vrai que chaque opération de maintien de la paix devient un drame : équipements, normes différentes, système d’armes différents, en Lybie, après dix jours, nous étions sans munitions. Ou bien les infrastructures, la recherche … »

 

 

Et votre idée de la Fédération légère ?

 «Oui, avec un budget d’à peine 5% du pib européen : mettre en commun4 ou 5 secteurs rien à voir avec un Super Etat. Le reste, nous le laissons à la subsidiarité. Nous n’avons pas vocation à devenir absolument homogènes. A la différence de mon amie Ulrike Guérot, selon laquelle l’Europe ne se fait pas parce qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur le vin ou la bière à prendre pendant les repas, je pense que notre richesse soit proprement la bière et le vin dans chacun de nos pays. Ensemble, nous ne devons faire que les choses qui importent : les affaires étrangères, la défense, la sureté, la fiscalité, le trésor, la recherche, les infrastructures et j’y mets aussi l’immigration. Les chiffres les plus prudents indiquent que l’Europe aura besoin de 50 millions d’immigrants d’ici 2050.

 

De quelle manière le gouvernement italien devra-t-il se mouvoir pour faire en sorte que l’ouverture française ne tombe pas à l’eau ?

 

 «Le sujet est de comprendre quelle est la disponibilité. Est-ce une boutade à usage interne ou plutôt comme l’a dit quelqu’un, je pense qu’il s’agit d’une graine lancée et qui une fois au sol assumera sa vie propre. A nous d'en prendre soin, de l’arroser, un peu d’engrais. S’il y a un accord maximal, même avec des résistances bien compréhensibles, ceci devra devenir l’agenda de voyage du président du Conseil, du ministère des affaires étrangères, et de celui du Trésor. Nous devrons nous activer dans toutes les conférences. Ainsi nous préparerons un nouveau type d’élections européennes, avec les grandes familles politiques qui désigneront leur candidat à la présidence de la commission, des commissaires et du président du conseil, avoir un débat différent, en mesure d’impliquer et d’enthousiasmer les gens. »

 

 

Et l’Allemagne sera en mesure de sortir de la prudence imposée par les élections ?
 «Je comprends que la campagne électorale aient sa propre dynamique et impose ses règles. Mais ceci mis à  part, Berlin a toujours dit qu’il y aura jamais mutualisation de la dette s’il n’y a pas transfert de souveraineté. Prenons l’Allemagne au mot. Nous verrons bien si c’est du bluff. 


 

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