dimanche 3 février 2013

Lincoln

Lincoln est un film désarçonnant, mais nécessaire. Il permet 
de s'approprier un pan essentiel de l'histoire de l'Humanité.
 Lincoln est une figure sacrée de l'Histoire. Pour autant, on n'en sait pas grand chose, surtout si l'on est français.
Spielberg a su prendre de nombreux risques cinématographiques et entrepreneuriaux. Avec ce film, on se demande son oeuvre pourrait avoir un grand succès en dehors des Etats Unis. Il s'agit pourtant d'un film passionnant.

Ce que ce film a de supérieur à nombre de films politiques, c'est la question du temps. Comment reproduire la vie d'un président des Etats Unis  au moment des décisions importantes ? Comment se prennent les décisions importantes ? Comment traduire les pressions auxquelles sont soumis les décideurs politiques, comment ils arrivent à s'en défaire , et comment eux mêmes font pression sur leur environnement. 
Tous les cinéastes tombent dans ce piège. En fait, je me dis que depuis Shakespeare, on n'a pas su traiter le temps politique. Mais sans doute cela est il moins difficile au théâtre qu'au cinéma. 
Le film raconte un élément clef pour l'histoire de l'humanité : l'abolition de l'esclavage aux Etats Unis le 6 décembre 1865. 
Pourquoi revenir là-dessus ? 
Henri Wallon, l'homme de l'amendement.
Le vote instituant la République a été
adopté avec une seule voix d'écart le 30
janvier 1975. Amusant de voir comment
des décisions majeures, sur lesquelles
il est impossible de revenir en arrière, se
prennent sur le fil du rasoir.
L'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis c'est un peu comme la République en France : une évidence intemporelle et universelle. Or le film montre à quel point, sans l'intuition et la volonté politique d'Abraham Lincoln, l'histoire aurait pu tourner tout autrement. Cela rappelle, référence pour référence, que l'amendement Wallon, qui instaurera définitivement la République en France en 1875, s'est imposé d'une seule petite voix à la suite d'un débat houleux à l'assemblée nationale. 
Dix ans avant, aux Etats-Unis, en décembre 1965, personne dans le monde politique ne pense à l'abolition de l'esclavage. Personne ou presque. Cette mesure nécessite un amendement à la constitution. Cela veut dire une majorité des 2/3 qui semble impossible à obtenir. Elle est dans la tête des radicaux, la majorité est républicaine (c'est à dire à gauche ... à l'époque, les démocrates représente la droite états-unienne) mais la priorité est à la fin de la fratricide guerre de sécession. 
Or celle-ci est sur le point d'être gagnée par les nordistes légitimistes. Les sudistes sont à bout, demandent à négocier alors que la puissance militaire du Nord s'impose définitivement. Lincoln vient d'être réélu et c'est dans la période précédant son investiture qu'il sent l'opportunité politique de mettre fin à l'esclavage. Cela fait penser d'ailleurs à l'antienne toujours présente de la passivité en politique : ce n'est pas la priorité. On entend cela par exemple sur "le mariage pour tous"... mais en politique, toujours, ce qui peut être fait doit être fait. 
Abraham Lincoln
Son 
assassinat à achevé de
 faire de 
lui une figure de
  l'Histoire de l'humanité
Or Lincoln veut l'adoption du 13e amendement. Personne d'autre que lui ne comprend pourquoi. Même ceux qui le veulent depuis toujours, ne comprennent pas le temps politique. En fait dans cette lutte terrible, qui se passe sur fond de guerre civile, de massacre, de crise familiale le calme de Lincoln s'impose étrangement. Parfois il fait des blagues que personne ne comprend. On sent la tension monter dans une assemblée où les clans se forment, où les débats politiques sont terribles, où les insultes sont permanentes. Au passage cela permet de mesurer à quel point ceux le débat politique actuel où le moindre battement de sourcil passe pour de la violence verbale, est largement pacifié. 
L'Histoire donnera raison à Lincoln. En attendant il faut convaincre les parlementaires réticents. Il en faut 17, on a réussi à en renverser 12, et encore, il y en a un qui revient sur sa décision. Argument majeur de Lincoln vis à vis de ses collaborateurs qui lui disent qu'il faudra sans doute renoncer : je suis quand même président des Etats-Unis ! 
Et à force persuasion, de pressions, de corruption, voilà que l'amendement finit par s'imposer dans la douleur. 
On ne comprendra vraiment la raison de l'entêtement de Lincoln que par la suite. Très rapidement. Les sudistes, prêts à capituler, ne demandent qu'une chose dans la négociation ; le renoncement à ce 13ème amendement Cela veut clairement dire que si, comme de nombreux républicains lui demandaient, il mettait fin à la guerre, jamais le 13e amendement n'aurait pu être voté. Les Etats Unis auraient alors renoncé à être une nation moderne, appelée à devenir la première des nations du monde, et bien sûr le sort du monde en aurait été changé. 
Quelques semaines après ce vote, Abraham Lincoln a été assassiné. Pour les assassins sudistes, il était trop tard. En assassinant Lincoln, ils en faisait le créateur de l'Amérique moderne, le vainqueur du combat pour la dignité de l'Homme contre les oppresseurs esclavagistes.

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