mercredi 21 décembre 2011

3e épisode : le travail de Franck Martin

Résumé de l'épisode précédent :
Il y avait bien un territoire ! A l'analyse tout le démontre, et ce jusqu'à l'existence de Val de Reuil, qui malgré l'échec qu'il représente en tant que Ville nouvelle, souligne la volonté de fédérer un territoire émietté en imposant la structure externe d'une ville nouvelle ... La Case fédère aujourd'hui 70.000 habitants autour d'un projet commun, la Ville nouvelle visait 100.000 habitants, c'est bien la preuve que le territoire ne demandait qu'à se fédérer. Il n'empêche, si l'agglomération Seine-Eure a pu réussir sa mission, c'est aussi grâce à la volonté d'un homme.
Rien ne lui aura été facilité dans ce travail.




Il est bon de rappeler ce que l'émiettement signifie pratiquement, et comment il a été vaincu. Tout se joue à l'initiative de Franck Martin dans cette période de 1995 à 2002, et son parcours s'effectue en parallèle à la nouvelle dimension de l'intercommunalité prise au niveau national. L'émiettement a tout son sens dans le territoire, mais il n'est qu'à l'image il de notre France des 36.000 communes et donc d'autant de pouvoirs locaux, aussi jaloux de leurs prérogatives que soumis aux autorités centrales parce qu'incapables d'agir sur des grands projets.

Comme il a été dit dans le 1er épisode, Franck Martin a très rapidement pris contact avec les communes de Val de Reuil et d'Incarville. Mais ce n'est pas tout. Fort de ses relations et de son statut de conseiller général, il expose aux 12 maires de son canton l'intérêt de construire une intercommunalité de projet.

Cela ne marche pas avec tout le monde ! Acquigny, affectivement attaché à Odile Proust, l'ancien maire de Louviers, est inflexible. Hondouville vit dans la peur de perdre la taxe professionnelle de la grosse entreprise située sur sa commune ... et la même grosse entreprise fait tout pour ne pas voir sa taxe professionnelle s'aligner sur celle de Val de Reuil. Pour les autres maires, c'est banco. Tout simplement parce que Franck Martin arrive à les convaincre aussi en les informant que leur métier d'élu va évoluer. Il leur propose de participer à une réflexion élargie à l'ensemble d'un territoire sur lequel ils vont pouvoir influer. Car qu'est ce que le métier de maire d'une petite commune, à part un dévouement sans faille à ses habitants et une mise à l'épreuve permanente ? Peu de chose en somme, les projets structurants sont traités par des syndicats, qu'il s'agisse de distribution de l'eau, de voirie, quant aux équipements, écoles, implantations économiques, centres de loisirs, etc ... Les choix faits, s'ils concernent les habitants de la commune, sont décidés en dehors d'elle.

Tout se travail est long est difficile. Franck Martin est aidé par son adjoint Patrice Yung, qui deviendra vice-président de la Case et d'une équipe administrative militante composée de Claude Blanluet, Jean Laversanne et Philippe Le Gal, les secrétaires généraux de Louviers, Val de Reuil et Incarville, les trois communes fondatrices ... Ils deviendront tout à tour directeurs généraux des services de la Case.

Oui, mais dire que le pouvoir de conviction de Franck Martin s'est imposé naturellement serait mentir. J'ai parlé un peu plus haut de l'usine d'Hondouville ... mais au delà, il y a eu des freins nombreux ... Politiques d'abord ... La droite a peur de deux choses : un président de gauche influent, et une perte d'influence sur les maires locaux. Elle tente de fédérer les communes pouvant empêcher l'intégration. On tente de créer des intercommunalités de barrages, dont le seul but est d'entraver un travail cohérent sur le territoire. Franck Martin est soutenu par le préfet qui tente de faire appliquer la Loi Chevènement relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale du 12 juillet 1999 ... une loi qui parachève le travail mené depuis 1997 par le gouvernement Jospin. Mais les blocages ne viennent pas que de la droite.

François Loncle, le député, pourtant ancien ministre de la Ville, pourtant membre de la majorité gouvernementale, participe au combat rétrograde contre l'intercommunalité. Il souteint la commune des Damps dans son opposition à l'adhésion à la communauté d'agglomération. Au risque de tout foutre en l'air. Paulette Lecureux maire de Pont de l'Arche se trouve isolée, lors même qu'elle a fait le choix de rejoindre la communauté d'agglomération qui se construit. Elle en perdra les élections quelques mois plus tard !

Mais la communauté d'agglomération finit par s'imposer et prend naissance en 2001.

Dans les années qui suivent, le territoire s'impose. Les nouveaux rentrés, même si leur présence a été imposée par le préfet, y prennent toute leur place. A Pont de l'Arche, les nouveaux élus ont fait campagne cointre l'intégration à la communauté d'agglomération mais ils tournent casaque une fois élue ... et participent à l'exécutif, sous le regard médusé de Paulette Lecureux .. mais l'événement marque la victoire de la Communauté d'agglomération.

D'autres faits majeurs sont à signaler. La communauté va passer en quelques années de 24 à 29 membres, en intégrant notamment les communes d'Andé et d'Amfreville sous les Monts. Bientôt, elle intégrera de par la loi la commune réfractaire de Portejoie (une anecdote savoureuse, mais qui prendrait trop de place à être détaillée).

Le travail de la communauté impose le territoire. Elle continue essentiellement à travailler sur ses missions principales liées à l'aménagement du territoire (Scot, Transport ...), au développement économique (commercialisation des zones de Val de Reuil malgré les entraves de son maire, création d'Ecoparc 2 et 3 sur Heudebouville), à l'environnement (traitement des déchets, des eaux usées, et distribution de l'eau)...

Il n'empêche, si le territoire s'impose à présent comme un élement incontestable du paysage administratif et politique, les derniers événements de l'année 2011 soulignent que celui-ci est appelé à prendre une nouvelle dimension.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo ! Cet historique est passionnant, ranime la mémoire, apprend à beaucoup des épisodes non connus ou oubliés … Il est impressionnant de prendre conscience des difficultés à surmonter pour faire avancer des projets pourtant évidents et tournés vers l'avenir … Merci et encore bravo !

Sylvia Mackert a dit…

Une chose qui me dérange et je me répète peut-être, c'est le terme "métier" pour désigner la fonction de maire, le statut de l'élu. Ce n'est pas quelqu'un qu'on recrute à pôle emploi et il n'y a pas de diplôme professionnel pour devenir maire ou élu, c'est ouvert à tout citoyen, pourvu qu'il puisse convaincre ses électeurs.

Café radical a dit…

Vous avez raison, comme souvent ;), maire n'est pas un métier, mais c'est une activité tout à particulière, tout simplement parce qu'elle met en responsabilité ... et quelle responsabilité puisque le pouvoir que l'on détient est une émanation du peuple... Et quel pouvoir que de décider de l'intérêt général !
Eh oui ! C'est pas un métier ! c'est une fonction, qui évolue. Alors, oui, je me suis fourvoyé à parler de métier... mais même si c'est important que ça ne le soit pas, il s'agit bien d'un engagement et d'une responsabilité... Là sont les points communs.

Anonyme a dit…

Val de Reuil n'a pas réuni les 100000 habitants imaginés à l'origine mais merci de cesser de parler "d'échec" en parlant de cette ville. Ses habitants ne sont pas davantage des "erreurs". Cette manière condescendante de parler de Val de Reuil et des rolivalois est agaçante et dépassée.

Sylvia Mackert a dit…

oui, c'est une grande responsabilité et un engagement, j'en conviens, et un maire est à la fois au service du peuple et le chef de la commune, sans pour autant parler d'emploi. Et je fais une différence entre travail et emploi, donc dire qu'il a fait un travail ne gène absolument pas. Vous m'aviez dit un jour que tout n'est qu'une histoire de nuances, mais parfois la nuance fait la différence.
Par contre je sais que F Martin considère ce poste comme métier et souhaiterait professionnaliser et changer le statut de l'élu.

Café radical a dit…

A Anonyme, l'échec ne vient pas de Val de Reuil, mais de l'Etat...
Où l'on se rend compte d'ailleurs qu'avec les plus grands architectes, les plus grands fonctionnaires, la programmation d'une ville est une chose extrêmement délicate. Quand on parle d'échec en ce ui concerne la politqiue urbaine d'après guerre, stygmatise-t-on les habitants des banlieues ?
Et en même temps les plus belles constructions urbaines ne sont elles pas une suite d'erreurs, d'échecs et de corrections d'échec dans le cadre d'un conflit passionnant entre l'intérêt collectif, les besoins individuels et l'intérêt général ?
En parlant d'échec du projet urbain de Val de Reuil, j'ai surtout mis en valeur l'aspect positif énorme de la création de la Ville nouvelle, c'est à dire la révélation d'un territoire. De ce point de vue au moins, la création de Val de Reuil est une réussite. Ce n'est pas le seul aspect. Mais il est vrai que la dérive prévisible à l'origine de l'établissement publique, à savoir la création d'une structure externe pour fédérer les pouvoirs locaux, à abouti à un comportement politique très particulier.