jeudi 17 décembre 2015

Mémoire d’un conseiller régional

Lol comme on dit ... J’aurais été conseiller régional une petite heure. Le temps qu’Antenne 2 , en cette terrible soirée d’élections de dimanche dernier annonce que la liste de Mayer Rossignol allait l’emporter d’une courte tête face à la droite.
J’ai tout de suite dit à mes amis qu’il fallait sortir le champagne rapidement... avant que la télé n’annonce le contraire. Et, comme de fait ! (j’adore l’expression) plus le temps passait avec l’apport du décompte officiel de la préfecture, plus je me disais qu’il y avait quelque chose qui ne collait pas dans l’estimation hasardeuse de France 2. Un peu avant 22 heures, le verdict tombait en plein débat : les vainqueurs devenaient vaincus et vice-versa. Et moi, le 9e de liste, je n’avais plus qu’à remercier ceux qui m’avaient déjà félicité en leur expliquant que, non, ce n’était pas pour cette fois.
Mais passons sur mes déboires personnels. Au-delà de ce que cela signifie et du profond changement que mon élection aurait eu sur mon propre sort, de mes capacités d’engagement et du soutien que cela m’aurait procuré je me dois de fixer quelques éléments d’analyses et des perspectives offertes par ce scrutin.
Le grand vainqueur des élections a été le Front National, même s’il en a aussi été le grand perdant.
Il en est vainqueur, parce que non seulement on n’a parlé que de lui, j’allais dire comme d’habitude, mais en plus il a augmenté partout ou presque son score en pourcentage et en nombre de voix, a réussi à se maintenir au deuxième tour et a réussi le rêve fasciste de troisième voie.
Il en est le grand perdant parce qu’il n’a pas réussi à engranger et à devenir une force capable de s’imposer à la tête d’une Région. En gros, si une grande partie du corps électoral a donné quitus aux thèses frontistes, une plus grande partie encore a fait savoir que si elle ne savait pas ce qu’elle voulait, elle savait ce qu’elle ne voulait pas.
Bref, pour moi, mais pour beaucoup d’autres qui disions, qui pensions que le Front National ne devait pas constituer l’alpha et l’omega de notre pensée politique, il faut reconnaître qu’il est temps de changer de discours. 
Le Front National n’est plus ce qu’il était. C'est-à-dire que sa permanence et son renfort sur le plan électoral changent durablement le paysage politique français. On serait tenté de dire, à l’instar de la formule de Mitterrand sur le chômage  : « contre le front national, on a tout essayé ». Ce n’est heureusement pas vrai. Ce qui est sûr, cependant c’est que les vieilles recettes n’ont pas produit leurs effets. Voilà pourquoi il me semble impératif d’analyser et le phénomène, et les méthodes pour l’endiguer sous peine de se trouver confronter à une passivité coupable dont les conséquences seraient terribles.
1)      L’analyse du phénomène.
Elle me semble indispensable, et en particulier il faut se détacher du prêt à penser qui permet de se dédouaner de ses propres responsabilités. Qu’est-ce que le front national en premier lieu ? Ce n’est pas un parti fasciste au sens où il n’a pas de projet de société, mais son histoire le relie à l’extrême droite et il a de nombreux fascistes dans ses rangs. Ces éléments lui donnent notamment une puissance militante, c'est-à-dire une capacité à mettre en œuvre une stratégie et des tactiques dont sont incapables les partis traditionnels. Pour ceux-ci, la seule perspective est d’exister de scrutin électoral en scrutin électoral, se structurant en fonction d’objectifs différenciés (municipales, départementales, régionales, présidentielles, législatives et sénatoriales). Une fois élus, les candidats se focalisent sur le travail local, sur la gestion, sur l’écoute citoyenne. Ils délaissent le discours strictement politique, pourtant indispensable. Quand ils ne sont pas élus, ils gèrent leur déception et  pensent à préparer les prochaines élections. Le travail militant qui a fait la force du parti communiste jusqu’en 1980 a progressivement disparu. Les engagements sur des thèmes ou situations locales restent marginales. 
Deux éléments nouveaux sont manifestes depuis le weekend dernier : La qualité des cadres, le renforcement de la puissance militante.
a.      La puissance militante
Pour l’anecdote, je rappelle ce qui s’est passé à Louviers durant le mois de novembre avec « l’affaire Mandela ». La municipalité de Franck MARTIN avait fait voter à l’unanimité d’accorder le nom de  Nelson Mandela à la place du parvis de la grande église de Louviers. Comme il fallait attendre deux mois avant la validation de la délibération, il avait été décidé de pratiquer l’inauguration à la suite des élections afin d’éviter toute récupération.
Mon ami Achard de Préville a été  voir le nouveau maire pour inaugurer dignement  la place... ce qui n’a posé aucun problème... Jusqu’à ce que l’annonce soit en faite le 11 novembre dernier lors de la cérémonie patriotique. C’est seulement à cette occasion que des voix se sont élevées contre ce projet. Des voix qui se sont répercutées auprès de la municipalité de centre droit qui, une fois réunie sous des prétextes incroyables a renoncé à l’inauguration ce qui nous a donné l’occasion d’un sursaut militant. Tout ça pour dire : oui, le Front National était et est présent aux cérémonies patriotiques. Il y est de manière active et militante et cela s’inscrit dans une démarche déterminée qui se manifeste dans de nombreux autres domaines. Le FN n’est pas qu’une machine électorale. Les militants sont là, actifs et leur efficacité est d’autant plus forte qu’ils peuvent s’appuyer sur terrain favorable et médiatiser.
b.     La qualité des cadres
Nous avons connu un Front National représenté par de pauvres gugusses, incapables d’aligner deux mots ou deux idées dans des communes de tailler réduite et même importante ... où se percevait la difficulté pour eux de constituer des listes. Cela s’expliquait par les circonstances, le manque de cadre et le refus de personnalités locales de se mouiller sauf exception. Il faut se faire à l’idée que ce temps là est derrière nous.  La prochaine échéance verra de vrais cadres se présenter dans des communes y compris de taille réduite, capables de mener une campagne locale et cohérente. 

2)      Organiser la riposte
Une fois dit cela, il ne s’agit pas de rester les bras ballants. Il ne s’agit pas d’analyser les forces de l’adversaire et de se dire qu’on n’a plus qu’à attendre que notre République, que nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité soit ensevelies par la vague fasciste. Il faut à présent  contrer de manière organisée un adversaire lui aussi organisé. Tout le monde constate que la société française évolue dans le mauvais sens. On entend des propos frontistes dans un bistro ? On change de bistro. Chez le coiffeur, on change de coiffeur. Dans la rue ? On fait comme si on n’était pas sûr d’avoir bien entendu. 
Il faut inverser la pente fatale et donner un argumentaire de la vie quotidienne. Mais pas seulement. De nombreux maires de petites communes voient depuis des années augmenter le score du front national. Ils savent que ça vient de tel lotissement, d’untel qui est influent. Il faut écouter les maires. Nous avons à apprendre d’eux, en même temps qu’ils attendent de nous. Les élus locaux, comme tous les élus sont vilipendés. C’est la mode, on cherche des coupables. Les élus ne font rien. Ils sont payés à ne rien foutre.  Si le front national monte, c’est  la faute au gouvernement (bien sûr, c’est surtout pas la faute des électeurs !) ... Il faut en finir avec ces arguments mortifères. Pourtant, soyons clairs : si dans les trois mois le gouvernement mettait fin au chômage, cela n’endiguerait en rien la montée du Front National. Je n’ai pas de baguette magique. Je ne peux dire qu’une chose c’est que nous entrons dans une phase politique particulièrement difficile. Il faut s’y préparer. Il faut nous mobiliser et mobiliser des gens qui ne le sont pas et qui ne demandent qu’à l’être. Les politiques sont, avec l’étranger, le bouc émissaire de toutes les frustrations et la frustration entraîne la frustration. Le discours nationaliste le plus terrible est d’ailleurs celui-là : « c’est de la faute au politique s’il y a tant d’étranger. »
3)      Engagement politique et citoyen
Ce discours s’impose malicieusement dans notre vie quotidienne.  On se rend compte que ce qui au départ nous laissait sans voix, car idiot et caricatural, et devenu une vérité urbaine, un bon sens paradoxal, parce que nous n’avons pas pu y répondre.
La critique systématique du  pouvoir est une liberté fondamentale. Cet anarchisme bon enfant est même au cœur de l’esprit français, tel qu’il a notamment été visé par Daech, le 7 janvier puis le 13 novembre. Mais le Front National s’incruste dans cette attitude, y trouve des forces, fabrique un ennemi sans nom, qu’il appelle le système et lui permet d’attaquer toutes nos institutions en les amalgamant. Ainsi, la paresse politique, la dénonciation de l’autre, trouvent une place confortable dans les discussions dénonçant l’étranger, l’élu, le fonctionnaire, la télé, la presse et tout ce qui dépasse en évitant surtout de faire des nuances.
Pourtant, la vie est faite de nuances. Pourtant, ce discours malsain, qui tourne sur lui-même doit trouver une riposte. La République a beaucoup, a trop reculé jusqu’à présent. La tactique frontiste est de l’amener au bord du ravin où elle ne pourra reculer qu'en tombant dans le précipice. Nous ne devons pas nous mettre sous leur dépendance.
De fait, nous avons beaucoup à défendre de ce monde. Et bien souvent ceux qui critiquent ses insuffisances auraient beaucoup à perdre de sa disparition. Les libertés acquises, l’égalité entre la femme et l’homme qui a fait tant de progrès en un demi-siècle, le droit de la femme à disposer de son propre corps et qui indispose tant le front national, les droits sociaux, et le fait que le vivre-ensemble repose sur ces valeurs fondamentales.Pour tous ceux qui ont a supporter au quotidien le discours médisant et malsain, il est temps de rétablir la réalité d'un monde complexe face aux amalgames mortifères des populistes.

4)      Il faut agir vite
Bientôt les fêtes que je souhaite bonnes à tous. Ne brisons pas la trêve des confiseurs qui nous fera du bien à tous. Mais je m'engage dès janvier à prendre une initiative contre le mal de l'exclusion qui gangrène la société française. J'en reparlerai prochainement. Que tous ceux qui sont intéressés prennent contact avec moi.
caferadical@gmail.com




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