mardi 26 mars 2013

Cumul des mandats, des universitaires contre la démagogie

Patrick Weil est le plus connu des quatre universitaires qui
ont signé une tribune refusant la fin du cumul des mandats.
Dans le cadre constitutionnel de la 5e République, la mesure
aurait un effet contraire à celui recherché : le renforcement du
pouvoir des partis,  et la perte de pouvoir des électeurs.

Il faut se méfier des unanimités...

Tout le monde est contre le cumul des mandats, c'est très tendance !
La fin du cumul des mandats est devenu une telle évidence, qu'on ne voit guère que la preuve d'un monde politique accroché à ses privilèges, dans le fait qu'on n'y soit pas encore parvenu.
Jusqu'à présent, à dire la vérité, il n'y avait que les radicaux de gauche et quelques sénateurs pour refuser l'idée que le cumul des mandats soit la clef de l'évolution vers une démocratie moderne. Ça sentait le roussi, même si les arguments étaient bons, on ne voyait là que la posture de quelques notables locaux accrochés à leur privilèges. Un argument de plus pour les opposants au cumul des mandats.
Depuis lundi, une nouvelle donne existe. Quatre universitaires de renom Pierre Avril, Olivier Beaud, Laurent Bouvet et Parick Weil (photo) ont écrit au chef de l'Etat pour mettre en perspective les conséquences réelles de la fin du cumul des mandats et son danger pour la démocratie représentative.
Cette prise de position a contre-courant est salutaire. D'abord elle lance le débat au moment où l'on faisait croire qu'il n'y en avait pas., et surtout elle replace les conséquences de la mesure dans le cadre de la constitution et de sa représentions démocratique. Pour la lecture intégrale de la lettre, qui est assez courte, facile à comprendre et explicite, tapez . Pour ma part, je me permettrais de compléter cette argumentation par les réflexions suivantes.

Qu'est ce qui justifie, au fond, la fin du cumul des mandats ?


  1. Le fait qu'on s'attaque au système politique.
    C'est très bien, très à la mode, on a vu avec la montée du Front National lors d'une élection partielle, qui a failli faire perdre le représentant de l'Ump, ex-cumulard, sorti de nombreux déboires avec la justice mais ... qui n'était plus cumulard ... on en peut pas avoir tous les défauts. Bref ! Jean François Mancel a bien été victime d'un rejet du monde politique, un rejet bien compréhensible dans une situation de crise, mais on sait à quel point les comportements électoraux et politiques en situation de crise correspondent davantage à des appels au secours qu'à un programme politique. Nous y reviendrons.
  2. Le rejet d'un comportement de casteC'est vrai que les élus locaux sont fiers d'être élus. C'est vrai que la victoire électorale donne une satisfaction légitime à l'élu. C'est vrai que le principe de l'élection a tendance à favoriser la reproduction d'un corps d'élus représentatifs de la moyenne nationale, et en cela moyen, la caricature en ayant émergé de l'après guerre jusqu'aux années 90 avec une prééminence à l'assemblée nationale de petits blancs ventripotents de sexe masculin. 
    Le parlementaire ventripotent, déjà caricaturé par
    Daumier, n'est certes plus à l'image de la société
    française.

    Cet aspect-là, il est vrai à tendance à être plus appuyé encore chez l'élu local, lorsque celui-ci ne vend à l'extérieur que les intérêts de son terroir, ce qui a pour double avantage d'aider à sa réélection, et d'éviter un affrontement direct avec des adversaires qui auraient au fond le même intérêt : se faire réélire au prix d'un minimum de risque. On est bien plus proche alors des petits arrangements entre amis que de la prise de risque indispensable à la défense de ses valeurs et de la défense de la population.
Mais que signifiera à très brève échéance la fin du cumul des mandats ?
  1. Une multiplication du nombre des élus
    Or, mis à part pour les élus eux-mêmes, il n'est pas certain que ce soit une bonne chose. La confrontation est certes nécessaire en démocratie, pas de démocratie sans débat ! Mais la qualité d'un débat ne se juge pas au nombre de ses participants ... surtout si nombre de ceux qui y participent n'ont rien à dire. L'important est la manière dont le débat est organisé. Si l'on doit son mandat à l'homme fort de qui l'on aura ciré les chaussures, a-t-on mieux acquis le droit de parler au nom du peuple ? Ce serait dommage ! La politique est un rapport de force. C'est un poncif, mais ce n'est pas un gros mot. L'élu local est porteur d'un rapport de force, un rapport de force entre groupes sociaux, toujours porteur d'une histoire. Un rapport de force maîtrisé par l'élu et qui lui donne son poids politique, confronté en permanence au jugement de sa population. Il ne doit pas ce mandat à son parti, et cela lui donne même le droit de s'opposer à la ligne de son parti. il est en cela infiniment plus respectable et respecté qu'un élu placé sur une liste par la grâce de son parti ou, pour reprendre l'expression d'un dirigeant politique Eurois "parce qu'il aura le mieux réussi à placer un couteau dans le dos de son copain politique" (allusion aux combats internes aux partis lors des scrutins de listes.
  2. Un renforcement du rôle des partis La nature et le pouvoir ont horreur du vide. La place que n'occupera pas le pouvoir local sera occupée par d'autres et très vite. Les électeurs voteront de moins en moins pour une personnalité et de plus en plus pour une étiquette, c'est à dire pour des gens sans pouvoir qui devront chercher leur légitimité auprès d'une structure nationale qui sera de moins en moins en mesure d'écouter ce qui remontera de la population, étant par ailleurs représentés par des courtisans. Ainsi, l'électeur qui aura demandé la fin du cumul des mandats par ce qu'il se sera senti éloigné de son représentant sera-t-il représenté par un élu auprès de qui il n'aura aucun poids.
Il faut changer la constitution
Le parti radical de gauche se bat depuis une dizaine d'années pour la 6e République et la modernisation de notre constitution ! Les universitaires qui écrivent au président de la République montre à quel point nous sommes sur une situation bancale, avec une constitution donnant tout pouvoir au Président de la République et un parlement à sa botte, élu dans la foulée de l'élection présidentielle, le tout étant épaulé par un premier ministre dont le rôle ne cesse de décroître. Une absence d'élus locaux ne ferait qu'accroître cette dérive.
Au parlement, les élus locaux sont indispensables. Ils sont le mieux à même de résister aux logiques des partis. Leur présence est indispensable pour assurer un équilibre des pouvoirs.
Le cumul des mandats est loin d'être la panacée en terme de modernisation démocratique. Il faut aussi rappeler que les mandats sont déjà limités. Il fut un temps où le pouvoir de Lecanuet lui avait permis d'être à la tête du conseil régional, du conseil général de Seine-Maritime, de la ville de Rouen et de disposer de mandats parlementaires. Cette dérive serait aujourd'hui impossible. Mais est-il normal d'écarter un tenant de pouvoir locaux des débats nationaux ? Le poids des partis est tout aussi nécessaire que le poids de la représentation locale. En cédant à la tentation facile qui consiste à faire croire que tous les maux de la société viennent d'un abus de pouvoir des élus locaux, on fait fausse route.
La démocratie impose l'exigence vis à vis des élus, ceux-ci doivent être critiqués autant qu'ils peuvent être admirés, parce que leur fonction est ingrate et belle ... mais ils nous sont indispensables. Ni les militaires, ni les robots ne constituent une alternative satisfaisante. 
La république a besoin d'élus, de personnalités variées et représentatives.


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