samedi 18 février 2012

On a retrouvé Richard ...

Al Pacino, est un grand acteur américain mais est davantage connu comme star internationale. Ce n'est pas la même chose. On peut être star sans être un grand comédien. On peut être grand comédien sans être star.
Al Pacino a souhaité mettre en scène l'une des pièces de théâtre de William Shakespeare les plus connues en Angleterre et les moins connues en France, Richard III. Cette pièce est aussi très peu connue aux Etats-Unis. Et c'est à partir de cette méconnaissance qu'Al Pacino a éprouvé le besoin de faire un film Looking for Richard (A la recherche de Richard) qui a durablement marqué mon esprit.
J'avais malgré tout un peu oublié ce film avant d'aller voir le magnifique Henri VI, autre pièce de théâtre de Wiliam Shakespeare, présenté à Louviers par la Scène Nationale. La pièce est mise en scène par Thomas Jolly, jeune Rouennais qui promet beaucoup et a déjà eu droit à la critique littéraire du Monde. Bref ! Je ne vais pas plus loin sur le sujet qui en vaut la peine, mais je veux en revenir à une réflexion plus générale sur notre théâtre, précisément entamée par Al Pacino dans son film déjà ancien (1996).
En fait, si je connaissais Richard III, personnellement, c'était grâce à Luky Luke, et une vignette où l'on voit un comédien déclamer sur un tréteau devant un public de western la réplique la plus fameuse de la pièce : Mon royaume pour un cheval ! ... l'image d'après est celle de ce même comédien, couvert de plumes et de goudron, les mains attachées derrière le dos, enfourché sur un canasson et contraint de quitter la ville ... caricature de l'approche culturelle des pionniers créateurs des Etats Unis d'Amérique dans une sorte d'imagerie d'Epinal... passons ... Au moins Richard III était il grâce à Goscinny et Morris entrés à jamais dans mon imaginaire !
En fait, l'une des questions était : comment est il possible que Richard III, soit plus jouée en Angleterre que Hamlet ou même Roméo et Juliette ?
Or, effectivement, si cela peut sembler inimaginable pour un états-unien ou un français normal, la réponse à la question est toutefois évidente, et comme toute réponse à une bonne question, elle amène d'autres questions.
Richard III est une pièce de théâtre comme nous n'en avons pas eu en France ! C'est un monument de théâtre historique ! Richard III est un théâtre d'intrigue où le roi est présenté comme un horrible personnage capable de tuer toute sa famille pour parvenir au pouvoir et qui subit à la fin une mort odieuse... Ce personnage est un personnage historique, donc politique,  qui n'aura régné que deux ans. Il est né en même temps que Léonard de Vinci, un siècle avant Shakespeare 
Parce que voilà : en France, nous n'avons pas d'équivalent. Je en parle pas de ce dont il est habituellement question, à savoir du grand délire du théâtre shakespearien, qui ose toutes les situations, toutes les contradictions et toutes les complications scéniques, ce que n'a jamais offert le théâtre classique à la Française, et pour cause !
En fait, le théâtre français classique s'est, par nature, interdit l'Histoire, je veux dire l'Histoire proche, celle qui nous parle, et qui parle du pouvoir tel qu'il est. En fait, la pièce historique la plus connue, celle où l'on entend le bruit des canons n'est autre que le Cid, un classique, certes magnifique, mais qui nous parle de la reconquête espagnole qui eut lieu dans un autre pays que le notre, et où l'héroïsme guerrier ne remet pas en question le pouvoir en France...
Car telle est la France, dans sa construction éternelle et mentale. Elle est face à un pouvoir légitime de toute éternité, qu'il est impossible de remettre en question sans paraître affreusement grossier et éloigné d'une démarche culturelle.
Je pense pour ma part que cela est dû à notre histoire bien différente de celle de l'Angleterre. Cette Nation  n'a pas eu le pouvoir d'ignorer son passé, ses luttes de clan, sa cosntruction... Le pouvoir, chez nous est de fait attribué à Dieu, de Rome et l'Eglise ... même s'il a été conquis par le sang et le canon. Une fois acquis, il s'intègre dans une tradition incontestable.
En Angleterre, quelques années avant Shakespeare, la rupture avec Rome était consommée, permettant l'éclosion du théâtre Elisabetain... sans équivalent dans le reste du monde...
La France a connu les bonheurs du théâtre de cour, qui a d'ailleurs donné lieu à la politique culturelle française, exception mondiale. Mais le théâtre remettant en cause notre Histoire n'ajamais existé... On peut même, si l'on considère le cinéma comme la poursuite de notre théâtre, expliquer ainsi notre difficulté à filmer notre propre Histoire, jusqu’à trois siècles après. Les américains ont fait bien des films sur leurs guerres, sur leur Vietnam, toujours bien avant les français et là en est sans doute la cause.
En fait, il a fallu l'avènement de la République et la fin de l'ancien régime pour que les romans historiques d'Alexandre Dumas puissent s'ouvrir au succès.
Alors, voilà, nous n'avons pas d'équivalent. On peut dire : oui, bien sur, mais enfin, Shakespeare, c'est des histoires d'Anglais ... c'est pas faux ...
mais c'est pas complètement juste ! Il n'est d'ailleurs que d'aller voir le merveilleux Henri VI mis en scène par Thomas Jolly pour s'en rendre compte. L'un des personnages les plus extraordinaires de cette pièce qui mérite tous les superlatifs n'est autre que notre chère Jeanne d'Arc, vue par les Anglais évidemment, mais que l'on voit brûler sur scène ... C'est bien sur une manière de voir notre propre histoire dans le miroir des Anglais (est-ce par effet de miroir que les Anglais roulent à gauche ?) ... qui nous est effectivement une leçon.
Je ne vais pas aller plus loin, si ce n'est pour recommander à tous de se rendre aux prochaines représentations de ce génial Henri VI... Je le fais en rappelant que Henri VI est une oeuvre démesurée (elle est divisée en 3 pièces et dans son intégralité demanderait au moins 12 heures de spectacle ... ). La version expurgée de Thomas Jolly prend 8 heures de scènes, en deux spectacles de 4 heures) mais on ne s'y ennuie pas une seconde.
prochaines représentations :
15 et 16 mars à Mont Saint Aignan,
12 mai, Grand-Quevilly (Théâtre Charles Dullin)

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