vendredi 18 novembre 2011

Le cheval bleu de ma folie

Je vis avec Federico Garcia Lorca depuis mon adolescence.

Dès treize ans, je fus fasciné par ce poète disparu, véhicule exotique d’une Espagne perdue, révélateur indispensable de la sensualité de la jeunesse en espérance.


De « la femme adultère » à "la complainte pour Ignacio Sanchez Mejias", ses vers résonnaient en profondeur pour me donner accès à un monde à jamais à l’abri de la médiocrité adulte.


Sans doute d’ailleurs, Federico Garcia Lorca est-il à l’origine du choix que je fis d’apprendre l’espagnol en classe de seconde … et d’y apprendre bien plus que l’espagnol.




Grâce à lui, j’ai donc eu pour professeur Ilario Ortega, auquel je tiens à rendre hommage, parce qu’il fut l’un de ces rares personnages qui subsistent dans la mémoire de toute une scolarité. Les clefs qu'il m'a donné pour comprendre le monde sont de celles que l'on n'égare pas, même si l'on est, comme moi, assez distrait.



Il a été le premier à évoquer devant moi l’homosexualité du plus connu des poètes espagnols, et l’importance de celle-ci dans son œuvre. Il nous avait dit aussi que les circonstances de sa mort étaient mystérieuses et que celle-ci était probablement due à la jalousie d’un amant franquiste … Sans tarder je reviens sur ces propos qu’il faut corriger immédiatement. Si la mort de Garcia Lorca est due à son homosexualité, elle est essentiellement politique et pas du tout la conséquence d’une déconvenue amoureuse.



C’est ce que nous apprend Ian Gibson, dans « le cheval bleu de ma folie », ouvrage qui retrace précisément la vie et la mort du grand poète espagnol sous l’angle de son homosexualité, en dehors des légendes et a priori mensongers qui ont pu être diffusés par ses thuriféraires …. Tant le mensonge arrangeait tout le monde.




Federico Garcia Lorca est mort à 36 ans, en pleine gloire. Son œuvre était reconnue au point que ses poèmes figuraient dans les ouvrages scolaires ce qui reste encore exceptionnel aujourd’hui. Avoir 36 ans et être enseigné à l'école !




Federico Garcia Lorca était assez célèbre pour en plus cacher son homosexualité et cela était bien sur insupportable dans la société espagnole de l’époque, comme elle l’était d’ailleurs dans toute l’Europe. Son grand ami d’un temps, le génial Luis Buñuel, bien que pourfendeur de la bien-pensance, ne s’en est pas moins éloigné de lui pour cette raison, en faisant pression sur Salvador Dali pour qu’il en fasse de même. C’est dire si de l’autre coté de l’Espagne, celle de droite, celle qui allait se mettre aux cotés de l’Eglise et de l’armée pour combattre la République espagnole, l’existence même de Garcia Lorca était insupportable.




Grenade, la ville de Garcia Lorca, était aux yeux du poète, représentative de la pire bourgeoisie espagnole.




Ainsi, dès que cela a commencé à chauffer, dès que l’armée rebelle s’est constituée contre la République engageant à partir du sud de l’Espagne une guerre qui allait durer 3 ans, la visite de Garcia Lorca dans sa famille a été vécue comme une occasion unique par les éléments les plus furieux de la droite grenadine.




Garcia Lorca a donc été kidnappé, torturé, et torturé en tant qu’homosexuel, avec des violences physiques et sexuelles sans ambigüités. « On lui a tiré dans le cul –à coup de pistolet- parce qu’il était pédé ». Des balles qui ont été probablement tirées pour le torturer, avant qu’il ne soit achevé … on ne sait encore comment puisqu’on n’a toujours pas trouvé le corps.[1]



Tous ces faits ont été cachés à l’Espagne. Dans le clan franquiste, tout d’abord, puisqu’il s’agissait d’une exécution sommaire, sans jugement, réalisée par une bande de brutes ayant pignon sur rue. Ils ont été cachés, double peine, par sa famille et toute une partie de ses proches à cause du tabou continuant de peser (mais quel progrès quand même ! Penser que l’Espagne autorise aujourd’hui le mariage homosexuel !!!) sur l’homosexualité.




Ainsi, le poète a-t-il subi une double peine, celle d’être ignoré dans son être profond par ses proches et ses amis … après avoir été précisément assassiné à cause de ce qu’il était par ses ennemis. Il est mort, il y a 75 ans, et, si l’on commence à percevoir l’essentiel, l’on ne sait toujours pas tout de ce personnage si célèbre. Ainsi en va-t-il des guerres et des dictatures, ces grands pourvoyeurs de mensonges.


Et voilà, 75 ans après, à cause de l'acharnement d'un auteur, la vérité se dépoussière de ses mensonges bien et malveillants. Rien que cela méritait l'hommage que je rends à cet ouvrage.













[1] Vous pouvez, comme je l’ai fait moi-même vous rendre à proximité de Grenade sur le lieu où l’on suppose que Federico a été assassiné… Vous pourrez laisser, comme tant d’autres, un petit mot de témoignage… encore une fois, rien ne prouve que ce soit là qu’il ait été assassiné, mais il s’agit d’un lieu de recueillement inoubliable.

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