jeudi 15 avril 2010

Une interview d'Hervé Causse

Le café radical reproduit in extenso l'interview très intéressante d'Hervé Clausse, radical de gauche, réalisé par le journaliste Philippe Le Claire pour le compte du quotidien régional "L'Union"
Après avoir exercé à l'université de Reims Champagne-Ardenne, Hervé Causse est professeur de droit privé et de droit des affaires de la faculté de droit de Clermont-Ferrand. Christian-Philippe PARIS


En attendant la prochaine crise financière

Le système bancaire international s'est remis à fonctionner sur les mêmes bases irrationnelles.
Foin de «régulation» ou de «moralisation», les États sont dépassés et les petites gens paient les pots cassés.
Interview décapante d'un prof de droit qui ne parle pas la langue de bois...

Les 16 et 17 mars derniers, le Centre de droit international de l'université de Paris Ouest organisait à l'OCDE un colloque international, intitulé « La refondation du système monétaire et financier international Evolutions réglementaires et institutionnelles ». Au nombre des trente-six intervenants, diplomates, fonctionnaires des organisations et institutions internationales, experts, universitaires économistes et juristes - internationaux eux aussi, un Rémois, bien connu des juristes champardennais : Hervé Causse, professeur de droit privé et de droit des affaires de la faculté de droit de Clermont-Ferrand, précédemment maître de conférences et créateur de l'Institut de recherche sur les contrats et investissements lourds (Ircil), à l'université de Reims de 1992 à 2003 (par ailleurs, Hervé Causse a participé, par le passé, à la vie politique rémoise, sous l'étiquette PRG).
La finalité revendiquée par les organisateurs de la conférence : « contribuer aux réflexions relatives aux réformes majeures de nature monétaire, financière et institutionnelle envisagées pour renforcer - ou reconstruire ? - le système monétaire et financier international… » Pas vraiment le genre de discussion que l'on tient au café du commerce… Hervé Causse est intervenu sur un thème particulièrement d'actualité : « Réguler les excès de la finance ». Il nous explique les tenants et aboutissants de sa problématique, qui rejoignent fatalement, notre petit porte-monnaie.


Les Français s'intéressent à la crise financière parce qu'ils pensent payer les milliards que les banques ont joués sur tapis vert. Est-ce le cas ?
« Oui, les Français ont déjà commencé à payer ; l'Etat s'est endetté et donc nous paierons. Nous paierons également par des services bancaires plus chers, ou plus nombreux, mais aussi via une poussée d'inflation qui dévalorisera les milliards de liquidités en circulation, notamment les milliards que les banques centrales ont prêtés en urgence aux banques pour les refinancer, les sauver. »


Le Français moyen est donc tout seul à payer les pots cassés ?
« Dans une crise moyenne comme en France, j'ai le sentiment que oui, mais pas aux Etats-Unis ou en Angleterre. Là-bas, la crise, plus sévère, a vu des banques faire faillite. Les actionnaires qui finançaient ces banques d'investissement ont perdu leurs actions, les dirigeants, leur position… Mais il est vrai qu'ils ont sous eux un matelas de dizaines de millions de dollars. En outre, l'actionnaire de banque est parfois l'Américain moyen… »
Mais nos banques n'ont pas fait faillite et, justement, on les a aidées pour qu'elles ne fassent pas faillite. Est-ce normal ?
« Aider avec de l'argent public une entreprise privée, ce n'est pas la règle dans une économie de marché. Mais tous les dirigeants du monde ont agi ainsi. Par crainte d'une crise radicale du système financier, une crise systémique : une série de faillites bancaires qui aurait bloqué l'économie. Une intervention à ce niveau n'était pas prévue au programme ou inscrite dans les Codes ! Les dirigeants veulent des réformes, de nouvelles règles, mais à quoi serviront-elles si une fois votées et appliquées on les suspend ? C'est le point central de mes études. Sachant que la régulation de début 2007 était la meilleure du monde ! Et qu'après août 2007, les mêmes dirigeants l'ont tous considérée comme mauvaise et à changer ! On risque de récidiver… »


Vous avez l'air de penser que nous sommes dans une impasse et que les citoyens devront toujours payer les erreurs des banquiers ou les mauvaises lois, françaises ou européenne, voulues par les dirigeants…

« Effectivement, je ne suis pas loin de le penser, notamment parce que tout le monde manie des idées économiques, comme si les idées étaient des règles juridiques applicables et efficaces. Mais tel n'est pas le cas. Ni les économistes ni les hommes politiques ne sont véritablement maîtres de la technique des règles, je tente de ramener l'art juridique au cœur du débat. Pour réguler, c'est-à-dire dans le sens commun pour « maîtriser » les choses, il faut adopter des règles précises et des principes plus généraux pertinents. Elaborer une bonne règle, limiter les pratiques bancaires, cela requiert un art juridique qu'aucun discutant, à quelque niveau que ce soit, ne me semble réellement posséder. »


La crise semble surmontée quand bien même il nous en a coûté…
« À certains égards, il faut reconnaître que la crise a été jugulée. Mais ce qui a marché une fois marchera-t-il une seconde fois ? Comme le Prix Nobel Joseph Stiglitz, je considère que l'ancien système a recommencé à fonctionner. Pourquoi en serait-il autrement ? Pendant que les dirigeants de la planète discutent et envisagent des lois, les financiers prêtent avec les contrats d'hier, transfèrent des risques avec les contrats d'hier, créent des entités dans des zones à basse pression fiscale pour y amasser des milliards d'euros, achètent des actions (donc des entreprises) où ils le veulent dans le monde… Le pouvoir politique est presque insignifiant par rapport à l'efficacité du monde de la banque et des affaires ! Le système d'hier est reparti et les peuples sont en danger, même si le pire n'est pas certain, car la méfiance est aujourd'hui la consigne. »


Comment se fait-il que la capacité de réaction des autorités soit aussi faible ?

« Il y a souvent un problème préliminaire de compétence et d'honnêteté des dirigeants politiques, mais au fond, il y a deux facteurs : d'abord, des règles d'échanges qui facilitent, voire imposent la mondialisation de l'économie, alors qu'il n'existe aucune institution publique économique ni monétaire mondiale qui puisse imposer des règles ; ensuite, la mondialisation qui a surpris - je crois - parce qu'elle a été propulsée par l'avancée des sciences et les merveilles de l'électronique. Lorsque j'ai 100 milllions d'euros sur mon compte, il me suffit de cinq clics pour qu'ils se retrouvent en Chine ou à Antigua : qui va m'interdire de le faire ? Qui va m'interdire d'acheter des titres ici ou là ? Qui veut vivre en Corée du Nord ? »


Si on vous comprend bien, la liberté serait la mère des vices financiers ?

« La liberté, dans le monde des affaires, c'est notamment la liberté de contracter, de passer les contrats que l'on veut. Et c'est de la liberté pure : que seraient les libertés publiques si nous n'avions pas le doit de conclure des contrats ? Pas grand-chose. Pour réguler la finance, il faut maîtriser cette liberté sur une vingtaine de contrats. Après deux ans de tâtonnements, Christine Lagarde et Barroso admettent enfin qu'il fallait limiter les CDS (Ndlr : credit default swap, un type de contrat*), on est enfin au cœur du sujet. Mais leur ambition vise seulement les titres émis par les Etats, c'est un quart du problème. En outre, le temps que ce soit fait, je pense que de bons juristes bancaires auront créé de nouveaux contrats, singulièrement si les règles édictées n'allient pas des principes et des prescriptions précises. Pour faire de bonnes lois, le « volontarisme » ou des idées économiques ne suffisent pas… Il faut encore de l'art juridique. Les peuples risquent de l'apprendre à leurs dépens. »

* Un CDS (credit default swap) est un contrat d'assurance par lequel un établissement financier se protège du risque de défaut de paiement d'un crédit en payant une prime. Ces dérivés de crédit ont connu un large développement de la part des intermédiaires financiers qui les utilisent de façon spéculative et en font les supports d'une titrisation vertigineuse.

Propos recueillis par Philippe Le Claire


1 commentaire:

Anonyme a dit…

En effet, ce sont les petites gens qui paient les pots cassés, on leur en demande toujours plus d'efforts qu'aux riches, plus de sacrifices et de renoncement, plus de contre-parties pour le droit à leur pain quotidien
Ne dit-on pas qu'il faut responsabiliser les pauvres ? qu'ils doivent travailler, alors qu'on supprime les emplois ? et qu'on augmente les frais de banque et les agios en cas de découvert, ce qui entraîne vers la spirale infernale du surendettement et qu'on n'autorise plus les pauvres à mettre quelque euros sur un livret, sous peine de leur diminuer ou retirer les aides de la CAF... bref, on ne frappe pas à la bonne porte. L'épargne populaire, c'était de l'argent qui restait en France. Mais un pauvre qui mettrait simplement 1 Euro par mois sur un livret est pénalisé, on trouverait encore qu'il n'est pas dans le besoin.

Sylvia Mackert