lundi 29 août 2016

Après la Loi Travail, repenser le dialogue social

4e contribution de Michel Champredon pour le congrès prg de La Rochelle


L'opposition à la loi El Khomri s'est radicalisée et la CGT a tenté de bloquer le pays pour faire plier le Président de la République et le Gouvernement. Dépôts d'essence ciblés par les grévistes, barrages routiers, blocage de la diffusion des quotidiens nationaux : la France a montré un visage peu glorieux, ce grand pays qui parle au monde ne sait pas trouver les mots lorsqu'il s'agit de ses propres réformes. La France aura perdu l'occasion du dialogue, la Gauche aura démontré qu'elle ne sait pas se rassembler, la Droite aura prouvé qu'elle fait passer ses enjeux internes avant les intérêts du pays.

Au-delà de telle ou telle mesure ou réforme, l’action publique a besoin de trois choses pour raccrocher les citoyens à la politique :

-      d’abord, une mise en perspective et l’inscription de l’action conduite dans le cadre d’un projet de société. Les Français, comme les Européens, sont majeurs et conscients des difficultés de notre époque. Ils seraient davantage prêts à accepter les sacrifices s’ils comprenaient l’orientation des politiques conduites ; sans compréhension aucune adhésion n’est possible. Il faut donner du sens et faire de la pédagogie. Vers quoi veut-on conduire notre société ? Quel « vivre-ensemble » voulons-nous bâtir ? Quelle sera la place de l’individu dans la société qui se construit sous nos yeux ? Tenir un discours de mobilisation nationale, teinté de fierté républicaine, laïque et européenne. Mais le vrai défi pour nos responsables politiques consiste à tracer le chemin, proposer une ambition et une espérance nouvelles sans tomber dans la démagogie,

-    ensuite, une promesse de redistribution ; promesse qu’il faut tenir. La pauvreté et les inégalités se développent en France et en Europe. Demander des efforts est légitime mais il faut donner des signes de redistribution et de retour en direction des citoyens lorsque la situation sera rétablie (discours trop peu développé),

-    enfin, rééquilibrer le discours et l’action. Toute réforme doit être équilibrée. Demander aux salariés d’accepter les remises en cause doit s’accompagner d’exigences réciproques et de garanties de la part des détenteurs du pouvoir économique (par exemple, qu’en est-il du million d’emplois promis par le MEDEF contre les exonérations de charges sociales et le Pacte de stabilité ?).

Je pense qu’avec du sens et de la mise en perspective, une promesse de redistribution et un rééquilibrage de l’effort demandés aux catégories de la population, on doit affronter plus solidement la période actuelle qui est extraordinairement difficile.

Avec ce projet de loi, finalement aujourd’hui et en d’autres termes c’est : tous perdants. Au lieu du « gagnant-gagnant » souvent recherché c’est le « perdant-perdant » : La France, la Gauche, La Droite…seule l’Extrême-droite capitalise, non sur ses propres propositions (qui sont encore plus libérales que celles de la Droite), mais sur le mécontentement. Lancer une telle réforme à un an de la fin du mandat présidentiel, c’était risqué ! Par ailleurs, la loi Travail, au-delà du texte lui-même, a servi de déclencheur à toutes sortes de mécontentements et de frustrations. La boîte fut ouverte et tous ceux qui avaient quelque chose à revendiquer ont profité de la période pour le faire. On l’a vu avec le déclenchement de mouvements sociaux dans des secteurs qui n’étaient pas touchés par cette loi.

La loi « travail » de la ministre Myriam El Khomri a fait l'objet de débats intenses et a divisé aussi bien la Gauche que les syndicats. Les médias ont présenté d'un côté une Gauche conservatrice qui serait responsable de l'immobilisme français et de l'autre des ultra-libéraux soumis à la doxa du MEDEF. La vérité est moins caricaturale. Mais, au milieu de tout cela, subsiste un point qui m'interpelle : comment décentraliser (dans l’entreprise) les négociations sur le temps de travail avec des syndicats aussi peu représentatifs qu'aujourd'hui ? Comment vouloir plus de flexibilité sans renforcer le dialogue social français ? N'aurait-il pas fallu introduire dans la loi l'idée d'une syndicalisation obligatoire ?



En France on mythifie les négociations sociales comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne ; comme si nous étions dans une tradition de « cogestion ». Eh non ! Le syndicalisme français n’est pas, historiquement, un syndicalisme de cogestion ; c’est un syndicalisme de revendication. On n’échappe pas à son histoire. C’est le résultat de la « Charte d’Amiens » signée en 1920, qui sépare l’action politique de l’action syndicale. Nous parlons souvent d’une vision « social-démocrate » des Socialistes français…en fait, c’est un abus de langage. On veut exprimer l’idée d’une action politique modérée qui intègre l’économie de marché et même une partie du libéralisme économique. La social-démocratie suppose un partenariat clair, fort et équilibré entre le politique et les syndicats ; où ces derniers sont étroitement associés à la gestion de l’entreprise (pas seulement pour les activités sociales, de loisirs ou pour les plans de licenciements). Ils ont de vraies responsabilités. En France, tel n’est pas le cas. Chez nous, les syndicats sont faibles (7,7 % en 2013, le plus faible de l’OCDE après la Turquie) voire très faible selon les branches ou les entreprises. Par ailleurs, pour dialoguer, il faut d’abord faire la grève (voire brûler des pneus devant la préfecture ou arrêter l’autoroute). Ainsi, on fait la démonstration de sa représentativité et on force la discussion. Sinon on ne discute pas ou trop peu.

Donc…

Donc…inscrire la négociation dans l’entreprise comme une méthode systématique d’avancée des réformes…c’est compliqué car la réalité (surtout dans les PME qui représentent 80 % des emplois en France) c’est faire le triste constat que les syndicats ne sont pas représentatifs et sont faibles pour négocier.

Comment aurait-on pu s’en sortir ?
Partons du principe que les uns et les autres sont convaincus et honnêtes dans leur démarche, ceux qui pensent qu’en libéralisant le droit du travail on va stimuler les embauches en faisant sauter le verrou psychologique chez les employeurs et ceux qui pensent qu’on donnera la main libre au patronat dans la plupart des entreprises où les syndicats n’existent pas. La difficulté est d’estimer l’effet « création d’emplois » d’une telle loi (même si des spécialistes s’y sont exercés).

Alors, j’avais formulé deux propositions :

1) appliquer l’accord d‘entreprise pour les entreprises au-dessus de 300 ou 500 salariés (où les syndicats existent) et conserver l’accord de branche pour les plus petites où les salariés sont face au patron sans force syndicale,
2) voter la loi à l’essai pour trois ans, avec une évaluation à mi-parcours et une à la fin. Ainsi on aurait pu modifier ses modalités selon la façon dont les acteurs économiques s’en seraient appropriés les termes.

Ces propositions pragmatiques auraient pu être un terrain d’entente pour les deux parties de la Gauche.

Faut-il obliger chaque salarié à adhérer à un syndicat?
Pour cela, il faudrait changer notre culture de gouvernance en France en redéfinissant le rôle des syndicats et en permettant un vrai partage du pouvoir dans l’entreprise. Cela suppose d’associer les syndicats à la définition de la stratégie de développement et de conquête de nouveaux marchés de l’entreprise, à sa politique de rémunérations des personnels, des dirigeants voire des actionnaires etc… Mais pour associer les syndicats, il faut que de leur côté, les syndicalistes soient dans une culture du compromis et de la « responsabilité partagée ». Si on participe au pouvoir cela implique qu’on soutienne les décisions prises et qu’on les assume devant les salariés, même lorsqu’ils sont mécontents.

C’est une autre société à inventer. Ce pourrait être une belle ambition à présenter lors de l’élection présidentielle de 2017, dans le cadre d’un nouveau projet de société ; car impossible à faire en court de mandat, par une simple loi.

Proposition :

Notre Parti Radical de Gauche ne pourrait-il pas développer cet axe pour la prochaine élection présidentielle ?

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