Rendez-vous
Ils sont là quand on dit « à
table »
Leurs vêtements sont impeccables
Les ongles ne sont jamais longs
Et leurs corps sentent le savon
Les
enfants sages
Florence dormit mal. Elle se
réveilla plusieurs fois en revoyant tous ces gamins plaqués contre le mur. Elle
se promenait entre cauchemar et rêve éveillé. Elle tirait un gamin par la main
pour échapper à la surveillance policière. Elle fuyait en
lançant des chausse-trappes dont elle avait les poches pleines.
Du coup, des rues de Louviers, elle
se retrouvait dans les favelas de Rio sans transition et c’est à
ce moment qu’elle se réveilla en sueur alors que des milices paramilitaires les
rejoignaient. Elle regarda l’heure. C’était le cœur de la nuit. Bien trop tôt.
Elle prit un verre d’eau, alla faire pipi pour se changer les esprits. Elle eut
du mal à se trouver le sommeil avec toutes ces histoires. Elle prit un petit
cachet pour s’aider à se rendormir. Trop longtemps. Quand le réveil sonna elle
se révéla incapable de se lever.
« Faut vraiment que j’arrête
de picoler ! »
Elle tourna et se retourna dans son
lit avant qu’elle se lance un impératif
« Allez, Florence !
Faudrait peut-être se tirer les doigts du cul ! »
Elle avait le crâne aussi vide que
l’estomac quand elle arriva en toute indiscrétion à la conférence de presse. Celle-ci
avait lieu dans l’avant-salle du conseil municipal et le maire faisait face aux
deux journalistes habituels, de La
Dépêche et de Paris-Normandie. Gargallaud avait commencé son
baratin, flanqué de Rossignol, le commissaire de police. Plus en arrière, il y
avait le directeur de cabinet, Arnaud Meunier et deux policiers municipaux.
Elle essaya de se faire discrète,
mais c’était peine perdue. Elle choisit une chaise située à l’écart du débat
mais celle-ci céda sous son poids. Florence se releva et alla s’asseoir sur un
siège plus sécure sous les regards médusés. Le maire continua son propos
liminaire comme si de rien n’était et demanda aux journalistes présents s’il y avait
des questions.
Florence, tentant de se
rattraper, posa une question sur la
santé des deux agents municipaux qui avaient été agressés. Mauvaise
pioche !
Le maire fit remarquer qu’il
venait d’en parler longuement et que Florence pourrait demander à ses
collègues.
On se préparait à en finir quand Florence
se lança dans une dernière tentative :
- « Monsieur le commissaire, puisque vous êtes là avec le
Maire, est-ce que vous jugez que les interpellations d’hier vont vous aider à
faire le lien entre les tags, la délinquance juvénile à Louviers et
l’agression menée contre la police ?
- Mme Tournage, excusez-moi, vous semblez vous
spécialiser dans les questions gênantes, mais en fait, elles sont surtout
gênantes pour vous. Je viens déjà de répondre à ces questions, demandez à
vos collègues»
Voilà, c’en était fini. Les
journalistes présents, un temps bienveillants, ne purent s’empêcher de rigoler.
Comme elle vit le commissaire s’isoler avec le maire, elle profita qu’elle
n’était pas loin du commissariat pour rendre visite à Fatima, avec qui elle avait passé la soirée la
veille. Elle s’entendit hélée alors qu’elle sortait de la cour de la mairie.
C’était Patrick Lechaud.
- « Te barre pas comme ça, Florence… Fais pas la
gueule.
- Excuse Patrick. Je sais bien, j’aurais pas dû venir.
J’ai encore la tête dans le cul de toute façon. Ça m’apprendra.
- Ça ne t’apprendra rien du tout. Ce qui est sûr, c’est
que Gargallaud n'est pas bien du tout et que tu as juste mis le doigt là où ça
fait mal. En fait, il n’avait rien à dire.
- Ben alors, dans ce cas là, pourquoi tu t’es mis à
rigoler avec le maire ?
- Ouais, excuse-moi, Florence ! Ça m’a échappé. Je
te paye un café ?
- Tu es gentil Patrick. Mais il faut que j’aille voir
Fatima. Peut-être que par le copinage, j’arriverai à en savoir un peu
plus. »
Mais Fatima n’était pas au commissariat.
« Comme on dit, c’est pas ma
journée ! »
Elle téléphona et le portable
sonna deux fois avant qu’un sms laconique ne lui réponde « je te
rappelle ! ».
En fait, Fatima recevait l’appel
de Florence en même temps qu’elle faisait la connaissance d’Anquetil Delpech,
qu’elle amenait à reconnaître le corps de Myriam, sa maman. Ce n’était jamais
un moment facile.
Là, elle vit le jeune homme se
liquéfier de manière inattendue. Lui, qui respirait l’élégance et la force
intérieure, se retrouvait sans force et sans couleur. Elle fit asseoir le jeune
homme qui révélait sa fragilité.
Il finit par se relever et
approcher le corps de sa mère qu’il ne fit pas de peine à reconnaître. Fatima
le scruta en même temps qu’elle regardait pour la deuxième fois le cadavre
qu’elle détaillait cette fois. Il y avait ces marques au poignet, qui n’avaient
pas disparu, comme laissées par des menottes.
- «Vous savez si elle a
souffert ?
Décidément, il semblait vraiment
tomber de la lune, celui-là. Pourquoi posait-il cette question sur cette femme
qui s’était retrouvée précipitée dans l’eau avec 5 g . d’alcool dans le sang.
- Vous voulez-dire quoi ? Souffert comment ?
- Je ne sais pas. J’ai l’impression que ma mère n’a pas eu une vie marrante. Finalement sa mort lui a peut-être été douce. Elle s’est suicidée, vous croyez ?
- Je ne sais pas. C’est une question.
- Vous pensez à quoi ? Vous pensez à quelqu’un qui aurait voulu sa mort ?
- Je n’ai jamais compris sa vie. Je ne comprends pas sa mort non plus. »
- Vous voulez-dire quoi ? Souffert comment ?
- Je ne sais pas. J’ai l’impression que ma mère n’a pas eu une vie marrante. Finalement sa mort lui a peut-être été douce. Elle s’est suicidée, vous croyez ?
- Je ne sais pas. C’est une question.
- Vous pensez à quoi ? Vous pensez à quelqu’un qui aurait voulu sa mort ?
- Je n’ai jamais compris sa vie. Je ne comprends pas sa mort non plus. »
Fatima proposa à Anquetil de
prendre un verre. C’était incongru, mais elle avait du mal à supporter trop de
cohérence. Elle était l’Etat, le monstre froid, face à la viande froide, dans
un espace glaçant. Elle sentait ce rôle trop lourd pour elle en ce moment.
Sans doute voulait-elle le
réconforter, mais elle avait aussi quelques questions à lui poser. Après tout,
son métier, c’est aussi d’enquêter. Profitant du réchauffement climatique,
allié à un soleil encore présent, ils s’assirent à une terrasse de la Place Cauchoise.
Anquetil avait quelque chose de
craquant. C’était un homme jeune et totalement inattendu. Elle se disait
qu’elle le connaissait depuis peu de temps, c’est sûr, mais qu’elle venait de
le voir à une période importante de sa vie. Pour un garçon, c’est bien connu,
la mort de la mère, c’est quand même quelque chose.
« Vous vivez en Angleterre ?
- Oui, tout à fait. J’habite à Londres. Vous
connaissez ?
- Et vous faites quoi là-bas ?
- Je suis trader »
Elle le fit répéter. Elle n’en
croyait pas ses oreilles. Tout cela était parfaitement incohérent. Cette femme
qui sentait le dénuement et la misère avait donné le jour, il y a une trentaine
d’années à cette image de réussite sociale.
Trader, profession à la mode.
C’est vrai, elle savait qu’ils n’étaient pas tous milliardaires les traders.
C’en est même une profession assez
chiante, dans la plupart des cas. Un peu comme la plupart des professions
bancaires. On place l’argent de ceux qui en ont, on achète, on vend, on
s’excite, mais ça ne rapporte pas toujours des fortunes. Et puis, quand on joue
les Kerviel, la réalité est souvent là pour vous rattraper durement.
Il était venu d’urgence pour s’occuper des formalités, puisqu’il n’y
avait personne d’autre. Il raconta qu’il n’avait pas vu sa mère depuis cinq
ans. De toute façon, sa mère ne s’était jamais occupée de lui. C’était ses
grands parents qui avaient pris en charge son éducation. Ceux-ci n’étaient pas
pour grand’chose dans sa réussite, d’ailleurs. Il pensait qu’au fond, celle-ci
était essentiellement due au fait qu’il voulait tout faire pour sortir de ce
milieu, de cette crasse, de ce qu’il avait rapidement mesuré comme de la
connerie ambiante.
À force, il avait été remarqué par
les instits, puis les profs, puis l’administration qui ont tout fait pour qu’il
obtienne toutes les aides possibles. Toujours champion, il avait fini par obtenir
sans trop de difficulté les emprunts auprès des banques qu’il remboursait
encore.
Il disait ça sans emphase et plus
il parlait, plus elle le regardait. Finalement, ils déjeunèrent ensemble.
Fatima partit à une heure et demie pour arriver à deux heures au
commissariat.
Elle se souvint que Florence
l’avait appelée.
Florence avait besoin de savoir.
Le problème, c’est que Fatima n’en savait pas plus qu’elle sur ce qui s’était
passé la veille au soir. Elle n’avait même eu aucun écho de la conférence de presse,
mis à part ce que Florence elle-même lui racontait. Et justement, il y avait un
élément nouveau concernant les tags. Deux autres tags avaient été bombés bien
en vue dans la ville. Toujours le même graphisme, sauf que cette fois, en quelque sorte, le tag
prenait forme. C’était devenu £es enfants.
Florence proposa à Fatima de
passer chez elle après le boulot.
- « Pas ce soir, dit Fatima, désolée, demain
peut-être
- Comment ? Tu découches ?
- Ben, je ne sais pas. En tous les cas, je fais tout
pour.
- Comment ça ? Tu couches le premier soir ?
- Ben, à dire vrai, j’espère aussi le deuxième, mais je préfère commencer
par le premier. Bon, excuse-moi, je m’égare. Je suis quand même au boulot. Je
raccroche. »
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