£ comme Louviers
Ils sont comme les gens heureux
Car ils ne font jamais d’histoires
Ils refusent d’être amoureux
Et n’encombrent pas les mémoires
Les enfants sages
De toute façon, il fallait retourner sur place. Ce n’est pas
dans le bureau qu’on allait retrouver des éléments. Rossignol prit à peine le
temps de consulter son courrier du jour. Le rapport du médecin légiste
concernant la morte du canal de la
Villette y figurait mais il l’avait déjà reçu par mail. Il
s’agissait bien d’une mort par noyade.
On l’avait un peu oublié cette pauvre petite avec tout ça.
Et puis là, Rossignol n’avait pas le temps et il était particulièrement énervé.
Son adjoint, l’inspecteur Domfront dirait encore qu’il était comme une pie qu’a
mal au cul … Ce qui faisait rire quand on s’appelait Rossignol. Justement, il
croisa Domfront dans les couloirs qui demanda ce qu’il fallait faire du rapport
du légiste.
- « Je m’en fous un peu pour l’instant. Y a quelque chose
d’intéressant ?
- Ben quand même, 5 grammes d’alcool dans
le sang, c’est pas courant commissaire …
- Vous en pensez quoi ?
- Ben, je sais pas. Quand même, 5 grammes ça commence à
faire un chiffre. Il y en a qui meurent avec 3 grammes . Il faut au
moins un sacré entraînement.
- Oui, en plus, avec tout le temps qu’elle a passé dans
la flotte, c’est une surprise
- ?
- Excusez-moi, je rigole intérieurement. Bon ! Ben …
Ben j’ai d’autres préoccupations en ce moment. Je dois dire, avec nos flics
agressés, les suicidaires, le préfet s’en fout ! Le procureur aussi. On
sait qui c’est cette femme ?
- Ben non, chef ! C’est tout le problème. Réclamée
par personne.
- Bon, Domfront ! C’est bien. Lancez un avis de
recherche et faites faire le boulot par quelqu’un de confiance. Vous venez avec
moi ? Je vais à Maupassant.
- Ben, je veux bien, Monsieur le commissaire. Deux
minutes que je donne les ordres…
- Vous ferez ça en revenant Domfront. On en a pour dix
minutes. »
Domfront donna quand même quelques instructions avant de
partir ce qui donna l’occasion à Rossignol de saluer les agents qui assuraient
l’accueil au poste. Son regard le porta sur un imprimé à en-tête du
commissariat de police Louviers-Val de Reuil.
- « Ma parole ! dit-il, je vais devenir dingue.
C’est pas vrai ! Nous aussi on fait
de l’évaluation au commissariat ? ! Ah ! Vous tombez bien
Domfront … C’est vous qui avez mis ça en place ?
- Comment ça ?
- Ben ce truc, là, ce je sais pas quoi à destination des
usagers…
- Comment ça Monsieur le commissaire ?
- Non mais vous vous rendez-compte ? On demande aux
usagers du commissariat s’ils sont satisfaits ? Mais je rêve ! Et
alors, quand vous tabassez un type, vous lui faites remplir un
formulaire ? Lui demandant s’il a des traces ? S’il a avoué ? Si
ces demandes ont été prises en compte ? S’il souhaite revenir ?
- Mais Monsieur le Commissaire…
- Mais il n’y a pas de mais ! C’est ridicule …
virez-moi tout ça ! Je ne veux pas de ça chez moi ! Ni à Louviers, ni
à Val de Reuil d’ailleurs ! C’est clair ? »
Domfront lui proposa de l’emmener en voiture.
« Non, Domfront, on y va à pied ! Ça nous fera du bien. »
Le quartier Maupassant n’était pas très loin du
commissariat, mais le lieu de l’agression était encore plus proche. Il y en
avait pour 500 mètres .
Il n’en fallait pas davantage pour faire quelques
rencontres. Une voiture se gara devant un panneau d’interdiction de stationner.
« Ah ! Monsieur le Commissaire. Je voulais vous
voir justement !
- Bonjour Libertario dit Domfront
- Oui, bonjour Yannis !
- Vous me reconnaissez Monsieur le commissaire ?
- Oui, oui, vous êtes l’opposant municipal. Libertario …
- Garcia !
- Libertario Garcia ! Excusez-moi.
- Alors, elle avance votre enquête ?
- Désolé Libertario, c’est moi qui pose les questions.
- Oui, bien sûr, excusez-moi.
- Comment vous voyez cette affaire Monsieur Garcia ?
- Vous voulez dire politiquement ? À cinq mois des
municipales ? Excusez-moi, je suis un peu monomaniaque. Ça fait cinq ans
et demi que j’attends ce moment, vous comprenez. Bref, on va bientôt être dans
une période hyper-chaude, avec des distributions de tracts jour et nuit dans
tous les quartiers. Là, pour vous, c’est dommage. Il y a très peu de témoins.
Personne n’a tracté. C’est normal. On fourbit les armes. La prochaine étape,
c’est le Carrington. C’est après ça, que ça va y aller vraiment.
- Vous pensez que vous avez vos chances ?
- Ben, je ne sais pas, moi. Demandez à vos collègues des
renseignements généraux.
- Oui, oui ! Domfront intervint dans la conversation. C’est sûr
qu’il a ses chances, Monsieur le Commissaire. Il y a plein de gens qui en ont
marre de la mairie.
- Merci Yannis ! dit Libertario. Mais enfin, il n’y
a rien de fait. C’est aux lovériens d’en décider. Ce qui est sûr, c’est qu’a
priori, une agression contre la police, ça devrait profiter à la droite. Les
gens ont besoin d’être rassurés … Ils votent pour l’ordre dans ce cas !
Sauf que là, ça met tellement en lumière le bazar à la municipalité que,
finalement, ça n’est pas bon pour eux.
- Bon, je devrais pas vous le dire, M. Garcia, mais là,
en terme de bazar, ils sont vraiment champions, ça se voit, dit Rossignol. Même
si les médias n’avaient pas mis leur grain de sel là dedans, j’ai l’impression
que ça serait vu. Enfin, le problème
pour moi, ce n’est pas les médias, c’est le gouvernement qui, du coup exige des
coupables… ou au moins des gens à coffrer. C’est encore un coup de chance que
ceux qui les ont agressés ne l’ont pas fait à coup de sabre en hurlant
« Allahu akbar ! »
- Bon, alors c’est toujours une piste d’écartée.
- Enfin, oui ! Du moins ça semble. Mais comme on n’a
rien à se mettre sous la dent. Au moins, la presse ne nous emmerde pas
là-dessus. D’ailleurs, elle s’intéresse de moins en moins au sujet. Sauf
peut-être la presse locale. Pour la nationale, voire l’internationale, tant que
c’est pas un terroriste, ils nous foutent la paix. Reste la pression
hiérarchique ! Le préfet et le ministère de l’intérieur. Mais ça, c’est à
moi de gérer. »
Libertario prit cette phrase comme un signal. Il fallait
leur foutre la paix. Il reprit son véhicule tout en si disant que l'occasion de les retrouver allait se produire d'ici peu.
Lorsqu’ils arrivèrent au carrefour de l’agression, ils
tombèrent nez à nez avec Florence Tournage.
- « Qu’est ce que
vous voulez, Monsieur le Commissaire ! Louviers c’est comme ça. Une ville
pleine de fantômes ! Il suffit de vouloir éviter quelqu’un pour être sûr
de tomber dessus. Bonjour Monsieur le Commissaire !
- Bonjour Madame ! Je croyais que vous aviez été
dessaisie du dossier.
- Ah non Monsieur le commissaire ! Je n’ai pas été
dessaisie … vu que je n’ai jamais été saisie. Moi, je traîne, personne ne peut
m’empêcher de traîner. On m’a demandé aussi de ne pas me montrer du coté du
commissariat. Et puis, ce n’est pas des dossiers que je gère. Je fais des
articles. Jusqu’à nouvel ordre, la presse est libre, non ? C’est pas
encore la police qui écrit les articles. Dites-moi, si j’étais interdite de
séjour dans ma ville, je serais prévenue quand même. Il faudrait un jugement,
non ?
- Ne prenez pas la mouche Mme Tournage.
- De toute façon, je suis comme ça, moi, une vraie tête
de con … Il suffit qu’on m’interdise quelque chose pour que j’insiste.
- Oui, oui ! J’avais remarqué. Et puisque vous avez
enquêté, vous avez quoi à dire à la police ?
- Ben pas grand-chose ! Vous avez vu que la mairie
n’a même pas effacé les traces du tag ? Vous avez vu ce £, là ?
- Oui, bon ça suffit ! C’est vrai que la mairie n’a
pas effacé, mais on ne peut pas tout leur mettre sur le dos non plus. C’est
nous qui avons demandé à ce que la zone soit neutralisée.
- Vous en pensez-quoi de ce £ ?
- Et vous, vous en pensez quoi ?
- Vous avez raison commissaire, c’est à la police de
poser les questions ! Excusez-moi, des fois je me prends pour une
journaliste. Jamais pour une policière croyez-le bien ! Bref, j’aurais
tendance à voir un £ comme Louviers, comme tout le monde. Mais c’est un graphisme
inconnu au bataillon. Jamais dans les logos, ni dans les blasons, on a eu un
truc du genre. C’est vrai aussi que c’est un vrai £ sur pochoir. Un L comme ça, si je ne m’abuse, c’est le L de
livre, de la livre anglaise ou de la lire italienne, d’ailleurs, du temps où
elle existait. Les unités de poids, visiblement, qui sont à la base de la
monnaie. Bon, je m’égare. Vous savez tout ça par cœur.
De toute façon, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais le coup des
types surpris avec une bombe de peinture à la main et qui assassine des
policiers municipaux, je n’y crois pas vraiment. C’était bien préparé leur
affaire. D’ailleurs, ça va avec le reste, n’est ce pas ? Le fait que
Lorraine les ait repérés, au point qu’il ait appelé William pour les chopper.
Le fait aussi que la lumière ait été éteinte juste au moment où ils se sont
fait surprendre.
- Oui, dit Yannis, et on peut se demander qui a surpris
l’autre …
- Bon, ben vous êtes mignons tous les deux, dit le
Commissaire Rossignol. Je vous laisse travailler et je vais commencer à
réfléchir à ce que je vais faire pendant
ma retraite. »
Florence Tournage s’éloigna. Rossignol en profita pour
mettre la pression sur Domfront en insistant sur l’enquête de voisinage qui ne
donnait toujours pas de résultat.
- « C’est pas possible ! Dans une ville, comme
ça, il y a toujours des témoins. Il y a toujours des insomniaques. Des taggers,
même discrets, ça fait toujours un peu de bruit. Il y a des gens qui regardent
derrière les carreaux. Il y a un chien qui aboie. Bref, il y a plein de bruits
la nuit, non ?
- Oui commissaire
- Quand même c’est dingue ! J’ai l’impression que
tout ce qu’on sait, on le tient de cette putain de journaliste. On est nul,
Yannis, on est nul ! Faut se remuer ! »
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