mardi 12 juin 2018

Un coup de frein au populisme ?

Municipales partielles en Italie, 

des résultats encourageants 


Sans doute depuis quelques années la situation politique en Italie est aussi inquiétante que difficile à expliquer ... et était-elle jusqu'à ce week end de plus en plus inquiétante et de plus en plus difficile à expliquer. Mais ce dimanche avait lieu les premières élections organisées depuis la terrible alliance entre l'extrême droite de la Ligue du Nord et le mouvement 5 étoiles lancé par Beppe Grillo. Alors, comme la situation est délicate, je me permets de la décrire en marchant sur la pointe des pieds. 
Luigi di Maio, successeur de Beppe Grillo à la tête
du mouvement 5 étoiles. Il gère ce que jamais 
le fondateur de son mouvement n'a eu à envisager :
la réalité du pouvoir. 11 jours après son investiture
au gouvernement, son parti est marginalisé alors
qu'il représentait il y a encore quelques mois
1/3 de l'électorat.
Tout d'abord pour signaler que les municipales en question ne concernent pas toutes les villes d'Italie. Je ne me risquerais pas à expliquer pourquoi, mais ce qui est sûr c'est que de nombreuses communes ont été concernées par ce vote, mais pas toutes. En fait, des élections municipales ont lieu chaque année en Italie constituant autant de test pour l'équipe au pouvoir. En principe donc, du Nord au Sud de la péninsule, une commune sur 5 était concernée.
Tout le monde attendait ce premier test dans une situation tendue dont je rappelle les enjeux. 
Après plusieurs années de pouvoir du centre gauche Matteo Renzi, élu grâce au rejet de Berlusconi, une élection générale a eu lieu en mars qui a porté en tête la coalition de centre-droit menée par la Ligue du Nord avec plus du 1/3 des voix. Derrière, avec un peu moins d'1/3 des voix arrivait le mouvement 5 étoiles, que l'on a tendance à qualifier de populiste ... même si le problème, c'est qu'il y a des tas de sorte de populisme, et qu'on n'est pas bien avancé pour autant. Disons que ce mouvement amalgame des gens qui, s'ils étaient français, se reconnaîtraient dans Mélenchon, dans Macron, dans la droite comme dans le Front National .... voire un peu dans les Verts. Vous suivez ? 
Bon, si vous ne suivez pas, faites demi-tour, relisez le paragraphe précédent, je vous attends. 
Je reprends maintenant pour les retardataires. Donc, a fini par arriver ce qui apparaissait comme improbable, voire comme impossible : une alliance entre la droite les 5 étoiles et l'extrême-droite. 
Bien, que signifiait cette alliance, et sur quelle base politique se faisait-elle ? 
Tout d'abord, je précise pour tous ceux qui sont intéressés, que bien souvent les alliances entre la droite et la prépondérante ligue du Nord se réfèrent au centre-droit ... ce qui est hallucinant ! J'ai souvenir des réactions provoquées par un fait divers qui illustreront mon jugement mieux qu'un long discours. Ainsi, peu avant les élections de mars, à Macerata, un jeune homme a vidé deux chargeurs de son pistolet automatique sur un groupe de personnes de couleur. Il venait disait-il d'entendre à la radio qu'un Nigérian venait d'être arrêté à la suite d'un meurtre atroce d'une jeune habitante de sa commune. Pour en dire un peu plus l'assassin présumé est un dealer d'héroïne, visiblement lié à la mafia et la victime était une consommatrice. 
Luca Traini, le jeune homme qui avait tiré dans la foule après avoir sillonné la ville pendant deux heures à la recherche de victimes, avait le symbole des bataillons nazis tatoué sur sa tempe, et l'on a retrouvé à son domicile un exemplaire de "Mein Kampf", une bibliothèque à la gloire de Mussolini et des tenues paramilitaires. Il avait été candidat pour la ligue du Nord et gardait des photos où il serrait la main de Matteo Salvini, nouveau leader de la Ligue du Nord. 
Jusque là ces faits bien qu'inadmissibles restent compréhensibles. Après tout, chaque communauté humaine recèle ses timbrés, que l'on se retrouve aux Etats-Unis, en Italie et bien sûr en France. Mais ce qu'il y a eu d'original en Italie a été la lenteur de la réaction politique à deux mois de l'élection et la réaction encore plus ambiguë de Matteo Salvini, qui a bien sûr dit que la fusillade était l'acte d'un déséquilibré, mais qu'après tout c'était là la preuve qu'il y avait trop d'immigrés en Italie. Aucun mot de compassion pour ceux qui s'étaient fait tirer dessus, ni même pour tous ceux qui, en Italie, du fait qu'ils avaient une couleur de peau non conforme aux yeux de fous furieux risquaient de vivre dans la terreur les mois à venir. 
Or, c'est avec ce même Matteo Salvini que le mouvement des cinq étoiles et son leader Di Maio a décidé de faire alliance sur le programme incohérent que j'ai déjà évoqué : quitter l'Euro, appliquer le revenu universel, et ... baisser les impôts. 
La première réaction à ce programme délirant est venu du président de la République Italienne, qui a refusé l'investiture du nouveau gouvernement tant qu'il n'aurait pas l'assurance que l'Italie respecterait ses engagements internationaux et européens en particulier ... ouf !
On a alors craint une crise politique terrible, avant que la nouvelle coalition ne fasse une nouvelle proposition politique. 
Il n'empêche, au delà de l'assurance que l'Italie tiendrait ses engagements économiques, le point d'accord et la ligne politique majeure tenue par Matteo Salvini, devenu ministre de l'intérieur, tient dans le rejet et la stigmatisation des migrants. 
Voilà le contexte dans lequel il faut interpréter les résultats de l'élection qui vient de se produire. Le gouvernement qui vient de s'installer est déjà mis en quelque sorte au défi. La gauche qui s'est écroulée lors des dernières élections, garde la main sur de nombreuses communes. La droite s'impose dans de nombreuses autres. Et le mouvement des cinq étoiles traduit son incohérence et son impuissance politique en s'écroulant. Un résultat inattendu surtout à si peu de distance de l'investiture gouvernementale. 
L'opinion, de même que les militants consultés, semblaient pourtant favorables à une coalition entre les deux partis populistes arrivés en tête aux législatives. Cette opinion se trouvait renforcée selon les sondages  par l'attitude ferme du Président de la République qui rejetait cette alliance .....Mais les résultats des élections amènent ce premier jugement. 
1) La gauche n'est pas morte. Cela est valable en Italie comme en France. Ce n'est pas parce qu'elle n'a pas su s'imposer dans une situation de crise, ni parce qu'elle n'a pas su trouver un discours relevant les défis de la modernité, qu'elle est morte. On s'en rend compte dans les élections locales. La population a besoin des valeurs de solidarité que la droite ne peut pas porter. Elle a besoin d'espoir auxquelles les fantaisies populistes ne peuvent répondre.
2) Une fois au pouvoir, soit les populistes s'écroulent, soit ils finissent pas s'imposer par la force. Pour l'instant, le mouvement 5 étoiles qui a commencé à se fendre, plusieurs de ses cadres ayant refusé l'alliance avec l'extrême droite, tient encore un peu ... mais alors qu'il semblait en position de force, il se révèle incapable de faire le poids face à une extrême droite cohérente et structurée par la haine. 
3) Aucun danger n'est écarté. Si ce premier coup de semonce démocratique est à prendre en compte, il s'agit plus d'une défaite de la coalition au pouvoir qu'une victoire de la démocratie. Il nous prouve certes que le pire n'est jamais sur ... mais la route est longue avant que l'Italie et l'Europe ne retrouve la voie de la raison. Les mouvements démocratiques ont du pain sur la planche, mais dans un premier temps, ils ne doivent pas avoir peur de ce qu'ils sontvet  toujours affirmer leurs valeurs. 





Comment sauver nos centre-villes ?

La ville, c'est la vie ! 

Salle pleine au Mata Hari à Evreux pour parler revitalisation
des centre-villes. Timour Veyri avait invité Hervé Le Bras, le
grand démographe et Martial Bourquin, sénateur dont le
projet de loi sera prochainement présenté.
Timour Veyri, patron des socialistes de l'Eure, avait mis les petits plats dans les grands pour parler d'un sujet crucial à tous niveaux : l'avenir des centres villes. En collaboration avec la fondation Jean Jaurès, il a fait venir une célébrité et un expert : Hervé Le Bras, sans doute le plus grand spécialiste français de la démographie politique et Martial Bourquin, ancien maire d'Audincourt et sénateur.
Ainsi le problème est-il national, et dépasse même nos frontières. Les centre-villes sont fragiles, mais sont encore plus fragilisés par le développement des ventes par internet, alors qu'ils se remettent difficilement du choc provoqué par le développement des grandes zones commerciales en périphérie. Ainsi, le gouvernement a-t-il lancé récemment un grand plan de revitalisation de 222 cœurs de villes, dont ont d'ailleurs bénéficié Evreux, Vernon et Louviers. Une autre action est menée sur le plan législatif. Actuellement Martial Bourquin travaille avec un sénateur de droite sur une proposition de loi qui sera prochainement soumis au Sénat.
Bien entendu, si le problème de la vitalisation du centre-ville touche la France entière, à Evreux la situation est catastrophique, conséquence d'une suite d'erreurs commises par la droite ébroïcienne, tout d'abord avec la création de la zone franche sur les hauteurs de la ville, le tout amplifié par un soutien aux grandes surfaces et notamment à la zone Mc arthur Glen dont les commerces n'avaient pas besoin. 
Protestation des commerçants à Louviers contre la conduite
des travaux. S'il suffisait de refaire des trottoirs pour
revitaliser un centre-ville, ça se saurait. Pour supporter les
désagréments dus aux travaux, les commerçants demandent
simplement à être consultés et, en option, d'être sûrs que les
travaux seront utiles. S'ils  sont aux premières loges, les 
questions soulevées par les commerçants sur la 
revitalisation du centre concerne finalement toute la ville 
A Louviers aussi, la situation est très mauvaise. Il n'est qu'à se promener en ce moment dans le centre-ville pour constater le nombre de commerces fermés, et parler un peu avec les commerçants pour entendre leurs plaintes. C'en est au point que certains  commerces ont dû licencier, cependant que les travaux réalisés sans concertation continuent de soulever les plus grandes inquiétudes. On retiendra aussi l'autorisation d'ouverture de centre-commerciaux le dimanche. A force de frapper sur des économies fragilisées, surtout au nom d'un projet mal conçu de revitalisation du centre-ville. Bref, comme on dit : ni fait, ni à faire. 

Voilà le contexte. L'avantage d'avoir invité Martial Bourquin, c'est que celui-ci a pu faire part de son expérience d'homme de terrain et d'homme de loi. Si à Evreux comme à Louviers le centre ville et le commerce souffrent, le phénomène n'est pas local mais national. L'un des phénomènes les plus marquants du développement commercial de ces dernières années a été la création de grandes surfaces en périphérie. Ce modèle est aujourd'hui dépassé par la livraison internet et révèle ses conséquences désastreuses des points de vue écologique et social. Grandes surfaces laissées à l'abandon, quand elles sont supplantées par d'autres, plus neuves. 
Le projet de loi propose d'agir là où ça fait mal. Il y a deux points essentiels : la fiscalité et l'aménagement des zones. 
Si les zones s'implantent à l'extérieur des villes c'est parce que le prix du m² est moins élevée, et parce que la fiscalité est moins lourde.  Le m² est moins cher parce qu'on ne vit pas et qu'on ne construit pas sur ces terrains jusqu'alors destinés  à l'agriculture. Il faut donc en surenchérir le coût et c'est ce que prévoit le projet de loi en contraignant les aménageurs de zone à payer leur remise en état pour l'agriculture et en leur faisant payer des taxes équivalentes à celles que payent les commerçants du centre des villes qui verraient, eux leurs taxes diminuées. 
Très belle idée à la vérité, qui ferait le contraire de ce qu'avait fait Debré à Evreux qui s'était débrouillé à créer une zone franche (la zone des Longs Buissons près de la Madeleine) qui a fait fuir du centre d'Evreux non seulement les commerces mais aussi notaires, avocats et surtout professions médicales. Une catastrophe sur laquelle il est difficile de revenir en l'état actuel des choses. Espérons que les propositions de bon sens proposées par Martial Bourquin seront retenues. La première étape sera le passage de la proposition de loi au Sénat. 
Reste que la loi ne peut pas tout résoudre. Martial Bourquin a su rappeler ce qu'il a pu faire en tant que maire de d'Audincourt, une commune de 15.000 habitants à proximité de Montbéliard. Bien sûr, chaque situation est différente et Audincourt n'est pas une ville-centre, à l'image d'Evreux ou Louviers. Mais il est sûr que ces communes ont des leçons à tirer de l'expérience d'Audincourt, même si, à Louviers comme à Evreux, l'action de la gauche au pouvoir n'a fait qu'entériner les pratiques municipales de Martial Bourquin. 
Louviers, par exemple a réussi a amener des habitants dans le centre ville grâce à une politique ambitieuse de logement sous la municipalité de Franck Martin. Cela a été possible grâce à la détermination du maire mais aussi par le fait qu'il a géré la ville pendant plusieurs mandats parce qu'une politique du logement se mène sur le long terme. 
Mais la vitalité d'un centre-ville ne dépend pas seulement de l'habitat. 
Il faut aussi que la politique municipale soit, bien sûr attentive,  au commerce. 
Ainsi le contre-exemple donné à Evreux où la création d'une zone franche à la périphérie de la ville a vidé le centre-ville de ses médecins, professions notariées et autres avocats qui ont préféré s'installer là où ils pourraient payer moins d'impôts, soulignant ainsi les effets pervers de la mesure de défiscalisation. Autre mesure, le fait de mettre fin à l'aménagement de zones de transports en commun.  
A Louviers, le maire a permis l'ouverture de grands magasins le dimanche, privant ainsi de clientèle le centre-ville à un moment clé. Mais la vitalité du commerce ne dépend pas que de l'attention portée au commerce lui-même.
Le rôle de la municipalité est essentiel. Si le maire sait être à l'écoute des commerçants, des habitants, s'il est capable d'insuffler une logique de confiance, s'il est surtout dans une volonté d'animation, c'est à dire de donner une âme à sa ville, alors le cœur de ville vivra, et ce bien davantage encore qu'en refaisant le macadam. La ville doit avant tout être un lieu de vie et de culture, le reste viendra à la suite. 
Au delà du conseil à suivre, la question du centre sera une question centrale lors des prochaines échéances électorales partout où le coeur des villes montre des signes de faiblesse, voire d'extinction.

On notera l'importance donnée au rôle du maire par Martial Bourquin au détriment de celui pris par l'intercommunalité.
Image tristounette de la "fête de Louviers", désespérément
vide de chalands, malgré un temps magnifique. C'est comme
si Priollaud faisait tout pour ternir l'image de notre ville. Il
y a urgence à agir
Étrange pour le maire d'Audincourt, commune elle même située au cœur d'une agglomération, mais après tout, pourquoi pas. Son action en tant que maire d'une commune sans doute riche a sans doute permis de mener une politique efficace et appréciée. Au delà de l'animation de sa ville, et du poids de l'animation culturelle, il a notamment eu une initiative très intéressante en faisant racheter par la ville des commerces à l'abandon pour les relouer à vil prix à des nouveaux commerçants. L'exemple a été mis en parallèle avec celui de Mme Coussens, commerçante historique d'Evreux, placée devant l'incapacité de revendre son activité depuis trois ans, ce qui situe l'état du marché. Elle a alors décidé de reprendre l'affaire qu'elle avait décidé de céder et d'en louer une partie à des start-ups en mal de locaux. Voilà donc le paradoxe : permettre à l'activité économique de repeupler et d'animer le centre des villes, une expérience à suivre, à n'en pas douter, menée par le biais de l'initiative privée, mais cohérente avec les actions publiques menées par ailleurs.
Pour autant, même s'il faut vanter les volontés municipales, en particulier lorsque les communes ont les moyens matériels et humains pour agir, il ne faut pas négliger, loin de là les intercommunalités. D'abord parce que, même si le cœur de la cité touche d'abord la commune, sa vie a un retentissement sur l'ensemble des collectivités alentours. La cohérence de l'action et la coopération face à ce type de problème est indispensable et a donné des résultats, notamment à Louviers et à son agglomération, où l'activité commerciale est devenue une compétence intercommunale par la volonté de Franck Martin tout en donnant des résultats intéressants, malgré quelques oppositions. 
Ce qui est certain, c'est que la situation économique et commerciale dans la zone de Louviers a connu une magnifique embellie grâce à l'action de Franck Martin ... mais que la politique de Priollaud remet gravement en question. En témoigne la première étude de l'Insee qui place Louviers en phase de recul récent 
Une étude aussi récente qu'inquiétante pour Louviers : la ville et son
agglomération sont victimes d'un décrochage récent. Vivement demain,
comme disait l'autre. Louviers a besoin d'un bon maire










mardi 5 juin 2018

Sacrés vieillards






Françoise Dolto, sacrée grand mère 
et grand mère sacrée. Spécialiste de
la petite enfance, on la retrouve
étonnamment dans l'approche de
la question du vieillissement

.

De Bouddha à Dolto 


J'ai entamé ce café radical par une histoire qui m'est revenue. L'histoire se passe il y a longtemps. Un roi et une reine rêvent d'avoir un enfant et l'enfant finit par venir. Comme il est tellement désiré, comme il est prince, c'est peu dire qu'il devient "enfant-roi". Les parents sont très riches, mais il dépensent encore plus que ce qu'ils ont pour le bonheur de l'enfant à qui toute souffrance est interdite. À la moindre pleurnicherie, au moindre début de cri, sans jamais aller jusqu'à la crise, quand ni le père ni  la mère ne sont là, une armée de nounous et de divers domestiques se précipitent pour le distraire.
Et puis, et puis ... et puis le temps passe et le petit devient grand. À 16 ans, le petit demande à sortir.

Crise au château. Que faire ? Soit on maintient le petit dans le château à l'écart des difficultés, mais dans ce cas, on fera le malheur de l'adolescent puisqu'il insiste vraiment pour sortir. Soit on l'autorise à quitter l'enceinte du palais royal mais on sait qu'alors, il rencontrera le malheur.
Ainsi l'adolescent fut-il autorisé à sortir. 
Alors, dès franchi le premier pont levis, le prince fut confronté à la dure réalité du monde. La misère omniprésente, mendiants, vieillards et mourants. Et l'adolescent eut cette phrase "comment peut-on être heureux si l'on sait que l'on doit mourir?". 
Ainsi commença la quête philosophique du jeune homme dont à présent tout le monde a entendu parler. 
Il s'appelait Siddharta Gautama mais est mieux connu sous son surnom de Bouddha, qui veut dire "l'éveillé"
le jeune Siddharta Gautama, dit Bouddha, l'éveillé

Qu'on se rassure, je n'ai pas tourné casaque et mon but n'est pas de faire l'éloge de la spiritualité. Le café radical, bien que restant ouvert à toute forme de pensée reste dans une démarche rationnelle même si elle est fondamentalement ouverte au débat. À ce propos, je me dois de dire que ce récit de l'enfance de Bouddha n'est qu'un des multiples récits de la jeunesse du grand sage dont la spiritualité est présente dans la majeure partie de l'Asie. 

Je me suis demandé pourquoi cette histoire m'a accompagné dans la préparation d'un café radical consacré au vieillissement et à ses conséquences sociales, économiques, politiques, sanitaires et physiques. 
Parallèlement, j'étais amusé que, pendant que je préparais à un débat sur les vieillards, la télévision rendait hommage à Françoise Dolto spécialiste des bébés, à l'occasion des 30 ans de sa mort. 
Que relie pourtant le bébé au vieillard ? Pas évident si ce n'est de voir en eux des êtres de dépendance et de caca. 
Annie de Vivie, invitée du café radical, a tout remis en place dans les deux heures qu'ont duré le débat. 
Le dialogue avec les anciens en souffrance recoupe étonnamment ce qu'on peut retrouver dans le dialogue salutaire que Dolto a su nouer avec des enfants. C'est, fondamentalement, une histoire de vérité.  La vérité de ce qui est dit comme la vérité du dialogue. 
Il y a de la fascination à regarder ou écouter la façon dont Dolto parlait aux petits, comme il y a de la fascination à écouter la façon dont Annie de Vivie parle de ses dialogues en maison de retraite. Effectivement, les faibles, qu'il s'agisse d'enfants ou de vieillards sont marqués par un mensonge institutionnel, ce qu'on appelle un tabou et qui touche la mort, le sexe et l'argent. La mort, le sexe, l'argent, tout ce qui nourrit la culpabilité et l'autonomie des adultes civilisés et dont ils s'interdisent de parler aux êtres fragiles ... et dont Dolto pour les enfants, Annie de Vivie, mais pas seulement elle, démontre que non seulement on peut mais qu'on doit leur parler. 
Annie de Vivie et Annie Valin ont
magnifiquement animé un débat passionné
et passionnant. 
Il y a des points communs dans la manière de parler. En fin de compte elle est sans doute universelle. Elle requiert un dialogue qui respecte les individus, l'échange de regard, le toucher rassurant et la sincérité. Ainsi les angoisses des vieillards, si oppressante dans les maisons de retraites, le sont d'autant plus qu'on n'ose aborder le sujet y compris lorsque les vieux lancent des appels désespérés.  
Annie de Vivie raconte qu'elle vit avec la vieillesse depuis son enfance, sa mère ayant eu, elle aussi, à s'occuper des personnes âgées. Elle a acquis au fil des ans et des pratiques un lien très fort et particulier avec les vieux, tous les vieux, parmi lesquels les mourants. Elle dit à ce sujet que les mourants eux-mêmes choisissent en quelque sorte le moment de leur mort, celui dicté par un corps à bout. Cela m'a immanquablement fait penser à ce que le docteur Martin expliquait sur la naissance de l'enfant, qu'il ne fallait pas provoquer, mais juste accompagner. La naissance, la mort, la vie même et tout ce qui, du début à sa fin, relève du sacré. Toute chose vient à son heure.
Certes, on n'était pas exactement dans le sujet de la réunion qui visait à parler du vieillissement sous tous ses aspects sociaux, économiques et politiques. Sauf que, un peu à l'image du docteur Martin, l'homme qui a marqué la politique à Louviers, l'expérience professionnelle peut être une voie vers un débouchement politique. Ainsi, Annie de Vivie sait de quoi elle parle, tant elle a abordé le sujet sous tous les angles et un site de grande qualité, couvrant la question du vieillissement sous tous ses aspects. 

La vieillesse n'est pas une maladie 

Il n'empêche que le rapprochement entre l'enfance et la vieillesse ne s'arrête pas là. Ces deux moments de la vie ont été essentiellement vécu comme des désagréments, de ceux que le puissant 20e siècle a commencé à traiter à coups de médicaments. Les désagréments, ça se soigne. Or, la vieillesse n'est pas une maladie. Bizarre d'ailleurs comme cette formule en rappelle une autre sur la médicalisation de la grossesse (la grossesse n'est pas une maladie). Lors même que, comme le rappelle Annie de Vivie, "aucun âge de la vie n'est meilleur qu'un autre".  
Certes, on peut se demander à quoi ça sert un vieux ? Dans une société qui développe l'évaluation comme principe, la question ne manque pas de se poser et débouche inéluctablement sur la raison d'être de l'observatoire de l'âgisme qui relève de la lutte contre les discriminations. 
Annie de Vivie, avec la force de l'écoute et de
la conviction a su convaincre l'auditoire que
la vieillesse, la vie, et l'importance que l'on
accorde à l'âge nous concerne tous. Elle a
tenu des propos décoiffants qui poussent
à la réflexion comme à l'action.  
En fait, entre les mouroirs, terme sordide donné aux maisons de retraite lorsque dans l'après guerre on a commencé à regarder en face le problème des anciens et les Ehpad (établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes)  d'aujourd'hui, malgré tous leurs défauts, sont déjà la marque d'une évolution majeure de notre société vieillissante. 
On parle beaucoup des vieux. De plus en plus. La grève actuellement menée dans les Ehpad est révélatrice d'un malaise. Annie de Vivie, qui a évoqué le sujet vendredi soir à Louviers, a depuis évoqué dans l'éditorial qu'elle a signé sur son site (cliquer ). Elle prend le problème à rebrousse-poil des revendications du personnel comme de la réponse administrative. Selon elle, on ne peut aborder la question du vieillissement aujourd'hui avec les logiques d'hier. L'Etat a répondu aux demandes en instaurant le principe d'obliger à la présence d'une infirmière de nuit par établissement.
Pourquoi une infirmière de nuit, qui du reste, n'était pas demandée dans les revendications ? Est-ce parce qu'on n'arrive plus à recruter des aides-soignants ? 
Pour Annie de Vivie c'est toute la question de la vieillesse qui est à repenser. On ne guérit pas de la vieillesse. Il ne faut pas la penser en terme d'actes. On doit accompagner les vieux, être bienveillant avec eux. Ne pas les forcer à la toilette s'ils n'en veulent pas. Il faut jusqu'à la fin les aider à être une personne (comme le bébé de Dolto). Il faut les aider à vieillir debout selon la belle formule d'Annie de Vivie. 
Telle est notre mission essentielle en tant qu'humain : assister les anciens et la mission se décline tant sur le plan social, sociétal et individuel dans le cadre de la solidarité entre générations.
Ainsi, on peut considérer que le rôle de la société est déterminant dans cette mission, que ce soit au niveau de l'Etat que de la commune. 
Ainsi Diego Ortega, candidat déclaré à la mairie de Louviers a eu à s'exprimer à ce sujet. Annie de Vivie n'a pas manqué d'intervenir à peine avait-il pris la parole ... 
- "Alors, qu'allez-vous faire ? Pas de conseil des sages, j'espère ! Je repense à ce que me disait une cliente. Non, pas de conseil des sages, ce n'est pas parce que j'ai 85 ans que je suis sage. Je n'ai jamais été sage, je ne vais pas commencer maintenant ..." 
Diego Ortega s'est contenté de répondre qu'il prenait note de toutes les données énoncées lors du débat. Il s'en servirait lors d'un programme municipal qui reste à établir.
On ne peut faire qu'un triste bilan au sujet de l'action de municipalité actuelle de Priollaud, qui se contente de réduire tout ce dont bénéficiaient les anciens, sans qu'aucun projet n'apparaisse. Suppression des aides aux transports pour les non-imposables, suppression d'un événement festif et, effectivement, mis à part la création d'un conseil des sages, aucun projet visant au développement des liens inter-générationnels, ou à lutter contre l'isolement n'est présent. 
Je ne puis m'empêcher de repenser au travail pionnier mené par Ernest Martin qui, par le service famille s'était attaché à parler à tous les âges, dans un même service. Ledit service s'occupait aussi bien de la naissance, de l'adolescence et de ses troubles, des couples et des difficultés liés à la venue de l'enfant, et des personnes âgées, accompagnées ou impliquées. Ainsi, c'est sous cette municipalité novatrice qu'avait été créée une résidence destinée au personnes âgées et où les jeunes pouvaient loger à proximité (la résidence du Parc)
Anne-Josy Guérard, ex- et future conseillère 
municipale, psychologue travaillant auprès 
des personnes âgées, a fait part de ses
 expériences et doutes sur la difficulté de 
travailler en ehpad et les possibilités offertes 
pour améliorer les choses. 
Le but de cet article n'est pas de retracer toutes les pistes, toutes les données transmises par Annie de Vivie qui a pu ainsi parler de la dynamisation des réseaux, de la maison de l'amitié à Albi (50.000 habitants), du l'importance de la socialisation (nous sommes tous des êtres sociaux, sinon on crève),  de vieillir debout dans une société intelligente, de la nécessité de parler de la mort à tous les âges, de la nécessité de parler argent avec les anciens et ses parents en particulier, de la santé (compenser les problèmes d'audition diminuerait d'un tiers les accidents, donc économie) et de la sexualité des anciens  (si l'on est vivant, c'est qu'on a des envies)
Enfin, et là, nous revenons à la signification individuelle de la vieillesse et de la mort. Annie de Vivie rejette le principe défendu par le droit de mourir dans la dignité. Elle pense que la mort doit être le choix du corps qui décide du moment. Bien entendu, cela est vrai lorsque tout se passe bien, et, comme elle le dit : personne ne demande à mourir dans l'indignité. Beau débat à la vérité, les radicaux de gauche pour leur part étant très impliqués pour la défense du droit à mourir dans la dignité. 
à suivre ...