Le Témoin
Tant qu’ils demeurent dans leur cage,
Vous pouvez admirer leur chant
Inoffensif et innocent
Dont ils sont la parfaite image
Les enfants sages
- « Il a
replongé dans le coma, dit Domfront. »
Voilà qui ne
souffrait aucune réplique. Rossignol devait renoncer après avoir espéré
beaucoup de ce côté-là. Le témoin clé était dans les choux durablement, si tout
du moins il s’en sortait. Et s’il s’en sort, est-ce qu’il sera en état de se
souvenir et se souvenir de quoi ?
De
l’agression, peut-être pas… mais ce n’était pas le plus important. Il y avait
le reste. Le temps que Jacques Lorraine avait passé à espionner les taggers.
Quelques minutes ? Une heure ? Ou cela relevait-il d’un jeu de
cache-cache en cours depuis plusieurs jours ? Combien de taggers,
étaient-ils juste deux ou procédaient-ils par groupe ? Lorraine les
connaissait-il ? Et depuis combien de temps ?
Rossignol se
demandait pourquoi on lui en avait voulu à lui et à ce point. « Jamais vu
une telle violence » répétait William Hervet, le policier municipal appelé
à la rescousse. Vraiment ? C’était de la rage ou un meurtre
prémédité ? Qui avait voulu piéger l’autre ?
Autant de
question qu’il aurait été plus simple de poser directement. Au moins, la
situation avait-elle l’avantage de faire baisser la pression. Dans son coma,
Jacques Lorraine se faisait oublier et de la presse nationale, et, par voie de
conséquence, de la pression politique même si les demandes se poursuivaient sur
l’avancement de l’enquête mais on n’en était plus au même point. En ce qui
concerne la presse locale et la petite fouille-merde, on en était à présent sur
la multiplication des tags en ville qui certes était un mystère, mais qui ne
relevait pas du crime et même pas du délit. On était dans la contravention et
c’était à la police municipale de s’en charger.
- « Vous
pensez qu’il n’y a pas de rapport ?
- Je ne pense
rien du tout. Je dis que je laisse la municipale se charger de la répression
des contraventions. Ils doivent être au moins capables de faire ça, non ?
Et pendant ce temps-là, ils ne feront pas de bêtises… Enfin, c’est vrai, on n’a
pas de certitude à ce niveau-là, mais on sera vite au courant, avec la pression
qu’on leur met. Je vois le directeur de cabinet tous les matins. Il me fait un
rapport sur les activités de la police municipale tous les jours à 8 heures. Je
viens d’en convenir avec lui. À ce propos, pour les tags, le truc sur £es enfants, là, c’est pas la peine de
fantasmer. Il y en a eu quatre dans la ville. C’est tout. Il ne faut pas parler
de multiplications. Il y en a eu un sur la piscine, un devant les deux lycées
de la ville, et un sur la mairie, bien
entendu.
- Excusez-moi,
Monsieur le Commissaire, mais personnellement, je ne vois pas comment il ne
peut pas y avoir de rapport.
- Bien sûr,
bien sûr qu’il y a message, même si on ne le comprend pas. Mais vous savez, il
y a plusieurs hypothèses. La première c’est que les types veulent poursuivre
l’œuvre interrompue par les policiers municipaux. La deuxième, c’est qu’on
veuille noyer le poisson en recopiant ce qui a été fait par ailleurs… du genre,
on n’est pas des agresseurs, juste des simples taggers. Ce qui est sûr c’est
que les types ne souhaitent pas passer inaperçus. Ils ne veulent pas se faire
oublier.
- Vous pensez
quoi de l’hypothèse du maire ? Que ce serait un coup de Libertario. Qu’il
voudrait foutre le bordel pour le mettre en difficulté.
- Ben, j’en
pense la même chose que vous : c’est débile. Bon, mais c’est quand même le
maire qui lance ça… il est officier de police judiciaire, par la loi. M’enfin,
sur ce coup, je le soupçonne de ne pas être totalement objectif. Ça lui ferait
tellement plaisir que ce soit ça. Pour moi, j’y vois la même probabilité que
l’hypothèse des gilets jaunes. C’est zéro, même si je me refuse à exclure toute
hypothèse a priori. Il y a tellement de surprises dans l’existence. »
***
Florence ne
tarda pas à reprendre contact avec Fatima. Elle avait fait sa petite enquête et
elle avait une explication cohérente à lui apporter sur le comportement
d’Anquetil. Elle lui proposa de passer chez elle.
- « Oui,
Florence, je sais ce que tu vas me dire. Je viens de lire sur les 400 culs, le
blog de Libération. Ce n’est pas rassurant pour moi. Soit il me trouve moche,
soit il est gay. C’est ça un homme qui refuse.
- Un peu
simple et simpliste comme explication. Je ne dis pas qu’il est gay ton
Anquetil, je ne dis pas le contraire non plus, mais j’ai peut-être une autre
explication.»
Florence
venait de passer quelques instants avec quelqu’un qui connaissait bien la
famille dont l’histoire n’était pas passée inaperçue. En fait, c’est vrai
qu’Anquetil a vécu avec sa mère et ses grands-parents après le suicide de son
père qui s’était jeté dans une fosse à purin sur le plateau du Neubourg.
- « Putain,
c’est glauque !
- Oui, c’est
glauque. Le reste est pas sympa non plus. Les grands parents, ceux qui sont à
la maison de retraite, ne s’en sont pas vraiment occupés par le fait. Faut dire
que les grands parents étaient de la famille du père. C’était pas sa famille à
elle. En plus, ils soupçonnaient la fille d’avoir poussé leur fils dans le
tas de purin.
- Y a eu
enquête de police ?
photo mozkito issue du site Belge 7/7En plus, ils soupçonnaient la fille d’avoir poussé leur fils dans le tas de purin. |
- De
gendarmerie, ma belle ! On est sur le plateau du Neubourg, zone
gendarmerie. Je n’en sais rien. Tu sais bien, à la campagne, ce genre de crime
parfait, c’est pas que dans Maupassant. C’est une réalité. Pour ma part, je
suis persuadée que tous ces suicides dans le monde rural, ça arrange vraiment
beaucoup de monde ! Enfin, c’est une généralité.
- Tu dérailles
Florence… enfin non. C’est sûr que tout le monde a un peu envie de tuer tout le
monde dans les familles.
- Et dans les
campagnes, les gens sont beaucoup plus durs.
- Ouais, bon,
c’est de l’ethnologie à deux balles, ça. tu vas me faire un comparatif entre le
plateau du Neubourg et le Pays de Caux…
Bon, au moins, ça me change les idées. Bon, raconte le reste. Un crime parfait,
maquillé en suicide, pas d’enquête de gendarmerie.
- Ah
non ! Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas eu d’enquête de gendarmerie.
Pardon, ça remonte à plus de 20 ans. Y a pas eu d’article dans la presse. A
peine un mot dans le Carnet, la rubrique Carnet du courrier du Neubourg. Tu me
diras, c’est toujours ce que les gens lisent le plus. Dans les familles, ils
ouvrent le journal en disant : « qui c’est qu’est mort ? »
Bon, qui c’est qu’est mort, d’accord, mais ça dit pas la vraie question :
comment qu’il est mort et qui c’est qui l’a poussé ? en fait, je connais
un peu l’histoire à cause de ma copine qui habitait Sainte-Opportune, le même
village. Tu parles d’un nom, Sainte-Opportune ? Tu appellerais ta fille
Opportune, toi ? Mais pour ce qui concerne l’enquête de gendarmerie, c’est
à toi de faire le boulot. Je n’en sais rien.
- Ouais, bon.
D’accord, je vais peut-être voir. Et le gamin ?
- Ben le
gamin, en fait, il a été pris en charge par un voisin. Enfin, essentiellement,
M. Degénetais.
- Ah
oui ! C’est bizarre, ça les voisins qui prennent en charge un gamin.
C’était quoi prendre en charge exactement ?
- Ben, c’était
lui payer des trucs, l’aider dans ses études, des trucs comme ça, mais c’est
pas tout.
- Oui, tout
ça, excuse-moi, mais ça sent l’adultère de campagne. Le type, il couche avec sa
voisine. Ils ont un lardon. Le mec fait la gueule. Les parents font la gueule
encore plus. La nana se démerde avec le Degénetais pour pousser le mari dans le
purin. Après les parents, forcément voient pas d’un bon œil de garder le petit
et c’est le gentil voisin qui s’en charge et qui vient sauter tranquillement la
voisine quand ça le démange. Sympa, remarque… Il aurait pu la larguer.
- Tu vois le
mal partout Fatima ! Pour un peu on dirait que tu es dans la police. En
fait, ça peut quand même arriver qu’un adulte prenne en charge un adolescent en
difficulté, non ?
- Ah, Florence,
toujours ton côté Bisounours…
- Je ne sais
pas si je suis Bisounours, mais je trouve que ce qu’on m’a dit sur l’histoire
de ce type est encore pire. En fait, le voisin, le Degénetais était Témoin de
Jéhovah. Et il a assuré l’éducation du petit en le transformant en Témoin, ou
tout du moins en le mettant sous influence. Et la femme aussi du reste. Tu
sais, tout ce qu’on dit sur les Témoins de Jéhovah, quand ils font dans les
bonnes œuvres, qu’ils vont voir les petits vieux dans les maisons de retraite,
qu’ils en font des adeptes, mais qui vont aussi rechercher dans les familles de
nouveaux fidèles quand elles ont des problèmes.
- Super !
Tu te rends compte de ce que tu me dis ? mais c’est super, ça. Je vais
pouvoir aller enquêter chez les Témoins de Jéhovah. Foutre le bordel chez eux.
Ça me démange depuis que je suis à Louviers.
- Calme-toi
Fatima, le Degénetais, il est mort depuis 3 ans. Et puis, il n’a jamais été
logé chez eux puisqu’il est resté le voisin du petit. Enfin, pour ce qui est de
ton histoire, éduqué par un Témoin de Jéhovah, c’est quand même pas marrant
pour un petit. Pas de Noël, pas d’anniversaire. Le seul avantage s’est d’être
dispensé de donner son sang. Je ne sais pas pour toi, mais moi, à chaque fois,
ça me fait tomber dans les pommes.
- Ah
bon ?
- Enfin, du
coup, je l’ai fait qu’une fois ! Bref, ce que je voulais dire, c’est que
quand même pour un enfant, pour une ado, être Jéhovah, c’est pas la joie.
- Effectivement,
la répression sexuelle est déjà lourde dans les religions, mais là, c’est
encore pire.
- Tu vois, tu
le dis toi-même Fatima. Pas étonnant qu’il soit un peu détraqué dans ses
rapports avec les femmes. Tu peux bien te dire que ça n’a rien à voir avec toi.
Tu es loin d’être un tue-l’amour Fatima. Beau cul, belles jambes, beau visage. Ma
jolie.
- Oui, c’est
gentil. Ça fait toujours du bien à entendre.
- Rassure toi
ma poupée. T’as de quoi faire bander tout le commissariat, tout Louviers et
au-delà. Mais il faut dire quand même, pour ce qui est des Témoins de Jéhovah,
tu places la barre un peu haut. C’est le cas de le dire. »
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