Les enfants sages
Ils ont la froideur
organique
De leur sourire
mécanique
Comme une réponse
ironique
Au dérèglement
climatique
Les enfants sages
- « Effacez-moi
ça tout de suite !
- Mais, Monsieur
le Commissaire… Mais, on n’est pas équipé pour, Monsieur le Commissaire !
- Putain !
C’est pas possible. Comment font les autres ? Effacez-ça je vous dis …
- Mais, les autres,
ils passent par les services techniques de la
mairie !
- Bordel !
On a l’air fin… »
Un immense tag
ornait le commissariat de Louviers. C’était le même, la même écriture, avec,
cependant une mention supplémentaire. On était passé de £es enfants, à £es enfants sages. Le tag prenait de
l’ampleur non seulement physiquement, mais l’audace d’avoir maculé le
commissariat donnait une dimension supplémentaire au phénomène.
Le commissaire
téléphona au préfet. Celui-ci prit la mesure du problème. Il fallait, c’est
vrai, faire au plus vite pour éliminer les traces du forfait. Le mieux était de
passer par les services municipaux.
- « Oui,
Monsieur le Commissaire, se rengorgeait Gargallaud. Je donne les ordres
immédiatement. Mais alors, si j’ai bien compris, cette fois-ci, on n’attend pas
la scientifique ? On efface tout de suite.
- La
scientifique, c’est nous ! On relève ce qu’il faut. L’encre, les
empreintes… Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse d’autre de toute façon. Le
reste, c’est la vidéo-surveillance. Ce coup là, elle est à nous la vidéo
surveillance. Et elle n’est pas en panne, je vous jure. Bon, excusez-moi.
Forcément, je suis un peu nerveux. Mais enfin, vous imaginez, un commissariat
tagué, ça la fout mal pour tout le monde. »
Pendant les
travaux, les services continuaient. On avait demandé aux services techniques de
bâcher le sinistre. Précaution inutile, puisque les photos avaient été prises
et circulaient déjà sur les réseaux sociaux, sans parler de la presse qui en
faisait déjà ses choux gras sur les sites de La Dépêche et de
Paris-Normandie. Il n’y avait, c’est vrai, à présent plus rien à voir, mais
cela n’empêchait pas l’attroupement autour du commissariat et les gens
commentaient, ravis par ailleurs d’être interrogés par Florence qui avait été
la première sur les lieux. A ces badauds se mêlaient ceux qui devaient
impérativement se rendre au commissariat que ce soit pour porter plainte, pour
des raisons administratives ou parce qu’ils avaient été convoqués. Ce joyeux
mélange était épaté par l’audace des taggers et s’amusait de la confusion
perceptible à l’intérieur comme à l’extérieur du commissariat.
A 10 h 15,
la scientifique débarqua quand même, appelée par on ne sait qui, fit cesser les
travaux, se prit de bec avec le commissaire qui n’avait pas eu la patience
d’attendre et s’empressa de faire quelques relevés.
FR3 arriva
vers 11 h 30. Il n’y avait plus d’inscription et le commissariat
avait repris ses activités normales. Ouf !
Frédéric
Lafond, journaliste expérimenté, s’en fichait un peu. Il suffisait d’aller sur Facebook
pour avoir toutes les photos nécessaires. On fit un micro-trottoir et le
reporter fit une interview rapide du maire et du commissaire qui avaient
préparé des éléments de langage.
Il s’agissait
de minimiser le problème et d’attribuer le forfait à l’audace de quelques
mauvais plaisants. Frédéric Lafond fit allusion au policier toujours
hospitalisé. Le maire, comme le commissaire, ne purent cacher un malaise
d’autant plus perceptible sur écran, que l’expression de leur visage
contredisait leur discours rassurant. Frédéric Lafond savait toucher là où ça
faisait mal.
"Vous nous appelez quand ça vous arrange, alors ça va bien !" Photo l'Union |
Encore
n’avait-il pas assisté au crêpage de chignon entre le commissaire et la
scientifique. LA scientifique. C’était le cas de le dire. L’équipe était
dirigée par la lieutenante Marie-Jeanne Palerme qui avait la réputation de
monter vite dans les tours.
- « Vous
nous appelez quand ça vous arrange ! Alors, ça va bien…
- Tu parles,
si on n’était pas obligé de vous attendre, on hésiterait peut-être moins à
faire appel à vous !
- Arrêtez vos
conneries, commissaire ! Vous voyez bien qu’on est là à l’heure.
- Oui.
N’empêche que vous avez fait traîner les affaires. Maintenant, le commissariat
est la risée des réseaux sociaux.
- J’en ai rien
à foutre de ça. L’important, quand même c’est qu’on puisse retrouver ces
dangereux connards, non ? Sinon, vous n’avez pas fini d’être ridicule. Au
fait, vous vous occupez toujours du cadavre ramassé à l’écluse ?
- Ben oui.
- Bon, alors
j’ai fini le rapport. Transmis au procureur. Il n’y a plus d’obstacle. Il peut
délivrer un permis d’inhumer.
- Et ?...
- Et
quoi ? Bon, ben vous lirez dans le rapport. Il n’y a quasiment rien, et en
tous les cas rien de neuf par rapport à la première analyse. Elle était
bourrée, elle est bien morte par noyade. Elle était boursoufflée mais on le
serait à moins après un bain de plusieurs heures dans une concasseuse
aquatique. Elle avait des ecchymoses, mais c’est pareil, elle a été cognée non
pas avant, ou, je dirais, visiblement pas avant de se précipiter dans la
flotte. Impossible de le savoir. Pour le reste, oui, il y a toujours des
marques aux poignets. Façon 50 nuances de Grey, si vous voyez ce que je veux
dire.
- Plus
précisément ?
- Ben, des
marques comme si on lui avait mis des menottes. Mais assez légères, les
marques. Rien de serré. Maintenant, savoir si c’était un jeu érotique...
- Ouais,
enfin, a priori, c’était pas trop le genre.
- Sans doute,
mais en matière d’érotisme, on a toujours des surprises.
- Bon, merci.
Au fait, qu’est-ce qui vous a amené à venir ? Comment avez-vous été
informée ?
- Ben, par le
préfet, bien sûr ! Il nous a expliqué pourquoi il serait préférable qu’on
n’y aille pas. C’est ça qui m’a poussé à venir. Bonne journée commissaire. »
Sont-ils là où on les attend, eux que jamais aucun n'espère |
Quand Fatima
apprit qu’elle devait informer Anquetil de l’autorisation d’inhumer, elle eût
comme une hésitation. Elle prit cela avec une quasi-indifférence,
comme s’il s’agissait d’une mission anecdotique. Son premier réflexe avait été
de déléguer la tâche à un collègue. Elle se ravisa. Elle avait du mal à
supporter sa propre lâcheté. Hic Rhoda, hic salta, comme on dit ! Alors,
pleine de courage, elle se leva et se décida à se rendre à la machine à café.
Son portable
personnel vibra à ce moment-là. C’était un SMS d’Anquetil.
- « Sont-ils
là où on les attend, eux que jamais aucun n’espère ? Désolé pour l’autre
soir. À votre disposition à présent. »
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