La Reine de la Nuit
Ils ne disent pas de
gros mots
Ils savent taire
leurs défauts
Ils ont toujours de
beaux habits
Et jamais rien ne les
salit
Les enfants sages
Lechaud trouvait le conseil municipal plus insipide que jamais. Cela
semblait paradoxal étant donné la tension palpable dans la cité. On pouvait
certes se dire que la mobilisation était encore faible à quelques mois des
municipales, que l’équipe du maire s’étiolait, cependant qu’en face, on
trouvait qu’on avait mieux à faire qu’à passer une soirée à assister à des
débats sans enjeu sur un ordre du jour d’où l’on avait extirpé les sujets qui
fâchent. Le maire avait choisi comme d'habitude de faire un très long laïus sur son action en pensant profiter de la présence de la presse pour se faire un peu de pub. Cela ennuyait tout le monde, et au sein même de son équipe. Lechaud, lui, ressentait ça comme une punition.
Dans le maigre public, on distinguait nettement
Libertario, venu comme en touriste, qui échangeait des textos en suivant
distraitement l’égrenage des délibérations. L'opposition espérait profiter de quelques moment pour placer quelques piques.
Patrick Lechaud regardait l’heure, prenait
des notes rapides et faisait un jeu sur son portable. Il quitta le conseil plus tôt
que prévu en se disant qu’à quelque chose, malheur est bon. Le conseil insipide
lui permettait au moins de rentrer plus tôt chez lui.
Il traversa la cour de la mairie pour rejoindre son
véhicule qu’il avait laissé à son bureau. C’est lorsqu’il sortit les clefs de
sa poche qu’il sentit une odeur désagréable.
Un véhicule brûlait. En voyant les flammes, il avait même
eu le geste professionnel de sortir son appareil photo et c’est seulement là
qu’il réalisa qu’il était personnellement concerné. La voiture qu'il fixait dans l’objectif de son appareil, était tout simplement la sienne.
A part râler, il n’y avait pas grand-chose à faire. Avant
même de prévenir la police, il téléphona à Florence.
- « Excuse-moi de te téléphoner à cette heure-là. Je
ne te réveille pas ?
- Ben, pourquoi veux-tu me réveiller ? Il n’est même
pas onze heures. Je regarde la télé, comme tout le monde.
- Ecoute ! Ma bagnole est en train de cramer. Est-ce
que tu peux me ramener chez moi ? Je te rembourserai les frais d’essence.
- Bordel ! J’arrive tout de suite. »
Elle s'extirpa du lit, ne prit pas la peine de mettre une culotte, sauta
dans son jean. Fonça dans sa voiture. Faillit démarrer puis elle sortit du
véhicule.
- « Non, je suis con ! Il faut quand même que
je ferme à clef. Les temps sont durs, on ne sait jamais ! »
Elle trouva ses clefs sans trop de difficulté après un
rapide coup d’œil circulaire puis reprit les opérations là où elle les avait
laissées.
Ce n’est qu’au bout de 500 mètres qu’elle se
demanda où elle allait trouver Patrick. Cour de la mairie ou local de La Dépêche ? Ou
ailleurs ?
Bah ! se dit-elle, Louviers est une petite ville. De
toute façon c’est dans le centre, et je ne vais pas être longue à tomber sur
lui. Une voiture qui brûle, ça dure longtemps et ça ne passe pas inaperçu, il
ne pourra pas m’échapper.
En passant devant le Kolysée, elle aperçut au loin les
lumières bleu-nuit qui se réfléchissaient à l’angle de la rue Salengro. Ce
n’était pas a priori, le but de la sortie mais, comme les papillons de nuit,
les journalistes sont attirés par la lumière, surtout quand elle clignote.
C’est à la
Londe que ça se passait.
En arrivant sur place elle perçut un attroupement autour
de pompiers qui s’escrimaient autour d’un véhicule incendié. Elle se gara à
distance avant de s’approcher du groupe de badauds qui regardaient les deux
soldats du feu s’acharner autour d’une camionnette, cependant que deux
policiers recueillaient les témoignages. Ça ne pouvait pas être la voiture de
Patrick.
Sacha, le clochard misanthrope était là, se tenant à
l’écart mais suivant de près les débats. Florence se demanda la raison de sa
présence. C’est vrai, il ne bouge jamais de son banc, sur le quai de Bigards.
Il détestait le monde et ce qui plaisait à la foule. Les seuls moments où il
quittait son banc, c’était pour Louviers-Plage, l’animation municipale qui
ramenait des gamins à proximité du banc. Ça le faisait fuir. Il s’exilait alors
vers le centre d’une ville endormie du cœur de l’été et où il savait qu’on lui
ficherait la paix.
Florence avait bien enregistré ce que Fatima lui raconté.
Sacha, était le principal témoin de la noyade de la Villette. Mais ce
n’était pas sa principale préoccupation. Cette voiture brûlée, à proximité
d’une zone d’habitat collectif, sans vouloir en faire du spectaculaire, c’était
un vrai sujet qui touchait la vie des gens. Elle se demanda s’il valait mieux
prendre une photo avant de prévenir Patrick Lechaud ou l’inverse. Et c’est là
qu’elle réalisa que, dans sa hâte, elle avait laissé son smartphone sur la
table du salon. Probablement.
- « Je suis rien conne ! »
Bon, pas d’appareil photo, mais il fallait au moins
prévenir Lechaud qu’il serait sympathique de ne pas faire patienter.
Elle se demanda auprès de quel policier ou pompier se
renseigner pour savoir les lieux où d’autres véhicules avaient été incendiés et
en particulier dans le centre-ville. En s’approchant, elle entendit un message
radio qui demandait aux flics de se rendre d’urgence de l’autre côté du
quartier. Il y avait du grabuge dans les lotissements vers le cimetière.
Florence courut vers sa voiture et tenta de rattraper la
police qui avait un petit temps d’avance.
Ce n’était pas la peine de s’énerver cependant. Au bout
de 500 mètres ,
tout le monde stationnait sur les lieux.
Le feu d’un véhicule avait gagné une haie de noisetier,
situé à proximité du mur du pavillon et
qui était noirci des flammes avaient commencé à lécher la maison. La rapidité
d’intervention des secours avait évité le pire mais le spectacle, sous les feux
de l’éclairage urbain et des clignotants des véhicules prioritaires,
dramatisait la situation.
Une femme tenait dans ses bras sa petite fille de deux
ans et demi qu’elle avait réveillée à la hâte et qui, bien sûr ne comprenait
rien de ce qui se passait. À côté, un homme parlait avec deux gamins à peine
plus âgés pour tenter de les rassurer.
Florence retrouva Fatima qui figurait parmi les policiers
mobilisés.
- « Tu le connais, le type avec les bésots ?
C’est son compagnon ?
- Son compagnon ou son mari, Florence. Il arrive que des
gens qui vivent ensemble soient mariés. Même s’ils ont eu des enfants
chacun de leur côté. »
Florence esquissa un faible sourire.
L’inspecteur Domfront sortit d’une voiture banalisée. Il
avait donné l’ordre d’une surveillance discrète. Éviter les sirènes, par
exemple, pour ne pas paniquer la population et même ne pas abuser des clignotants.
Il fallait aider les pompiers à faire leur boulot, mais ne pas parler
d’incendie volontaire même si ça paraissait de plus en plus difficile. On en
était à cinq véhicules incendiés.
Du coté de la propriété, le feu semblait maîtrisé.
C’était en quelque sorte un incendie par destination, comme un dommage
collatéral. On pouvait penser qu’il s’agissait de quelques abrutis qui
s’amusaient à foutre le feu aux bagnoles. Rien de plus, même si c’était déjà
pas mal. La façade était touchée, mais avec les assurances les propriétaires
pourraient la remettre en état rapidement. Pour la jolie haie de noisetiers,
qui avait été plantée par les propriétaires précédents, il faudrait plusieurs
années pour qu’elle reprenne son aspect d’il y a encore dix minutes.
L’homme voulait être sûr que tout danger était écarté
avant de faire rentrer les enfants. Il avait eu peur mais le fait se retrouver
en responsabilité auprès des petits avait évacué sa propre panique. Florence
s’approcha de lui dans une démarche de soutien et elle s’aperçut qu’elle le
connaissait. C’était le fils d’une copine d’école. Elle lui fit la bise et
parla aux enfants pendant qu’il entrait dans la maison avec les pompiers.
Un homme qui tombe à terre ne fait pas de bruit c’est
bien connu. Florence n’entendit pas non plus le bruit de verre sans doute parce
qu’elle était mobilisée avec le papa et ses deux enfants et parce qu’elle se
trouvait à une vingtaine de mètres de l’impact. Elle sentit juste un mouvement
de panique qui imprégnait tout le monde autour d’elle.
Photo police nationaleElle sentit juste un mouvement de panique qui imprégnait tout autour d'elle |
C’est Domfront qui venait de s’écrouler après avoir pris une
bouteille sur la tête. Fatima s’était précipitée vers lui. Très vite policiers
et pompiers s’étaient repliés, emportant avec eux les enfants et la maman pour
les amener à l’abri. Tout le monde regardait le policier en civil, allongé sur
le sol.
Florence aperçut la bouteille brisée net à ses pieds.
Elle en ramassa le tesson le plus important, qu’elle brandit par le goulot.
Elle était dans une rage noire. Elle se tourna vers le petit bosquet qui cernait les logements collectifs. Elle se
mit à hurler. Elle était sûre que c’était de là que la bouteille avait été
lancée. Les trois étages de l’immeuble firent caisse de résonance à sa voix et
on l’entendit à plus de cent mètres à la ronde.
- « Non mais c’est pas bientôt fini, oui ? Vous
allez arrêter vos conneries ? »
Et au cœur du silence assourdissant qu’elle avait créé,
elle s’approcha du petit espace vert mal entretenu. Elle était de cette rage
solitaire et inconsciente. Elle n’avait peur de rien.
En arrivant sur place, elle vit que les agresseurs
avaient dégagé. Il n’y avait plus personne de ce côté-là. Il y avait juste, au
pied des arbustes, une dizaine de bouteilles... des cocktails Molotov tout
prêts à être balancés.
Bravache, elle en prit un dans chaque main et les brandit
face à un public invisible.
- « Connards, va ! Venez les chercher si vous
avez les tripes ! »
Il n’y eut pas de réponse.
Juste un silence qui s’entendait jusqu’au cimetière. Et
puis, sans doute pour y mettre fin parce que ça devenait insupportable, sans
doute aussi par volonté d’agir, on entendit des applaudissements en provenance
des habitations.
Florence toisa le public.
- « Et vous, vous avez l’air de quoi à vos
fenêtres ? Vous les avez vus, non ? Vous savez qui c’est. Et vous
n’avez pas rien fait pour empêcher ça ? Non mais vous vous rendez compte
ces connards ? Non seulement ils crament une baraque mais en plus il faut
qu’ils caillassent les secours. Et avec des bouteilles en plus. Dénoncez-les,
bordel ! Dénoncez-les ces connards ! Si vous les laissez faire, ils vont
vous bouffer tout crus ! »
Les applaudissements redoublèrent. Ils ne venaient plus
seulement des immeubles mais les badauds
voulaient montrer qu’ils n’avaient plus peur. Libertario Garcia vint vers elle
pour la féliciter.
- « La
République , c’est le courage ! »
Florence était sur un nuage, projetée dans une situation
qu’elle n’avait pas cherchée.
Elle retomba sur terre, comme remise d’une brève syncope.
Elle revint vers Domfront qui s’était maintenant assis.
Fatima passait des appels. Elle était à présent en
responsabilité et informait Rossignol de la situation. Elle demandait des
renforts pour sécuriser le secteur. À côté des véhicules qui patrouillaient, il
fallait des flics à pieds qui soient reliés, et qui devaient être présents dans
tous les lieux à risque.
Domfront essayait à présent de ternir debout.
- « Ça va
mieux ?
- C’est mieux, je vais reprendre le poste. Merci Florence.
Vous avez été formidable.
- Merci à vous Domfront ! Mais ne faites pas de
folie, inspecteur. Vous devriez aller à l’hôpital pour des contrôles.
- Vous rigolez ? Non, je ne peux pas laisser Fatima
toute seule. Je m’occuperai de moi demain »
Florence rigola gentiment avant qu’un éclair ne surgisse
brusquement dans sa tête. Comme Fatima était bien occupée, elle se retourna
vers Domfront.
- « Excusez-moi de vous solliciter dans votre état,
mais j’ai un service urgentissime à vous demander.
- Tout ce que vous voulez, Madame Tournage, je ne peux
rien vous refuser.
- Je n’ai pas de portable. Vous avez le numéro de Patrick
Lechaud, mon collègue de La Dépêche ?
Vous pouvez l’appeler ? En fait, il s’est lui aussi fait cramer sa voiture
et je devais aller le chercher.
- Oui, oui ! Je dois avoir ça. Je vous passe mon
portable. Mais, vous me le rendez ! »
Quand Florence appela son collègue, elle entendit
derrière elle une sonnerie familière. Elle reconnut tout de suite celle de
Lechaud, qui arrivait derrière son dos... Il arrivait en compagnie du
commissaire Rossignol, du maire et de son directeur de cabinet.
- « Oups ! Patrick, excuse-moi, j’ai été un peu
prise, et je me suis rendu compte un peu tard que je n’avais pas mon portable.
J’espère que tu ne m’as pas attendu trop longtemps.
- T’inquiète Florence ! T’es l’héroïne du jour.
Mieux, Florence, tu es la Reine
de la Nuit. Tout
le monde est au courant. »
Gargallaud s’approcha d’elle et la félicita
chaleureusement.
C’était très gentil, mais Florence ne souhaitait pas
rester dans la lumière. Elle voulait changer d’air. Tout cela l’énervait et
elle n’avait pas l’intention de passer la nuit à tourner avec la police. À
chacun son boulot, après tout.
Elle proposa à Patrick Lechaud de le ramener quand il
voulait. Dans le quart d’heure, ils prirent la route d’Evreux après avoir salué
tour le monde.
À son retour, il était trois heures du matin.
Au départ, elle n’avait pas spécialement eu l’impression
de traîner avec Patrick. Juste rendre service. Surtout pas parler boulot. Elle
voulait juste traîner et changer d’atmosphère.
D’ailleurs, l’idée de passer la nuit avec Patrick l’avait
effleurée, bien entendu. Il n’était pas déplaisant comme garçon… mais il
n’avait pas fait la démarche et elle n’en avait pas assez envie pour prendre
les devants.
Bref ! C’est comme ça. Elle avait bien parlé avec
Patrick. Elle n’avait pas picolé. Juste une série de cafés, ce qui faisait
d’ailleurs qu’elle se demandait comment elle allait dormir avec l’émotion. Le
lendemain, elle s’était promis d’aller à l’enterrement de Myriam Delpech.
Avant d’aller se coucher, elle fit quand même un tour en
ville, par acquit de conscience. Elle voulait vérifier que la cité s’était
calmée et si elle trouverait Fatima. Elle croisa Rossignol qui laissait un
message aux troupes dans une placette de la rue Saint-Jean. Et puis, comme elle
ne la voyait pas, elle appela Fatima.
Elle lui confirma que la seule chose qui bougeait à
présent dans la ville, c’était la police et Rossignol avait pris en main les
opérations. Fatima l’accompagnait à distance, le regardant faire le kéké et elle
riait d’elle-même pensant qu’après tout, elle avait été responsable des forces
de police sur la ville pendant presque dix minutes. Pas la peine de s’acharner
davantage, d’autant que les heures supplémentaires ne seraient pas payées avant
Noël. D’ici une heure on en reviendrait au format habituel sur le secteur
police entre Louviers et Val-de-Reuil.
- « Bonne nuit ma vieille. »
Dormez tranquille, braves gens ! La police veille
sur vous.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire