Fermez le ban
On ne sait pas ce qu’ils espèrent
Ils ne croient pas plus en l’enfer
Qu’au Paradis qu’ils soient sur terre
Dans le ciel ou en plein désert
Les
enfants sages
Tout aurait pu rester discret … mais ça c’était avant.
A l’hôpital, il y avait déjà le commissaire de police, le
sous-préfet, et la presse, mais autre chose que La Dépêche , même, si, c’est
vrai au milieu des micros, on repérait la petite pigiste qui avait gâché la
première partie de la matinée de Gargallaud.
Le maire rejoignit directement le commissaire Rossignol et le
sous-préfet De Jésus. Il n’était pas question de s’exprimer sous la pression,
mais il fallait à tout prix communiquer, et vite ! La meute journalistique
commençait à devenir insupportable. Il fallait lui donner à manger.
- « Le préfet arrive dans une petite demi-heure. Ça
nous permet de préparer une intervention, et nous avons le prétexte de
rechercher une salle pour notre conférence de presse. D’ici là, en plus on aura
le rapport de l’urgentiste. Ils devraient pouvoir s’en tirer.
- On peut les voir ?
- Non, non. Pas pour l’instant. Et il va falloir y aller
mollo. Ils ont tous les deux la mâchoire fracturée. La priorité, c’est d’abord
la police puis la famille. Que nous avons prévenue.
- Merci monsieur le Sous-Préfet.
- Le procureur ne va pas tarder à arriver »
Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qui s’est passé se
disait Gargallaud. Il y a une seule chose de sûre, c’est qu’on s’était attaqué à la police.
On aurait pu rêver meilleure publicité, mais au moins la
commune allait-elle se retrouver au cœur de l’actualité. En jouant bien le
coup, le maire pouvait obtenir un éclairage intéressant à quelques mois du
lancement de la campagne électorale. L’insécurité, par nature, profite à la
droite. On va nous chercher des poux dans la tête, c’est sûr. On va dire que
s’il y a de l’insécurité c’est de notre faute. Mais si on réclame des armes pour la police, on peut
faire oublier qu’on aurait dû mieux suivre le contrat de maintenance des
caméras de surveillance. De toute façon, on va dire des tas de choses, on ne
peut pas empêcher les gens de parler. Mais en même temps, plus on en parlera, plus ça
montrera qu’on a besoin de sécurité. Et la sécurité, c’est la droite.
C’est nous.
Dans la trop petite salle où l’on avait réuni la presse, on
en savait déjà un peu plus. D’accord, la vidéosurveillance en panne ne
permettait pas d’être vraiment précis, mais on savait qu’au petit matin,
Lorraine qui s’était fait accompagné de Hervet, avait surpris des taggers
encagoulés dans le quartier Maupassant.
Savoir comment ça s’était passé exactement, c’était
difficile à dire, mais ça avait été hyper-violent. Les municipaux s’étaient
retrouvé à terre, qui à la suite d’un balayage, qui à la suite d’un mawashi
geri et avaient continué à se faire taper dessus, sans même pouvoir se saisir
d’un tonfa ou quoi que ce soit d’autre ! Mon Dieu, les tonfas ! Les
policiers municipaux s’étaient tellement battus pour avoir le droit de les
porter sur eux. Enfin, là, de toute façon, il n’en était pas question des
tonfas. Les tonfas, ils étaient dans les voitures de police et c’est vrai que
l’intervention de Lorraine était parfaitement illégale et était un coup
parfaitement foireux. Les choses ne devaient surtout pas être présentées comme
ça. D’ailleurs le préfet prenait l’affaire en main.
En attendant, c’est vrai, il y avait deux types à l’hôpital. L’un entre la vie et la mort, et l’autre dont on se doutait qu’il garderait longtemps des séquelles. |
On eut donc droit à une super-introduction en langue de bois
de chêne. La sécurité, le rôle des agents de sécurité, ce que nous leur devons.
Le courage. Ils avaient frôlé la mort pour nous. Le plus dur pour Gargallaud
était à venir.
Bien entendu, les
questions fusèrent. Avec ce qui venait d’être dit, la presse n’avait rien à
donner à manger à ses lecteurs.
- « Vous avez parlé du quartier Maupassant, est-ce
que vous pourriez donner les caractéristiques de la cité ?
- « Oh vous savez, non. Il n’y a pas de cité
Maupassant, ce n’est pas un quartier à proprement parler. D’ailleurs nous
appelons ça un village. Non, il y a deux trois blocs d’habitat collectif, dont
l’un a longtemps été prioritairement réservé aux gendarmes. Dire qu’il y a des
problèmes, peut-être, oui, on peut dire
ça, comme partout. Mais enfin, il n’y a pas de trafic à proprement parler, de
groupes tâchant d’imposer leur loi si vous cherchez par là.
- Mais alors, si c’est un quartier sans problème, un
village, alors qu’est-ce que faisait la police municipale en planque au petit
jour ?
- Ecoutez, l’enquête est en cours. La presse sera
informée au fur et à mesure. »
Le préfet reprit la parole pour expliquer que le ministre en
personne viendrait dans l’après-midi et serait à la disposition des
journalistes pour un échange.
- « Monsieur le Préfet, est-ce qu’on peut écarter
tout lien avec le terrorisme islamiste ?
- Nous n’écartons aucune hypothèse sur ce lâche attentat.
Malgré tout la thèse islamiste ne semble pas la plus plausible. Il n’y a aucune
revendication, et qui plus est aucun signe extérieur ne semble l’indiquer.
C’est là que Florence choisit d’intervenir :
- Bizarre la façon dont vous parlez d’un lâche attentat.
En attendant, il faut remarquer que ça ressemble à tout sauf à un attentat. On
se retrouve avec un policier municipal qui nous fait du Benalla et pour
qui ça se termine mal. D’accord, il fait preuve de plus de courage, ce qui n’est
pas trop compliqué et il intervient alors même qu’il n’a même pas de cars de
CRS pour le protéger. On espère que les policiers retrouveront vite leurs
esprits … parce que, bien entendu, il
n’y aura pas d’enquête de l’IGPN, vu que ce ne sont pas des policiers d’Etat,
et d’ailleurs, pour l’un d’entre eux, il n’est pas policier du tout. C’est
d’ailleurs ça qui fait penser à Benalla et …
- Et quelle est votre question ?
- Eh bien, est-ce qu’il y aura enquête ? Est-ce
qu’on saura s’il y avait volonté de tuer ou est-ce qu’il y a eu légitime
défense de part ou d’autres ?
- Il y aura enquête, même si la police d’État n’a pas
vocation disciplinaire vis-à-vis de la police municipale qui est de la
responsabilité du maire. La justice va être saisie. Plus qu’un délit, il s’agit
probablement d’un crime sur personne dépositaire de l’autorité publique. »
Le procureur prit la parole pour rappeler quelques réalités.
Jusqu’à preuve du contraire, les victimes étaient celles qui étaient
hospitalisées, quelque soit ce qu’elles aient pu faire auparavant. À cet
égard, les allusions de la presse non professionnelle ont quelque chose de
malsain. Il y a les victimes qui ont failli y laisser leur vie, il y a les
familles des victimes. La police est un métier difficile, les agents qui
l’exercent ont besoin du soutien de toutes les institutions, de toute la
population, et il ne faudrait pas inverser les rôles. La presse devrait faire
attention et ne pas se mettre du côté des voyous.
Fermez le ban !
Circulez, il n’y a rien à voir. On ne savait pas trop si
l’administration ne disait rien parce qu’elle ne savait rien ou parce qu’elle
avait tout à cacher.
- « C’est la grande muette ! dit un journaliste
- Non, non, la grande muette, c’est pour l’armée. Là,
c’est la petite muette. »
La petite pigiste venait d’en prendre pour son grade. Mais elle pensait bien que c’est parce qu’elle
avait mis les pieds dans le plat, soulignant toutes les incohérences de
l’agression. Qu’est ce qui pouvait justifier que des taggers s’en prennent
si violemment à la police ? Et quel pouvait être le sens des tags dans le
quartier Maupassant ? Il n’y avait là ni enjeu esthétique, ni enjeu
stratégique. Là-dessus, bien sûr, c’est vrai qu’on pouvait s’interroger sur ce
qui avait poussé le chef de la police municipale à embarquer un collègue dans
une aventure qui s’était tragiquement retournée contre lui.
En attendant, c’est vrai, il y avait deux types à l’hôpital.
L’un, le chef, entre la vie et la mort, et l’autre dont on se doutait qu’il
garderait longtemps des séquelles.
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