mardi 5 juin 2018

Sacrés vieillards






Françoise Dolto, sacrée grand mère 
et grand mère sacrée. Spécialiste de
la petite enfance, on la retrouve
étonnamment dans l'approche de
la question du vieillissement

.

De Bouddha à Dolto 


J'ai entamé ce café radical par une histoire qui m'est revenue. L'histoire se passe il y a longtemps. Un roi et une reine rêvent d'avoir un enfant et l'enfant finit par venir. Comme il est tellement désiré, comme il est prince, c'est peu dire qu'il devient "enfant-roi". Les parents sont très riches, mais il dépensent encore plus que ce qu'ils ont pour le bonheur de l'enfant à qui toute souffrance est interdite. À la moindre pleurnicherie, au moindre début de cri, sans jamais aller jusqu'à la crise, quand ni le père ni  la mère ne sont là, une armée de nounous et de divers domestiques se précipitent pour le distraire.
Et puis, et puis ... et puis le temps passe et le petit devient grand. À 16 ans, le petit demande à sortir.

Crise au château. Que faire ? Soit on maintient le petit dans le château à l'écart des difficultés, mais dans ce cas, on fera le malheur de l'adolescent puisqu'il insiste vraiment pour sortir. Soit on l'autorise à quitter l'enceinte du palais royal mais on sait qu'alors, il rencontrera le malheur.
Ainsi l'adolescent fut-il autorisé à sortir. 
Alors, dès franchi le premier pont levis, le prince fut confronté à la dure réalité du monde. La misère omniprésente, mendiants, vieillards et mourants. Et l'adolescent eut cette phrase "comment peut-on être heureux si l'on sait que l'on doit mourir?". 
Ainsi commença la quête philosophique du jeune homme dont à présent tout le monde a entendu parler. 
Il s'appelait Siddharta Gautama mais est mieux connu sous son surnom de Bouddha, qui veut dire "l'éveillé"
le jeune Siddharta Gautama, dit Bouddha, l'éveillé

Qu'on se rassure, je n'ai pas tourné casaque et mon but n'est pas de faire l'éloge de la spiritualité. Le café radical, bien que restant ouvert à toute forme de pensée reste dans une démarche rationnelle même si elle est fondamentalement ouverte au débat. À ce propos, je me dois de dire que ce récit de l'enfance de Bouddha n'est qu'un des multiples récits de la jeunesse du grand sage dont la spiritualité est présente dans la majeure partie de l'Asie. 

Je me suis demandé pourquoi cette histoire m'a accompagné dans la préparation d'un café radical consacré au vieillissement et à ses conséquences sociales, économiques, politiques, sanitaires et physiques. 
Parallèlement, j'étais amusé que, pendant que je préparais à un débat sur les vieillards, la télévision rendait hommage à Françoise Dolto spécialiste des bébés, à l'occasion des 30 ans de sa mort. 
Que relie pourtant le bébé au vieillard ? Pas évident si ce n'est de voir en eux des êtres de dépendance et de caca. 
Annie de Vivie, invitée du café radical, a tout remis en place dans les deux heures qu'ont duré le débat. 
Le dialogue avec les anciens en souffrance recoupe étonnamment ce qu'on peut retrouver dans le dialogue salutaire que Dolto a su nouer avec des enfants. C'est, fondamentalement, une histoire de vérité.  La vérité de ce qui est dit comme la vérité du dialogue. 
Il y a de la fascination à regarder ou écouter la façon dont Dolto parlait aux petits, comme il y a de la fascination à écouter la façon dont Annie de Vivie parle de ses dialogues en maison de retraite. Effectivement, les faibles, qu'il s'agisse d'enfants ou de vieillards sont marqués par un mensonge institutionnel, ce qu'on appelle un tabou et qui touche la mort, le sexe et l'argent. La mort, le sexe, l'argent, tout ce qui nourrit la culpabilité et l'autonomie des adultes civilisés et dont ils s'interdisent de parler aux êtres fragiles ... et dont Dolto pour les enfants, Annie de Vivie, mais pas seulement elle, démontre que non seulement on peut mais qu'on doit leur parler. 
Annie de Vivie et Annie Valin ont
magnifiquement animé un débat passionné
et passionnant. 
Il y a des points communs dans la manière de parler. En fin de compte elle est sans doute universelle. Elle requiert un dialogue qui respecte les individus, l'échange de regard, le toucher rassurant et la sincérité. Ainsi les angoisses des vieillards, si oppressante dans les maisons de retraites, le sont d'autant plus qu'on n'ose aborder le sujet y compris lorsque les vieux lancent des appels désespérés.  
Annie de Vivie raconte qu'elle vit avec la vieillesse depuis son enfance, sa mère ayant eu, elle aussi, à s'occuper des personnes âgées. Elle a acquis au fil des ans et des pratiques un lien très fort et particulier avec les vieux, tous les vieux, parmi lesquels les mourants. Elle dit à ce sujet que les mourants eux-mêmes choisissent en quelque sorte le moment de leur mort, celui dicté par un corps à bout. Cela m'a immanquablement fait penser à ce que le docteur Martin expliquait sur la naissance de l'enfant, qu'il ne fallait pas provoquer, mais juste accompagner. La naissance, la mort, la vie même et tout ce qui, du début à sa fin, relève du sacré. Toute chose vient à son heure.
Certes, on n'était pas exactement dans le sujet de la réunion qui visait à parler du vieillissement sous tous ses aspects sociaux, économiques et politiques. Sauf que, un peu à l'image du docteur Martin, l'homme qui a marqué la politique à Louviers, l'expérience professionnelle peut être une voie vers un débouchement politique. Ainsi, Annie de Vivie sait de quoi elle parle, tant elle a abordé le sujet sous tous les angles et un site de grande qualité, couvrant la question du vieillissement sous tous ses aspects. 

La vieillesse n'est pas une maladie 

Il n'empêche que le rapprochement entre l'enfance et la vieillesse ne s'arrête pas là. Ces deux moments de la vie ont été essentiellement vécu comme des désagréments, de ceux que le puissant 20e siècle a commencé à traiter à coups de médicaments. Les désagréments, ça se soigne. Or, la vieillesse n'est pas une maladie. Bizarre d'ailleurs comme cette formule en rappelle une autre sur la médicalisation de la grossesse (la grossesse n'est pas une maladie). Lors même que, comme le rappelle Annie de Vivie, "aucun âge de la vie n'est meilleur qu'un autre".  
Certes, on peut se demander à quoi ça sert un vieux ? Dans une société qui développe l'évaluation comme principe, la question ne manque pas de se poser et débouche inéluctablement sur la raison d'être de l'observatoire de l'âgisme qui relève de la lutte contre les discriminations. 
Annie de Vivie, avec la force de l'écoute et de
la conviction a su convaincre l'auditoire que
la vieillesse, la vie, et l'importance que l'on
accorde à l'âge nous concerne tous. Elle a
tenu des propos décoiffants qui poussent
à la réflexion comme à l'action.  
En fait, entre les mouroirs, terme sordide donné aux maisons de retraite lorsque dans l'après guerre on a commencé à regarder en face le problème des anciens et les Ehpad (établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes)  d'aujourd'hui, malgré tous leurs défauts, sont déjà la marque d'une évolution majeure de notre société vieillissante. 
On parle beaucoup des vieux. De plus en plus. La grève actuellement menée dans les Ehpad est révélatrice d'un malaise. Annie de Vivie, qui a évoqué le sujet vendredi soir à Louviers, a depuis évoqué dans l'éditorial qu'elle a signé sur son site (cliquer ). Elle prend le problème à rebrousse-poil des revendications du personnel comme de la réponse administrative. Selon elle, on ne peut aborder la question du vieillissement aujourd'hui avec les logiques d'hier. L'Etat a répondu aux demandes en instaurant le principe d'obliger à la présence d'une infirmière de nuit par établissement.
Pourquoi une infirmière de nuit, qui du reste, n'était pas demandée dans les revendications ? Est-ce parce qu'on n'arrive plus à recruter des aides-soignants ? 
Pour Annie de Vivie c'est toute la question de la vieillesse qui est à repenser. On ne guérit pas de la vieillesse. Il ne faut pas la penser en terme d'actes. On doit accompagner les vieux, être bienveillant avec eux. Ne pas les forcer à la toilette s'ils n'en veulent pas. Il faut jusqu'à la fin les aider à être une personne (comme le bébé de Dolto). Il faut les aider à vieillir debout selon la belle formule d'Annie de Vivie. 
Telle est notre mission essentielle en tant qu'humain : assister les anciens et la mission se décline tant sur le plan social, sociétal et individuel dans le cadre de la solidarité entre générations.
Ainsi, on peut considérer que le rôle de la société est déterminant dans cette mission, que ce soit au niveau de l'Etat que de la commune. 
Ainsi Diego Ortega, candidat déclaré à la mairie de Louviers a eu à s'exprimer à ce sujet. Annie de Vivie n'a pas manqué d'intervenir à peine avait-il pris la parole ... 
- "Alors, qu'allez-vous faire ? Pas de conseil des sages, j'espère ! Je repense à ce que me disait une cliente. Non, pas de conseil des sages, ce n'est pas parce que j'ai 85 ans que je suis sage. Je n'ai jamais été sage, je ne vais pas commencer maintenant ..." 
Diego Ortega s'est contenté de répondre qu'il prenait note de toutes les données énoncées lors du débat. Il s'en servirait lors d'un programme municipal qui reste à établir.
On ne peut faire qu'un triste bilan au sujet de l'action de municipalité actuelle de Priollaud, qui se contente de réduire tout ce dont bénéficiaient les anciens, sans qu'aucun projet n'apparaisse. Suppression des aides aux transports pour les non-imposables, suppression d'un événement festif et, effectivement, mis à part la création d'un conseil des sages, aucun projet visant au développement des liens inter-générationnels, ou à lutter contre l'isolement n'est présent. 
Je ne puis m'empêcher de repenser au travail pionnier mené par Ernest Martin qui, par le service famille s'était attaché à parler à tous les âges, dans un même service. Ledit service s'occupait aussi bien de la naissance, de l'adolescence et de ses troubles, des couples et des difficultés liés à la venue de l'enfant, et des personnes âgées, accompagnées ou impliquées. Ainsi, c'est sous cette municipalité novatrice qu'avait été créée une résidence destinée au personnes âgées et où les jeunes pouvaient loger à proximité (la résidence du Parc)
Anne-Josy Guérard, ex- et future conseillère 
municipale, psychologue travaillant auprès 
des personnes âgées, a fait part de ses
 expériences et doutes sur la difficulté de 
travailler en ehpad et les possibilités offertes 
pour améliorer les choses. 
Le but de cet article n'est pas de retracer toutes les pistes, toutes les données transmises par Annie de Vivie qui a pu ainsi parler de la dynamisation des réseaux, de la maison de l'amitié à Albi (50.000 habitants), du l'importance de la socialisation (nous sommes tous des êtres sociaux, sinon on crève),  de vieillir debout dans une société intelligente, de la nécessité de parler de la mort à tous les âges, de la nécessité de parler argent avec les anciens et ses parents en particulier, de la santé (compenser les problèmes d'audition diminuerait d'un tiers les accidents, donc économie) et de la sexualité des anciens  (si l'on est vivant, c'est qu'on a des envies)
Enfin, et là, nous revenons à la signification individuelle de la vieillesse et de la mort. Annie de Vivie rejette le principe défendu par le droit de mourir dans la dignité. Elle pense que la mort doit être le choix du corps qui décide du moment. Bien entendu, cela est vrai lorsque tout se passe bien, et, comme elle le dit : personne ne demande à mourir dans l'indignité. Beau débat à la vérité, les radicaux de gauche pour leur part étant très impliqués pour la défense du droit à mourir dans la dignité. 
à suivre ... 

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