La BPI, une structure juridique atypique pour un nouveau projet d'industrie bancaire
Les expériences du passé sont parfois douloureuses |
Il n'est en tout cas pas facile de prendre le contrepied de la pensée unique qui règne depuis des décennies.
La BPI est ainsi une façon de faire un geste, magistral, en faveur du secteur public. La finance privée, le système bancaire, qui seul a accès à la liquidité de la BCE, montre des défaillances. Personne n'ose le dire mais on se demande si on ne risque pas à tout moment une crise du crédit (pour faire bien : un credit crunch). En vérité, le problème est tellement lourd qu'il faut sans doute carrément repenser l'architecture du système bancaire pour le sécuriser (bien au-delà de la séparation des banques d'investissement et de dépôt). On est loin de s'interroger sur la structure du monde bancaire dans les milieux autorisés. Pourtant il faudra y venir et, sans doute, donner des solutions avec une profonde réforme de la structure du système bancaire, ce qui n'est pas ici le sujet.
Dans cette conjoncture de grande difficulté, la BPI est un événement de gestion notable mais non une réforme de structure. Et il faut sans doute souvent préférer la gestion que les réformes... Des structures différentes vont naître et d'autres s'y fondre, mais il ne s'agit pas ici des structures fondamentales de la finance, mais seulement de trois "établissements". Toutefois, la BPI pourrait faire naître une expertise et une autorité. La question est donc de savoir si la BPI fera preuve de créativité ou si elle continuera, le cas échéant avec des gains de productivité, l'oeuvre des trois "entités réunies".
Le projet d'industrie bancaire se résume tout de suite à regrouper CDC Entreprise, la filiale de la Caisse des dépôts), Oseo et le FSI (Fonds stratégique d'investissement). De nombreux avis sont positifs, il y a des moments de la vie de l'entreprise qui ne sont pas financés, le regroupement peut aider à combler ces manques.
Cette réunion s'opère par la création-rénovation d'un établissement public, celui de l'ordonnance de 2005 relative à Oseo, tant à l'établissement public qu'à sa SA. La BPI est donc un concept à double détente, un établissement et une SA qui aura, elle, le statut de banque. Cela est assez technique, voire complexe, et ne facilitera pas la communication politique, mais il n'est pas certain qu'il y ait besoin de communiquer dans le détail.
L'objet social et légal de la BPI est affiché outre cette dualité juridique, comme une loi commune de l'établissement public et de la SA : " Elle (la BPI) favorise par son action l’innovation, le développement et l’internationalisation des entreprises, en contribuant à leur financement en prêts et en fonds propres". Les mots innovation, développement... ne sont pas restrictifs et la BPI, à travers son entité agréée, pourra finalement faire ce qu'elle veut. La formule financement par "prêts" est maladroite car à l'entendre la BPI ne pourrait pas faire du découvert en compte ou du crédit-bail... le prêt n'est qu'un type de crédit, et le crédit qu'un type de financement (même si ce n'est pas dans les livres). La formule "fonds propre" peut-elle même susciter des doutes - mais légers - puisque tout l'art du financement réside souvent dans les quasi-fonds propres (voyez la note précédente sur l'ouvrage LBO).
L’établissement public OSEO prend le nom "Etablissement public BPI-Groupe".
L'organe opérationnel en sera une filiale, c'est l'occasion d'une transformation légale : la « société anonyme OSEO » devient la : « société anonyme BPI-Groupe ».
La "SA BPI Groupe" sera gouvernée par un conseil d'administration, son président étant déjà désigné alors que la fonction n'est pas adoptée dans la loi : c'est la politique. Au-delà, la question se posait de savoir si le président de la BPI devait être le directeur général de la CDC, ce qui a été tranché pour le cas d'espèce, mais non pour l'avenir. Ce président ne sera pas directeur général, on sait que la place a été disputée. La BPI devrait ainsi être dirigée par deux inspecteurs des finances. Outre l'Etat, la CDC et les trois administrateurs désignés pour leur compétence, dont sera issu le DG, les régions sont représentées par deux administrateurs.
On note que parmi ces 15 administrateurs il n'y a pas d'administrateurs indépendants.
La BPI est surtout marquée par un conseil d'orientation qui sera présidée par un président de conseil régional. Ce comité national d’orientation (CNO) de la société anonyme BPI-Groupe est chargé d’exprimer un avis sur les orientations stratégiques, la doctrine d’intervention et les modalités d’exercice par la société et ses filiales de ses missions d’intérêt général. Ses avis sont communiqués au conseil d’administration de la société anonyme BPI-Groupe. Voilà qui ressemble à un conseil de surveillance.
Cette division est aussi intéressante ... que dangereuse. À être pessimiste, on pourrait dire qu'elle opposera l'ordre et le management (le CA) au volontarisme politique parfois teinté de lyrisme (le CNO), en somme un conflit entre le possible et le souhaitable.
Comment les administrateurs devront-ils prendre en compte les "avis" du CNO et des "orientateurs" ? Cette procédure n'existe pas en droit des sociétés, le conseil d'administration doit seul administrer, et ses administrateurs sont seuls responsables. Le projet de loi ne décharge pas les administrateurs de leur responsabilité à raison des avis du CNO. Les "administrateurs fonctionnaires" ne l'oublieront pas puisque certains d'entre-eux sont actuellement poursuivis dans une affaire qui a défrayé la chronique : les administrateurs devront-ils obéir au CNO ? Notamment pour favoriser l'octroi de crédits alors même que la demande risque d'être forte ? Ou devront-ils surtout regarder les ratios d'exploitation de l'établissement ?
Les deux bien entendu... répondraient quelques "proches du dossier".
Tout cela devra se faire en faisant se coordonner la culture CDC Entreprises (voyez en photo l'annuaire de ses participations), celle d'Oseo et celle du FSI. Voilà qui est un défi car, il relève des sciences pures que les rapprochements créent les frictions. Il faudra de larges vues et une grande autorité pour équilibrer et faire marcher cet ensemble pour, finalement, lui inventer un destin en partie nouveau par rapport aux activités déjà existantes. Cela, la loi n'en dit naturellement rien, mais les travaux préparatoires n'en disent pas non plus grand chose. Un important travail attend la direction et la banque du secteur privé va regarder avec attention la suite des opérations.
Créativité et inventivité seront les facteurs de la réussite à condition de sélectionner les idées réalistes augmentant le produit net bancaire sans augmenter les coûts d'exploitation. Enfin, la position politique que lui donne son contexte de création pourrait en faire un lieu de réflexion sur ce que doit être un pôle de financement public et, sur ce que doit être le système bancaire. Le sujet n'a même pas été posé, alors qu'il y en eu cent débats et cent textes sur la finance de marché.
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