4e contribution de Michel Champredon pour le congrès prg de La Rochelle
L'opposition
à la loi El Khomri s'est radicalisée et la CGT a tenté de bloquer le pays pour
faire plier le Président de la République et le Gouvernement. Dépôts d'essence
ciblés par les grévistes, barrages routiers, blocage de la diffusion des
quotidiens nationaux : la France a montré un visage peu glorieux, ce grand pays
qui parle au monde ne sait pas trouver les mots lorsqu'il s'agit de ses propres
réformes. La France aura perdu l'occasion du dialogue, la Gauche aura démontré
qu'elle ne sait pas se rassembler, la Droite aura prouvé qu'elle fait passer
ses enjeux internes avant les intérêts du pays.
Au-delà de
telle ou telle mesure ou réforme, l’action publique a besoin de trois choses
pour raccrocher les citoyens à la politique :
- d’abord, une mise en perspective et
l’inscription de l’action conduite dans le cadre d’un projet de société. Les Français, comme les Européens, sont majeurs
et conscients des difficultés de notre époque. Ils seraient davantage prêts à
accepter les sacrifices s’ils comprenaient l’orientation des politiques conduites ;
sans compréhension aucune adhésion n’est possible. Il faut donner du sens et
faire de la pédagogie. Vers quoi veut-on conduire notre société ? Quel
« vivre-ensemble » voulons-nous bâtir ? Quelle sera la place de
l’individu dans la société qui se construit sous nos yeux ? Tenir un
discours de mobilisation nationale, teinté de fierté républicaine, laïque et
européenne. Mais le vrai défi pour nos responsables politiques consiste à
tracer le chemin, proposer une ambition et une espérance nouvelles sans tomber
dans la démagogie,
- ensuite, une promesse de redistribution ;
promesse qu’il faut tenir. La pauvreté et les inégalités se développent en
France et en Europe. Demander des efforts est légitime mais il faut donner des
signes de redistribution et de retour en direction des citoyens lorsque la
situation sera rétablie (discours trop peu développé),
- enfin, rééquilibrer le discours et
l’action. Toute réforme doit être équilibrée. Demander aux salariés
d’accepter les remises en cause doit s’accompagner d’exigences réciproques et
de garanties de la part des détenteurs du pouvoir économique (par exemple,
qu’en est-il du million d’emplois promis par le MEDEF contre les exonérations
de charges sociales et le Pacte de stabilité ?).
Je pense
qu’avec du sens et de la mise en perspective, une promesse de redistribution et
un rééquilibrage de l’effort demandés aux catégories de la population, on doit
affronter plus solidement la période actuelle qui est extraordinairement
difficile.
Avec ce projet de loi, finalement aujourd’hui et en
d’autres termes c’est : tous perdants. Au lieu du
« gagnant-gagnant » souvent recherché c’est le
« perdant-perdant » : La France, la Gauche, La Droite…seule
l’Extrême-droite capitalise, non sur ses propres propositions (qui sont encore
plus libérales que celles de la Droite), mais sur le mécontentement. Lancer une
telle réforme à un an de la fin du mandat présidentiel, c’était risqué !
Par ailleurs, la loi Travail, au-delà du texte lui-même, a servi de déclencheur
à toutes sortes de mécontentements et de frustrations. La boîte fut ouverte et
tous ceux qui avaient quelque chose à revendiquer ont profité de la période
pour le faire. On l’a vu avec le déclenchement de mouvements sociaux dans des
secteurs qui n’étaient pas touchés par cette loi.
La loi « travail » de la ministre
Myriam El Khomri a fait l'objet de débats intenses et a divisé aussi bien la
Gauche que les syndicats. Les médias ont présenté d'un côté une Gauche
conservatrice qui serait responsable de l'immobilisme français et de l'autre
des ultra-libéraux soumis à la doxa du MEDEF. La vérité est moins caricaturale.
Mais, au milieu de tout cela, subsiste un point qui m'interpelle : comment
décentraliser (dans l’entreprise) les négociations sur le temps de travail avec
des syndicats aussi peu représentatifs qu'aujourd'hui ? Comment vouloir plus de
flexibilité sans renforcer le dialogue social français ? N'aurait-il pas fallu
introduire dans la loi l'idée d'une syndicalisation obligatoire ?
En France on
mythifie les négociations sociales comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne ;
comme si nous étions dans une tradition de « cogestion ». Eh
non ! Le syndicalisme français n’est pas, historiquement, un syndicalisme
de cogestion ; c’est un syndicalisme de revendication. On n’échappe pas à
son histoire. C’est le résultat de la « Charte d’Amiens » signée en
1920, qui sépare l’action politique de l’action syndicale. Nous parlons souvent
d’une vision « social-démocrate » des Socialistes français…en fait,
c’est un abus de langage. On veut exprimer l’idée d’une action politique modérée
qui intègre l’économie de marché et même une partie du libéralisme économique.
La social-démocratie suppose un partenariat clair, fort et équilibré entre le
politique et les syndicats ; où ces derniers sont étroitement associés à
la gestion de l’entreprise (pas seulement pour les activités sociales, de
loisirs ou pour les plans de licenciements). Ils ont de vraies responsabilités.
En France, tel n’est pas le cas. Chez nous, les syndicats sont faibles (7,7 %
en 2013, le plus faible de l’OCDE après la Turquie) voire très faible selon les
branches ou les entreprises. Par ailleurs, pour dialoguer, il faut d’abord
faire la grève (voire brûler des pneus devant la préfecture ou arrêter
l’autoroute). Ainsi, on fait la démonstration de sa représentativité et on
force la discussion. Sinon on ne discute pas ou trop peu.
Donc…
Donc…inscrire
la négociation dans l’entreprise comme une méthode systématique d’avancée des
réformes…c’est compliqué car la réalité (surtout dans les PME qui représentent
80 % des emplois en France) c’est faire le triste constat que les syndicats ne
sont pas représentatifs et sont faibles pour négocier.
Comment aurait-on
pu s’en sortir ?
Partons du principe que les uns et les autres sont
convaincus et honnêtes dans leur démarche, ceux qui pensent qu’en libéralisant
le droit du travail on va stimuler les embauches en faisant sauter le verrou
psychologique chez les employeurs et ceux qui pensent qu’on donnera la main
libre au patronat dans la plupart des entreprises où les syndicats n’existent
pas. La difficulté est d’estimer l’effet « création d’emplois » d’une
telle loi (même si des spécialistes s’y sont exercés).
Alors, j’avais
formulé deux propositions :
1) appliquer l’accord d‘entreprise pour les
entreprises au-dessus de 300 ou 500 salariés (où les syndicats existent) et
conserver l’accord de branche pour les plus petites où les salariés sont face
au patron sans force syndicale,
2) voter la loi à l’essai pour trois ans, avec une
évaluation à mi-parcours et une à la fin. Ainsi on aurait pu modifier ses
modalités selon la façon dont les acteurs économiques s’en seraient appropriés
les termes.
Ces propositions pragmatiques auraient pu être un
terrain d’entente pour les deux parties de la Gauche.
Faut-il obliger chaque salarié à adhérer à un
syndicat?
Pour cela, il
faudrait changer notre culture de gouvernance en France en redéfinissant le
rôle des syndicats et en permettant un vrai partage du pouvoir dans
l’entreprise. Cela suppose d’associer les syndicats à la définition de la
stratégie de développement et de conquête de nouveaux marchés de l’entreprise,
à sa politique de rémunérations des personnels, des dirigeants voire des
actionnaires etc… Mais pour associer les syndicats, il faut que de leur côté,
les syndicalistes soient dans une culture du compromis et de la
« responsabilité partagée ». Si on participe au pouvoir cela implique
qu’on soutienne les décisions prises et qu’on les assume devant les salariés,
même lorsqu’ils sont mécontents.
C’est une
autre société à inventer. Ce pourrait être une belle ambition à présenter lors
de l’élection présidentielle de 2017, dans le cadre d’un nouveau projet de
société ; car impossible à faire en court de mandat, par une simple loi.
Proposition :
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