"L'Europe fédérale, c'est maintenant ou jamais "
interview d'Emma Bonino, ministre radicale des affaires étrangères en Italie. A méditer pour tous els amoureux de l'Europe, pour tous ceux qui souhaitent entendre une voix ouvertement fédéraliste aux prochaines élections européennes.L'article est passionnant parce qu'il tombe à pic. Il permet de fixer le but et l'audace que représenterait un gouvernement fédéraliste européen, seule voie pour sortir de l'impasse. Pour ceux qui veulent le lire en version originale (eh oui, c'est une traduction maison, j'ai fait du mieux que j'ai pu et je me suis peut-être emballé !) cliquez ici. Pour les autres, en avant pour la lecture et accrochez votre ceinture.
Paru le 19 mai 2013 Interview par Paolo Valentino |
Par Paolo Valentino
ROME – « Je
prends très au sérieux l’ouverture de François Hollande. Quelles que soient les
raisons qui l’ont inspirées, pour la première fois Paris signale sa
disponibilité à une reconsidération de l’Europe qui me fait très plaisir,
puisque jusqu’à il y a peu de temps, il était même tabou de parler de
modifications des traités. Il est évident que les choses hypothéquées par
le président français présupposent pour le moins une révision des pactes
existantes. Mais s’il on admet le besoin d’une reconsidération en profondeur
des institutions et des politiques, alors s’ouvre l’espace pour discuter de
notre volonté d’une Europe des gouvernements, comme je crains que Hollande
l’ait encore en tête, ou d’une Europe fédérale.
Même en tant que ministre
des affaires étrangères, Emma Bonino ne dissimule pas son code génétique :
radicale, spinellienne et fédéraliste », reprenant cette position qu’elle
a maintenu obstinément lorsqu’elle était minoritaire, suivie par un groupe
minuscule de visionnaires de l’Europe : « c’est ma position
historique – dit-elle dans son premier interview accordée depuis son
investiture – mais c’est aussi celle de l’Italie, reprise par le président
Enrico Letta qui a parlé des états unis d’Europe lors du vote de confiance. »
Giuliano Amato vous dit affectueusement
que vous êtes « toujours trop en avance sur le temps ». La relance de
l’Europe fédérale a été le thème conducteur de son préambule au guide de la
diplomatie. Au parlement et ensuite à l’Université de l’Europe, vous avez parlé
de la nécessité d’une nouvelle partition indiquant le fédéralisme comme un des
thèmes centraux de la prochaine présidence italienne de l’Union Européenne dans
la seconde moitié de 2014. Cela ne risque-t-il pas d’être une fuite en avant ?
« Non si l’on reconnait
que l’Europe est dans une situation insoutenable. Prenons l’exemple de l’Union
bancaire, décidée il y a plus d’un an. Nous n’y sommes pas encore parce que la
gouvernance ne fonctionne pas et donc les politiques ne peuvent pas y agir. Le
temps n’est pas un élément marginal : ce qui va bien aujourd’hui peut ne
pas fonctionner dans 5 ans quand le monde aura pris une autre direction. Les
thèses selon lesquelles l’austérité et les coupes budgétaires auraient à elles
seules apporté la croissance à traité constant sont démenties de toute part. Avoir
les comptes équilibrés est important et
nous l’avons fait en Italie, grâce notamment au gouvernement Monti. Mais les
coûts économiques sont élevés (pour tous y compris prochainement pour l’Allemagne)
et à ceux-ci s’ajoutent les coûts politiques puisque nous assistons à la montée
des populismes et euroscepticismes qui atteignent une dimension préoccupante,
se transformant par la suite en nationalisme et racisme, dont notre propre
Histoire nous met en garde.
Mais pourquoi l’option intergouvernementale
ne fonctionnerait-elle pas ?
«Parce qu’à force d’avancer sur la route
de l’Europe, les patries elles-mêmes se détruisent. On ne réussit même pas à
contrôler une crise relativement petite comme celle de Chypre. Je suis fédéraliste
par conviction et je ne connais d’autre système institutionnel au monde en
mesure de faire vivre ensemble démocratie, état de droit, et respect des différences
pour 500 millions de personnes de lingues et d’histoires
différentes. Et ce n’est pas une chose exotique, nous avons cela en Allemagne où
cela fonctionne. Il n’est pas possible de céder des compétences ultérieurs sans
une responsabilisation démocratique, sans que le Président soit élu, sans que
le Parlement européen, voire le parlement européen émanent des parlements
nationaux, puisse voter la confiance. Il n’existe pas de capacité de budget et
de fiscalité européenne sans un volet de contrôle, qui, entre autres, ne se
limite pas seulement à l’aspect économique ».
Que voulez-vous dire ?
«Qu’il existe même dans l’Europe
actuelle un écart sur les droits civils. Par exemple, sur le thème des prisons
et de la justice en Italie ou de la démocratie constitutionnelle en Hongrie.
Des instruments de corrections sérieux n’existent pas. Nous avons des critères
économiques forts pour entrer dans l’Union européenne, des mécanismes efficaces de suivi: procédures d'infraction,
des amendes et ainsi de suite. Alors que
du côté démocratique, il y a de
forts critères d'entrée, mais une
fois à l'intérieur d'un pays
peut changer la Constitution en éliminant le partage des pouvoirs sans que rien se passe comme
c'est le cas à Budapest. Ou vous
pouvez être comme l'Italie, où il
semble que le droit à la défense
n'existe plus, car se délitant dans un processus qui dure depuis
des années. »
Où a dérapé le projet d’intégration ?
«Il s’est fossilisé sur la monnaie
unique. Nous nous sommes arrêté aidé du fait que l’Euro quoiqu’on en ait dit, a
été un succès retentissant, jusqu’en ce système imparfait, au point qu’on a
oublié d’aller de l’avant sur les autres aspects jusqu’à ce que nous soyons
enfoncés dans la crise. La monnaie avait une gouvernance de beau temps, avec la
tempête, cela ne marche plus.
Mais on a perdu le principe de
solidarité, la raison pour laquelle nous sommes ensemble
«En réalité, non n’avons jamais eu à le
pratiquer sérieusement, parce que nous n’avons jamais été véritablement mis à l’épreuve :
les fonds de cohésion sociale et les autres postes budgétaires. Ceci est la
première grande crise et l’incapacité d’y donner des réponses fait passer le
refus de la solidarité des gouvernants aux citoyens. Popper nous a enseigné qu’en
cas de crise, chacun s’adresse à l’autorité la plus proche pour trouver une
solution. Pendant trois ans, nous avons pris des mesures à peine suffisante
pour ne pas exploser : trop peu et trop tard. La vérité est que seul un
grand projet de relance à tous les niveaux peut intéresser quelqu’un. Je ne
crois pas qu’il soit possible de refaire l’Europe des petits pas. La bizarrerie
fantastique est que l’Europe continue a exercer un pouvoir magnétique attractif
pour tous les peuples non européens. »
«Aucun de nous n’a seulement les
ressources et l’économie d’échelle pour se garantir un futur pour ses propres générations.
La vision opposée est autocratique et nationaliste, la tentation de se fermer à
tout qui devient par la suite raciste et fomente les guerres. Ensemble, nous
serons plus forts sur le plan économique et démocratique. »
Schäuble, le ministre des finances allemand, dit
qu’il faut modifier les traités ne serait-ce que pour l’union bancaire. Êtes-vous d’accord ?
«Selon
moi, cela n’en vaut pas la peine. Il n’est pas vrai que les petites réformes
soient mieux digérées par un certain type de pays. De toute façon beaucoup d’entre
eux sont obligés à les soumettre à référendum. Et on ne rendra pas les gens
amoureux de l’Europe en leur faisant le coup de l’union bancaire. Déjà qu’il
est difficile de tomber amoureux d’une monnaie. Mais il y a des choses qui
touchent beaucoup plus l’imagination populaire. Je ne me lasse pas de demander
ce que nous en faisons de ces 27 armées nationales ? Cela coûte 250
milliards d’euros. Nous avons deux millions de personnes sous les armes, nues, c'est-à-dire
pas équipées. C’est si vrai que chaque opération de maintien de la paix devient
un drame : équipements, normes différentes, système d’armes différents, en
Lybie, après dix jours, nous étions sans munitions. Ou bien les
infrastructures, la recherche … »
Et votre idée de la Fédération légère ?
«Oui,
avec un budget d’à peine 5% du pib européen : mettre en commun4 ou 5
secteurs rien à voir avec un Super Etat. Le reste, nous le laissons à la
subsidiarité. Nous n’avons pas vocation à devenir absolument homogènes. A la
différence de mon amie Ulrike Guérot, selon laquelle l’Europe ne se fait pas
parce qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur le vin ou la bière à prendre
pendant les repas, je pense que notre richesse soit proprement la bière et le
vin dans chacun de nos pays. Ensemble, nous ne devons faire que les choses qui
importent : les affaires étrangères, la défense, la sureté, la fiscalité,
le trésor, la recherche, les infrastructures et j’y mets aussi l’immigration.
Les chiffres les plus prudents indiquent que l’Europe aura besoin de 50
millions d’immigrants d’ici 2050.
De quelle manière le gouvernement
italien devra-t-il se mouvoir pour faire en sorte que l’ouverture française ne
tombe pas à l’eau ?
«Le
sujet est de comprendre quelle est la disponibilité. Est-ce une boutade à usage
interne ou plutôt comme l’a dit quelqu’un, je pense qu’il s’agit d’une graine lancée
et qui une fois au sol assumera sa vie propre. A nous d'en prendre soin, de l’arroser,
un peu d’engrais. S’il y a un accord maximal, même avec des résistances bien
compréhensibles, ceci devra devenir l’agenda de voyage du président du Conseil,
du ministère des affaires étrangères, et de celui du Trésor. Nous devrons nous
activer dans toutes les conférences. Ainsi nous préparerons un nouveau type d’élections
européennes, avec les grandes familles politiques qui désigneront leur candidat
à la présidence de la commission, des commissaires et du président du conseil,
avoir un débat différent, en mesure d’impliquer et d’enthousiasmer les gens. »
Et l’Allemagne sera en mesure de sortir de la prudence
imposée par les élections ?
«Je comprends que la campagne
électorale aient sa propre dynamique et impose ses règles. Mais ceci mis à part, Berlin a toujours dit qu’il y
aura jamais mutualisation de la dette s’il n’y a pas transfert de souveraineté.
Prenons l’Allemagne au mot. Nous verrons bien si c’est du bluff.
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