vendredi 27 avril 2012

Présomption de légitime défense ?

Ca veut dire quoi, au juste ... cette dernière invention sarkozyste, copiée-collée du programme du Front National à la suite de la mise en examen d'un policier accusé d'avoir tiré dans le dos d'un délinquant en fuite.
Au delà des réactions épidermiques et de ce qu'on peut penser de la tradition sarkozyste : un fait divers, une loi ... quels problèmes seraient posés en terme juridique par la présomption de légitime défense, qui permettrait d'innocenter a priori, tout policier amener à tuer dans l'exercice de ses fonctions ? Un principe qui avait été rejeté en son temps par Claude Guéant ...
Je vous livre le point de vue  de mon ami Hervé Causse ...




Hervé Causse,
professeur des universités 

La petitesse, l'étroitesse de vue (s) et la confusion jettent dans le  débat politique des formules creuses qui malheureusement deviennent souvent des lois. Les praticiens, le Parlement, les Gouvernements, les juges, et les administrations trimballeront alors pendant des années un concept creux qui met la panique partout et ne règle rien.
Une loi sur "la présomption de légitime défense" serait sans doute l'un de ces concepts tantôt creux (logomachiques), tantôt mal praticable.
La légitime défense est par nature une réaction ; il faut donc pour qu'elle existe, en premier lieu, une action. Pour que la légitime défense existe il convient donc de prouver en premier lieu l'action (le geste) qui seul peut justifier une réaction. La réaction doit ensuite, c'est un autre degré  d'analyse, être jugée proportionnée.
On voit immédiatement la difficulté  d'une « présomption de légitime défense » pour des gens armés (fussent-ils des policiers ou gendarmes, fonctionnaires formés, encadrés et disciplinés) ; autoriser la réaction sans l'action peut virer, tourner, au « permis de tuer ».
Si la réaction est présumée fondée, c'est qu'elle peut devenir en pratique le geste qui tue. C'est alors, en effet, à la personne blessée ou tuée que revient de prouver qu'il n'a pas menacé l'agent de la force de l'ordre ; or, ici, deux problèmes surgissent : si la "victime" est morte elle ne prouvera rien (donc tout incident en tête à tête sera justifié) et, souvent, l'embrouille des témoins ne règle rien ; en outre, cela reviendra à demander à la victime de prouver qu'elle n'a rien fait or, en pure logique, et c'est de la théorie fondamentale du droit, la preuve d'un fait négatif (qui n'existe pas) est impossible.
Plus pratiquement, le mécanisme de présomption est une technique qui inverse la charge de la preuve ; or, en matière pénale, au cours d'une instruction, le juge instruit à charge et à décharge et le mécanisme de présomption est hors de propos. Le juge regarde et scrute tous les faits et le jeu d'un mécanisme théorique (la présomption) n'a plus lieu d'être. Personne n'a « la charge de la preuve » ; il n'y a pas « la  preuve » à fournir : il y a une multitude de faits à prouver qui forment la conviction, d'abord du juge d'instruction, ensuite du juge délégué qui doit éventuellement placer en détention, ensuite du procureur qui prendra des réquisitions (écrites et ensuite orales), et, enfin, de la juridiction qui jugera pour déclarer coupable ou relaxer ou acquitter.
A chacune de ces étapes, les faits décrits peuvent emporter la conviction de tout juge (d'instruction, délégué procureur ou de tribunal correctionnel ou de cour d'assises) et écraser aisément la  « présomption de légitime défense », en sorte que, perturbateur, ce mécanisme serait encore une fausse protection des policiers.
Resterait en revanche le risque de celui qui prend une balle « en tête à tête »  avec un agent des forces de l'ordre alors qu'il n'y a aucun témoin. On peut se demander si dans ce cas, certes marginal en pratique, il n'y aurait pas avec cette présomption une sorte de permis de tuer. Quoique n'étant pas spécialiste, je me permets d'ajouter que le droit à la vie est protégé  par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... et la Cour européenne qui l'applique : il me semble que sa jurisprudence ne montre aucune affection pour les forces de l'ordre qui tirent sur les citoyens, singulièrement dans leur dos : certains pays se sont faits une spécialité  de se faire condamner pour une législation interne qui permet ces « facilités ».
La présomption de légitime défense serait-elle conforme à nos  engagements internationaux ?
L'idée de Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy est donc sans doute une mauvaise chose, soit :
- un mécanisme qui ignore que tout juge regarde tous points des faits et qu'il ne pourra pas être tenu par une présomption au vu du système général de la preuve par tous moyens à tous les stades de la procédure pénale
-  un mécanisme qui juridiquement et judiciairement protège de façon illusoire les policiers (ce que François Hollande n'a pas dit) ;
- un mécanisme qui risque d'augmenter les "incidents" (de 10 À 100 ?) et de jeter la panique partout en France et dans les services.
On pourrait suggérer de former une commission (rapport sous trois mois) avec à sa tête un ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation pour mesurer la valeur de technique juridique de ce mécanisme avec un autre magistrat, un gendarme, un policier et un professeur de droit ; la valeur de la manœuvre politique on pourra la  mesurer, elle, et entre autres, le 6 mai.

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