Les belles endormies
Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura
che la diritta via era smarrita.
La divina commedia[1]
Elles reposaient en toute quiétude. Maintenant, il n’y avait plus à
discuter. Elles étaient profondément endormies.
Anquetil tenait à ce que les corps soient déposés au cœur de la forêt de
Lyons. Il regardait Fatima avec tendresse.
- « Il faut les déshabiller, Nathan ! Tu te charges de la
journaliste. Je prends l’autre. »
Elles étaient comme des enfants. Encore, en général, quand on recouche des
enfants au sortir d’une soirée ne prend-on pas la peine de les déshabiller. On
se réjouit de leur sommeil de plomb, surtout lorsqu’on a du mal à les endormir.
Et puis, on les transporte en prenant soin, sait-on jamais, de ne pas réveiller
les petits monstres.
Anquetil se disait que Fatima était quand même une belle fille. Bien sûr,
manquait cet échange de regard, ce tendre suspense qui traduit positivement la
fin du premier rendez-vous amoureux. Là, bel objet convoité, elle était
totalement passive.
- « Eh, mais, Anquetil, pourquoi il faut les déshabiller ?»
- Je t’ai déjà dit, Nathan. Ça fait partie du plan. D’abord c’est plus
facile pour les fouiller. Il faut quand même qu’on s’assure qu’elles n’ont pas
de portable ou de système d’enregistrement. Ensuite, il faut qu’au réveil elles
soient complètement azimutées. Le temps qu’elles se réveillent l’une l’autre,
qu’elles recherchent leurs fringues,
qu’elles se remettent les idées en place, pendant ce temps-là, elles ne
font pas de bêtises. »
Anquetil se dit qu'elles allaient avoir froid photo Rancinan |
Aucune voiture ne passait par là. C’était aussi pour ça qu’Anquetil avait
choisi l’endroit.
Nathan avait été plus rapide à dévêtir Florence, moins couverte il est vrai.
Il avait pris en charge le lourd fardeau. Visiblement, la vigueur de sa
jeunesse, il avait quand même un peu de mal.
- Attends Nathan ! Je t’ai bien dit de pas faire comme ça. Repose-là
dans la voiture ! Je t’avais dit de déposer d’abord un tapis pour les
déposer. Qu’elles ne se choppent pas la crève, et surtout qu’elles ne se
réveillent pas trop vite, bordel ! »
Il avait à peine fini sa phrase qu’il se retrouva pris entre les bras
puissants de Nathan. Extrait du véhicule en moins de temps qu’il ne faut pour
le dire il se retrouvait plaqué au sol comme un débutant. Le nez dans les
feuilles morte et mangeant de la terre humide sans avoir rien demandé.
- « Ta gueule Anquetil ! Je ne veux plus qu’on me parle pas comme
ça ! J’en ai rien à foutre de tes histoires et de tes enfants sages à la
con. Je te laisse crever avec tes copines au milieu du bois et tu te démerdes.
C’est compris ?
- Allez, Nathan, calme-toi ! C’est pas le moment de s’énerver.
Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Tu crois que je t’ai pas vu avec la flic ? Tu crois que j’ai pas vu
comment tu la déshabillais, comment tu la regardes ?
Dante, illustré par Gustave Doré Anquetil sentait le corps insistant de Nathan contre le sien. Il comprit qu'il n'était pas en danger. - Alors, Nathan, une petite envie " |
- T’es pas jaloux, quand même Nathan ?
- Tu m’emmerdes ! Je suis jaloux si je veux. Y avait absolument pas
besoin de les déshabiller.
Anquetil sentait le corps insistant de Nathan contre le sien. Il comprit
qu’il n’était pas en danger.
- « Alors, Nathan, une petite envie ? »
Il avait raison, Nathan, il y a des moments, avant de s’occuper des autres,
il faut s’occuper de soi-même.
Une fois reculottés, il fallait passer aux choses sérieuses.
Anquetil réexpliqua une nouvelle fois qu’il fallait les déshabiller.
- « Et pourquoi on leur laisse les vêtements à proximité,
Anquetil ? Ce serait pas mieux si on les emmenait avec nous ?
- Non, Nathan, ce ne serait pas mieux. Pas d’humiliation inutile. Si on
retrouve deux femmes toutes nues au milieu des bois, tu es sûr de faire la une
de la presse. C’est pas ce qu’on recherche. Ça ferait de l’ombre à notre action. Ça
pourrait même nuire à l’événement si on fait du foin un peu trop tôt. On
s’occupera plus des deux filles trouvées à poil dans la forêt que du reste.
Allez, on avance ! »
On peut tout mettre dans l’intérieur d’un coffre de Phantom. Sous le
plateau de picnic chic, Nathan se saisit du matériel du parfait campeur scout.
A l’aide d’une bêche, il aménagea un couchage dans le sol qu’il recouvrit
d’une bâche et d’une couverture.
A présent, il fallait déplacer les corps.
- Bon, là, tu ne fais pas comme pour ma mère, tu ne lui mets pas les
menottes
- Bon, ça va Anquetil, j’ai fait une connerie. Sans doute, j’ai voulu me
venger de la fois où je me suis retrouvé entravé à la prison. D’accord, ta mère
n’avait rien à voir avec ça. Simplement, j’ai jugé que ce serait plus facile
pour moi de lui bourrer la tronche. C’était parfaitement inutile. Tu m’avais
juste demandé de la jeter à la flotte. C’est vrai. Mais franchement, quand ils
m’ont menotté après mon refus de fouille au corps, c’était parfaitement
inutile. Surtout pour passer devant la commission de discipline.
- Oui, enfin, c’était pas vraiment réussi comme opération.
- Tu m’emmerdes Anquetil, tu nous as demandé de t’en débarrasser. Maintenant,
elle est au fond de l’eau. C’était le but, non ?
- Oui, enfin, au fond de l’eau, je dirais pas. Elle est plutôt au fond du
trou, je dirais… et puis dans l’eau, elle a plutôt flotté … c’est une expression
malheureuse.
- Arrête Anquetil, on s’en est quand
même tiré.
- On s’en est tiré par les cheveux. Repris de justesse, comme on dit. Et
quelle idée d’aller assassiner ce pauvre flic.
- Ouais, alors là, ce pauvre flic, comme tu dis, j’aurais voulu t’y voir.
C’est un accident. Il nous est tombé dessus. Il fallait qu’on fasse quoi ?
C’est quand même lui qui nous est tombé dessus. On ne lui a pas demandé de nous
suivre et de nous agresser à trois heures du matin. Tu voulais qu’on lui dise
« excusez-nous monsieur l’agent. Tenez, je sors de prison, je viens de
tuer la mère d’un copain, mais c’est pas le fait monsieur l’agent. Le plus
important, c’est le tag, là, le £.
Ah mais pardon, monsieur l’agent, vous voyez qu’un petit tag, mais c’est
beaucoup plus, petit tag deviendra grand.
- C’est bon Nathan ! C’est une connerie. De toutes les opérations de
tags menées sur Louviers, vous avez été les seuls à vous faire prendre.
- Oui, chef ! Mais c’était la première …
- Justement, ça aurait dû être la plus facile.
Nathan ruminait. Il n’avait jamais supporté les leçons. Mais quand il
arrivait à se calmer, il se disait qu’il faisait des progrès. Tout ce qu’il
demandait, c’était un petit compliment, de temps en temps. Il avait quand même
réussi la mission, non ? Anquetil lui avait demandé de dégommer sa
vieille, c’était fait, non ? Il lui avait demandé de taguer un £, c’était fait aussi, non ?
Après, qu’il se fasse courser par un connard, il n’avait fait que lui donner
une bonne leçon, après tout …
- « C’est pas une bonne leçon, tu l’as tué !
- Oh ça va ! il est pas encore mort. Et au moins, on a évité qu’il
fasse avorter l’opération dès le début, non ? Après tout, si tu voulais
pas qu’on tue ta mère, il ne fallait pas le demander. »
Nathan était incontrôlable. Anquetil le savait. De toute la bande qu’il
avait organisée, sa petite armée, Nathan était le dernier arrivé et était en rupture avec les règles strictes de
la petite secte des enfants sages, qu’il avait créée dans la rancœur organisée
de l’exil britannique. Nathan n’était pas un enfant sage, de toute façon. C’est
le moins qu’on puisse dire. Il ne l’avait jamais été.
Il a très vite deviné qu’il sortait de tôle. Il connaissait un peu les
prisonniers. Au moins par ce que Degénetais lui en avait raconté quand il
représentait la société civile dans les conseils de discipline des prisons. Il
voyait les types débarquer comme ça dans les instances de jugement, des petites
salles placées au cœur des mitards. Ils débarquaient comme ça, dans l’arène,
comme sortis de nulle part, comme un taureau qui n’a même plus de coup de corne
à donner. Degénetais disait qu’on ne pouvait s’empêcher de voir dans le
condamné un autre soi-même.
Il repensait à ça, à ce Nathan tombé du ciel, incapable de retourner en tôle,
quoi qu’il en coûte.
Nathan chargea Florence, sur ses épaules. Elle était lourde, le climat
était poisseux. La journaliste glissa dans les feuilles.
- « Merde !
- Je viens t’aider. »
Anquetil l’aida à porter le corps alourdi, chacun portant un bras autour de
son cou. Il se disait que c’est sans doute comme ça que sa mère droguée avait
été amenée au barrage de la Villette. Il
préféra ne pas poser de question à Nathan.
Après avoir déposé Florence, ils se chargèrent de Fatima,.
Anquetil borda les deux femmes avec les couvertures. Ça lui évoquait les
contes de fées, le petit Poucet, peut-être, qui dormait avec ses six frères
dans le grand lit de l’ogre pendant que ses filles étaient dans la chambre d’â
côté.
Ils fouillèrent les vêtements des deux femmes. Il n’y avait pas de micro
caché. Une fois vidés de tous ce qui pouvait ressembler à des moyens de
communication, portable bien sûr, mais même les carnets tout cela fut mis dans
un sac, ainsi que le revolver de Fatima, replacé dans son étui, bien sûr délesté
de son percuteur. Ils fouillèrent les smartphones avant de les enterrer à
l’abri des regards.
Comme elles étaient mignonnes ! Anquetil rigolait intérieurement.
- « Je suis sûr qu’elles vont me détester.
- Quand même, le réchauffement climatique a du bon ! Tu te rends
compte de la douceur exceptionnelle ? Elles vont se réveiller sans trop se
geler dit Anquetil.
- Elles vont se réveiller quand ?
- Trop tôt mon ami, trop tôt ! Tu vas leur faire une petite piqûre.
Il faut qu’elles dorment au moins jusqu’au lever du jour.
Il faut qu’elles dorment au moins jusqu’au lever du jour.
- Il n’y a pas que le réchauffement climatique qui a du bon ! Il y a
aussi la disparition des espèces. Au moins n’y a-t-il plus de loup.
- Oui, tu as raison, on est au cœur de la forêt du chien de Brisquet !
- Oui, c’est l’histoire que tu m’as raconté.
- C’est ça, c’est la nouvelle de Charles Nodier. « Malheureux comme le chien à Brisquet, qui
n'allit qu'une fois au bois, et que le loup mangit ». Je connaissais
par cœur. Bon, allez, on en a fini avec les gonzesses. Il faut y aller »
Anquetil fut surpris. Pour la deuxième fois il se trouva face contre terre,
avec Nathan qui lui imposait une immobilisation. Il se demanda ce qu’il avait
derrière la tête. Visiblement ce n’était pas comme la dernière fois.
- « Allons bon, Nathan, qu’est-ce que tu as encore ? Lâche-moi la
grappe, c’est pas drôle, tu commences à me faire mal
- Je m’en fous, Anquetil. Il faut que tu me dises pourquoi tu m’as pas fait
rentrer dans l’organisation.
- C’est pas toi qui décides, Nathan. C’est comme ça. Fous-moi la paix
- Arrête Anquetil ! Dis-le moi, sinon je te crève. J’en ai rien à
foutre de retourner en tôle. J’y ai passé toute ma jeunesse. Ça me fait pas
peur, figure-toi.
- Je t’ai déjà dit Nathan. T’es pas encore mûr, c’est tout. Et avec ce que
t’es en train de faire, tu me donnes raison. Lâche-moi ! »
Nathan défit le filin qu’il avait autour de son poignet et s’imaginait le
passer autour de la gorge d’Anquetil.
Il se trouva projeté en l’air sans rien comprendre..
Il se trouvait à trois mètres d’Anquetil qui l’avait balancé sans qu’il le
sente venir. Un peu sonné, il n’eut pas le temps de retrouver ses esprits
qu’Anquetil, au-dessus de lui, lui tendait une main secourable.
- « Maintenant, je t’explique. Une nouvelle fois. Tout d’abord, on ne
demande pas d’explication sous la contrainte. Première leçon. Quand on fait du
mal aux gens, c’est pour leur faire du mal. C’est pas pour obtenir quoi que ce
soit et surtout pas des aveux, et encore moins des explications.
- Ensuite, ça part du ventre. Toi, c’est sur le tas que tu as appris à te
battre. Alors tu as du mal à admettre que tu aies encore des choses à apprendre en la matière. Mais le combat est un
art, mon petit. C’est comme pour le reste. C’est une culture. C’est des années
d’études. C’est autre chose que des combines. C’est pour ça qu’il faut que tu
poursuives ta formation. C’est une première raison pour laquelle tu ne peux pas
encore intégrer l’organisation. Deuxième raison pour laquelle tu ne peux pas
intégrer l’organisation, comme je t’ai dit, c’est ton comportement. Tu me
sautes dessus pour savoir. Il faut que tu te calmes. Quand je te dis de tuer ma
mère, je te dis de tuer ma mère. C’est assez lourd comme ça. N’en rajoute pas.
C’est à l’organisation de fixer les objectifs. Je ne dis pas de tuer un policier...
Tu t’excites dans la violence. Tu ne maîtrises pas encore. Faut que tu
apprennes encore, même si ça t’est insupportable. Mais si ça peut t’aider,
dis-toi qu’au bout du bout tu seras dans l’organisation.
- Laisse-moi
participer au carnaval.
- C’est pas un carnaval. C’est le premier chapitre. Le premier chapitre se
passe à Louviers. Il n’est pas question qu’on y participe. J’aurais au moins
autant envie que toi d’y participer mais il faut préparer l’avenir. On a trop
prévu de choses avec l’organisation pour qu’on se permette de griller nos
cartouches dès le début. Dis-toi bien qu’on n’a encore rien fait. Ma mère, ton
flic bousillé, tout ça, c’était de l’entrainement.
- Tu sais bien qu’on va s’attaquer à la France entière, au monde entier. Gratuitement. Ce
sera d’autant plus gratuit qu’imprévisible.
- Je travaille mon projet depuis des années. La haine, ça se travaille, tu
dois te mettre ça dans la tête. T’as bien de la haine, mon pauvre Nathan, ça,
personne te le retire, mais t’as pas assez de travail.
- Demain, on parlera de Louviers. Un peu grâce à toi d’ailleurs. Mais
bientôt, on ne parlera plus de Louviers. On ne parlera plus que des enfants
sages. Ce sera mon grand œuvre.
- Allez, hop, Nathan, en voiture ! On a un bateau à 5h. Il faut
larguer la Rolls avant de le prendre et avant ça être rasé de près et propres
comme des sous neufs. Avec ta manie de faire du catch dans les fourrés, on
s’est quand même bien dégueulassé. Faut vraiment qu’on ait l’air de vrais
anglais de la City. Pas
de repris de justice, si tu vois ce que je veux dire. A
cheval ! »
***
Le brouillard n’arrangeait pas les choses. Florence venait de réveiller
Fatima. Il était impossible de se situer, à tout point de vue. En l’absence de
portable les logiques de comportement étaient totalement perturbées. Il n’était
pas question d’appeler, et elles ne pouvaient se repérer ni dans l’espace ni
dans le temps.
Elles ne firent même pas attention à leur nudité. L’urgence était de se
vêtir, ce qui n’était pas facile avec l’humidité de la rosée et de la brume qui
avait imprégné les vêtements qui glissaient mal sur la peau.
Elles avaient froid. Ça tombait bien,
elles n’avaient rien d’autre à faire que de marcher.
Ce n’est qu’en passant la
Fontaine Sainte-Catherine qu’elles finirent par se
repérer après deux kilomètres. Elles se dirigèrent vers l’abbaye
de Mortemer.
- « Bon, dit Florence, on fait quoi maintenant ? On appelle les
flics ?
- Mais elle est là, la police. Je suis là, merde ! Laisse-moi
réfléchir. On se calme ! »
Elle était marrante, Florence ! Elle allait raconter quoi à ses
supérieurs ? Venez me chercher ! On s’est fait enlever par Anquetil
Delpech. Non, mais t’imagines ? Tu vois Rossignol ? « Oh ma
pauvre bichonne, qu’est-ce qu’on t’a encore fait ? On t’a mis dans le
coffre ? On t’a torturé ? On t’a violé ? Ben non chef, mais on
m’a quand même massé les fesses. Dans la Rolls , il y des fauteuils qui vous massent aussi
le derrière ! Oh ma pauvre petite ! Mais quelle horreur ! Et
qu’est-ce qu’on t’a fait encore ? On t’a laissé toute nue dans la
forêt ? Ben chef, c’est à dire qu’on m’a laissé presque toute nue, mais on
m’a quand même protégé avec une couverture ! On t’a volé ton arme ?
Oh ben, c’est à dire non, chef, enfin oui. On me l’a volé, mais on me l’a
rendu… mais on m’a quand même volé le percuteur. On avait peut-être peur que je
blesse quelqu’un ! Oh mais c’est pas vrai, c’est pas vrai ! Mais
c’est une vraie atteinte à l’honneur de la police qu’on vous a fait là !
On t’a volé ton argent ? Ben non commissaire j’ai retrouvé tout dans ma
poche. Au centime près. Et ma carte bancaire et tout ! À la bonne
heure ma petite, j’appelle tout de suite le président de la République pour qu’on
vous amène une médaille ! En attendant, asseyez-vous là, on va vous servir un
café. Combien de sucre ? … »
- « Arrête Florence ! La police, je m’en charge. On fait tout ce
que tu veux mais on n’appelle pas les flics. Je vais déjà avoir l’air assez con
comme ça. Laisse-moi le temps de gérer. Toi, tu t’en tires bien. En plus, avec
ton comportement pendant la nuit de tous les dangers, tu peux tout faire avec
la police. Tapis rouge ! Tu peux te faire un super-papier pour ton journal
de merde. Un tour en Rolls pour la championne des quartiers chauds. Pour un
peu, tu postulerais au Pulitzer.
Moi c’est pas pareil. Je serais flic dans une grande ville, ce serait la
circulation pendant 6 mois. Et encore, si je m’en tire bien. Franchement, si je
ne passe pas devant le conseil de discipline, j’ai pas à me plaindre. Enfin, je
compte sur toi pour ne pas te foutre trop de moi dans ton article.
- Ah ! Fatima, je te sens tendue là. Tendue et amère. Comme si c’était
mon genre d’enfoncer les copines ! N’empêche, je vais avoir besoin de toi,
comme toi tu auras besoin de moi, ne serait-ce que pour comprendre ce qui vient
de nous arriver. Non seulement j’ai pas pris de notes, mais je ne sais
même pas ce qu’il a dit ton amoureux.
- Non, arrête Florence, même pour rire. Tu ne redis jamais ça s’il te
plait ! Franchement, c’est la honte de ma vie. J’ai déjà pas tellement de
sujets pour me sentir bien en ce moment.
- Bon, alors, j’ai une idée pour que tu te sentes bien. Je te propose
d’aller au bistro, il y en a un juste à côté de l’Abbaye. J’en ai de très bons
souvenirs. Ça permettra de réfléchir devant un café et des croissants. J’ai une
faim de loup.
- Oui, encore une fois Florence, tu ne vas pas me trouver très positive,
mais tes souvenirs de casse-croûte champêtre, c’était au printemps ou en été.
Il n’y a aucune chance pour que ce soit ouvert. Si on veut trouver quelque
chose, il faut marcher jusqu’à Lisors. On est dans le trou du cul de la terre,
j’ai l’impression. En marche ! »
***
A la radio, on
annonça la mort de Lorraine, le policier municipal.
- « Putain ! Dit Nathan
- T’inquiète, roule ! C’était prévu. Au matin, nous aurons
disparu. Si tout se passe bien, tu rentreras dans l’Organisation.
- Mais tu veux quoi Anquetil ?
- Mais je ne sais pas, moi. Je veux m’amuser. Juste foutre le bran, comme
on dit dans le Nord ! Je veux pas changer le monde. Je veux pas être un
élu. Tout ce que je veux, c’est faire le mal, à ma mesure. C’est ça les enfants
sages.
- Oui, c’est un peu comme le colibri de Rhabi, finalement !
Anquetil éclata de rire.
- Oui, c’est ça. Un verlan de Rhabi, un bricolo de Barri. Que chacun fasse
ce qu’il peut pour détruire la planète. A sa mesure. Ça ne sert à rien, elle se
détruira bien toute seule, mais ça fait du bien. Je ne supporte plus la bonté.
Tu vois, je suis retourné à Louviers avec rancœur, pour régler mes vieux
comptes, mais je vois que ça m’a fait du bien. Il faut que je fasse un tour au
Paradis. Pas seulement fiscal. Je veux des plages, des cocotiers, la douceur
des vagues. Je suis sûr que ça te fera pas de mal non plus.
***
Fatima et Florence
arrivèrent à Lisors. Elles aperçurent comme une délivrance un cochon qui
servait de pré-enseigne..
Florence était
soulagée. Elles avaient fait le plus dur, mais il restait le plus facile. Elles
étaient privées de portable, et il fallait trouver quelqu’un qui veuille bien
prendre un peu de son temps pour aller venir les chercher pendant qu’elles
reprendraient des forces.
- « Au
fait, Fatima, excuse-moi, mais tu manges du cochon ? »
Fatima rigola.
- Mais enfin,
Florence, on a le droit d’être arabe et de ne pas être musulmane ! Bon,
blague à part, j’ai le prénom, j’ai la couleur de peau, mais je ne suis pas
arabe du tout. Ou alors je ne suis pas au courant ! Tu n’as pas
remarqué ? Je m’appelle Fatima Pinco. Je ne me suis jamais mariée. C’est
pas un nom d’emprunt. Je suis née comme ça. Je suis portugaise. Enfin, je suis
Française de naissance, mais ma famille est portugaise. Je m’appelle Fatima à
cause de Notre Dame de Fatima. C’est ma mère qui a fait un pèlerinage là-bas
avant de m’avoir. Ce serait bien étonnant du reste, avec les mélanges qu’il y a
pu avoir dans le sud de l’Europe, si j’ai pas un peu de sang arabe ou berbère,
ce serait bien le diable. Comme dit l’autre, où y pas d’gènes, y a pas de
plaisir. Et d’ailleurs, tu imagines ce que j’ai entendu comme réflexion
depuis toute petite ! Mais justement, face aux racistes, je n’ai jamais
voulu justifier mes origines. Je préfère rentrer dans le tas. »
Florence
éclata de rire. Elle pensait aux copines et au soin qu’elles prenaient pour
éviter la charcuterie dans les soirées filles.
Elle décida
d’appeler Véronique Labaud. Leur amie travaillait à la mairie de Louviers, elle
avait l’avantage d’être facilement joignable et l’on pouvait retrouver son
numéro sans peine.
Il fallait
trois quart d’heures pour aller les chercher. Avec un peu de chances, Véronique
serait revenue presqu’à l’heure à son travail et le dépannage serait passé
inaperçu. Il fallait juste éviter qu’elle ne se répande trop en justifiant son
déplacement. Véronique ne fit même pas de réflexion. Juste un peu d’ironie dans
la voix.
- « Bon,
ben c’est un super cadeau, ça les filles ! Super balade imprévue ! Je
vous aime, hein ! J’arrive. »
En attendant
Valérie, Fatima et Florence profitèrent d’un déjeuner roboratif et s’amusèrent
à compléter méticuleusement le formulaire de satisfaction de la Ferme du Cochon qui rit.
Me retrouvai en obscure forêt
Dont la voie droite était partie
Dante : la divine comédie
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