Les
cocus de La
Haye-Malherbe
Bien
sûr, lorsqu’ils tombent malades
Ils
suivent strictement l’ordonnance
qui
veut les protéger des transes
par
les remèdes les plus fades
Les
enfants sages
- « C’est
quand même pas possible que vous n’arriviez pas à en choper un seul !
- Vous
avez raison, Monsieur le Maire, ce n’est pas possible. Mais le rythme de
résolution des affaires n’est pas celui de la politique Monsieur Gargallaud. Il
faut vous y faire.
- Oui,
vous vous en foutez, finalement, des tags, les voitures brûlées, la vie des
gens dans la cité…
- Oui, les
tags, c’est vrai, je m’en fous un peu. Un peu seulement, vous avez raison. Je
ne vise pas ma réélection. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le délit, le crime.
Je suis commissaire de police. La contravention, la prévention, la tranquillité
publique, c’est de votre compétence. Pour l’instant, elle n’est pas clairement
établie.
- Ne le
prenez pas sur ce ton-là. Je vous demande un peu de respect.
- Vous
avez raison. Je vous le demande pareillement. Je comprends que vous soyez
énervé. Nous le sommes tous. Mais ce n’est pas en se rajoutant une pression
inutile que cela va nous aider. Je vous fais juste remarquer que La Dépêche
n’a pas eu le temps de titrer sur l’émeute urbaine … Paris Normandie le fera
demain. Comme dit l’autre, il serait bon que vous prépariez des éléments de
langage. La tranquillité publique, c’est la police du maire. »
Les tags
se multipliaient sans que rien ne s’y oppose et plus la police était mobilisée,
plus les effractions étaient visibles. Le journaliste s’était amusé à en tenir
le décompte et en faire une cartographie sur le territoire de la commune.
Mieux, il incitait tous les lovériens à faire part au journal des apparitions.
On était passé du premier £, graffé
une fois, à £es qui avait été graffé
deux fois. Puis £es enfants graffé 4
fois et enfin £es enfants sages qui
avaient été graffés sur le commissariat, d’accord, mais aussi sur les lycées et
collèges de la ville, sur le cimetière… mais tout ça c’était pour commencer,
parce que maintenant, ces graffs se reproduisaient comme des poux et il y en
avait sur tous les supports de la ville.
Le
commissaire Rossignol reçut un appel du procureur.
- « Bonjour
Monsieur le Commissaire. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
- Vous me
faites peur Monsieur le Procureur.
- Vous
avez raison. La bonne nouvelle, d’abord, c’est qu’on vient de retrouver un
tagger. La mauvaise, c’est que vous n’êtes pas au courant. Le tagger a été pris
sur le fait à La
Haye-Malherbe. Vous connaissez La Haye-Malherbe ?
C’est juste à côté de Louviers. Sur le plateau. Le plateau du Neubourg. Zone
gendarmerie. Je vous en informe parce que je n’ai pas l’intention pour
l’instant de vous transférer le suspect. Je vais aller l’interroger avec le
colonel. Je vous tiendrai au courant. »
Le
commissaire raccrocha. Il se sentait un peu cocu.
- « Ah !
dit Domfront. C’est normal. Vous savez ce qu’on dit ! A La Haye-Malherbe , il y
a autant de cocus que de brins d’herbe. Bon, excusez-moi, c’est pas drôle. »
En
attendant, il n’avait plus qu’à se mordre les sangs.
***
En fait,
c’était César Marron, le maire de La Haye-Malherbe qui avait découvert le
pot-aux-roses. Il avait parfaitement reconnu le graffeur. Il s’agissait de Malo
Lucas, un type qui venait de s’installer dans la commune et qui, jusqu’à
présent, avait évité de faire parler de lui.
Cet ancien
zadiste, fatigué et amer, avait pris sur lui de maculer le local de la mairie.
Il était encore en pleine action lorsque le maire lui était tombé dessus en
revenant d’une réunion à l’agglomération. Bien entendu, au cours de cette
réunion, l’ordre du jour avait complètement été zappé et on n’avait parlé que
de la ville en feu et des tags qui surgissaient un peu partout. On commençait
perfidement à critiquer l’attitude de la police et de la mairie de Louviers.
Quand
César l’a aperçu, bien entendu, le contrevenant s’est tout de suite enfui.
C’était absolument idiot, étant donné que le maire le connaissait et savait où
il habitait.
N’écoutant
que son courage, il avait immédiatement prévenu la gendarmerie pour que
celle-ci se charge de l’interpellation.
Le
procureur avait autorisé la perquisition, ce qui permit de retrouver deux
pochoirs au milieu d’un tas de bazar sans intérêt qui révélait le profil d’un
individu trempant dans l’illégalité mineure. De l’herbe, bien sûr, des graines
de chanvre indien, et des plantations, panoplie indispensable d’un rebelle à
deux balles. Il y avait bien sûr quelques gilets jaunes, dont un sur lequel on
avait calligraphié £es enfants sages.
On avait saisi l’ordinateur et le portable, mais c’était plus par routine que
par conviction.
L’ancien
zadiste était aussi terrorisé que le gendarme et le procureur étaient ennuyés.
Il disait qu’il n’avait cherché qu’à se distraire. Il n’avait pas pris au
sérieux cette histoire de tag. Il s’était amusé à tester une imprimante 3D
achetée sur Le Bon Coin. Pour un pochoir, c’était pas trop compliqué.
- « C’est
une bêtise, je sais, mais c’est mon premier tag, Monsieur le Procureur.
Non, bon, d’accord, pas mon premier bombage… forcément à l’âge que j’ai, j’en
ai écrit des conneries sur les murs, vous imaginez Monsieur le Procureur. Je
suis de cette génération-là. Mon grand frère a fait mai 68. Ok, je reprends.
Pour être honnête, c’est la première fois que je fais un pochoir en 3D.
Moi, je
n’ai pas le talent de Banski et de la parisienne, là, celle qui a fait des tags
sur le Front National. Mais c’est un peu mes modèles. En fait, oui, j’ai juste
fait un test à partir des réseaux sociaux. J’ai travaillé sur les photos déjà
prises. Et j’ai eu l’envie de faire un pochoir, avec l’idée derrière la tête de
me faire un peu de sous. Une retraite d’ancien zadiste, ça ne va pas chercher
loin, vous imaginez. Je voulais juste mettre des pochoirs en vente sur Le Bon
Coin. Avant, j’ai voulu tester. C’est une connerie, mais c’est pas un crime.
la parisienne, là, celle qui fait des tags sur le Front National |
- Ecoutez,
Monsieur le Zadiste, vous êtes un rigolo ! Moi, que vous alliez taguer la
mairie parce que vous n’aimez pas le maire, je m’en fous complètement. Que vous
fassiez des ventes sur Le Bon Coin, je m’en fous aussi. Même vos plantations à
deux balles, j’en ai rien à cirer. Mais ce qui me choque, c’est qu’en ce
moment, il y a un type qui est entre la vie et la mort à cause de deux salauds
qui l’ont agressé et qui l’ont frappé à terre. Ah oui ! Alors, £es enfants sages, vous trouvez ça
drôle ? Je déteste que ce tag devienne à la mode. Comme si c’était un
slogan, un groupe terroriste ou une secte. Vous m’épuisez avec vos
conneries. »
L’ex-zadiste
écoutait le sermon en mordant ses lèvres. Il se disait que, tant qu’à faire,
pendant que le procureur se lançait dans une leçon de morale, celui-ci
n’envisageait pas trop de le faire coffrer. Il le laissait passivement
déblatérer en se promettant de ne pas dire un mot contre la police, et encore
moins contre la Justice.
Il allait
bien sûr proposer au maire de réparer sa faute, avec humilité, et tout devrait
bien se passer. Il n’y avait pas de conflit avec le maire, il n’y en avait
jamais eu. Il n’avait rien contre César Marron. D’ailleurs, s’il était inscrit
sur les listes, il aurait voté pour lui. C’est quand même pas de sa faute s’il
était anarchiste, le Malo Lucas. Même, si le maire veut, il serait prêt à faire
sa campagne. Tiens, il ferait même des pochoirs à sa gloire et il en mettrait
partout sur les murs. Oups !
Cette
fois, il s’était mordu l’intérieur des joues à s’en faire mal pour ne pas
rigoler. Il fallait juste expliquer qu’il n’avait d’autre objectif que de prendre
le tag en photo sur le mur de la mairie. Bon, c’était une connerie. Une triple
connerie. Une connerie d’imaginer ça. Une connerie de le faire. Une connerie de
se faire prendre.
Mais
enfin, se disait-il, si au lieu de s’acharner sur les symptômes, ces andouilles
faisaient au moins l’effort de comprendre la nature du mal, peut-être alors
toucheraient-ils d’un peu plus près la solution. Les enfants sages… Ce n’est
quand même pas rien comme message. Même d’ailleurs si on peut se demander
l’intérêt du message à l’origine, ce qui est sûr c’est que le succès du tag,
qui s’était répandu à travers la ville, était la preuve qu’il correspondait
bien à quelque chose dans l’imaginaire collectif.
Le
procureur téléphona au commissaire. Il était désolé pour la fausse piste, même
si, au fond, ce qu’on venait de découvrir à La Haye-Malherbe ,
démontrait qu’on avait changé de dimension. Le phénomène avait envahi les
réseaux sociaux, il était devenu quasiment politique et cette drôle d’évolution
noyait le poisson. Il en avait parlé au préfet qui avait alerté le S.C.R.T.,
les R.G., comme on disait dans le temps, les Renseignements généraux. Après
tout, la solution viendrait peut-être de là. Il paraît que, déjà, dans d’autres
lieux de France quelques imbéciles s’étaient mis à reproduire le tag. Des
gilets jaunes s’apprêtaient à le reprendre sur leurs banderoles.
- « Vous
croyez que ça pourrait être politique ?
- Je n’en
sais rien Monsieur le Procureur. Moi, ce que je veux, c’est juste retrouver les
salauds qui ont défoncé le policier municipal. Pour le reste, les tags, les
réseaux sociaux, Facebook et La Haye-Malherbe , j’en ai rien à foutre.
- Je vous
sens tendu, M. le Commissaire. Dites-moi, c’est pas à cause de moi ? Vous
auriez voulu que je vous livre ce pauvre type ?
- Je m’en
fous, Monsieur le Procureur ! »
La
conversation s’interrompit brusquement. Le maire et le colonel, qui attendaient
devant la gendarmerie que le procureur ait fini la conversation poussèrent un
cri de surprise. Au loin passait une Rolls, ce qui, à La Haye-Malherbe
faisait l’effet d’un O.V.N.I.
- « C’est
une Phantom ! » dit le maire qui avait des lettres.
Le
parterre ainsi créé devant la gendarmerie vit le carrosse passer en toute
quiétude et la surprise n’en fut que plus grande de voir, à côté du chauffeur,
la « petite journaliste ».
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