Organisé par le cercle du Havre, Mickael Baron a animé le premier café radical à la Caza de Wael. Un débat bon niveau qui en appelle d'autres. |
J'ai eu l'honneur de parrainer le premier café radical organisé au Havre. Le thème " les partis politiques sont ils encore utiles ?" sera repris le samedi 18 octobre, lors du forum républicain organisé par le parti radical de gauche.
Je vous livre le texte de mon intervention qui a servi d'ouverture au débat.
Les partis politiques sont-ils encore
utiles ?
Il s’agit là d’une question
provocatrice. Les partis politiques, quand bien
même ils ont de plus en plus tendance à constituer l’exutoire de nos
difficultés, font partie de notre vie politique et sociale. Ils sont inscrits
dans notre constitution. J’en rappelle l’article 4 :
Les partis et groupements politiques concourent à
l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement.
Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la
démocratie.
Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé
au second alinéa de l'article 1er (La
loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et
sociales.) dans les conditions déterminées par la loi.
La loi garantit les expressions pluralistes des
opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à
la vie démocratique de la Nation.
La question posée de leur utilité, voire de leur existence, n’est donc pas
anodin. En un an, deux ouvrages sont parus au sein de la gauche française. Celui
de Robert Hue « les partis politiques vont mourir, mais ils ne le savent
pas », ainsi que celui de Daniel Cohn-Bendit : pour
supprimer les partis politiques ?!
Ils relaient le malaise dont sont
victimes les partis politiques, répercussion d’un malaise qui touche la vie
politique dans son ensemble. A mon avis on ne peut répondre à la question de
l’utilité des partis qu’en reprenant leur histoire.
Elle n’est pas si ancienne. Elle est en
tous les cas beaucoup moins ancienne que l’histoire de la politique. Elle
correspond précisément à l’organisation d’un système politique républicain et
démocratique.
Entre la révolution française de 1789 et
la création parti radical en 1901, le premier parti politique en France, il se
passe quand même plus de cent ans. Pendant ces cent années, il se passe
beaucoup de choses. Citons en vrac la révolution, la terreur, les guerres, les
guerres napoléoniennes, la restauration, la naissance de la 3e
république, le second empire, bref, une période très agitée sur le plan des
idées et de l’action politique à laquelle j’ajouterais un sujet qui me parait
fondamental : la naissance de l’idéologie communiste.
De ce point de vue, l’une des premières apparitions
du mot parti arrive en 1844 avec le manifeste du parti communiste écrit
par Karl Marx. C’est un événement qui va bouleverser la politique même si la
conception et du mot communiste et du mot parti vont considérablement évoluer.
Le mot parti n’a rien à voir avec ce qu’il est devenu
actuellement, et en particulier avec la vision la plus achevée qui correspond à
celle que le parti communiste a précisément porté au cours des décennies. Le
parti est alors une vision, une idée qui portée par le monde en marche. Il
n’est pas question d’un parti avec des cellules, des dirigeants, des militants
ou d’écurie visant à promouvoir des champions électoraux. Il s’agit juste pour
les auteurs du manifestes comprendre et de s’intégrer dans un processus
révolutionnaire jugé inéluctable.
Le vrai parti communiste, je veux dire
celui qui va marquer la vie politique française pendant 70 ans, n’existera
réellement qu’à la suite de la première guerre mondiale en s’inscrivant en
rupture avec le parti socialiste au congrès de Tours en 1920, et en adhérant à
la 3e internationale créée par les nouveaux détenteurs du pouvoir en
Russie.
Pourquoi s’attarder sur l’histoire du
parti communiste, aujourd’hui devenu marginal dans la vie politique française,
et pourquoi ne pas accorder plus d’importance par exemple au parti radical de
gauche ou aux autres structures politiques françaises ?
Pour deux raisons essentielles.
· La première est que c’est sans doute ce mouvement
qui a été le plus loin dans la notion même de parti. Il a même été tellement
loin qu’il est mort de ses excès.
· La seconde est que sans doute, de par cet excès même,
de par l’importance qu’il a donné à la politique et à l’espoir que l’on pouvait
mettre en elle, il a sans doute une large part dans la désillusion qui marque
la vie politique française.
Il ne s’agit pour moi de distinguer les
bons et mauvais aspects liés au poids du parti communiste dans notre société.
Le modèle n’en est plus un. Il a correspondu à une époque dont il a en même
temps modelé et imprégné les motivations. Ce qui est sûr toutefois c’est qu’il
a largement contribué à une passion française pour la politique, cette passion
qui n’a guère eu d’équivalent qu’en Italie, qui a été le pays d’Europe
occidentale ou le parti communiste a été le plus fort.
Je ne pense pas que ce soit un hasard. En
donnant à la lutte des classes la clef de l’évolution de la société, il a fait
fausse route, mais il a créé dans les quartiers, dans les communes, dans les
lieux de travail, un clivage et une adhésion solidaire qui n’a pas
d’équivalent. Il a aussi, et j’en ai connu de multiples exemples, ouvert au
monde et donné à de nombreux militants une ouverture au monde une soif de
savoir, un désir d’apprendre et un dévouement sans équivalent.
Parallèlement, par son comportement, par
son invasion dans le monde politique, par son omniprésence dans la société
française, il a créé et un mouvement de critique qu’il n’a pas su assimiler et
surtout un rejet profond qui s’est traduit par une déchéance électorale qui
n’est en fait que la conséquence d’une inadéquation entre la doctrine
communiste et le monde réel.
Alors, voilà ! Les gens sont déçus.
Ils sont déçus par la politique et ils sont déçus par les partis politiques. En
fait, de mon point de vue, ils sont forcément déçus par eux-mêmes. Quand on
s’est illusionné, on a naturellement tendance à rechercher un responsable.
Le corps électoral, la société, a admis
qu’on ne pouvait pas changer le monde d’un coup, quelle que soit l’importance
de la colère que l’on porte en soi. Ça n’empêche pas d’être en colère quand il
faut, mais les scores du parti communiste et de Mélenchon sont la marque de
cette désillusion.
En politique aussi, le noir et blanc
n’intéresse plus. Le monde est coloré, la zapette nous ouvre un choix
démultiplié d’images, reflet de la complexité du monde et l’individu a du mal à
s’y faire entendre. Mais peut-on pour autant se passer des partis
politiques ?
Je ne le crois pas. J’adhère aux
radicaux de gauche depuis près de vingt ans et je milite depuis plus longtemps
encore. La politique, l’action publique m’a apporté une qualité de relations,
une réflexion, des échanges, une générosité et des vues sur le monde que je ne
trouverais nulle part ailleurs. Bon c’est un point de vue personnel, voire
égoïste, mais je ne vois rien dans ce qui se passe autour de moi et jusque dans
l’éreintement permanent des partis et de l’action politique qui pourraient me
faire changer d’avis. Je me réfère à la fameuse phrase de Churchill : « la
démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ».
C’est la démocratie moderne qui a créé les partis tels qu’on les connaît
actuellement. Si l’on veut se passer des partis politiques, il faut se préparer
à être gouvernés par des ordinateurs ou par des militaires. Les ordinateurs
génèrent les plus graves erreurs de gestion s’ils ne bénéficient pas de la
critique des hommes. C’est le cas Kerviel et la panique économique de 2008. Les
dictatures militaires génèrent non seulement des abominations en terme rapports
humains, mais en plus, elles renforcent précisément les pires défauts des
systèmes politiques, telle la corruption par exemple.
Les partis sont des affaires humaines,
ils font voisiner ambition et générosité, vision collective et ambitions
personnelles, soif de pouvoir et besoin d’empathie, trahison et confiance.
Cette dimension n’a rien d’original. On la retrouve dans toute œuvre collective
et humaine, dans les associations, les entreprises et même les familles. Mais
les partis sont indispensables. Grâce à eux la vie démocratique existe, les
problèmes sont mis à jour, et on se confronte à la réalité de l’action
publique, bien loin du rêve.
On peut se dire qu’à cause de cela la
vie politique est de plus en plus complexe. C’est pas faux. Il était toujours
plus simple de s’illusionner. Mais qui peut s’occuper de nous, qui peut
s’occuper du sort de la planète, de nos enfants et de nos petits-enfants ? À
chaque fois que nous faisons cela, nous faisons de la politique. Et n’est-il
pas mieux de le faire à l’intérieur des partis ? De confronter nos désirs
et nos contradictions à celles des autres ? Un parti politique n’est rien
d’autre au fond. Gramsci, une grande figure politique italienne à qui son
engagement a valu des années de prison sous le fascisme, parlait du parti comme
d’un intellectuel collectif. Encore faut-il le construire ce collectif. Je
finirais en vous racontant une anecdote. A un collègue de travail qui
critiquait les syndicats, j’avais demandé s’il était lui-même syndiqué. Il
m’avait répondu que non. Je lui ai alors dit qu’il ne pouvait se permettre de
critiquer les syndicats. S’ils ont tous ces défauts, c’est précisément à cause
de leur faiblesse, du fait qu’ils aient de moins en moins d’adhérents et qu’ils
sont de moins en moins représentatifs. Il en est de même pour les partis
politiques. Si les partis politiques sont éloignés du peuple, c’est qu’ils
n’ont pas assez d’adhérents. Plus ils seront faibles, plus ils seront éloignés
de la réalité et plus ils seront critiquables en s’ouvrant à toutes les
dérives, type Guérini ou Bygmalion... Qu’on ne compte pas sur moi pour les
affaiblir encore en stigmatisant les dérives individuelles, et me mettre à côté
d’une presse en difficulté, prête à scier la branche sur laquelle elle est
assise en se lançant dans le bashing de la politique et des institutions.
La politique a besoin de critique, elle
a besoin de pensées mais la politique ne doit jamais se défausser de l’esprit
de responsabilité. C’est ce que nous devons à nos contemporains et aux
générations futures.
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