Encore une danse, Ernest ! |
Pas question, bien sûr, de tout dire sur Ernest Martin. Chacun d'entre nous garde en lui sa part de l'immense personnage et, bien qu'il fût le plus ouvert des hommes que j'aie rencontré, Ernest a heureusement emporté avec lui sa part de mystères.
J'ai cependant tenu à reproduire intégralement les hommages qui lui ont été rendu, lors de la cérémonie du 3 février 2014.
Un député, un médecin, deux militants de la première heure, et trois de ses enfants s'y sont exprimés, délivrant tour à tour une part du personnage, une couleur de son arc en ciel.
Je n'ai pas su trouver sur internet la version a cappella du Temps des Cerises par Yves Montand, qui fut diffusée avant les discours. Je vous en livre une version musicalisée. Les chants ont su colorer la cérémonie.
Je n'ai pas su trouver sur internet la version a cappella du Temps des Cerises par Yves Montand, qui fut diffusée avant les discours. Je vous en livre une version musicalisée. Les chants ont su colorer la cérémonie.
Hommage de François LONCLE à Ernest MARTIN
3 Février 2014
Mme
la Sous-Préfète, cher Franck, chers amis,
Tout
est presque dit dans cette séquence si émouvante qui vient de se dérouler : la
magnifique interprétation a cappella du Temps des cerises par l’ami Yves
MONTAND. Le célèbre chanteur – acteur était d’ailleurs notre voisin et Ernest
m’avait demandé d’aller le voir pour sauver les cinémas de Louviers, ce que
MONTAND avait fait.
Permettez-moi de relater deux moments dont Ernest
MARTIN a été l’acteur et dont j’ai été témoin, deux rencontres privilégiées, à
trente-cinq ans de distance.
En 1978, dans la propriété des Monts, la maison de
Pierre MENDÈS FRANCE, il y a eu
ce rendez-vous à quelques-uns, Henri FROMENTIN, Ernest bien sûr, le
président MENDÈS FRANCE et moi-même. Quelques amis nous entouraient. Il y a eu
chez lui et dans le jardin, plus d’une heure de conversation. Rien n’était plus
dissemblable, vous l’imaginez, que la personnalité de Pierre MENDÈS FRANCE et celle
d’Ernest. Et pourtant, il y eût entre eux, je dirai, presque une communion, une
approche commune, en tous les cas, extraordinaire. Une compréhension, un sens
du bien commun et de la rigueur qui les rapprochaient. Une conversation
magnifique et évidemment, elle a marqué ceux qui en ont été témoins.
35 ans
plus tard, en Janvier 2013, au Musée de Louviers, pour l’exposition
d’hommage à Pierre MENDÈS France,
Ernest MARTIN pourtant très affaibli, a livré en quelque sorte au Président de
la République François HOLLANDE son dernier message, profondément humaniste, en
évoquant l’action et la méthode du Président MENDÈS FRANCE. Le dialogue fût
encore une fois splendide et émouvant. Franck s’en souvient à coup sûr.
Chers amis, face aux vents mauvais, aux forces
sombres qui menacent la société française, les saines intuitions, les coups de
gueule, la capacité d’Ernest MARTIN à mener le combat républicain et citoyen
nous manquent déjà.
Mais c’est Ernest MARTIN qui nous manque tout
simplement. Le salut que j’adresse à Ernest MARTIN n’est pas un salut de
familiarité, c’est le salut du respect.
Salut Ernest
Marie-Hélène Gâteau, adjointe au maire de Louviers, médecin.
Cet homme qui a su tout au long de sa carrière médicale si bien incarner le serment d'Hippocrate, trop souvent bafoué aujourd'hui.
Sa générosité d'âme et de cœur lui ont permis de mener des combats trop souvent étiquetés comme perdus d'avance
- combat contre l'alcool
- combat contre la drogue
- combat pour une naissance sans violence
- combat pour le choix des femmes à désirer ou non leur grossesse et tant d'autres combats si bien menés.
Ce médecin complètement désintéressé par le matériel mais tout à la souffrance de ses patients s'est efforcé de transmettre ces valeurs qui lui étaient chères, aux étudiants en médecine qu'il a accueilli dans son service à l'hôpital ou comme remplaçants dans son cabinet.
Ces étudiants dont j'ai fait partie
Pour tout cela, je vous dis "merci Ernest".
Denis Laheye
Salut Ness !
Depuis Samedi matin nous sommes sous le choc !
Notre ville que nous aimons tous a perdu un homme qui aimait passionnément sa
ville
Mais Ernest Martin aimait plus que tout servir et défendre
les hommes, les femmes et les enfants.
Tout au long de sa vie Ernest Martin a agi avec une
priorité :
Tout faire pour que chaque individu puisse dès son enfance et pendant toute sa vie exercer son libre
arbitre.
Ses engagements, politiques, professionnels associatifs
étaient des outils au service de cet objectif.
C’est en cela qu’il était un homme immense.
Immense par son intelligence,
Ses capacités d’analyse et de diagnostic lui donnaient une longueur d’avance dans les multiples actions qu’il menait.
Immense car c’était un grand visionnaire.
Avant tout les autres il avait créé à Louviers :
Un atelier d’urbanisme pour penser la ville et prévoir son
avenir
Un service de transport en commun
Un service culturel
Un service d ‘éducation permanente
Un service famille car il avait compris l’importance de la
famille dans la construction de notre personnalité
Un service de planification familiale pionnier dans la
défense des droits des femmes.
Immense par son charisme et sa capacité à entrainer avec lui
des hommes et des femmes venus d’horizons très différents mais tous unis pour
transformer notre société et notre ville. Le comité d’action de gauche
incarnait cette union.
A cette occasion je voudrai ici saluer la mémoire d’Henri
Fromentin (un homme extraordinaire) ami, complice des moments difficiles qui
vint lui proposer son aide en 1969 pour reconquérir la mairie. Ce qu’ils firent
en 1976.
Immense pour la
naissance non violente qu’ont vécu des centaines d’enfants et de parents grâce
à Ernest Martin qui avait compris l’importance des premiers
instants de la vie d’un enfant pour la qualité de sa relation à sa famille et
au monde qui l’entoure.
Immense car si Ernest Martin était dur avec les puissants,
il défendait les droits des plus faibles et surtout leur dignité.
Immense car Ernest Martin fuyait les honneurs, méprisait
l’argent, d’ailleurs son total désintérêt forçait l’admiration de ses
adversaires.
Nous gardons en mémoire les nombreuses joutes verbales qu’Ernest Martin a menées dans ses combats
pour défendre une certaine idée de la politique, une certaine idée de la vie
dans notre ville.
Si nous sommes tristes depuis samedi, nous n’avons pas perdu
espoir car d’autres « Ernest Martin » se sont levés et se lèveront
pour agir dans leur quête d’une société plus juste.
Maintenant j’ai une pensée Pour Nicole Sa femme qui a rendu
tout cela possible.
Depuis samedi chacun de nous a retrouvé dans sa mémoire un
moment, une rencontre avec Ernest Martin qui nous a marqué et peut être changé
notre vie.
Si chacun de nous essayait de défendre ou de reprendre un
combat (ils furent nombreux) qu’il a
mené, ce serait une belle manière d’honorer sa mémoire.
Enfin à titre personnel j’adresse à Ernest Martin un dernier « Salut Ness
« tu nous a tant donné !
François Bureau, militant du cag, ex-adjoint de la municipalité Fromentin-Martin
Mon cher Ernest, c’est en forme de dédicace que j’ai écrit ces quelques mots. Une immense reconnaissance tant je m’aperçois aujourd’hui encore combien tu as influencé le cours de ma vie, ma relation au monde et aux autres et ma carrière professionnelle, dans la culture surtout. Et, je crois qu’en portant ce témoignage, beaucoup reconnaitront cette incontournable influence.
Entre
nous, ça commence en 63. Je parcourais alors les salles de Louviers avec mes
appareils à projeter les films. Et Nicole, ta femme, venait me chercher pour me
conduire au « Chalet ». Le fameux « Chalet » qui allait
devenir le lieu du Comité d’Action de Gauche plus tard. Et là, tu avais créé la
magnifique communauté des buveurs guéris « La Croix d’Or ». Je venais
régulièrement projeter des films dans ce lieu magique où tu animais des
discussions. J’y ai senti un bien-être, une joie de vivre, un lien très fort
entre eux. Et j’ai vu les 1ères étincelles dans les yeux des hommes. C’est
ainsi que je t’ai connu Ernest. Je me suis dit alors qu’il ne fallait pas que
je m’éloigne de cet homme-là.
Très vite, tu es devenu maire de Louviers. Là encore,
j’ai été amené à accompagner ton action culturelle. J’assurais les projections
Salle de la Rotonde au Musée. J’ai alors assisté à une véritable révolution
culturelle. Tu accordais une très grande importance au Musée de la ville et à
sa bibliothèque. Tout le monde se souvient des magnifiques expositions occupant
le lieu : L’Exposition Mondiale de la Photographie, Les Estampes
Japonaises, l’Exposition sur le Verre où, chaque soir, un souffleur de verre
enchantait le public. Joyeux, les enfants repartaient avec leur petit objet en
verre. Sans oublier le magnifique concert des structures sonores de verre Lasry
et Baschet au cinéma l’Eden. Et puis, il y a eu cette idée absolument géniale
de créer une exposition qui mettait en vis-à-vis des peintres professionnels et
des peintures d’enfants. Ca en disait long sur ta démarche Ernest. Le sillon
était tracé. Il suffisait de se rendre au Manoir de Bigards pour voir le
merveilleux monde de la création que tu avais mis en place et l’enchantement
des enfants. A nouveau, j’ai vu des étincelles plein leurs yeux.
« Susciter les envies à chaque instant de la vie, se réaliser, tenter des
expériences, provoquer la curiosité pour tout et partout », selon tes
propres mots.
Ce qui a été affiché sur les murs de la ville dès 69 est
une profession de foi permanente : EDUCATION PERMANENTE, CULTURE POUR
TOUS, EXPRESSION LIBRE… et ce mot si fort donné au journal du Comité d’Action
de Gauche : DEVENIR… A tes côtés Ernest, il y avait cette irréductible
exigence, cette conviction profonde : comprendre le Monde c’est aussi
comprendre des choses de soi. DEVENIR implique un travail permanent sur soi. Tu
nous dictais alors les bases d’une éthique personnelle pour devenir et rester
libre. Tu répétais sans cesse « Il
n’y a pas de vie, d’action politique et d’engagement sans une transformation de
soi, il nous faut tout faire pour faire sauter chaque jour un petit
verrou ». En aucun cas, nous devions prendre un quelconque pouvoir si nous
n’étions pas conscients de cela. Pour toi Ernest, la CONSCIENCE DE SOI était
une chose capitale. Tu nous creusais là un sacré sillon…
Et si j’osais confondre ton engagement politique et ton
statut de médecin, je dirais que tu étais très attentif à LA PERTE DE
CONNAISSANCE, qu’il faut en permanence se créer des ANTICORPS pour affronter le
monde. Et surtout, il y a un endroit du corps qui pour toi est le plus exposé à
la pathologie : LE NOMBRIL. Ne pas être tenté de le regarder pour garder
la faculté de regard devant soi, vers le MONDE et les HOMMES… Je vois encore
les multiples sourires quand tu tenais ce discours.
Homme de culture tu étais et tu l’es resté toute ta vie.
Sans aucun doute, avec LA FAMILLE et L’URBANISME, la CULTURE était pour toi
d’une importance capitale. Domaine du questionnement, de l’enrichissement et du
rayonnement de soi, d’une prise de risque aussi. Toujours pour le DEVENIR d’un
Être libre. Des mots que nous avons entendus et qui résonnent encore très fort
en nous. C’est une question de SURvie comme tu nous disais.
Homme de culture tu étais ;
avec une vie intellectuelle hors du commun et une pensée sans cesse en
mouvement. Tu n’affichais jamais ton domaine de connaissance en public. Mais
alors, lorsque nous allions à ton cabinet pour nos petits tracas et que tu nous
retrouvions dans l’intimité, Il nous suffisait d’exprimer quelques points de
vue, quelques pensées personnelles et tu nous citais des œuvres majeures, dans
tous les domaines artistiques. C’était un vrai plaisir et nous sortions guéris
mais surtout moins bêtes, ce qui participait à la guérison de soi.
Il y a eu les Heures Chaudes de St Germain des Prés, les
Heures Chaudes de Montparnasse et, lorsqu’on se penche sur cette magnifique et
folle époque que tu as su si bien amener, on se dit qu’il y a eu les Heures
Chaudes de Louviers. ERNEST, ton nom était JOIE. Je reprends là le titre d’une
œuvre d’Armand GATTI, un homme que tu as connu et soutenu. Il a toujours pour
toi une profonde admiration pour ce que tu as initié. On se souvient d’un
merveilleux article sur Louviers et ton action dans un Nouvel Obs de mai 69, il était écrit
par Hélène Chatelain, la compagne de Gatti.
Ce
que tu as ouvert en grand pour nous tous est sans mesures. N’oublions jamais
qu’à coté de ton activité de médecin, de ton engagement politique, de tes
multiples passions et de ta disponibilité sans limites pour l’autre tu as
aussi, aux cotés de Nicole, ouvert toutes tes maisons.
Et,
s’il y a eu une Maison Bleue à San Francisco, il y a eu des maisons de toutes
les couleurs Rue du Mal Foch, à Vironvay, à Pinterville, au Chalet. Il y a eu
aussi, j’en suis sûr, de la couleur dans toutes les maisons où sont nés les
« Enfants d’Ernest ». Ils sont nés sans violence dans tes mains
Ernest. Ils sont nombreux à grandir aujourd’hui avec eux aussi plein
d’étincelles dans leurs yeux.
Tu
sais Ernest, je vais te faire une confidence, tu peux partir en paix. Vendredi
dernier je suis allé au Moulin assister à la Fête des Vœux. Et combien j’ai été
touché de voir la population heureuse d’être là avec, eux aussi, des étincelles
dans leurs yeux. Il se passe donc toujours quelque chose de magique dans ta
ville…
Va
mon Cher Ernest, poursuis ton chemin, sans doute vers le Pays de l’ultime
Utopie.
Je
sais, il y a encore des combats à mener, difficile aussi de retenir sa colère
face aux injustices de ce monde, mais juste un moment je ne garderai pas mon
poing fermé, juste un moment ma main restera ouverte, juste pour tenir la
tienne et te retenir, juste un moment pour me faire pardonner d’avoir parlé à
l’imparfait face à toi, d’avoir empreint ce texte de tant de nostalgie. Mais
comment ne pas être nostalgique après avoir vécu de si forts moments à tes
cotés. Et te retenir encore un peu tant il est vrai que tu as connu de grands
moments de solitude. Et c’est le prix de cette nostalgie, nous ressentons nous
aussi aujourd’hui une certaine solitude, comme un petit vertige. Alors pour
tout ça, je finirai par quelques mots magnifiques de Michèle Lesbre. Ils sont
extraits d’un livre qu’elle a écrit Un lac immense et blanc. Ce livre parle
avec une grande délicatesse de l’époque que nous avons vécue. Des mots que tu
aurais pu prononcer toi aussi, des mots en forme de promesse que nous te
faisons tous aujourd’hui :
« Et la nostalgie se mue en joie. En cette journée
particulière, la solitude aura moins que jamais le goût des
renoncements. »
A suivre, demain, les discours de Renaud, Isabelle et Franck MARTIN
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