Mon grand'père Georges Taconet - Pour lui sans la musique, la vie aurait été une erreur. Mais c'était quoi, la musique ? |
Georges Taconet était mon grand'père, je l'ai très peu connu. Il est mort quand j'avais dix ans quatre ans avant que sa maladie m'ait interdit tout contact avec lui.
Le personnage a laissé son emprunte dans le monde musical Normand, où, au dehors de personnalités aussi célèbres qu'Honneger et Satie officiait une société de propagande musicale qui maintenait un contact permanent aux amoureux de la musique...
Dimanche se tenait l'assemblée générale de notre association. Je vous livre le discours que j'ai prononcé à cette occasion qui s'interroge sur la réalité de l'activité créatrice d'un musicien au début du siècle, on ne percevait de la musique que celle qu'on pouvait faire soi-même ou celle que l'on allait chercher dans les concerts.
C’était la musique !
Celle qui s’élève quand des gens se rencontrent, celle qui
s’exige au sortir des sons, ceux qui nous façonnent et qui nous fascinent.
Celle qui leur donne de la couleur, celle qui fait s’envoler les rythmes.
Finalement oui, c’était la musique et c’était lui. C’était
l’homme respectable, l’air malicieux et doux. Et c’était lui qui, à Sainte-Adresse,
dans cette trop grande maison pour un
enfant de six ans, m’a fait découvrir la vraie musique, celle qui d’un homme si
sérieux, face à un instrument aussi austère qu’un piano, en a fait surgir
l’infinie poésie.
Parler de Georges Taconet, est sans doute un triste moyen de
lui rendre hommage. Après tout, le travail de l’association est d’abord de
faire connaître son œuvre, de maintenir ce qui traverse les époques, les
couleurs de sa musique, de ne rien perdre de son travail … celui qu’il a mené,
parallèlement à une vie professionnelle un peu terne.
Je me disais il y a peu de temps en pensant à lui :
mais c’était quoi être musicien de 1889 à 1964 ?
A coup sur quelque chose qu’on a du mal à imaginer
aujourd’hui.
A l’époque, au regard d’un homme du 21e siècle, un
musicien vivait dans un monde sans musique. C'est-à-dire : la musique n’existait
que par la volonté de celui qui la cherchait. Pour celui qui pouvait la créer, la
musique était dans la tête.
Il n’y avait pas de musique dans les supermarchés, c’est
vrai. Il n’y avait pas de supermarché, pas de fond sonore. Il n’y avait même pas
de disque non plus, c'est-à-dire que le moindre mange-disque apparu dans les années
60, avait plus de qualité sonore que la plus aboutie des bandes-sons, que le
plus beau des 78 tours. Le disque n’était alors qu’un témoignage… comme la
radio.
La musique, alors, je suppose n’en était que plus précieuse.
Je suppose aussi que cela avait deux conséquences que nous avons du mal à
apprécier aujourd’hui.
Bien sur, on peut dire qu’en absence de quantité musicale,
le cerveau, la sensibilité du musicien était à l’abri de cette soupe sonore qui
environne l’homme moderne… mais il y avait aussi, dans une absence totale de
discothèque, je veux dire de lieu de stockage du son, une absence de
confrontation, de remise en cause, un manque d'ouverture culturelle. Cette sorte de misère, je suppose encore,
était encore aggravée pour un provincial obligé de travailler pour vivre et
faire vivre sa famille.
Curieusement, et paradoxalement par rapport au monde
d’aujourd’hui qui se caractérise par le développement de l’individualisme, la
musique était un bien propre à chacun. Je la vois comme la maison, comme la
résidence principale de mon grand’ père, à un niveau que l’on a du mal à
imaginer aujourd’hui.
Je vois dans l’œuvre de mon grand’ père le travail acharné
de quelqu’un qui ne veut pas laisser échapper ses rêves. L’un des livres les
plus magnifiques qu’il m’ait été donné de voir ces derniers temps est le livre
des rêves de Fellini (dont j'ai parlé en mai 2010 : cliquer ici.), est le recueil de l’effort systématique mené par le
cinéaste en psychanalyse pour reproduire par le récit et le dessin ce qui venait
d’occuper ses nuits. Et il m’arrive de mesurer à cette aune l’œuvre de Georges
Taconet, quelqu’un à qui la vie ne laisse au fond que le rêve, avec tout ce que
nos rêves recèlent d’angoisse, de mémoire et d’espoir.
Aucun enfant de Georges Taconet n’a été musicien. Je pense
pour les connaître que cela en est une conséquence directe. Quelqu’un qui est à
la recherche de ses rêves est au fond quelqu’un qui ne transmet pas.
Le rêve est la part de génie de chacun d’entre nous, mais le
rêve n’appartient qu’à celui qui le fait.
On a déjà évoqué dans l’une de nos réunions, l’importance de
la guerre dans la personnalité de mon grand’ père. Elle est à coup sur la
mémoire lourde présente dans ces rêves, et dans son œuvre, parallèlement au
désir, aux voix des femmes qu’il triture, dont il extrait avec acharnement le
meilleur, parallèlement à la démarche qu’il mène vis-à-vis d’un instrument qui
requiert la plus grande technicité à ses interprètes.
C’est là, par le travail, celui de l’instrument et de la
voix des femmes, qu’il caressait le génie dans le cadre étroit que lui imposait
l’époque.
Bientôt, dans la magnifique école de musique de Louviers, inaugurée en octobre, une salle portera son nom. Il y cotoiera des musiciens prestigieux porteur d'une toute autre culture musicale, celle justement de la confrontation culturelle, de Django Reinhardt à Rostropovitch, de Jimmy Hendrix à Paul Mac Cartney...
Ainsi donc Georges Taconet rejoindra les musiciens
prestigieux et différents, si différents mais qui tous sont images de la
diversité du génie musical. Je tiens donc au nom de l’association et au nom de
la famille à remercier tout le conseil municipal de Louviers, puisque la
délibération a été votée à l’unanimité, mais bien entendu au premier chef la
municipalité de Louviers et au tout premier chef encore à mon ami Franck
Martin.
Georges Taconet sort de ses rêves et de sa solitude, c’est
sans doute l’un des plus beaux hommages que l’on pouvait lui rendre. Ainsi son
nom, son œuvre, son souvenir se trouvera mêlé à tous ces artistes qu’il n’a pas
eu le loisir d’entendre, d’écouter, auquel son œuvre n’a pas eu le loisir de se
confronter.
Encore merci.
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