mercredi 11 juillet 2012

Sans la musique, la vie serait une erreur

Mon grand'père Georges Taconet - Pour lui sans la musique,
la vie aurait été une erreur. Mais c'était quoi, la musique ?
Autant le dire tout de suite, sans fausse honte : je suis un cumulard. Président de la fédération de l'Eure du parti radical de gauche, je suis aussi président de l'association la musique de Georges Taconet.
Georges Taconet était mon grand'père, je l'ai très peu connu. Il est mort quand j'avais dix ans quatre ans avant que sa maladie m'ait interdit tout contact avec lui.
Le personnage a laissé son emprunte dans le monde musical Normand, où, au dehors de personnalités aussi célèbres qu'Honneger et Satie officiait une société de propagande musicale qui maintenait un contact permanent aux amoureux de la musique...
Dimanche se tenait l'assemblée générale de notre association. Je vous livre le discours que j'ai prononcé à cette occasion qui s'interroge sur la réalité de l'activité créatrice d'un musicien au début du siècle, on ne percevait de la musique que celle qu'on pouvait faire soi-même ou celle que l'on allait chercher dans les concerts.

C’était la musique !

Celle qui s’élève quand des gens se rencontrent, celle qui s’exige au sortir des sons, ceux qui nous façonnent et qui nous fascinent. Celle qui leur donne de la couleur, celle qui fait s’envoler les rythmes.

Finalement oui, c’était la musique et c’était lui. C’était l’homme respectable, l’air malicieux et doux. Et c’était lui qui, à Sainte-Adresse,  dans cette trop grande maison pour un enfant de six ans, m’a fait découvrir la vraie musique, celle qui d’un homme si sérieux, face à un instrument aussi austère qu’un piano, en a fait surgir l’infinie poésie.

Parler de Georges Taconet, est sans doute un triste moyen de lui rendre hommage. Après tout, le travail de l’association est d’abord de faire connaître son œuvre, de maintenir ce qui traverse les époques, les couleurs de sa musique, de ne rien perdre de son travail … celui qu’il a mené, parallèlement à une vie professionnelle un peu terne.

Je me disais il y a peu de temps en pensant à lui : mais c’était quoi être musicien de 1889 à 1964 ?

A coup sur quelque chose qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui.

A l’époque, au regard d’un homme du 21e siècle, un musicien vivait dans un monde sans musique. C'est-à-dire : la musique n’existait que par la volonté de celui qui la cherchait. Pour celui qui pouvait la créer, la musique était dans la tête.

Il n’y avait pas de musique dans les supermarchés, c’est vrai. Il n’y avait pas de supermarché, pas de fond sonore. Il n’y avait même pas de disque non plus, c'est-à-dire que le moindre mange-disque apparu dans les années 60, avait plus de qualité sonore que la plus aboutie des bandes-sons, que le plus beau des 78 tours. Le disque n’était alors qu’un témoignage… comme la radio.

La musique, alors, je suppose n’en était que plus précieuse. Je suppose aussi que cela avait deux conséquences que nous avons du mal à apprécier aujourd’hui.

Bien sur, on peut dire qu’en absence de quantité musicale, le cerveau, la sensibilité du musicien était à l’abri de cette soupe sonore qui environne l’homme moderne… mais il y avait aussi, dans une absence totale de discothèque, je veux dire de lieu de stockage du son, une absence de confrontation, de remise en cause, un manque d'ouverture culturelle. Cette sorte de misère, je suppose encore, était encore aggravée pour un provincial obligé de travailler pour vivre et faire vivre sa famille.

Curieusement, et paradoxalement par rapport au monde d’aujourd’hui qui se caractérise par le développement de l’individualisme, la musique était un bien propre à chacun. Je la vois comme la maison, comme la résidence principale de mon grand’ père, à un niveau que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui.

Je vois dans l’œuvre de mon grand’ père le travail acharné de quelqu’un qui ne veut pas laisser échapper ses rêves. L’un des livres les plus magnifiques qu’il m’ait été donné de voir ces derniers temps est le livre des rêves de Fellini (dont j'ai parlé en mai 2010 : cliquer ici.), est le recueil de l’effort systématique mené par le cinéaste en psychanalyse pour reproduire par le récit et le dessin ce qui venait d’occuper ses nuits. Et il m’arrive de mesurer à cette aune l’œuvre de Georges Taconet, quelqu’un à qui la vie ne laisse au fond que le rêve, avec tout ce que nos rêves recèlent d’angoisse, de mémoire et d’espoir.

Aucun enfant de Georges Taconet n’a été musicien. Je pense pour les connaître que cela en est une conséquence directe. Quelqu’un qui est à la recherche de ses rêves est au fond quelqu’un qui ne transmet pas.

Le rêve est la part de génie de chacun d’entre nous, mais le rêve n’appartient qu’à celui qui le fait.

On a déjà évoqué dans l’une de nos réunions, l’importance de la guerre dans la personnalité de mon grand’ père. Elle est à coup sur la mémoire lourde présente dans ces rêves, et dans son œuvre, parallèlement au désir, aux voix des femmes qu’il triture, dont il extrait avec acharnement le meilleur, parallèlement à la démarche qu’il mène vis-à-vis d’un instrument qui requiert la plus grande technicité à ses interprètes.

C’est là, par le travail, celui de l’instrument et de la voix des femmes, qu’il caressait le génie dans le cadre étroit que lui imposait l’époque.
Bientôt, dans la magnifique école de musique de Louviers, inaugurée en octobre, une salle portera son nom. Il y cotoiera des musiciens prestigieux porteur d'une toute autre culture musicale, celle justement de la confrontation culturelle, de Django Reinhardt à Rostropovitch, de Jimmy Hendrix à Paul Mac Cartney...

Ainsi donc Georges Taconet rejoindra les musiciens prestigieux et différents, si différents mais qui tous sont images de la diversité du génie musical. Je tiens donc au nom de l’association et au nom de la famille à remercier tout le conseil municipal de Louviers, puisque la délibération a été votée à l’unanimité, mais bien entendu au premier chef la municipalité de Louviers et au tout premier chef encore à mon ami Franck Martin.

Georges Taconet sort de ses rêves et de sa solitude, c’est sans doute l’un des plus beaux hommages que l’on pouvait lui rendre. Ainsi son nom, son œuvre, son souvenir se trouvera mêlé à tous ces artistes qu’il n’a pas eu le loisir d’entendre, d’écouter, auquel son œuvre n’a pas eu le loisir de se confronter.

Encore merci.






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